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T-1450-97

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Ross Robert Boutilier (défendeur)

Répertorié: Canada (Procureur général)c. Boutilier (1re  inst.)

Section de première instance, juge McGillis"Ottawa, 9 septembre et 13 novembre 1998.

Fonction publique Compétence CRTFPContrôle judiciaire de la décision d'un arbitre que le défendeur avait droit à un congé de mariage en vertu de la convention collective pour épouser un conjoint du même sexeLe droit de l'employé de déposer un grief est limité par l'art. 91(1) de la LRTFP, qui stipule qu'aucun autre recours administratif de réparation ne doit lui être ouvert sous le régime d'une loi fédéraleSelon l'art. 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l'arbitrage qu'après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicableLorsque l'art. 91(1) prive un employé de son droit de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite renvoyer le grief à l'arbitrage en vertu de l'art. 92Les art. 44(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) permettent à la CCDP d'obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefsLorsque le grief allègue un acte discriminatoire dans le contexte d'une convention collective, la LCDP s'appliqueLe grief allègue qu'il y a eu discrimination au motif qu'un avantage social a été refusé pour des raisons liées directement à l'orientation sexuelleCette question relève du mandat de la CCDP et du tribunal des droits de la personne en vertu de la LCDPLa LCDP prévoit unrecours administratif de réparation— — L'arbitre n'avait pas compétence pour connaître du grief.

Droits de la personne Contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre en vertu de la LRTFP indiquant que le défendeur avait droit à un congé de mariage en vertu de la convention collective pour épouser un conjoint du même sexeL'art. 91(1) de la LRTFP prive un employé de son droit de déposer un grief lorsqu'un autre recours administratif de réparation existeLes art. 41(1)a) et 44(2)a) de la LCDP permettent à la CCDP d'obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefsCela indique l'intention du législateur d'autoriser la CCDP à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu d'une autre loi ou en tant que plainte fondée sur la LCDP, en cas de chevauchement entre les procédures de règlement des griefs prescrites par différentes loisLorsque le fond du grief porte sur une allégation d'acte discriminatoire dans le contexte de l'interprétation d'une convention collective, la procédure prévue dans la LCDP doit être suivieL'employé doit déposer sa plainte auprès de la CCDPIl ne peut utiliser la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTFP que si la Commission détermine, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire prévu aux art. 41(1)a) et 44(2), que la procédure de règlement des griefs aurait dû être épuiséeLe grief alléguait qu'il y avait eu discrimination fondée sur le refus d'un avantage social pour des raisons liées directement à l'orientation sexuelleCette question relève du mandat du TCDP et de la CCDP en vertu de la LCDPLerecours administratif de réparationprévu dans la LCDP fait partie des recours visés à l'art. 91(1) de la LRTFPEn vertu de l'art. 91(1), le défendeur n'avait pas le droit de déposer un griefL'arbitre n'avait pas compétence.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en sa qualité d'arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) dans laquelle il accueillait le grief du défendeur. En 1994, le défendeur a demandé un congé de mariage de cinq jours prévu à la convention collective. Le mariage était une cérémonie publique d'engagement entre conjoints homosexuels. Sa demande a été refusée. Le défendeur a contesté cette décision par voie de grief, et le grief a été rejeté. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP. L'arbitre a conclu que le défendeur avait droit à un congé de mariage, sans toutefois se demander s'il avait compétence pour entendre le grief.

La question était de savoir si l'arbitre avait compétence pour connaître du grief.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Le droit d'un employé de déposer un grief est limité par l'exigence énoncée au paragraphe 91(1) de la LRTFP qui stipule qu'aucun autre recours administratif de réparation ne doit lui être ouvert sous le régime d'une loi fédérale, et selon l'exigence énoncée au paragraphe 91(2), qui dispose qu'il doit avoir obtenu l'approbation de son agent négociateur et être représenté par lui. (Puisque le défendeur avait l'approbation de l'agent négociateur et était représenté par celui-ci, le paragraphe 91(2) ne portait pas atteinte à son droit de déposer un grief.) En outre, en vertu de l'article 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l'arbitrage qu'après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable. Lorsque la restriction énoncée au paragraphe 91(1) ou (2) prive un employé de son droit non absolu de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite envisager de renvoyer le grief à l'arbitrage en vertu de l'article 92(1). Si l'employé essaie d'agir de la sorte, l'arbitre n'a pas compétence pour connaître de ce grief.

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) permettent à la Commission, dans les cas appropriés, d'obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Ils indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la LRTFP et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la LCDP concernant le traitement des plaintes au sujet d'actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, le législateur a choisi d'autoriser la Commission, aux termes des alinéas 41(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu d'une autre loi ou en tant que plainte fondée sur la LCDP. Lorsqu'un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d'acte discriminatoire dans le contexte de l'interprétation d'une convention collective, les dispositions de la LCDP s'appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l'employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L'affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la LRTFP dans le cas où la Commission détermine, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la LCDP, que la procédure de règlement des griefs doit d'abord être épuisée.

