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T-2407-96

George William Harris, pour son propre compte et pour le compte d'une catégorie de demandeurs composée des particuliers et autres personnes qui sont tenus de produire des déclarations conformément à l'article 150 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée, à l'exception des personnes visées par le paragraphe 2 de la présente demande (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine et le ministre du Revenu national (défendeurs)

Répertorié: Harrisc. Canada (1reinst.)

Section de première instance, juge Muldoon" Winnipeg, 8, 9 et 10 juillet; Ottawa, 30 décembre 1998.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Appel d'une décision du protonotaire adjoint radiant la déclaration parce qu'elle n'indiquait aucune cause d'action relevant de la compétence de la CourDéclaration alléguant la négligence dans l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu et visant l'obtention de déclarations contre la Couronne et le ministreL'art. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale donne à la Section de première instance compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demandes de réparation contre la Couronne; l'art. 17(5)b) confère compétence à la Section de première instance dans les actions en réparation intentées contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits survenus dans l'exercice de ses fonctionsDécision du protonotaire adjoint déterminante pour la solution définitive de l'affaire puisqu'elle mettait fin à l'actionLa Cour a le droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le débutL'action étant unique, elle ne tombait pas sous la restriction voulant qu'il n'y a [. . .] pas ouverture à un jugement déclaratoire lorsque la question en litige a été confiée à un tribunal inférieur.

Pratique Parties Qualité pour agir Le contribuable a intenté une action en son nom et au nom de tous les contribuables, à l'exception de ceux qui ont bénéficié de la décision favorable des employés du MinistèreLes tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public pour contester un exercice de l'autorité administrativeLes critères énoncés dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) à l'égard de la qualité pour agir dans l'intérêt public ont été respectés1) Des questions graves relativement à l'invalidité des actesde favoritismesont soulevées: la négligence dans l'administration de la perception des impôts et l'érosion de l'assiette fiscale2) Le demandeur a un intérêt véritable dans l'objet de l'action en tant que contribuable canadien qui travaille et en tant que membre d'une association qui s'occupe de la question de l'équité fiscaleL'ensemble des contribuables (à l'exception des quelques privilégiés) constituent une catégorie de gens suffisamment intéressés, que le contribuable représente aux fins du présent litige3) Il n'y a aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la CourIl est improbable que les quelques privilégiés ou le Procureur général n'intentent l'actionSeuls les autres contribuables, qui supportent un fardeau fiscal proportionnellement plus élevé, sont les demandeurs naturelsIl n'est pas nécessaire de porter atteinte à la confidentialité des autres contribuables pour instruire l'affaire.

Pratique Actes de procédure Requête en radiation Appel d'une ordonnance de radiation de la déclaration déposée au nom de tous les contribuables, à l'exception de ceux qui ont bénéficié de la décision favorable en matière fiscale qui est contestéeAction visant l'obtention d'une déclaration obligeant le ministre et la Couronne à se conformer à une déclaration portant sur la signification debien canadien imposablefigurant dans la Loi de l'impôt sur le revenuL'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale confère compétence à la Cour pour accorder des réparations contre la CouronneLa Cour a le droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour reprendre l'affaire depuis le début puisque l'ordonnance du protonotaire adjoint était déterminante pour la solution définitive de l'affaireApplication des critères énoncés dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) pour reconnaître au demandeur la qualité pour agir dans l'intérêt public.

Impôt sur le revenu Pratique Appel d'une ordonnance de radiation de la déclaration déposée au nom de tous les contribuables, à l'exception de ceux qui ont bénéficié de la décision favorable en matière fiscale qui est contestéeAction visant l'obtention d'une déclaration obligeant le ministre et la Couronne à se conformer à une déclaration portant sur la signification debien canadien imposablefigurant dans la Loi de l'impôt sur le revenuAction soulevant la question de la négligence dans l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu et celle de l'érosion de l'assiette fiscaleLa Cour a compétence pour entendre l'action pour jugement déclaratoire intentée contre la Couronne et le ministreLe demandeur a qualité pour agir dans l'intérêt public.

Il s'agissait de l'appel de la décision du protonotaire adjoint de radier la déclaration parce qu'elle n'indiquait aucune cause d'action relevant de la compétence de la Cour et parce que le demandeur n'avait pas qualité pour agir. Le demandeur a allégué qu'en 1985, les employés du Ministère ont rendu des décisions contradictoires dans un intervalle d'une semaine, l'une permettant le transfert à l'étranger de la propriété d'actions sans qu'il y ait réalisation de gains en capital, et l'autre refusant d'accorder ce traitement favorable. La première décision n'a pas été publiée par le ministre tandis que la seconde a été rendue publique. La déclaration faisait référence à un rapport de 1996 du vérificateur général, dans lequel ce dernier a exprimé des réserves à l'égard de l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu qui a permis la sortie du Canada d'au moins deux milliards de dollars d'éléments d'actif détenus dans certaines fiducies familiales non identifiées, causant une érosion de l'assiette fiscale et octroyant des avantages préférentiels à certains contribuables. L'action visait à obtenir une déclaration portant que, avant le 1er octobre 1996, un résident du Canada ne pouvait pas détenir un "bien canadien imposable", ainsi qu'une déclaration obligeant la Couronne et le ministre à exécuter leurs fonctions conformément à cette déclaration. Le procureur général n'a jamais répondu à la demande formelle d'intenter une action.

Le demandeur est un contribuable qui travaille. Il a déposé une déclaration en guise de recours collectif au nom de tous les déclarants d'impôt fédéral sur le revenu, à l'exception de ceux qui ont bénéficié de la décision contestée en matière fiscale. Son intérêt dans cette affaire proviendrait de son statut personnel de contribuable et de sa participation dans "CHO!CES"A Coalition for Social Justice", qui lutte pour la répartition équitable du fardeau fiscal et l'application juste des lois fiscales.

En réponse à la contestation des défendeurs relativement à la compétence de la Cour de statuer sur une telle demande, le demandeur a invoqué le paragraphe 17(1) et l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 17(1) confère à la Section de première instance compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demandes de réparation contre la Couronne, sauf disposition contraire de cette loi ou de toute autre loi fédérale. L'alinéa 17(5)b) prévoit que la Section de première instance a compétence, en première instance, dans les actions en réparation intentées contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits survenus dans l'exercice de ses fonctions.

Les questions en litige étaient: 1) La Couronne et l'un de ses ministres jouissent-ils de l'immunité contre une action pour jugement déclaratoire? 2) Le demandeur a-t-il qualité pour agir?

Jugement: l'appel est accueilli.

