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[1997] 3 C.F. 899

A-151-96

St. Lawrence Cruise Lines Inc. (appelante) (défenderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins et Décary, J.C.A. et juge suppléant Chevalier—Montréal, 15 mai; Ottawa, 20 juin 1997.

Interprétation des lois Le Règlement sur les quais de l’État, dans la mesure où il impose des droits à l’égard de chaque passager relativement aux seuls navires de croisière qui étaient utilisés pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit, était-il autorisé par la Loi sur les ports et installations portuaires publics?D’autres navires de croisière qui n’effectuaient que des croisières d’une journée et utilisaient le même quai, de la même manière, aux mêmes fins ne payaient pas les droits visésL’un des objectifs de la « politique portuaire nationale », définie à l’art. 3 de la Loi, est de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagersL’exigence exceptionnelle de l’« égalité de traitement » vise à conférer aux usagers des ports canadiens des droits plus amples que ceux qui découlent de l’exigence implicite de non- discrimination que les tribunaux importent généralement dans les textes de loiLa Loi n’autorise la perception de droits que si elle est associée à l’usage qui est fait des installationsL’imposition de droits visée ne respecte pas le principe d’égalité de traitementLa définition de « navire de croisière » prévue au Règlement est invalide.

Droit maritime Ports Le Règlement sur les quais de l’État impose des droits à l’égard de chaque passager relativement aux seuls navires de croisière qui étaient utilisés pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuitD’autres navires de croisière qui n’effectuaient que des croisières d’une journée et utilisaient le même quai, de la même manière, aux mêmes fins ne payaient pas les droits visésL’un des objectifs de la « politique portuaire nationale », définie à l’art. 3 de la Loi sur les ports et installations portuaires publics, est de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagersLa Loi n’autorise la perception de droits que si elle est associée à l’usage qui est fait des installationsL’imposition de droits visée ne respecte pas le principe d’égalité de traitementLa définition de « navire de croisière » prévue au Règlement est invalide.

Il s’agissait de l’appel d’un jugement de la Section de première instance déclarant valides certains articles du Règlement sur les quais de l’État et accueillant l’action de la Couronne en vue du paiement des droits imposés aux termes de celui-ci. L’appelante exploite un service de croisières entre les villes de Kingston, Ottawa, Montréal et Québec. Les passagers passent au moins une nuitée à bord. En 1986, le gouverneur en conseil a modifié le Règlement de manière à imposer des droits à l’égard de chaque passager relativement aux navires de croisière qui étaient utilisés « pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit ». Le ministre des Transports s’est réclamé de cette modification au Règlement pour exiger de l’appelante qu’elle lui paie, eu égard aux années 1988 à 1995, une somme de 60 937 12 $, laquelle correspond au nombre de passagers ayant utilisé le quai Crawford de Kingston, multiplié par le montant des droits payables. D’autres navires de croisière qui n’effectuaient que des croisières d’une journée et utilisaient le même quai, de la même manière, aux mêmes fins et plus souvent que les navires de l’appelante, ne payaient pas les droits visés puisque leurs passagers ne passaient aucune nuitée à bord. Les navires de l’appelante ne s’amarraient pas au quai Crawford durant la nuit. L’objectif poursuivi en imposant des droits était de produire un revenu indépendamment de l’utilisation précise que les passagers faisaient des installations portuaires. Ces croisières avaient été ciblées parce que les droits imposés ne constituaient pas une « portion significative » du coût de leur croisière. Le ministre des Transports, dans une lettre adressée au président de l’appelante, a expliqué qu’il était nécessaire de procéder à la hausse envisagée des frais portuaires pour refléter l’augmentation des coûts, ce qui s’inscrivait dans le programme de réduction du déficit gouvernemental. L’un des objectifs de la « politique portuaire nationale », défini à l’alinéa 3(1)c) de la Loi sur les ports et installations portuaires publics, est de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagers. Le juge de première instance a conclu que le Règlement ne violait pas le principe d’égalité de traitement, puisque tous les navires de croisière de longue durée étaient visés, que la fin recherchée par le gouverneur en conseil était une fin valide et que la distinction entre croisières de longue durée et croisières de courte durée n’était pas discriminatoire.

La question en litige était de déterminer si le Règlement était conforme à ce qu’autorise la loi habilitante.

Arrêt : l’appel doit être accueilli et la définition de « navire de croisière » à l’article 2 du Règlement sur les quais de l’État, ainsi que le paragraphe 25(3.1), l’article 26.1 et l’annexe VII du Règlement doivent être déclarés invalides.