La question à aborder est l'existence d'un "recours", et non pas la nature ou l'étendue des réparations prévues dans le cadre de ces recours. Les recours prévus au paragraphe 91(1) n'ont pas à être identiques à la procédure de règlement des griefs prescrite par la LRTFP. Les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n'ont pas non plus à être identiques. La question du temps qu'il faut à la Commission et au tribunal des droits de la personne, respectivement, pour régler une plainte ou pour tenir une audience sur une plainte n'est aucunement pertinente pour décider si la procédure prévue dans la LCDP constitue un "recours administratif de réparation".

Le grief est entièrement fondé sur une allégation de discrimination au motif qu'un avantage social a été refusé à un employé pour des raisons liées directement à son orientation sexuelle. Cette affaire relève directement du mandat confié à la Commission et au tribunal des droits de la personne par la LCDP. La LCDP offre au défendeur un recours administratif de réparation relativement à la question d'interprétation de la clause de la convention collective portant sur le congé de mariage. Le défendeur n'avait pas le droit, en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP, de présenter son grief à aucun des paliers de la procédure de règlement des griefs. Il n'avait donc pas le droit de renvoyer son grief à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1) de la LRTFP, et l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître de ce grief en arbitrage.

L'omission de soulever une question de compétence devant un arbitre n'empêche pas une partie de soulever cette question dans la procédure de contrôle judiciaire.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 242(3.1)b) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 41(1)a) (mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 49), 42, 44(1),(2)a).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91, 92 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68).

jurisprudence

décisions appliquées:

Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. no 845 (C.F. 1re inst.) (QL); Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996), 140 D.L.R. (4th) 193; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354; (1995), 126 D.L.R. (4th) 679; 95 CLLC 210-045; 185 N.R. 107 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1995] A.C.S.C. no 444.

décisions examinées:

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445; (1995), 100 F.T.R. 226 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre (Boutilier et le Conseil du Trésor (Ressources naturelles), [1997] C.R.T.F.P. no 54 (QL)) indiquant que le défendeur avait droit à un congé de mariage pour épouser un conjoint du même sexe en vertu de la convention collective. La demande est accueillie au motif que l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître du grief.

ont comparu:

Harvey A. Newman et Micheline Langlois, pour le demandeur.

Dougald E. Brown et Pamela J. MacEachern, pour le défendeur.

Steven R. Chaplin, pour l'intervenante (Commission des relations de travail dans la fonction publique).

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada, pour le demandeur.

Nelligan Power, Ottawa, pour le défendeur.

Maclaren, Corlett, Ottawa, pour l'intervenante (Commission des relations de travail dans la fonction publique).

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge McGillis:

INTRODUCTION

Le procureur général du Canada (procureur général), demandeur en l'espèce, conteste par voie de contrôle judiciaire une décision prise le 4 juin 1997 [[1997] C.R.T.F.P.C. no 54 (QL)] par le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en sa qualité d'arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, et ses modifications, dans laquelle celui-ci accueillait un grief déposé par le défendeur Ross Robert Boutilier. La question principale à trancher en l'espèce est de savoir si l'arbitre avait compétence pour connaître du grief.

LES FAITS

M. Boutilier travaille pour le ministère des Ressources naturelles du Canada en tant que spécialiste des sciences physiques depuis plus de dix ans à Halifax (N.-É.). Pendant toute la période pertinente, M. Boutilier était assujetti à la convention collective du Groupe des sciences physiques (222/91) signée par l'Institut professionnel de la fonction publique et le Conseil du Trésor (convention collective).

En mai 1994, M. Boutilier a demandé verbalement un congé de mariage pour la période du 11 au 15 juillet 1994, en indiquant qu'il avait l'intention d'unir sa destinée à son conjoint homosexuel au cours d'une cérémonie publique d'engagement. Le 8 juillet 1994, il a officiellement demandé par écrit cinq jours de [traduction] "congé pour me marier comme il est prévu au sous-alinéa 20.09b)(iv) de la convention collective des Sciences physiques". Dans une pièce jointe à sa demande de congé, il précisait que le "mariage" était [traduction ] "une union avec un conjoint du même sexe, qui serait considérée comme un mariage dès que la législation provinciale serait modifiée en conséquence", et que son conjoint et lui-même avaient l'intention de prendre un congé d'une semaine après la cérémonie. Il indiquait également ce qui suit:

[traduction] La seule différence entre notre célébration et un mariage est l'obstacle juridique qui est placé en travers de notre route. La convention collective a l'intention de reconnaître l'importance de cet événement dans nos vies, et je veux me prévaloir de cet avantage. Le refus de me l'accorder est contraire à l'interprétation actuelle de la Charte des droits et libertés, aux politiques et priorités de notre syndicat, et au respect du principe d'égalité de traitement que j'attends de mon employeur.