1) En radiant la déclaration et en mettant ainsi fin à l'action, la décision du protonotaire adjoint était déterminante pour la solution définitive de l'affaire. La Cour avait donc le droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. Étant donné que l'action était unique, elle ne tombait pas sous la restriction voulant qu'"il n'y a [. . .] pas ouverture à un jugement déclaratoire lorsque la question en litige a été confiée à un tribunal inférieur".

2) En l'espèce, la contestation portait non pas sur une loi, mais bien sur des actes de l'administration. Depuis l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public pour contester un exercice de l'autorité administrative. Cette position n'a pas été abandonnée par le juge Cory lorsque ce dernier a réduit l'immunité relative aux "actes publics" à celle contre la contestation de la "loi" pour les fins de l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1992] 1 R.C.S. 236.

Les trois critères énoncés dans l'arrêt Conseil canadien des Églises en vue de déterminer si la qualité pour agir dans l'intérêt public doit être reconnue ont été respectés. Le premier critère exige que la question de l'invalidité des actes "de favoritisme" visés se pose sérieusement. L'action soulevait la question de savoir si on était en présence: 1) de favoritisme ou de négligence dans l'administration de la perception des impôts; 2) d'une érosion massive de l'assiette fiscale nationale. Dans chacun des deux cas, le critère a été respecté.

Le deuxième critère exige l'existence d'un intérêt véritable dans l'objet de l'action. Le demandeur est un contribuable qui travaille, un citoyen canadien qui paie tous ses impôts puisqu'il ne bénéficie d'aucun traitement de faveur. Depuis 1991, il est membre d'un organisme qui s'occupe de la question de l'équité fiscale. Le rapport de 1996 du vérificateur général à la Chambre des Communes ajoute du poids et de la matière aux qualifications du demandeur. Le gouvernement de la nation appartient au peuple. L'ensemble des contribuables (à l'exception des quelques privilégiés) constituent une catégorie de gens suffisamment intéressés, que le contribuable représente aux fins du présent litige, en vertu de la primauté du droit dans une société libre et démocratique.

Le troisième critère était de savoir s'il y avait une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Aucune personne directement lésée n'aurait intenté la présente poursuite car les seules personnes directement touchées avaient reçu un avantage du fait des actes administratifs du Ministère que le demandeur a contestés. À part d'un demandeur d'intérêt public, comme le demandeur en l'espèce qui n'est touché que de manière indirecte et vague en tant que contribuable soucieux de l'intérêt public, on ne peut s'attendre à ce que quelqu'un d'autre (à l'exception du vérificateur général, s'il en avait eu le pouvoir) conteste les actes reprochés au moyen de la présente (ou d'une autre) instance. Seuls les autres contribuables, qui supportent un fardeau fiscal proportionnellement plus élevé pour couvrir les dépenses du pays, peuvent être les demandeurs naturels.

Suffisamment de faits font partie du domaine public pour qu'il soit aisé de statuer sur une action en jugement déclaratoire sans porter atteinte à la confidentialité de quelque contribuable que ce soit.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 85(1)i) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 48; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 45), 115(1)b)(iii) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 74).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) "office fédéral" (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 17 (mod., idem , art. 3), 18(1) (mod., idem, art. 4), (3) (mod., idem), 18.1(1) (édicté, idem, art. 5), (3) (édicté, idem).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 17(1).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419(1)a),c),f).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Ressources Orco Inc. et al. c. La Reine (1994), 94 DTC 6642; 88 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.); Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338.

distinction faite avec:

Pica (F et A) c. La Reine, [1985] 1 CTC 160; (1985), 85 DTC 5136 (C.F. 1re inst.); Hy and Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; (1993), 107 D.L.R. (4th) 634; 18 C.R.R. (2d) 99; 160 N.R. 161; 67 O.A.C. 81.

décisions examinées:

Usarco Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 763; (1980), 80 DTC 6308 (1re inst.); Inland Revenue Comrs v. National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd., [1981] 2 All ER 93 (H.L.); Cohen (N) c. La Reine, [1980] CTC 318; (1980), 80 DTC 6250 (C.A.F.).

APPEL de la décision du protonotaire adjoint radiant la déclaration parce qu'elle n'indiquait aucune cause d'action relevant de la compétence de la Cour et parce que le demandeur n'avait pas qualité pour agir (Harris c. Canada, [1997] F.C.J. no 1826 (1re  inst.) (QL)). Appel accueilli.

ont comparu:

Arne Peltz et Neil Brooks pour le demandeur.

Larry Olsen et Sandra Phillips pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Public Interest Law Centre, Legal Aid Manitoba, Winnipeg, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Muldoon: La présente instance consiste en l'appel interjeté par le demandeur contre la décision du protonotaire adjoint [[1997] F.C.J. no 1826 (1re inst.) (QL)] de radier la déclaration "parce qu'elle ne relève aucune cause d'action relevant de la compétence de la Cour et parce que le demandeur Harris n'a pas qualité pour agir". (Document 24, à la page 23, déposé le 2 janvier 1998 [au paragraphe 44a]). Les défendeurs avaient présenté une requête recherchant une conclusion de cette nature. L'audition de l'appel a eu lieu à Winnipeg, les 8, 9 et 10 juillet 1998.

Il ne fait aucun doute que les trois jours d'audience étaient nécessaires, étant donné la décision à la majorité (3 contre 2) rendue dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.). Il s'agissait de l'appel d'une décision d'un juge des requêtes qui avait infirmé le rejet, par le protonotaire adjoint, de la requête de l'intimée concluant à une ordonnance de suspension de l'instance ou de rejet de l'action pour défaut de poursuivre. S'exprimant au nom de la majorité, le regretté juge MacGuigan a dit (aux pages 462 à 464):

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Dans Canada c.Jala Godavari(Le) (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.), notre Cour, dans une observation incidente, a énoncé la règle contraire, en mettant l'accent sur la nécessité pour le juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire par instruction de novo, par contraste avec la vue qui avait cours à l'époque à la Section de première instance, savoir qu'il ne fallait pas toucher à la décision discrétionnaire du protonotaire sauf le cas d'erreur de droit. Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse.)

En l'espèce, la décision du protonotaire adjoint aurait été interlocutoire s'il avait rejeté la requête des défendeurs, mais, comme l'a décidé le juge d'appel MacGuigan [à la page 464], elle "doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale". Il a tranché la question de la façon suivante (à la page 465):

J'en conclus que le juge des requêtes avait entièrement raison d'appliquer la règle définie par l'arrêt Jala Godavari et d'exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Qu'il en soit ainsi. Le protonotaire adjoint a radié la déclaration, mettant ainsi fin à l'action du demandeur.

