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T-992-92

Almecon Industries Limited (demanderesse)

c.

Anchortek Ltd., Explosives Limited, Ace Explosives ETI Ltd., et Western Explosives Ltd. (défenderesses)

Répertorié: Almecon Industries Ltd.c. Anchortek Ltd.(1re inst.)

Section de première instance, juge Reed"Toronto, 9 novembre; Ottawa, 17 novembre 1998.

Pratique Communications privilégiées Appel d'une décision du protonotaire adjoint selon laquelle des lettres d'opinion étaient protégées par le secret professionnelPartie défenderesse à une action en contrefaçon de brevet, Anchortek a fait parvenir à ses distributeurs des lettres d'opinion de son avocatDans le cadre d'une autre action qui a depuis été jointe à la présente action, Western Explosives Ltd., a produit les lettres d'opinion lors de l'interrogatoire préalableAnchortek a alors refusé de répondre aux questions portant sur les lettresAppel rejeté1) Il existe un privilège relié à un intérêt communLes deux parties n'ont pas à être représentées par le même avocat pour que le privilège relié à un intérêt commun s'appliqueLe fait que les intérêts des parties puissent devenir opposés n'est pas suffisant pour nier l'existence d'un privilège relié à un intérêt communPour l'instant, Anchortek et Western ne sont pas des adversairesIl n'est pas nécessaire qu'elles soient toutes les deux parties au procès lorsque les renseignements sont divulgués; il suffit que la chose soit prévue2) La divulgation de Western n'a pas emporté la renonciation d'Anchortek à son privilègeLes communications entre Anchortek et son avocat sont protégées par le secret professionnel, dont Anchortek a été la première à bénéficier, et elles demeurent privilégiées malgré leur divulgation par Western.

Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le protonotaire adjoint a statué que les deux lettres d'opinion étaient protégées par le secret professionnel. Almecon avait intenté une action en contrefaçon de brevet contre Anchortek Ltd., et menaçait de poursuivre également les distributeurs de celle-ci. Anchortek a obtenu de son avocat des lettres d'opinion qu'elle a transmises à Western Explosives Ltd., avec une lettre d'accompagnement portant la mention "confidentiel" et tenant pour acquis que Western travaillerait en collaboration avec Anchortek pour contester l'action en justice intentée par Almecon. Cette dernière a par la suite intenté contre Western une action distincte dans le cadre de laquelle Western a produit, lors de l'interrogatoire préalable des lettres à l'égard desquelles Anchortek invoque le secret professionnel. Lors de son interrogatoire préalable dans le cadre de l'action issue de la jonction d'instances, Anchortek a refusé de répondre aux questions portant sur les lettres. En appel, le protonotaire adjoint a confirmé qu'Anchortek ne pouvait pas être contrainte à répondre à ces questions parce que les lettres étaient protégées par le secret professionnel.

Les questions en litige étaient les suivantes: 1) existe-t-il un privilège relié à un intérêt commun et 2) dans l'affirmative, la divulgation par Western constituait-elle une renonciation pour Anchortek.

Jugement: l'appel est rejeté.

1) Il existait un privilège relié à un intérêt commun. Il s'agit d'un privilège invoqué au soutien d'un éventuel procès dans lequel plusieurs personnes ont un intérêt commun. Chacun peut se prévaloir du privilège pour défendre sa cause ou procès. Chacun peut recueillir des renseignements à l'intention de son avocat ou de celui d'autres personnes. Chacun peut conserver des originaux et faire des copies. Tous sont visés par le privilège invoqué en vue d'un procès éventuel. Il n'est pas nécessaire que les deux parties soient représentées par le même avocat pour conclure à l'existence privilège relié à un intérêt commun. Il n'est pas non plus suffisant que les intérêts des parties puissent devenir opposés pour nier l'existence d'un privilège relié à un intérêt commun. Anchortek et Western ne sont pas pour l'instant des adversaires. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient toutes les deux parties au procès au moment de l'échange de renseignements; il suffit que la chose soit prévue.