La clause 20.09b)(iv) de la convention collective, en vertu de laquelle M. Boutilier réclamait son congé de mariage, est rédigé dans les termes suivants:

20.09 Congé payé pour obligations familiales

[. . .]

b) L'Employeur accordera un congé payé dans les circonstances suivantes:

[. . .]

(iv) un congé de mariage de cinq (5) jours dans le but de se marier, pourvu que l'employé donne à l'employeur un préavis d'au moins cinq (5) jours.

Subsidiairement, M. Boutilier a demandé un congé spécial non payé en vertu de la clause 20.13 de la convention collective intitulé "Congés payés ou non payés pour d'autres raisons", qui dispose comme suit: "[à] sa discrétion, l'employeur peut accorder un congé payé ou non payé pour des fins autres que celles qui sont indiquées dans la présente convention collective".

La convention collective renferme également cette clause d' "élimination de la discrimination":

31.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, sa langue officielle, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

Le 9 juillet 1994, M. Boutilier et son conjoint ont participé à une cérémonie d'union célébrée par la révérende Darlene Young des Universal Fellowship of Metropolitan Community Churches, une église chrétienne légalement reconnue. Ils ont échangé leurs vœux devant les membres de leur famille et leurs amis, et se sont engagés à vivre ouvertement comme un couple. À la fin de la cérémonie, on leur a remis un certificat attestant leur union sacrée. La cérémonie ressemblait à bien des égards à une célébration de mariage traditionnelle, sans toutefois comprendre la signature d'un permis de mariage. Aucun permis ni aucun certificat de mariage n'a été délivré en vertu des lois de la Nouvelle-Écosse, et les bans n'ont pas été publiés.

Avant la cérémonie d'union, M. Boutilier et son conjoint avaient participé à des préparatifs religieux avec la révérende Young. Ils avaient également signé des procurations et des testaments, de la même manière que de nombreux couples hétérosexuels, afin de confirmer leur engagement et d'assurer la plus grande protection juridique possible à leur union. Ces documents ont été présentés à leurs invités au cours de la cérémonie.

Le 4 août 1994, le congé de mariage que M. Boutilier avait demandé aux termes de la clause 20.09b)(iv) de la convention collective lui a été refusé. Sa demande subsidiaire en vue d'obtenir un congé spécial fondée sur la clause 20.13 a également été refusée. M. Boutilier a donc dû utiliser des jours de vacances pour la semaine de congé qu'il a prise après la cérémonie d'union.

Le 18 août 1994, M. Boutilier a contesté par voie de grief la décision de lui refuser le congé demandé. Dans son grief, M. Boutilier indiquait simplement qu'il souhaitait contester les mesures prises par la direction en lui refusant cinq jours de congé en vertu de la clause 20.09b)(iv), ou, subsidiairement, un congé de cinq jours en vertu de la clause 20.13.

Le 20 octobre 1994, le grief a été refusé au dernier palier par le sous-ministre adjoint qui a déclaré en partie ce qui suit: [traduction] "les circonstances entourant votre demande de congé fondée sur la clause 20.09b)(iv) ne constituent pas un mariage visé par la convention collective". Il a également refusé la demande subsidiaire de congé spécial en vertu de la clause 20.13 de la convention collective.

Le 2 novembre 1994, M. Boutilier a renvoyé son grief à l'arbitrage en vertu de l'article 92 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Dans une décision datée du 4 juin 1997, l'arbitre a maintenu le grief de M. Boutilier concernant son congé de mariage

Dans sa décision, l'arbitre a reproduit les arguments écrits soumis par le représentant de M. Boutilier, qui indiquait que les questions à trancher dans le cadre de l'arbitrage étaient les suivantes [au paragraphe 11]:

[traduction] il s'agit ici de décider si M. Boutilier a droit à un congé de mariage conformément à l'article 20.09 de la convention collective conclue entre l'Institut professionnel de la fonction publique et le Conseil du Trésor. M. Boutilier épousait un partenaire du même sexe. L'employeur a refusé la demande de congé de mariage en disant que ce qui se passait entre Ross Boutilier et son partenaire n'était pas un mariage au sens de la convention collective. L'employeur a refusé la demande de congé de M. Boutilier uniquement à cause de la façon dont il interprétait la définition de "mariage". La seconde question, qui découle de l'interprétation donnée par l'employeur au [sic ] mot mariage, est de savoir si cette interprétation est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le fait de refuser un congé de mariage à M. Boutilier dans les circonstances de l'espèce constitue-t-il de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle? La définition de "mariage" proposée par l'employeur s'applique uniquement à l'employé hétérosexuel.