En l'espèce, il faut trancher la question de la qualité pour agir du demandeur. Le paragraphe 1 de la déclaration révélait que le demandeur, George William Harris, [traduction] "est un agent de programme au service du CUSO, un organisme de développement international à but non lucratif, et réside au [. . .] dans la ville de Winnipeg, au Manitoba".

Il était également allégué, au paragraphe 2 de la déclaration:

[traduction]

 2. La catégorie représentée par le demandeur est composée des particuliers et autres personnes qui sont tenus de produire des déclarations conformément à l'article 150 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch.1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (ci-après: "la Loi"), à l'exception des fiducies et des personnes qui ont, entre le 1er  janvier 1985 et le 1er octobre 1996, effectué des opérations ou qui ont fait l'objet de cotisations par le défendeur, le ministre du Revenu national, au motif que, en droit, un "bien canadien imposable", au sens de la Loi, peut être possédé ou cédé par un résident du Canada.

Dans le mémoire qu'il a présenté à l'égard de la requête en radiation que les défendeurs ont déposée devant le protonotaire adjoint, le demandeur a allégué, aux paragraphes 9 et 10, que:

[traduction]

 9. [Il] est un contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), [ch.] 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (ci-après: "la Loi" ou "la Loi de l'impôt sur le revenu"), et ce, depuis 1982. Il a déposé sa déclaration le 31 octobre 1996, en tant que recours collectif, essentiellement au nom de tous les déclarants d'impôt fédéral sur le revenu.

[Les défendeurs ne peuvent nier ces allégations.]

10. L'intérêt du demandeur dans cette affaire provient de son statut personnel de contribuable et de sa participation dans un groupe de Winnipeg qui se nomme ""CHO!CES""A Coalition for Social Justice" (ci-après: "la Coalition"). La Coalition se consacre à la recherche, à la promotion et à l'action sociale relativement à un large éventail de questions d'intérêt public à tous les niveaux de gouvernement. La répartition équitable du fardeau fiscal et l'application juste des lois fiscales constituent une préoccupation fondamentale du groupe. De même, la Coalition prépare et présente à chaque année son budget fédéral parallèle, fondé sur une consultation populaire et sur un processus de planification à l'échelle nationale. Le budget parallèle 1996 a été présenté en personne au ministre des Finances, et ce dernier a eu une conversation de fond sur des questions budgétaires avec des représentants de la Coalition en février 1996. Le même projet était en cours pour le budget parallèle 1997 à la date du dépôt de la réclamation contenue dans la présente.

Il y a donc inversion des rôles en l'espèce, alors que le demandeur, présumément dans l'intérêt public, assume le rôle de percepteur d'impôts, tandis que le ministre s'oppose! Le ministre n'est toutefois pas le seul représentant public dont le titre et la fonction sont invoqués en l'espèce: le vérificateur général se retrouve lui aussi mêlé à la présente affaire. La déclaration comporte l'allégation suivante:

[traduction]

11. Le 7 mai 1996, le vérificateur général du Canada (ci-après: "le vérificateur") a déposé son rapport à la Chambre des communes, dans lequel il faisait certains commentaires relatifs à la vérification. Le vérificateur a exprimé d'importantes réserves à l'égard de l'administration de la Loi en ce qui concerne la sortie du Canada d'au moins deux milliards de dollars d'éléments d'actif détenus dans certaines fiducies familiales non identifiées. Au sujet de décisions anticipées en matière d'impôt (ci-après: "les décisions") rendues par le ministre ou ses fonctionnaires en 1985, et à nouveau le 24 décembre 1991, le vérificateur a déclaré qu'il était possible que les opérations ayant fait l'objet des décisions aient été faites en contravention de la loi relativement à l'imposition des gains en capital (dans la version française du rapport du vérificateur: "[. . .] ont frustré l'intention du législateur en ce qui concerne l'imposition des gains en capital").

12. Le vérificateur a exprimé l'opinion que, contrairement à l'interprétation adoptée et appliquée par le ministre, un "bien canadien imposable", au sens de la Loi, ne peut être possédé par un résident du Canada, mais seulement par un non-résident. En conséquence, certaines actions de sociétés publiques, acquises en contrepartie d'actions de sociétés privées, n'auraient pas dû être considérées comme étant un "bien canadien imposable" au sens de la Loi, alors que leur propriété est passée du Canada aux États-Unis. En conséquence, le vérificateur est d'avis que, en vertu de la Loi, les opérations en question n'auraient pas dû avoir lieu sans qu'il y ait paiement de l'impôt applicable sur les gains en capital ainsi réalisés.

13. Le vérificateur a également indiqué au Parlement que le ministre avait peut-être permis l'érosion de l'assiette fiscale en renonçant à une réclamation éventuelle de la Couronne s'élevant à plusieurs millions de dollars de revenus fiscaux. Le vérificateur a critiqué le manque de documentation et d'analyse relatives à des décisions majeures rendues par des fonctionnaires de la Couronne à cet égard, et il a fait remarquer que, les décisions n'ayant été rendues publiques que plusieurs années plus tard, certains contribuables avaient pu profiter d'avantages préférentiels.

Par lettre datée du 10 septembre 1996, le demandeur a formellement prié le procureur général d'intenter une action ou de l'autoriser à le faire à titre de quasi-demandeur (déclaration, paragraphe 16). Par la suite, selon les paragraphes 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la déclaration:

[traduction]

18. Le vérificateur général n'a pas accusé réception de la lettre du 10 septembre 1996 de CHO!CES, et il n'a pas répondu à l'avocat de cette dernière. Toutefois, le 25 septembre 1996, le procureur général a déclaré à la Chambre des communes, en réponse à des questions de la part de l'Opposition officielle, qu'il acceptait le rapport présenté au nom de la majorité des membres du Comité permanent des finances, qui approuvait la façon dont le ministre avait traité ces décisions et qui rejetait les critiques qu'en avait fait le vérificateur général.

19. Le 2 octobre 1996, le ministre des Finances a déposé devant le Parlement un avis de motion de voies et moyens qui indiquait des modifications à venir aux dispositions de la Loi qui faisaient l'objet d'un désaccord entre le vérificateur général et le ministre du Revenu national et qui précisait l'obligation des contribuables de payer de l'impôt sur le revenu sur leurs gains en capital lorsqu'ils changent de résidence et qu'ils transfèrent la propriété de biens hors du Canada. Ces dispositions seront en vigueur le 1er octobre 1996.

20. Le 17 octobre 1996, l'avocat de CHO!CES a de nouveau écrit au procureur général, lui demandant une fois de plus un renvoi à la Cour ou l'autorisation d'agir à titre de quasi-demandeur. À la date du dépôt de la présente demande, aucune réponse n'avait été reçue par CHO!CES ou par le demandeur de la part du procureur général.