La première démarche qui s’impose lorsque la validité d’un règlement est attaquée, est d’interpréter la loi habilitante. L’objectif législatif énoncé à l’alinéa 3(1)c) de la Loi sur les ports et installations portuaires publics est exceptionnel. Il semble qu’il n’y ait, dans la législation fédérale, que deux autres lois qui s’expriment en ces termes, et ces deux lois traitent également de la politique portuaire nationale. Par conséquent, le législateur a dû vouloir conférer aux usagers des ports canadiens des droits plus amples que ceux qui découlent de l’exigence implicite de non-discrimination que les tribunaux importent généralement dans les textes de loi.

L’objectif d’accroître les recettes et de réduire le déficit est très certainement permis par les alinéas 3(1)a) et b) et il est à tout le moins reconnu implicitement par l’attribution au Ministre de pouvoirs généraux d’administration (article 4) et d’exploitation (paragraphe 12(1)). Cet objectif, cependant, doit être poursuivi de la manière permise par la Loi et celle-ci ne l’autorise que s’il est associé à l’usage qui est fait des installations. Il est vrai que le montant des droits n’a pas à refléter le coût précis de l’usage qui est fait, mais encore faut-il que l’imposition des droits soit reliée à l’usage, ce qui n’est pas le cas, et les usagers doivent être traités d’une manière équitable. L’imposition de droits aux seuls navires de croisière de longue durée qui font des installations portuaires le même usage que les navires de croisière d’une seule journée ne respecte pas le principe d’égalité de traitement, qui signifie qu’à usage égal et en l’absence d’un autre objectif valide qui permettrait l’établissement d’une distinction, tous les navires d’une même catégorie devraient recevoir un traitement égal. Les objets définis au paragraphe 3(1) sont complémentaires. Le Ministre peut imposer des droits pour accroître les revenus et réduire le déficit, mais il doit, ce faisant, « garantir l’égalité de traitement » aux navires de croisière. Les dispositions attaquées en l’espèce sont incompatibles avec cet objectif.

Même si le Règlement ne pouvait inclure dans « navire » une catégorie qui ne serait pas incluse dans la définition que donne la Loi du mot « navire », l’argument, en l’espèce, était académique puisque le législateur, dans le texte anglais, a utilisé le mot « includes » plutôt que « means » et puisque la définition donnée, « toute construction flottante », est suffisamment vaste pour viser les navires de croisière. Par contre, l’administration de la Loi exige implicitement que le Règlement puisse distinguer entre certaines catégories de navires. Il n’est pas nécessaire qu’un texte législatif exprès permette l’établissement, par règlement, de catégories ou de sous-catégories.

En réalité, le ministre des Transports, en l’espèce, percevait un impôt sur les revenus d’une entreprise s’adonnant à une activité qu’il jugeait de luxe. La Loi ne permettait pas au ministre des Transports de se substituer à cet égard au ministre des Finances.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 3(1)e).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22(2)s).

Loi sur l’aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3.

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2.

Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, ch. B-11.

Loi sur la société canadienne des ports, L.R.C. (1985), ch. C-9, art. 3(1)c).

Loi sur le ministère des Transports, S.R.C. 1970, ch. T-15, art. 25.

Loi sur les commissions portuaires, L.R.C. (1985), ch. H-1, art. 3(1)c).

Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14.

Loi sur les ports et installations portuaires publics, L.R.C. (1985), ch. P-29, art. 2 « navire », 3, 4, 12(1)i),j), 13.

Règlement sur les quais de l’État, C.R.C., ch. 881, art. 2 « navire de croisière » (mod. par DORS/86-493, art. 1), 25(1),(2),(3),(3.1) (mod., idem , art. 3), 26.1 (mod., idem, art. 5), 28 (mod., idem, art. 6), ann. VII (mod., idem, art. 9).

Règlement sur les taxes des services aéronautiques, C.R.C., ch. 5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Foods, [1968] A.C. 997 (H.L.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; (1981), 120 D.L.R. (3d) 577; 35 N.R. 271; Great Lakes Pilotage Authority Ltd. c. Misener Shipping Ltd., [1987] 2 C.F. 431 (1987), 38 D.L.R. (4th) 745; 11 F.T.R. 208 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Gulf Trollers Assn. c. Canada (ministre des Pêches et Océans), [1987] 2 C.F. 93 (1986), 32 D.L.R. (4th) 737; [1987] 2 W.W.R. 727; 72 N.R. 31 (C.A.); New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (1984), 13 D.L.R. (4th) 77; 2 C.P.R. (3d) 433; 12 C.R.R. 249; 55 N.R. 143 (C.A.); Aerlinte Eireann Teorante c. Canada (Ministre du Transport) (1990), 68 D.L.R. (4th) 220; 107 N.R. 120 (C.A.F.); Airport Taxicab (Malton) Association c. Canada (Ministre du Transport) et autres (1986), 7 F.T.R. 105 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 16 C.R.R. (2d) 193; 156 N.R. 81.