Ce grief porte sur l'interprétation et l'application de la disposition relative au droit à des congés de la convention collective. L'article 20.09 doit être lu et interprété compte tenu des autres dispositions de la convention et à la lumière du droit du pays. En l'espèce, la question qui se pose relativement aux droits de la personne est qu'un employé hétérosexuel pourrait se prévaloir de l'avantage en question, c'est-à-dire du congé de mariage. Cette affaire nous oblige à examiner la disposition interdisant la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle à la lumière des jugements rendus depuis l'affaire Hewens.

Le plaidoyer écrit présenté au nom de M. Boutilier met presque exclusivement l'accent sur la question de savoir si le refus de lui accorder un congé de mariage constitue de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. À la fin de son plaidoyer écrit, la représentante de M. Boutilier a résumé sa position en indiquant que la définition de "mariage" proposée par l'employeur avait [traduction ] "pour effet de nier l'octroi d'un avantage social aux employés homosexuels, et ce, en violation de la [Loi canadienne sur les droits de la personne ]". Elle a donc demandé que la définition de mariage soit interprétée de façon [traduction ] "à éliminer l'effet discriminatoire qu'elle a à l'endroit des gais et des lesbiennes". Elle a ensuite déclaré ce qui suit:

[traduction] Nous ne doutons pas que les employés pourront se prévaloir de ce congé d'ici un an. Comme d'habitude, nous croyons que le tribunal sera le chef de file lorsqu'il s'agira d'appliquer toutes les dispositions de la convention collective d'une façon non discriminatoire. Le mariage est un but important pour de nombreux gais et pour de nombreuses lesbiennes qui ne veulent qu'une chose: l'acceptation publique de ce qu'ils sont. Cela fait partie de la lutte pour l'égalité. Votre décision pourrait contribuer à éliminer la discrimination à l'endroit des gais et des lesbiennes.

La représentante de M. Boutilier a également fait valoir que l'arbitre avait compétence pour connaître de l'affaire, et qu'il devait interpréter la convention collective d'une manière compatible avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications.

L'arbitre a également résumé dans sa décision la position adoptée par l'avocat de l'employeur dans la procédure d'arbitrage, c'est-à-dire que le mot "mariage" employé dans la convention collective se rapporte au mariage reconnu par la loi. L'avocat de l'employeur n'a fait aucune observation quant à savoir si l'arbitre avait compétence pour procéder à l'arbitrage du grief. De même, il n'a présenté aucune observation quant à savoir si le refus du congé de mariage constituait de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Dans sa décision, l'arbitre a statué qu'une décision concernant un grief fondé sur la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, devait [au paragraphe 29] "correspondre aux valeurs sociétales" contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu'il devait interpréter la convention collective d'une façon [au paragraphe 32] "compatible avec les principes fondamentaux que le législateur a établis en matière de droits de la personne". En concluant que M. Boutilier avait droit à son congé de mariage, il a déclaré notamment ce qui suit [aux paragraphes 34 à 38]:

Je reconnais que le mariage a toujours été restreint aux unions entre hommes et femmes. Ce principe est consacré depuis longtemps dans la jurisprudence. Toutefois, le droit n'est jamais statique. Il évolue avec le temps de façon à correspondre aux valeurs de la société qu'il réglemente [. . .]

Le fait d'accorder l'avantage lié au congé de mariage aux gais et aux lesbiennes conformément à une convention collective n'enlève rien à l'institution du mariage entre hétérosexuels. L'octroi de pareil congé "pour obligations familiales" dans des cas comme celui-ci reconnaît plutôt simplement le fait que la collectivité homosexuelle possède le droit d'établir une famille conformément à son orientation sexuelle.

J'ai décidé qu'il devrait être fait droit au grief que M. Boutilier a présenté. Ce faisant, je n'ai pas à violer la convention collective, à en annuler certaines parties ou à y incorporer des dispositions manquantes; je n'ai qu'à interpréter son libellé d'une façon compatible avec les principes énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. D'autres part, rejeter le grief équivaudrait à nier à M. Boutilier la protection égale de la convention collective qui doit lui être fournie en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La demande de congé de mariage que le fonctionnaire s'estimant lésé a présentée précède les modifications susmentionnées qui ont été apportées en 1996 à la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais dans l'affaire Nielsen v. Canada (Human Rights Commission), 95 CLLC 230-021 à 145,214/5, la Cour fédérale avait déjà décidé que le [à compter du] 6 août 1992, l'orientation sexuelle devait être incorporée dans l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en tant que motif de discrimination illicite. Les principes énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquent donc clairement en l'espèce. L'application de ces principes en l'espèce exige que je fasse plus que de leur payer un hommage respectueux.