21. Le demandeur déclare donc que: a) il soulève une question grave et légitime relativement à une matière importante de droit public et d'administration; b) une question de droit contentieuse est soulevée à l'égard de l'interprétation de la Loi; c) il n'existe aucune autre manière de soumettre la question à un tribunal que de faire trancher la présente demande par la présente Cour.

22. Le demandeur déclare qu'aucun renseignement confidentiel ou faisant l'objet d'un privilège juridique relativement aux affaires personnelles ou commerciales de quelque contribuable que ce soit n'aura à être divulgué pendant le processus d'instruction de l'action.

23. Le demandeur ajoute que, vu les faits mentionnés aux paragraphes précédents, il a agi avec diligence raisonnable et qu'il a institué la présente action dès que raisonnablement possible.

Le demandeur a allégué que, pour trancher la présente action, il ne sera pas nécessaire de porter atteinte à la confidentialité ou à l'anonymat de quelque contribuable que ce soit (paragraphe 24 de la déclaration). Les employés du ministère concerné se sont exprimés ainsi dans leur décision de janvier 1985:

[traduction]

Notre décision est que la fiducie ne sera pas présumée, en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi, céder les actions qu'elle détient dans des sociétés publiques et qui sont acquises en contrepartie des actions qu'elle détient dans une société privée lorsqu'elle cesse d'être résidente du Canada, parce que ces actions constitueront des biens canadiens imposables au sens de l'alinéa 85(1)i) et du sous-alinéa 115(1)b)(iii) de la Loi.

Il semble que la durée de vie utile de cette décision ait été extrêmement courte puisque, selon ce que le demandeur a allégué au paragraphe 25 de sa déclaration, une semaine plus tard:

[traduction]

25. Une semaine après que le ministre eut rendu sa décision de 1985, une tierce partie, dont le demandeur ne connaît pas l'identité, a demandé au ministre de lui fournir une opinion ne liant pas ce dernier à l'égard de faits similaires. S'ensuivit, en mai 1985, la délivrance d'une opinion (ci-après: "l'opinion de 1985") qui contredisait la décision de 1985 et qui se lisait comme suit:

Vous nous demandez notre avis relativement à la signification de "bien canadien imposable" dans le contexte de l'attribution par une fiducie résidente à un bénéficiaire non résident d'actions qui ont été acquises par la fiducie lors d'un échange auquel l'article 85.1 de la Loi s'appliquait. Vous prétendez que si les actions en cause ont été acquises en contrepartie d'actions qui représentaient 25 pour 100 ou plus des actions émises d'une catégorie du capital-actions d'une "corporation publique", ces actions constituent des biens canadiens imposables de la fiducie en vertu du paragraphe 85.1(1) et du sous-alinéa 115(1)b)(ix) de la Loi.

Nous ne sommes pas d'accord. Vous soulignez que le régime général de la Loi vise la propriété de biens canadiens imposables relativement à des non-résidents (par ex., l'alinéa 48(1)a) de la Loi, qui réfère à "[. . .] [qu'] un bien [. . .] qui serait un bien canadien imposable s'il n'avait résidé au Canada en aucun temps de l'année [. . .]"). Une formulation semblable est utilisée dans le paragraphe 107(5) et dans le sous-alinéa 108(1)d.1)(ii) de la Loi. Dans ce contexte, nous ne partageons pas l'avis que l'alinéa 133(1)c) de la Loi vise la propriété d'un bien canadien imposable par un résident du Canada. Il vise clairement deux cas; celui auquel vous référez vise une société non résidente au Canada (présumément incorporée avant le 26 avril 1995).

Les dispositions du paragraphe 107(5) de la Loi, comme celles du paragraphe 48(1) de la Loi, permettent le report de la comptabilisation du gain ou de la perte provenant de la cession (ou de la cession présumée) de biens qui, une fois qu'ils sont finalement cédés, seront comptabilisés à des fins fiscales au Canada (sous réserve de la protection applicable offerte par un traité). À cet égard, nous sommes également d'avis que les actions que vous décrivez ne seraient pas considérées comme des biens canadiens imposables entre les mains du bénéficiaire non résident simplement parce qu'elles ont été acquises par la fiducie décrite précédemment.

26. La décision de 1985 permettant le transfert à l'étranger de la propriété d'actions sans qu'il y ait réalisation de gains en capital n'a pas été publiée par le ministre, tandis que l'opinion de 1985 refusant ce traitement favorable a été rendue publique par le ministre.

JUGEMENT DÉCLARATOIRE

Essentiellement, le demandeur tente d'obtenir des déclarations liant la Couronne et le ministre et les obligeant à exécuter leurs fonctions respectives conformément à ces déclarations. Il est demandé dans la déclaration:

[traduction]

36. Le demandeur sollicite donc les réparations suivantes:

a) Une décision portant que, conformément à la doctrine de common law relative à la qualité pour agir dans l'intérêt public, dans les circonstances de l'espèce, le demandeur a le droit d'engager des poursuites en vue d'obtenir un jugement déclaratoire au fond à l'égard du sens et de l'interprétation de la Loi tel qu'il en est fait mention dans la demande;

b) Subsidiairement, si la common law, telle qu'elle s'applique dans le contexte de la Loi et des circonstances de l'espèce, ne permet pas d'accorder au demandeur la qualité pour agir dans l'intérêt public, le demandeur sollicite une déclaration portant que la règle de common law est inconstitutionnelle ou qu'elle ne s'applique pas en l'espèce sur le plan constitutionnel et qu'il a le droit d'engager des poursuites en vue d'obtenir un redressement au fond tel qu'il en fait ici la demande, pour les motifs suivants:

(i) en tant qu'élément du principe constitutionnel de la primauté du droit, expressément garanti par l'article XII du English Bill of Rights, 1688, ainsi que par la Loi constitutionnelle de 1867 et par la Loi constitutionnelle de 1982, l'exécutif du gouvernement du Canada n'est pas autorisé à se soustraire à l'application régulière des lois édictées par le Parlement, comme la Couronne a ici tenté de le faire;

(ii) lorsque la Couronne refuse d'assurer l'application régulière des lois édictées par le Parlement, le demandeur a qualité sur le plan constitutionnel pour empêcher l'exécutif de se soustraire aux lois édictées par le Parlement;

c) Une déclaration portant qu'avant le 1er octobre 1996, selon l'interprétation qu'il convenait de donner à la Loi de l'impôt sur le revenu, en droit, un résident du Canada ne pouvait pas détenir un "bien canadien imposable";

d) Une déclaration portant que la Couronne est tenue d'appliquer le droit, tel qu'il est déclaré par cette Cour, à la fiducie de protection d'actifs et à la fiducie familiale ainsi qu'à d'autres cas dont la Couronne a connaissance;

e) Une déclaration portant que le ministre est tenu d'utiliser les pouvoirs conférés par la Loi, notamment le pouvoir d'établir des cotisations et de nouvelles cotisations conformément à l'article 152 de la Loi, de façon que tout impôt sur le revenu à juste titre exigible en vertu de la Loi soit dûment versé à la Couronne.