2) Western ne pouvait renoncer au privilège d'Anchortek. Les communications d'Anchortek avec son avocat étaient protégées par le secret professionnel, dont Anchortek a été la première à bénéficier, et elles sont demeurées privilégiées malgré la divulgation des lettres par Western.

jurisprudence

décision appliquée:

Buttes Gas and Oil Co v. Hammer (No 3), [1980] 3 All ER 475 (C.A.).

distinction faite avec:

Lehman v. Ins. Corp. of Ireland; Independent Fish Co. v. Man. Cold Storage Co., [1984] 1 W.W.R. 615; (1983), 25 Man. R. (2d) 198; 3 C.C.L.I. 257; 40 C.P.C. 285 (B.R.).

décisions examinées:

Maritime Steel and Foundries Ltd. v. Whitman Benn & Associates Ltd. et al. (1994), 130 N.S.R. (2d) 211; 114 D.L.R. (4th) 526; 367 A.P.R. 211; 15 C.L.R. (2d) 53; 24 C.P.C. (3d) 120 (C.S.); Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462; Supercom of California v. Sovereign General Insurance Co. (1998), 37 O.R. (3d) 597; 18 C.P.C. (4th) 104 (Div. gén.).

doctrine

Phipson on Evidence, 13th ed. by John Huxley Buzzard et al. London: Sweet & Maxwell, 1982.

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada. Toronto: Butterworths, 1992.

APPEL de la décision par laquelle le protonotaire adjoint a statué que les deux lettres d'opinion destinées à la défenderesse Anchortek et rédigées par l'avocat de celle-ci étaient protégées par le secret professionnel même si elles avaient été divulguées à la demanderesse par Western Explosives Ltd. (Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [1998] F.C.J. no 1522 (1re inst.) (QL)). Appel rejeté.

ont comparu:

Henry Lue pour la demanderesse.

Shonagh McVean pour la défenderesse Anchortek Ltd.

avocats inscrits au dossier:

Dimock Stratton Clarizio, Toronto, pour la demanderesse.

Smart & Biggar, Ottawa, pour la défenderesse Anchortek Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Reed: La Cour est saisie de l'appel d'une décision [[1998] F.C.J. no 1522 (1re inst.) (QL)] par laquelle le protonotaire adjoint a statué que deux lettres d'opinion écrites pour la défenderesse Anchortek par son avocat continuaient à être protégées par le secret professionnel par rapport à Anchortek malgré le fait que la défenderesse Western Explosives les avait divulguées à la demanderesse Almecon Industries. Les questions en litige sont celles de savoir s'il existe un privilège relié à un intérêt commun et, dans l'affirmative, les incidences de la divulgation des documents protégés par l'une des parties sur les intérêts de l'autre partie.

Les faits pertinents ne sont pas contestés. La défenderesse Anchortek était préoccupée par les effets que le procès qu'Almecon avait intenté contre elle et les effets que le procès qu'Almecon menaçait d'intenter contre les distributeurs d'Anchortek auraient sur ces derniers. Dans ce procès, Almecon accusait Anchortek de contrefaçon de brevet par suite de la fabrication et de la vente par Anchortek de certains bouchons de forage pour essais sismiques.

Anchortek et son avocat ont ensuite communiqué entre eux. L'avocat a adressé à Anchortek une lettre de deux pages en date du 18 mars 1996 qu'Anchortek était censée envoyer à ses distributeurs. À cette lettre était jointe une lettre d'accompagnement également datée du 18 mars 1996 qui renfermait des instructions indiquant à Anchortek le type de lettre d'accompagnement qui devait être envoyée aux distributeurs avec la lettre de deux pages. Était également jointe à cette lettre une copie d'une lettre de huit pages que l'avocat avait déjà envoyée à Anchortek le 27 février 1992. Cette dernière lettre renfermait un avis juridique plus fouillé sur la question de la contrefaçon de brevet. Anchortek a envoyé à Western non seulement la lettre de deux pages du 18 mars 1996, mais également les deux autres lettres envoyées par l'avocat. Ces lettres portaient la mention "confidentiel". La lettre d'accompagnement mentionnait le fait qu'Anchortek croyait comprendre que Western travaillerait en collaboration avec elle pour contester l'action en justice intentée par Almecon. Il était précisé, dans la lettre, qu'Anchortek était très reconnaissante de cette collaboration et que, sur la foi de cet engagement, Anchortek envoyait à Western une copie de la lettre"et non des lettres"qu'Anchortek avait reçues de ses avocats.

Almecon a par la suite introduit contre Western une action distincte qui a depuis été jointe à la présente action. Dans le cadre de cette action distincte, Western a produit, lors de l'enquête préalable, les lettres à l'égard desquelles Anchortek revendique le privilège du secret professionnel, et Western a répondu aux questions posées à leur sujet.