La décision que je rends en l'espèce ne veut pas pour autant dire que le fonctionnaire s'estimant lésé a contracté un mariage légitime en vertu des lois de la Nouvelle-Écosse. En effet, je ne suis pas autorisé à rendre pareille décision. La présente décision reconnaît simplement que les mesures prises par le fonctionnaire s'estimant lésé en l'espèce étaient suffisantes pour entraîner l'application de la sous-clause 20.09b)(iv) de la convention collective et que le "mariage", pour l'application de l'article 20.09, comprend l'union qui a eu lieu en l'espèce. L'article 20.09 s'applique généralement aux congés pour obligations familiales. Compte tenu des décisions qui ont été rendues dans les affaires Lorenzen et Yarrow, la définition de la "famille" doit nécessairement inclure certaines relations homosexuelles.

Comme il en est venu à la conclusion que M. Boutilier avait droit à un congé de mariage, l'arbitre n'a pas jugé nécessaire d'examiner la question du congé spécial. Toutefois, il a quand même fait observer que M. Boutilier n'aurait pas eu droit à un congé spécial d'après le libellé de la clause 20.13 de la convention collective. Plus particulièrement, il note que la décision de l'employeur de lui refuser ce congé spécial [au paragraphe 40] "relevait du pouvoir discrétionnaire" que lui confère la convention collective.

L'arbitre ne s'est pas demandé s'il avait compétence pour connaître du grief.

LA QUESTION EN LITIGE

La principale question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si l'arbitre avait ou non compétence, en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, pour connaître du grief.

ANALYSE

Afin de déterminer si l'arbitre avait ou non compétence pour connaître du grief déposé par M. Boutilier, il faut examiner le régime législatif de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de même que la jurisprudence applicable.

i) Le régime législatif de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Les paragraphes 91(1) et (2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique autorisent un employé lésé à déposer un grief au sujet de l'interprétation d'une disposition d'une convention collective, jusqu'au dernier palier de la procédure légale de règlement des griefs dans certaines circonstances bien définies. Ces articles sont rédigés dans les termes suivants:

GRIEFS

Droit de déposer des griefs

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé:

a) par l'interprétation ou l'application à son égard:

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement"administratif ou autre", d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

(2) Le fonctionnaire n'est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d'une directive, d'une instruction ou d'un règlement conforme à l'article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l'interprétation ou à l'application à son égard d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qu'à condition d'avoir obtenu l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention collective ou la décision arbitrale et d'être représenté par cet agent.

Après avoir porté son grief jusqu'au dernier palier de la procédure, un employé qui n'est toujours pas satisfait peut renvoyer le grief à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Pour les fins de l'espèce, les paragraphes 92(1) et (2) sont pertinents et sont rédigés dans les termes suivants:

Arbitrage des griefs

    Renvoi à l'arbitrage

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

Un examen du régime législatif révèle qu'un employé n'a qu'un droit restreint de déposer un grief à chacun des paliers de la procédure prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. En particulier, le droit d'un employé de déposer un grief est limité à deux égards: selon l'exigence énoncée au paragraphe 91(1), par le fait qu'aucun autre recours administratif de réparation ne lui soit ouvert sous le régime d'une loi fédérale, et selon l'exigence énoncée au paragraphe 91(2), par le fait qu'il doit d'abord avoir obtenu l'approbation de son agent négociateur et être représenté par lui. En outre, en vertu de l'article 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l'arbitrage qu'après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable. Dans le cas où un employé n'a pas le droit de déposer un grief à chacun des paliers de cette procédure, du fait de l'application d'une restriction légale prévue au paragraphe 91(1) ou au paragraphe 91(2), le grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92. Autrement dit, lorsqu'une restriction énoncée au paragraphe 91(1) ou (2) prive un employé de son droit non absolu de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite envisager de renvoyer le grief à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). Si un employé essaie d'agir de la sorte, l'arbitre n'a pas compétence pour connaître de ce grief1.

En l'espèce, M. Boutilier avait l'approbation de l'agent négociateur et était représenté par celui-ci. Par conséquent, le paragraphe 91(2) n'a pas porté atteinte à son droit de déposer un grief concernant l'interprétation de la convention collective.

ii) La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit-elle un "autre recours administratif de réparation" au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

La question qui doit être tranchée est de savoir si M. Boutilier était empêché de présenter son grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs au motif que la Loi canadienne sur les droits de la personne lui offrait un recours administratif de réparation au sens du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Afin de régler cette question, il faut examiner la nature et le fond de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Par l'adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1977, le législateur a souscrit au principe de l'égalité des chances pour tous les particuliers, et a créé un organisme pour l'élimination et la prévention de la discrimination dans la société canadienne. L'importance de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour la protection des valeurs sociales fondamentales et l'avancement des grandes considérations de principe a été reconnue par la Cour suprême du Canada. Par exemple, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, le juge La Forest, dans ses motifs rédigés à l'appui du jugement majoritaire, faisait remarquer à la page 585 qu'un tribunal des droits de la personne "a une incidence directe sur l'ensemble de la société relativement à ses valeurs fondamentales". Le juge La Forest soulignait également, dans le jugement majoritaire rendu dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) , [1987] 2 R.C.S. 84, la nature quasi-constitutionnelle de la Loi canadienne sur les droits de la personne en matière de protection des droits fondamentaux de la personne.