Le demandeur s'est ensuite consacré à plaider, à démontrer et à décrire le "devoir fiduciaire" incombant au ministre. Il s'agit de toute une litanie, comme l'extrait suivant le montre:

[traduction]

43. Le demandeur sollicite donc les réparations suivantes:

a) Une déclaration portant qu'en recevant la demande de décision, en 1991, et en y répondant, le ministre a agi à titre fiduciaire ou quasi fiduciaire envers la catégorie de demandeurs ici désignée;

b) Une déclaration portant que le ministre a manqué audit devoir fiduciaire ou quasi fiduciaire:

(i) En s'engageant à rendre une décision anticipée en matière d'impôt alors que le transfert d'actions avait déjà eu lieu et que l'opération visée par la décision avait donc en bonne partie été menée à terme, en violation de la politique et de la procédure établies de Revenu Canada selon lesquelles des décisions ne peuvent être rendues qu'à l'égard d'opérations envisagées;

(ii) En acceptant de rendre une décision alors que Revenu Canada croyait que la Loi ne permettait pas pareille décision favorable, ou qu'elle était ambiguë à l'égard de l'opération envisagée;

(iii) En acceptant de rendre une décision alors que le requérant était apparemment en possession de renseignements privés, à savoir la décision de 1985, et que l'unique position publique prise par le ministre, soit l'avis de 1985, était contraire à la décision;

(iv) En accordant à la fiducie de protection d'actifs et à la fiducie familiale un traitement de faveur au moyen d'une décision dont d'autres personnes ne pouvaient pas également se prévaloir;

(v) En succombant aux pressions exercées par des personnes indépendantes de Revenu Canada et en annulant la position que le Ministère envisageait de prendre à l'encontre d'une décision favorable;

(vi) En rendant une décision se rapportant à un marché conclu avec une partie privée, composé d'un engagement et d'une renonciation, et en autorisant ainsi une opération qui se soustrayait à l'esprit de la Loi;

(vii) En négligeant ou en refusant de renvoyer l'affaire au comité anti-évitement conformément à l'article 245 de la Loi, en vue d'un examen et d'une analyse approfondis, avant de rendre une décision en réponse à la demande;

(viii) En traitant et en approuvant la décision d'une façon extraordinairement et indûment hâtive, afin de respecter le calendrier du requérant aux fins de la décision, et en empêchant ainsi la tenue d'un examen interne approfondi de l'affaire sous tous ses aspects;

(ix) En rendant une décision erronée en droit;

(x) En omettant de publier la décision immédiatement et en omettant de fournir tous les renseignements importants figurant dans la décision lorsqu'il l'a finalement publiée en mars 1996 ou vers le mois de mars 1996;

(xi) En omettant de prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger l'assiette de l'impôt et les intérêts pratiques de la catégorie de demandeurs; et

(xii) En manquant aux autres obligations dont le demandeur prendra connaissance au moment de l'interrogatoire préalable.

c) Une déclaration portant que le ministre est tenu de prendre toutes les mesures possibles en vertu de la Loi pour percevoir tout impôt qui est à juste titre exigible par suite de l'opération mentionnée dans la décision de 1991, notamment le recours à la renonciation donnée par la fiducie familiale conformément au sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi à l'égard de l'application du paragraphe 107(5) dans l'année d'imposition de la fiducie familiale où l'attribution a eu lieu.

Les défendeurs ont contesté la compétence de la Cour de statuer sur une demande de cette nature qui, selon eux, aurait dû être déposée en vertu des paragraphes 18(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18(3) [mod., idem] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Évidemment, les recours extraordinaires pouvant être exercés au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 18(3) et aux paragraphes 18.1(1) [édicté, idem, art. 5] et (3) [édicté, idem] ne peuvent l'être contre la Couronne car elle n'est pas un "office fédéral" au sens du paragraphe 2(1) [mod., idem , art. 1] de la Loi. Est-ce donc à dire que, dans le cadre d'une instance mettant en cause l'un de ses ministres, la Couronne jouit de l'immunité contre une action pour jugement déclaratoire? Tel sera le cas s'il n'existe aucune disposition à l'effet contraire dans la Loi sur la Cour fédérale ou dans les autres lois fédérales.

L'article 17 [mod., idem, art. 3] de la loi habilitante de la Cour prévoit les cas de demandes de "réparation contre la Couronne", et le demandeur s'appuie sur le paragraphe 17(1) et l'alinéa 17(5)b ), qui suffisent pour fonder l'instruction des demandes qu'il a déposées contre la Couronne, ses ministres et ses préposés, dans la mesure où il existe une cause donnant ouverture à la compétence de la Cour. Ces dispositions prévoient:

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

[. . .]

(5) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées:

[. . .]

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits"actes ou omissions"survenus dans le cadre de ses fonctions.

Dans l'affaire Pica (F et A) c. La Reine, [1985] 1 CTC 160, cette Cour, étant saisie de faits similaires, a conclu que le paragraphe 17(1) [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] lui donnait compétence (à la page 162) puisque la partie demanderesse tentait d'obtenir contre la Couronne une réparation sous forme d'un jugement déclarant que la délivrance du certificat du ministre ne reposait sur aucun fait, que cette délivrance avait été faite de façon frauduleuse et qu'elle était nulle. Le juge en chef adjoint Jerome a refusé de radier la déclaration, que ce soit au motif de défaut de compétence ou au motif que la demande ne laissait voir aucune cause d'action. Sur cette dernière question, il a cité l'extrait suivant des motifs du juge Mahoney dans Usarco Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 763 (1re inst.), à la page 768:

En tenant, comme je dois le faire, pour vrais tous les faits allégués dans la déclaration, il s'ensuivrait, selon les déductions des demandeurs, qu'en premier lieu, Giles doit avoir été en possession de tous les éléments de preuve qu'il a pu réunir pas plus tard qu'en mai 1978, et qu'en second lieu, agissant à la place du Ministre, il ne pouvait pas sincèrement attester que ces éléments de preuve étaient venus à la connaissance de ce dernier en juin ce qui rend son attestation mensongère frauduleuse. Bien que l'avocat s'indigne de ce que ces allégations puissent être faites par les demandeurs et entendues par la Cour, je ne saurais, à la lumière des faits avancés, accueillir l'argument voulant que ces conclusions soient si excessives qu'il y aurait lieu de statuer sommairement que la déclaration doit être rejetée pour absence de cause raisonnable d'action.