Interrogée au préalable au sujet des lettres dans le cadre de l'action issue de la jonction d'instances, Anchortek a refusé de répondre. Ce refus a fait l'objet d'un appel devant le protonotaire adjoint. Celui-ci a confirmé qu'Anchortek ne devait pas être contrainte à répondre en déclarant [au paragraphe 7]:

[traduction] [. . .] la partie qui a un document confidentiel et qui en communique le contenu à une autre partie ayant un intérêt conjoint ou commun avec elle dans le procès n'autorise pas de ce fait cette autre partie à renoncer au privilège.

Il a conclu que le privilège [au paragraphe 7]:

[traduction] [. . .] continue à exister en ce qui concerne les documents en question et Anchortek n'est pas tenue de répondre aux questions posées à leur sujet.

La demanderesse conteste cette décision au motif qu'il n'existe pas d'intérêt conjoint ou commun entre Anchortek et Western et que, partant, la divulgation qu'Anchortek a faite à Western constituait une renonciation par Anchortek à son privilège. Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que, s'il existe un intérêt conjoint ou commun, la renonciation de Western vaut pour elle et pour Anchortek.

Je ne suis pas convaincue que ces arguments peuvent être retenus. Je fais miennes les explications que lord Denning, M.R., a données au sujet de l'intérêt commun dans l'arrêt Buttes Gas and Oil Co v. Hammer (No 3), [1980] 3 All ER 475 (C.A.), aux pages 483 et 484 et qui sont citées dans l'ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto: Butterworths, 1992), à la page 669 et sur lesquels le protonotaire adjoint s'est fondé dans sa décision:

[traduction] [I]l s'agit d'un privilège invoqué au soutien d'un éventuel procès dans lequel plusieurs personnes ont un intérêt commun. Ce privilège est souvent invoqué dans un procès dans lequel des personnes ont des intérêts identiques à ceux du demandeur ou du défendeur et ont consulté un avocat au sujet des mêmes questions sans avoir toutefois été constituées parties à l'action, notamment par souci d'économie ou de simplicité. Tous s'échangent l'opinion des avocats. Tous recueillent des renseignements en vue du procès. Tous font des copies. Tous attendent l'issue du procès avec la même anxiété parce qu'ils sont tous concernés au même titre. On pense sans difficulté à certains exemples. Des propriétaires de maisons contiguës se plaignent d'un trouble de jouissance qui les affecte autant l'un que l'autre. Ils consultent tous les deux un avocat. Ils échangent tous les deux des documents pertinents. Mais un seul est demandeur. Un écrivain écrit un livre et le fait publier. On l'accuse de libelle diffamatoire ou de violation du droit d'auteur. L'écrivain et l'éditeur consultent tous les deux un avocat. Ils échangent des documents. Mais un seul est constitué défendeur.

Dans tous ces cas, je crois que les tribunaux devraient, dans le contexte de l'enquête préalable, considérer tous les intéressés comme s'ils étaient des associés d'un même cabinet ou des services d'une même compagnie. Chacun peut se prévaloir du privilège pour défendre sa cause au procès. Chacun peut recueillir des renseignements à l'intention de son avocat ou de celui d'autres personnes. Chacun peut conserver des originaux et faire des copies. Et ainsi de suite. Tous sont visés par le privilège invoqué en vue d'un procès éventuel, même s'il s'avérait par la suite, une fois le procès ouvert, qu'un seul d'entre eux est partie à l'action. Peu importe qu'un d'entre eux ait les originaux et l'autre, les copies. Tous les documents sont protégés.

Je relève par ailleurs les observations particulièrement appropriées que le lord juge Donaldson a formulées, à la page 490 de l'arrêt Buttes:

[traduction] Mais je crois que cette proposition est juste. Prenons le cas d'une tour d'habitation. Le propriétaire poursuit un locataire déterminé. Le différend qui les oppose concerne une disposition du bail qui est commune à tous les baux. Le locataire pourrait fort bien distribuer confidentiellement aux autres locataires une copie de l'avis juridique qu'il obtenu. Si le propriétaire devait ensuite constituer un autre locataire codéfendeur, pourrait-il obtenir la production de la copie de l'avis? Je ne le crois pas.

Bien qu'il n'ait pas tranché la question parce qu'il n'était pas obligé de le faire, le lord juge Donaldson a tenu des propos qui sont très convaincants. Le protonotaire a correctement posé le critère juridique pertinent et l'a appliqué à une situation de fait qui cadrait légitimement avec ce critère.