L'objectif et l'économie de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont été décrits dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, dans lequel la Cour suprême du Canada a évalué la capacité de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de se prononcer sur des questions générales de droit. Dans son analyse sur l'économie de la Loi, le juge La Forest, s'exprimant au nom de la majorité, signalait à la page 889 que la Loi canadienne sur les droits de la personne "prévoit un processus complet de traitement des plaintes en matière de droits de la personne". Il signalait en outre que c'était "à elle [la Commission] que la Loi confie le mandat de recevoir, de gérer et de traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires". Aux pages 889 et 890, il décrit les rôles de la Commission et du tribunal des droits de la personne dans les termes suivants:

L'économie de la Loi

La Loi prévoit un processus complet de traitement des plaintes en matière de droits de la personne. La Commission est un rouage essentiel de ce processus. Ses pouvoirs et fonctions sont énoncés aux art. 26 et 27 et à la partie III de la Loi. En bref, la Commission jouit du pouvoir d'appliquer la Loi et, notamment, de celui d'en promouvoir le respect au moyen d'activités publiques, d'entreprendre des projets de recherche et d'examiner la législation. C'est également à elle que la Loi confie le mandat de recevoir, de gérer et de traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires. Cette dernière fonction est décrite dans la partie III de la Loi.

L'article 40 prévoit qu'une plainte peut être déposée par un individu, par un groupe ou par la Commission elle-même. Lorsqu'elle reçoit une plainte, la Commission nomme un enquêteur, qu'elle charge d'enquêter sur la plainte et de lui faire rapport (art. 43 et par. 44(1)). La Commission peut, après avoir reçu le rapport de l'enquêteur et sollicité les commentaires des parties à son sujet, prendre des mesures pour que soit constitué un tribunal pour examiner la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances, qu'un examen est justifié (al. 44(3)a)). Elle peut également rejeter la plainte, nommer un conciliateur ou renvoyer le plaignant à l'autorité compétente (al. 44(3)b) et par. 47(1) et 44(2) respectivement).

Si la Commission conclut qu'il conviendrait de constituer un tribunal, le président du Comité du tribunal des droits de la personne y procède à sa demande (art. 49). Le tribunal examine la plainte en offrant à chaque partie l'occasion de comparaître devant lui, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat (art. 50). À l'issue de l'enquête, le tribunal peut rejeter la plainte en vertu du par. 53(1) ou, s'il la juge fondée, imposer l'une des mesures de redressement prévues à l'art. 53 de la Loi. Ces mesures comprennent l'ordonnance enjoignant de mettre fin à l'acte discriminatoire, d'accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée ou d'indemniser la victime des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte et, dans les cas où cela est justifié, de verser une amende à la victime. Enfin, si le tribunal était composé de moins de trois membres, une partie peut interjeter appel de sa décision devant un tribunal d'appel, composé de trois membres, sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait (art. 55 et 56).

Un examen du régime législatif et de la jurisprudence concernant la nature et l'objet de la Loi confirme sans équivoque que la Loi canadienne sur les droits de la personne codifie et incorpore la procédure de traitement des plaintes concernant des actes discriminatoires se rapportant à des questions qui relèvent du pouvoir législatif du Parlement. En outre, des dispositions précises de la Loi canadienne sur les droits de la personne établissent la primauté de la Commission dans le traitement des griefs fondés sur des allégations d'actes discriminatoires. En particulier, l'alinéa 41(1)a) [mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 49], l'article 42, le paragraphe 44(1) et l'alinéa 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipulent comme suit:

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

[. . .]

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

(2) Avant de décider qu'une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l'alinéa 41a) [sic] n'ont pas été épuisés, la Commission s'assure que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

[. . .]

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas:

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d'importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d'assumer son rôle dans le traitement d'une plainte et, dans les cas appropriés, d'obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d'actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d'autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l'autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d'une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu'un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d'acte discriminatoire dans le contexte de l'interprétation d'une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l'employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L'affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d'abord être épuisée.

Dans les circonstances où la Commission envisage d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 41(1)a) et de ne pas entendre la plainte, elle doit également décider, aux termes du paragraphe 42(2), si le défaut d'épuiser les recours prévus dans la procédure de règlement des griefs est imputable au plaignant. Dans les circonstances où le défaut de se prévaloir de tous les paliers de la procédure de règlement des griefs est attribuable à la restriction légale énoncée au paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui empêche la présentation du grief, la Commission n'aura aucune difficulté à se prononcer sur cette question.