En l'espèce, le demandeur n'a pas allégué la fraude.

Dans Ressources Orco Inc. et al. c. La Reine (1994), 94 DTC 6642 (C.F. 1re inst.), le juge Noël a accueilli une demande de radiation de la déclaration en vertu des alinéas 419(1)a), c) et f) des anciennes Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663]. L'action visait l'obtention d'un jugement déclaratoire relatif à l'interprétation et à l'application de certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. Cependant, il a souligné que l'une des raisons militant à l'encontre de la radiation de l'acte de procédure était qu'aucune cour d'instance inférieure n'était saisie de ces questions, comme c'est le cas en ce qui concerne M. Harris dans la présente affaire. Le juge Noël a souligné que [à la page 6644] "[n]otre Cour suprême a, à plusieurs reprises, décidé qu'il n'y avait pas ouverture à un jugement déclaratoire lorsque la question en litige a été confiée à un tribunal inférieur". Les deux parties ont prétendu que la présente action était unique, de sorte que, pour cette raison, elle ne tombe pas sous l'application de la restriction susmentionnée et qu'il faut lui permettre de se poursuivre.

D'ailleurs, à un certain moment au cours de sa plaidoirie, l'avocat des défendeurs a signalé qu'il ne contestait pas l'existence d'une question contentieuse relativement à l'interprétation de la Loi, mais il a fait valoir que cette question ne pouvait être soulevée par un demandeur d'intérêt public qui n'a pas d'intérêt direct.

L'avocat des défendeurs a beaucoup insisté sur l'arrêt de la Cour suprême Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, aux pages 251 et 252, relativement à la question de la qualité pour intenter des procédures, et, notamment, sur l'extrait suivant:

Après l'adoption de la Charte, c'est dans l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, que la question de la qualité pour agir a été examinée pour la première fois. Dans cet arrêt, le juge Le Dain, au nom de la Cour, a élargi la portée de la trilogie et statué que les tribunaux peuvent, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public pour contester un exercice de l'autorité administrative aussi bien qu'un texte de loi. Il a fondé cette conclusion sur le principe sous-jacent à l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard de la qualité pour agir, qu'il définit comme une reconnaissance de l'intérêt public dans le maintien et le respect des "limites de l'autorité législative".

Le critère énoncé par notre Cour quant à la reconnaissance de la qualité pour agir à des parties d'intérêt public tient également compte de la question de l'affectation judicieuse des ressources judiciaires. À cette fin, le tribunal limite la reconnaissance de la qualité pour agir aux cas où il s'attend qu'aucune personne directement lésée n'intentera de poursuite. Dans l'arrêt Finlay, précité, on a spécifiquement reconnu que les préoccupations traditionnelles concernant l'élargissement de l'accès aux tribunaux trouvent leur réponse dans les critères d'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public, exposés dans la trilogie. Le juge Le Dain s'exprime ainsi, à la p. 631:

[. . .] la crainte d'une dissipation des ressources judiciaires limitées et la nécessité d'écarter les trouble-fête; la préoccupation des tribunaux, quant ils statuent sur des points litigieux, d'entendre les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vues et la préoccupation relative au rôle propre des tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gouvernement. Ces préoccupations trouvent leur réponse dans les critères d'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de reconnaître qualité pour demander dans l'intérêt public un jugement déclaratoire, que les arrêts Thorson, McNeil et Borowski exposent.

Cet arrêt, rédigé au nom de la Cour suprême par le juge Cory, établit en outre que [aux pages 252 et 253]:

Il est essentiel d'établir un équilibre entre l'accès aux tribunaux et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires. Ce serait désastreux si les tribunaux devenaient complètement submergés en raison d'une prolifération inutile de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des organismes bien intentionnés dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs, convaincus que leur cause est fort importante. Cela serait préjudiciable, voire accablant, pour notre système de justice et injuste pour les particuliers.

La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d'empêcher que la loi ou les actes publics soient à l'abri des contestations. Il n'est pas nécessaire de reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on peut établir qu'un particulier contestera la mesure. Il n'est pas nécessaire d'élargir les principes régissant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public établis par notre Cour. La décision d'accorder la qualité pour agir relève d'un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique. Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées. Néanmoins, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut interpréter les principes applicables d'une façon libérale et souple.

Le juge Cory a établi trois critères pour déterminer quand la qualité pour agir dans l'intérêt public doit être reconnue. Il a tout d'abord établi qu'il fallait empêcher que les actes publics soient à l'abri des contestations. Le fait que le juge Cory s'en soit tenu, pour les fins des motifs de l'arrêt Conseil canadien des Églises, à la question d'empêcher que la loi soit à l'abri des contestations ne laisse pas du tout entendre qu'il ait abandonné sa préoccupation quant aux "actes publics". En l'espèce, la contestation porte d'ailleurs, non pas sur une loi, mais bien sur des actes de l'administration, et elle vise notamment des fonctionnaires des ministères fédéraux des Finances, du Revenu et de la Justice, comme l'exposent les paragraphes 29(1) à 29(19), 30(1) à 30(5) et 31 à 33 de la déclaration.

On peut facilement se rendre compte, et la Cour conclut, "qu'aucune personne directement lésée n'intentera [la présente] poursuite" car les seules personnes directement touchées ont reçu un imposant avantage du fait des actes administratifs du Ministère que le demandeur a contestés. Si ce n'est d'un demandeur d'intérêt public, comme le demandeur en l'espèce qui n'est touché que de manière indirecte et vague en tant que contribuable soucieux de l'intérêt public, on ne peut s'attendre à ce que quelqu'un d'autre (à l'exception du vérificateur général, s'il en a le pouvoir) conteste les actes reprochés au moyen des présentes (ou d'autres) procédures.

Le premier critère énoncé par le juge Cory, les adaptations nécessaires y étant apportées, doit permettre de déterminer si "la question de l'invalidité [des actes de favoritisme visés] se pose [. . .] sérieusement". Ce qu'il importe de décider, le cas échéant, dans le cadre de l'action est de savoir si l'on est en présence: 1) de favoritisme ou de négligence dans l'administration de la perception des impôts; 2) d'une érosion massive de l'assiette fiscale nationale. Il est clair que, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'une question d'une gravité extrême, qui revêt d'ailleurs une importance fondamentale dans notre société libre et démocratique. Ces deux allégations capitales ne sont pas encore prouvées, mais elles doivent être considérées comme l'étant dans le cadre de la requête en radiation de la déclaration du demandeur. Le demandeur n'a pas allégué de fraude ou de motifs frauduleux contre le personnel des défendeurs. Il apparaît clairement que ce qui est allégué répond amplement au premier critère.