L'avocat de la demanderesse cite le jugement Lehman v. Ins. Corp. of Ireland; Independent Fish Co. v. Man. Cold Storage Co., [1984] 1 W.W.R. 615 (B.R. Man.) à l'appui de son argument que, parce qu'il était possible qu'un jour Anchortek et Western aient des intérêts opposés, on ne pouvait dire qu'elles ont des intérêts conjoints ou communs dans le procès. Ce n'est pas mon interprétation du jugement Lehman. Cette décision repose sur la conclusion que les deux défendeurs n'avaient pas d'intérêts communs à la date considérée, mais qu'ils avaient plutôt des intérêts opposés. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que les deux parties soient représentées par le même avocat pour conclure à l'existence d'un intérêt commun. Il ressort de l'extrait des propos qu'a tenus lord Denning dans l'arrêt Buttes et qui ont été cités et approuvés dans l'ouvrage de Sopinka que le privilège relié à un intérêt commun s'applique dans un contexte beaucoup plus large. Le fait qu'il est possible qu'un jour, les intérêts des parties soient opposés n'est pas non plus suffisant pour nier l'existence actuelle d'un privilège relié à un intérêt commun. Anchortek et Western ne sont pas pour l'instant des adversaires. Finalement, il n'est pas nécessaire qu'elles soient toutes les deux parties au procès au moment de l'échange de renseignements; il suffit que la chose soit prévue.

Il semble que la jurisprudence soit peu abondante sur la question des effets de la divulgation par une personne qui bénéficie d'un privilège relié à un intérêt commun sur les intérêts de l'autre. Le protonotaire adjoint a cité Phipson on Evidence, 13e éd. (Londres: Sweet & Maxwell, 1982), à la page 301:

[traduction] Lorsqu'il y a un intérêt commun, il suffit, pour pouvoir l'opposer à un tiers, qu'un seul des intéressés invoque le privilège. Toutefois, pour renoncer au privilège, tous doivent être d'accord.

Anchortek a cité une déclaration faite dans le jugement Maritime Steel and Foundries Ltd. v. Whitman Benn & Associates Ltd. et al. (1994), 130 N.S.R. (2d) 211 (C.S.), à la page 218:

[traduction] Habituellement, un des titulaires de ce privilège commun ne peut y renoncer sans le consentement exprès des autres.

Cette affaire portait sur des parties qui, malgré le fait qu'elles avaient d'abord eu des intérêts communs, étaient par la suite devenues des adversaires.

Il est important de rappeler d'abord certains principes. Dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, la Cour a fait remarquer que le privilège du secret professionnel de l'avocat est [à la page 870] "un droit civil fondamental" et que [à la page 875] tout "conflit [. . .] doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité". Dans le jugement Supercom of California v. Sovereign General Insurance Co. (1998), 37 O.R. (3d) 597 (Div. gén.), le juge Wilson discute, à la page 609, de la pertinence du principe d'équité pour déterminer s'il y a eu renonciation au privilège. À la page 614, il déclare:

[traduction] Le privilège du procès et le privilège relié à un intérêt commun reposent sur des principes de promotion d'un système juste et équilibré fondé sur le débat contradictoire.

En l'espèce, la thèse de l'avocat de la demanderesse revient à affirmer que, parce qu'une partie (bien qu'il s'agisse d'une partie ayant des intérêts communs avec Anchortek dans le procès) ait divulgué des communications confidentielles entre Anchortek et son avocat, Anchortek est tenue de répondre aux questions concernant ces communications. Ce n'est pas ainsi que j'interprète les règles de droit applicables.

Le refus qui serait à l'origine du présent appel est le refus d'Anchortek [traduction] "de répondre aux questions concernant la lettre qu'Anchortek a reçue d'Ogilvie and Company et qui a été transmise à Western Explosives". Une des questions ainsi posées à Anchortek était de savoir pourquoi elle avait demandé une lettre d'opinion à son avocat. Je ne crois pas que la divulgation de la lettre confidentielle qu'a faite Western permette d'exiger d'Anchortek qu'elle réponde à de telles questions. Ces communications sont protégées par le secret professionnel de l'avocat. C'est Anchortek qui a bénéficié la première de ce privilège. Les communications échangées entre Anchortek et son avocat demeurent privilégiées malgré la divulgation des lettres par Western. Je crains par ailleurs que ce type de question ne soit probablement pas pertinent, mais je ne me prononce pas sur ce point.

En résumé, je suis d'avis que le protonotaire adjoint a correctement posé et appliqué les règles de droit applicables. Western ne peut renoncer au privilège d'Anchortek. Par ces motifs, l'appel sera rejeté.

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