La question de savoir si un arbitre a ou non compétence en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour connaître des griefs fondés sur des allégations de discrimination a déjà été examinée par la Section de première instance dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.) et dans la décision Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. no 845 (1re inst.) (QL).

Dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), le juge Simpson a conclu qu'un arbitre n'avait pas compétence pour connaître d'un grief fondé sur des allégations de discrimination, du fait de l'application du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans cette affaire, l'employé avait déposé deux plaintes devant la Commission, et avait également renvoyé un grief à l'arbitrage. Le juge Simpson a conclu, à la page 460, que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoyait un recours, parce que la Commission avait compétence sur le fond du grief et qu'elle "possède de plus grands pouvoirs de réparation qu'un arbitre". Dans sa décision, le juge Simpson a mis beaucoup d'accent sur la question du "recours" (redress ), par opposition à la disponibilité d'une "procédure de réparation" (procedure for redress ).

La décision du juge Simpson dans Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), précitée, est postérieure à l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.); la demande d'autorisation de pourvoi à la C.S.C. a été rejetée à [1995] A.C.S.C. no 444, mais il ne semble pas que l'avocat ait porté cette affaire à son attention. Dans l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, précité, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur l'interprétation qu'il convenait de donner à l'alinéa 242(3.1)b) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et ses modifications, selon lequel un arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte lorsque "la présente Loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours". Le juge Strayer s'exprimant au nom de la majorité fait observer ce qui suit à la page 378:

Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l'autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l'autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l'arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l'alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n'exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu'un autre recours existe à l'égard de la même plainte. Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d'obtenir une véritable réparation.

Un examen de l'analyse effectuée dans l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, précité, confirme que la question qu'il faut aborder est l'existence d'un "recours", et non pas la nature ou l'étendue des réparations prévues dans le cadre de ces recours.

La démarche suivie dans Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, précité, a été appliquée dans la décision Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), précitée, par le juge Cullen, qui devait décider si un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique avait commis une erreur en refusant d'exercer son pouvoir discrétionnaire de connaître d'un grief fondé sur des allégations de discrimination. Dans cette décision, le juge Cullen note au paragraphe 19 que "l'enquête est axée sur la question de savoir s'il existe un autre "recours de réparation" au sens du paragraphe 91(1)". Il ajoute ce qui suit au paragraphe 27:

Il ressort des remarques de Monsieur le juge Linden que le recours administratif de réparation mentionné au paragraphe 91(1) n'a pas à être identique à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique]. De plus, les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n'ont pas à être identiques; la partie en cause devrait plutôt être en mesure d'obtenir une "réparation véritable" qui pourrait être avantageuse pour le plaignant. Le paragraphe 91(1) exige uniquement l'existence d'un autre recours de réparation lorsque la réparation à laquelle peut donner lieu ce recours est dans une certaine mesure avantageuse pour le plaignant lui-même.

J'accepte la démarche suivie par le juge Cullen dans la décision Mohammed, précitée.

Dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), précitée, le juge Simpson a également statué que la procédure de règlement des griefs énoncée dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique devait avoir préséance sur la procédure prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. À cet égard, elle déclare ce qui suit à la page 453:

La LCDP [Loi canadienne sur les droits de la personne] prévoit clairement que, si un grief ou une autre procédure peuvent être engagés, ces procédures devront être épuisées avant que la plainte puisse être entendue, ou le rapport d'enquête examiné. La LCDP [Loi canadienne sur les droits de la personne] n'a pas pour objectif de servir le premier recours si d'autres procédures, comme la procédure de grief, sont ouverts.

Compte tenu de l'analyse que j'ai faite du régime prévu par la Loi, j'ai conclu que le législateur avait l'intention, en énonçant la procédure prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, de prévoir le seul recours possible dans les cas de plaintes relatives à un acte discriminatoire dans le contexte de l'interprétation d'une disposition d'une convention collective, à moins que la Commission détermine, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la procédure de grief aurait dû être épuisée. Dans les circonstances, je ne peux, en toute déférence, souscrire à la déclaration du juge Simpson selon laquelle la "LCDP n'a pas pour objectif de servir de premier recours".

Dans l'analyse de l'affaire Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), le juge Simpson a également examiné la question des délais pour déterminer si la Loi canadienne sur les droits de la personne peut offrir des recours de réparation dans le contexte des relations de travail. À cet égard, elle a noté qu'aucune preuve ne lui avait été présentée en vue d'établir le temps qu'il faut à la Commission pour régler une plainte. Elle note de plus ce qui suit à la page 459:

Si l'on avait déposé la preuve que la CCDP [Commission] est incapable de régler les plaintes dans un délai raisonnable, j'aurais peut-être été disposée à conclure que la CCDP ne constitue pas un recours possible en matière de relations de travail. Cependant, aucune preuve ne m'a été présentée qui me permettait d'en arriver à cette conclusion.