La décision de janvier 1985 du ministre et son opinion contradictoire de mai 1985 à l'égard de la signification de "bien canadien imposable", au sens de l'alinéa 85(1)i ) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 48; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 45] et du sous-alinéa 115(1)b)(iii) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 74] de la Loi de l'impôt sur le revenu, compte tenu de la forme que ces dispositions avaient à l'époque, inquiéteraient tout observateur n'ayant aucun parti pris (comme l'est le vérificateur général du Canada). Au paragraphe 26 de la déclaration, il est souligné que:

[traduction]

26. La décision de 1985 permettant le transfert à l'étranger de la propriété d'actions sans qu'aucun [impôt sur le] gain en capital ne soit exigé n'a pas été publiée par le ministre, tandis que l'opinion [subséquente] de 1985 refusant ce traitement favorable a été rendue publique par le ministre.

Dans le cadre de la présente instance, les allégations susmentionnées sont présumées vraies en tous points. Ainsi, une entente secrète, qui a été conclue avec un groupe de personnes théoriquement contribuables et les favorisant, devait être suivie d'une prise de position publique empêchant les autres se trouvant dans la même situation de profiter des mêmes avantages. L'observateur objectif, qui n'a aucun parti pris, doit sûrement flairer, à tout le moins, de l'existence d'un cas grave de mauvaise administration. Le demandeur ne soulève-t-il pas là une ou deux questions sérieuses, abstraction faite même des sommes énormes ainsi perdues à titre de recettes fiscales pour le Canada! On peut imaginer à quel point le pays et les programmes nationaux auraient bénéficié de l'apport de telles sommes.

Le demandeur a-t-il démontré un intérêt véritable? Cela ne fait absolument aucun doute. L'attitude"et, d'ailleurs, l'argument"des défendeurs est que ce citoyen et contribuable est un moins que rien. En vertu de cette façon de penser moyenâgeuse et aristocratique, cette société libre et démocratique, fondée sur les principes de l'égalité des droits civils et de la primauté du droit, n'appartient pas au peuple" l'électorat et les contribuables"mais bien aux mandarins et à la bureaucratie. Ils aimeraient bien que le demandeur se contente de payer ses impôts et se tienne tranquille. L'avocat des défendeurs a semblé admettre que des personnes ayant à cœur l'intérêt public aient le droit de se voir reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public en matière d'environnement. Mais en matière fiscale? Jamais! Selon le ministre du Revenu national, il est hors de question de laisser qui que ce soit faire valoir que le ministre a un quelconque devoir fiduciaire envers les contribuables. Quelle prétention nouvelle! L'opinion que lord Scarman a exposée dans Inland Revenue Comrs v. National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd. , [1981] 2 All ER 93 (H.L.), n'est pas l'expression du droit anglais, et encore moins du droit canadien, affirment les défendeurs. On ne peut pas ne pas avoir remarqué que la façon dont les détenteurs du pouvoir gouvernemental mènent les affaires de l'État est assujettie à des impératifs constitutionnels très différents dans les deux pays. Les impératifs écrits du Canada devraient être, et sont effectivement, plus libéraux envers les présumés "moins que rien". Ce texte de lord Scarman est trop long pour être reproduit ici en entier, mais sa saveur canadienne est manifeste malgré son environnement anglais. Il a écrit (à la page 112):

[traduction] Dans l'affaire Arsenal [1977] 2 All ER 267, à la page 272, [1979] AC 1, à la page 17, lord Wilberforce a fait remarquer, dans un contexte de taux, il est vrai, mais dans des termes qui ne peuvent logiquement exclure un contribuable, que "Créer un sentiment de justice est un objectif important de la fiscalité". Dans Vestey v Inland Revenue Comrs [1977] 3 All ER 1073, à la page 1098, [1979] Ch 177, à la page 197, [1977] STC 414, à la page 439, le juge Walton a dit qu'il est dans "l'intérêt, non seulement de l'ensemble des contribuables [. . .], mais aussi dans l'intérêt du ministère du Revenu [. . .] que le système fiscal soit équitable", et, dans Vestey v Inland Revenue Comrs (No 2) [1979] 2 All ER 225, à la page 234, [1979] Ch 198, à la page 204, [1978] STC 567, à la p. 575, il a dit que:

"même si, contrairement à mon opinion, les concessions extra-législatives sont admissibles et font partie de notre code fiscal, il n'en demeure pas moins qu'elles constituent un code publié, qui s'applique indistinctement à tous ceux qui y sont assujettis ou qui peuvent s'en réclamer."

Dans la même affaire, mais au niveau de la Chambre, lord Edmund-Davies, traitant de la décision rendue par la Chambre dans Congreve v Inland Revenue Comrs [1948] 1 All ER 948, 30 Tax Cas 163, a dit ([1979] 3 All ER 976, à la page 1003, [1980] AC 1148, à la page 1196, [1980] STC 10, à la page 37):

"Mais si nous en acceptons la validité, nous nous retrouvons avec la situation déplorable où le Inland Revenue peut arbitrairement choisir les bénéficiaires qu'il imposera [. . .]" (Non souligné dans l'original.)

L'obligation d'équité envers les contribuables, les uns par rapport aux autres, est clairement reconnue en jurisprudence contemporaine, comme en font foi ces extraits (et d'autres). S'agit-il d'une simple obligation morale, d'une question de politique générale, mais non pas d'une règle de droit? Si c'est le cas, je ne comprends pas pourquoi des juges réputés se permettent d'en parler: leur préoccupation est le droit, et non les questions de politique générale. Et, est-ce qu'il est acceptable pour les tribunaux de laisser des questions relatives à ce qui est juste ou non à la merci de la politique générale, alors qu'elles donnent naissance à des griefs légitimes qui sont contentieux, dans le sens que les tribunaux peuvent en décider et ordonner un redressement exécutoire? Sommes-nous dans la zone grise de la "mauvaise administration", où seuls le Parlement et le Protecteur du citoyen peuvent entrer, ou dans une position supérieure du droit? Les tribunaux ont un rôle, bien établi, à jouer en matière de droit public. Le citoyen qui a un grief légitime peut s'adresser à eux s'il démontre qu'il s'agit d'un grief pour lequel une réparation extraordinaire est appropriée. Je ne suis pas un partisan du retrait des tribunaux de ce domaine de droit public sous prétexte que les obligations imposées au ministère du Revenu sont complexes et nécessitent la prise de décisions administratives pour lesquelles il faut accorder une grande marge de manœuvre.

Quand le texte susmentionné a été rédigé en 1981, même les juges canadiens ne pouvaient humer le doux parfum d'impératifs constitutionnels écrits comme la primauté du droit, le droit à l'égalité ainsi que l'obligation faite au législateur de n'édicter quant aux droits et libertés individuels que des limites qui soient raisonnables et "dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique". Les mots société libre et démocratique ont un sens réel. Ils veulent dire que, au Canada, cette société repose sur le peuple. Une telle société n'est pas de celle où il devrait être permis au gouvernement de faire de colossales concessions fiscales à l'avantage de quelques privilégiés et au détriment de la masse des gens, qui, comme de bons petits serfs, doivent seulement se taire et ne formuler aucune plainte contre leurs supérieurs.

M. Harris, le demandeur en l'espèce, est un citoyen du Canada. Comme les quelques privilégiés qui ont reçu le traitement favorable, il est un contribuable, mais, contrairement à eux, il paie tous ses impôts puisqu'il ne bénéficie d'aucun traitement de faveur. M. Harris intente la présente action au nom de l'ensemble des autres contribuables, sauf les quelques privilégiés, que l'on n'entendra jamais se plaindre du favoritisme officiel. Les paragraphes 5 à 23 de la déclaration exposent les faits relatifs à la qualité pour agir du demandeur. Ce dernier est un contribuable qui travaille. Depuis 1991, M. Harris est membre d'un organisme non incorporé connu sous le nom de "CHO!CES"A Coalition for Social Justice", et, pendant un an, à compter d'octobre 1995, il en a été l'un des deux coprésidents. En l'espèce, la question de savoir si le fait d'être membre de CHO!CES sourirait à toute personne ayant à cœur l'intérêt public n'est aucunement pertinente car il apparaît que CHO!CES s'occupe avec le plus grand sérieux de questions aussi diverses que la pauvreté chez les enfants et (ce qui n'est pas sans rapport) l'équité fiscale, comme l'exposent en détail les paragraphes 7, 8 et 9 de la déclaration. Que demander de plus de la part du demandeur pour que celui-ci soit considéré comme satisfaisant au deuxième critère?

Il y a un élément extérieur qui ajoute du poids et de la matière aux qualifications du demandeur dans la présente action. Sa position est entièrement soutenue par le rapport de 1996 du vérificateur général à la Chambre des Communes, les éléments pertinents de ce rapport étant exposés aux paragraphes 11, 12 et 13 de la déclaration.

La Cour conclut que le demandeur a démontré un "intérêt" suffisant dans l'objet de la présente action qui le qualifie pour la conduite de cette dernière. Aucune administration humaine n'aime être tenue responsable pour son manquement, comme cela est allégué dans la présente action. Mais l'administration, voire l'ensemble du gouvernement de la nation "appartient" au peuple, et non l'inverse. L'ensemble des contribuables (à l'exception des quelques privilégiés) constituent certes une catégorie de gens suffisamment intéressés que le contribuable représente aux fins du présent litige, en vertu de la primauté du droit dans la société libre et démocratique qu'est le Canada. En l'espèce, le demandeur a démontré sa qualité pour agir.

Le troisième critère énoncé par le juge Cory, au nom de la Cour suprême, dans le précédent Conseil canadien des Églises, est de savoir s'il y a une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Comment pourrait-il y en avoir une? On ne peut s'attendre à ce que les quelques privilégiés souhaitent qu'un tribunal tranche cette affaire d'une façon défavorable aux intérêts particuliers qu'ils se sont ménagés. Qui d'autre? Le procureur général, qui est membre du gouvernement? Non. Seuls les autres contribuables, qui supportent un fardeau fiscal proportionnellement plus élevé pour couvrir les dépenses du pays, peuvent être, et sont, les demandeurs naturels. L'action est déjà prise en leur nom. On n'a pas donné à entendre qu'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour existait, et, vu les faits de la présente affaire, la Cour n'en trouve aucune.

Les trois critères énoncés par le juge Cory, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Conseil canadien des Églises, ont tous été respectés en l'espèce.

Pour arriver aux présentes conclusions, la Cour s'est beaucoup inspirée de l'opinion exprimée par le juge Le Dain dans l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, au sujet de la question de la qualité pour agir dans le cadre d'une contestation non constitutionnelle ayant trait à une mauvaise administration de la part de la bureaucratie gouvernementale. L'avocat des défendeurs a renvoyé à l'arrêt Hy and Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, mais il a aussi fait remarquer tant d'éléments de distinction qu'il devenait inutile d'invoquer cet arrêt en l'espèce. D'autre part, l'avocat du demandeur a insisté sur l'arrêt Cohen (N) c. La Reine, [1980] CTC 318 (C.A.F.), en ce qui a trait au principe que la loi impose au ministre du Revenu national l'obligation de cotiser le montant de l'impôt payable en conformité avec ses dispositions et que toute entente à l'effet contraire serait illégale.

L'avocat des défendeurs a également affirmé que la poursuite de la présente action ne pouvait être autorisée car cela irait à l'encontre de la confidentialité que la loi exige à l'égard des documents produits par les contribuables et de leur identité. Cet argument n'est pas suffisamment fondé. Le demandeur a plaidé qu'il ne connaissait pas l'identité des privilégiés. Toutefois, l'examen de sa déclaration montre que suffisamment de faits font partie du domaine public pour qu'il soit aisé de statuer sur une action en jugement déclaratoire. Il ne fait aucun doute que les dossiers publics du vérificateur général peuvent être invoqués, et il est certain que son rapport est un document public. Les parties devraient pouvoir faire en sorte que le litige se déroule de façon appropriée et efficace sans qu'il soit porté atteinte à la confidentialité due aux quelques privilégiés ou à quelque autre contribuable.

Vu l'ensemble de ce qui précède, notamment la lumière constitutionnelle qui doit éclairer, depuis 1982, les recoins sombres du gouvernement, la Cour permet la poursuite de l'action à partir de la déclaration introductive d'instance contestée. L'ordonnance et les motifs prononcés le 31 décembre 1997 par le protonotaire adjoint sont annulés, et un délai de trente-cinq jours juridiques à compter de la réception de la présente décision est accordé aux défendeurs pour le dépôt de leur défense. Les dépens de la présente instance sont payables par les défendeurs au demandeur dès la taxation (ou après entente entre les parties).

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