En toute déférence, la question du temps qu'il faut à la Commission et au tribunal des droits de la personne, respectivement, pour régler une plainte ou pour tenir une audience sur une plainte n'est aucunement pertinente pour décider si la procédure prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue un "recours administratif de réparation" au sens du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique . Le régime législatif prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne est un "recours administratif de réparation" ou il n'en est pas un. La question de savoir si les procédures sont appliquées rapidement et avec efficacité n'est pas pertinente pour déterminer si le législateur a créé une procédure de réparation, au sens du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique .

Mon examen des dispositions législatives et de la jurisprudence pertinentes m'ont donc amené à conclure que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit un "recours administratif de réparation" au sens du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , relativement à un grief fondé sur un acte discriminatoire découlant de l'interprétation qu'a donnée l'employeur d'une clause de la convention collective.

iii) La nature du grief déposé par M. Boutilier

Je dois maintenant examiner la nature du grief déposé par M. Boutilier pour déterminer si l'arbitre avait compétence pour entendre ce grief.

En l'espèce, la question soulevée par M. Boutilier dans son grief est une question complexe, controversée et fondamentale relativement aux droits de la personne et porte sur la possibilité pour un couple homosexuel de se prévaloir d'un avantage social, c'est-à-dire le congé de mariage. Le grief est entièrement fondé sur une allégation de discrimination au motif qu'un avantage social a été refusé à l'employé pour des raisons liées directement à son orientation sexuelle. Autrement dit, l'allégation de discrimination constitue la question centrale et en fait l'unique question soulevée dans le grief. Pour reformuler le grief dans les termes utilisés aux articles 2 [mod par L.C. 1998, ch. 9, art. 9] et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, M. Boutilier allègue que l'employeur l'a défavorisé en cours d'emploi, pour un motif de distinction illicite, savoir son orientation sexuelle, en lui refusant un congé de mariage. À mon avis, cette affaire relève directement du mandat confié à la Commission et au tribunal des droits de la personne par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans les circonstances, je suis convaincue que la Loi canadienne sur les droits de la personne offre à M. Boutilier un recours administratif de réparation relativement à la question d'interprétation de la clause de la convention collective portant sur le congé de mariage, au sens du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Par conséquent, M. Boutilier n'avait pas droit, en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de présenter son grief à aucun des paliers de la procédure de règlement des griefs. M. Boutilier n'avait donc pas le droit de renvoyer son grief à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître de ce grief en arbitrage.

iv) L'omission du demandeur de soulever la question de compétence au cours de l'arbitrage

Dans la présentation de leurs observations, les avocats de M. Boutilier ont fait valoir que l'avocat du demandeur ne pouvait plus soulever la question de la compétence relativement à la demande de contrôle judiciaire, étant donné qu'il ne l'avait pas soulevée au cours de l'arbitrage. Je ne peux accepter cet argument. Dans la décision majoritaire rendue dans l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, précité, le juge Strayer a statué que l'omission de soulever une question de compétence devant un arbitre n'empêche pas une partie de soulever cette question dans la procédure de contrôle judiciaire. À cet égard, il déclare ce qui suit à la page 373:

L'intimée s'est opposée devant nous à ce que cette question soit soulevée dans une demande de contrôle judiciaire alors que l'appelante ne l'avait pas portée à l'attention de l'arbitre. Cette objection ne peut être retenue. Il appert clairement de décisions comme l'arrêt Pollard que l'alinéa 242(3.1)b) restreint la compétence de l'arbitre. Ni les parties non plus que l'arbitre ne peuvent ignorer cette restriction. L'arbitre devait, d'abord et avant tout, déterminer si l'alinéa b) l'empêchait d'examiner la plainte. Le silence ou le consentement, explicite ou tacite, des parties à ce sujet ne l'excuse pas de son omission. Le fait qu'il n'a pas examiné cette question n'empêche pas la Cour d'appel fédérale de déterminer s'il a outrepassé ou non sa compétence.

Je conclus donc, en m'appuyant sur l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, précité, que le demandeur avait le droit de soulever la question de la compétence dans la demande de contrôle judiciaire.

DÉCISION

Pour ces motifs, je conclus que l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître du grief que M. Boutilier entendait renvoyer à l'arbitrage. Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres questions soulevées dans cette demande de contrôle judiciaire.

La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de l'arbitre en date du 4 juin 1997 est infirmée.

1 Voir aussi Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. no 845 (1re inst.) (QL), dossier dans laquelle le juge Cullen a conclu au par. 21 que les art. 91(1) et 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique accordent à un arbitre une compétence restreinte plutôt qu'exclusive.

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