DOCTRINE

Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et interprétation des lois. Québec : Éditeur officiel, 1978.

APPEL du jugement de première instance (Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1996] 2 C.F. 371 (1996) 132 D.L.R. (4th) 345; 107 F.T.R. 174 (1re inst.)) déclarant valide le Règlement sur les quais de l’État qui impose des droits à l’égard de chaque passager uniquement en ce qui a trait aux navires de croisière utilisés pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit. Appel accueilli.

AVOCATS :

J. Kenrick Sproule et Teresa Cianciaruso pour l’appelante (défenderesse).

Marie-Louise Wcislo pour l’intimée (demanderesse).

PROCUREURS :

Sproule, Castonguay, Pollack, Montréal, pour l’appelante (défenderesse).

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée (demanderesse).

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : Cet appel d’un jugement de la Section de première instance [[1996] 2 C.F. 371 porte sur la validité de certains articles du Règlement sur les quais de l’État[1] (le Règlement) adopté en vertu de la Loi sur les ports et installations portuaires publics[2] (la Loi). La Cour est appelée, plus précisément, à décider si le gouverneur en conseil était habilité à imposer des droits particuliers, calculés en fonction du nombre de passagers, relativement aux seuls navires de croisière utilisés « pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit » et, dans l’hypothèse d’une telle habilitation, si cette imposition était discriminatoire. Le débat est né du refus de la société appelante de payer les droits en question, ce qui a amené la Couronne à réclamer devant la Cour fédérale le paiement de ces droits[3]. Le juge de première instance a déclaré valides les articles attaqués du Règlement en cause et accueilli l’action de la Couronne.

Dispositions législatives et réglementaires pertinentes

Avant de décrire la toile de fond du litige, il sera utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement. Ces articles ou parties d’articles du Règlement dont la validité est mise en question par l’appelante ont été reproduits en caractères gras.

Loi sur les ports et installations portuaires publics

DÉFINITIONS

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« navire » Toute construction flottante qui sert ou peut servir, exclusivement ou partiellement, à la navigation maritime, qu’elle soit pourvue ou non d’un moyen propre de propulsion, y compris une drague, un élévateur flottant, une habitation flottante, une plate-forme de forage, un hydravion, un radeau, une estacade de billes ou de bois de construction et un aéroglisseur.

POLITIQUE PORTUAIRE NATIONALE

3. (1) La politique portuaire nationale a pour objet la création d’un système de ports publics qui ait pour rôle ou caractéristique :

a) de contribuer à la réalisation des objectifs en matière de commerce extérieur ainsi que des objectifs sociaux et économiques, aux plans tant national que régional et local;

b) d’être efficace;

c) de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagers;

d) de coordonner ses activités avec celles du secteur maritime et avec les réseaux de transport aérien et terrestre.

(2) Sont essentielles à la réalisation de la politique portuaire nationale :

a) l’administration régionale des ports et installations portuaires publics, dans le cadre d’un système administratif national;

b) la création d’organismes consultatifs en matière d’élaboration et de mise au point de la politique portuaire canadienne.

4. Il incombe au ministre de prendre les dispositions nécessaires à la réalisation de la politique portuaire nationale, notamment en ce qui concerne la planification, le développement, la direction, l’administration et l’entretien des ports et installations portuaires publics.

RÈGLEMENTS

12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements en vue de la gestion, du contrôle, de l’exploitation et de l’utilisation des ports et installations portuaires publics, notamment dans les domaines suivants :

i) l’imposition et la perception de droits ou taxes sur les navires, véhicules et personnes entrant dans ces ports ou installations ou en faisant usage, ou sur les marchandises ou cargaisons soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit stockées dans les installations portuaires publiques ou passant par elles;

j) la fixation des droits ou frais exigibles pour l’usage de ces ports ou installations ou pour la prestation de services qu’y fournit le ministre;

PAIEMENT DES DROITS

13. (1) Les droits, taxes ou autres frais réglementaires afférents au navire ou à sa cargaison doivent être acquittés par le capitaine ou le responsable du navire, sans préjudice des recours ouverts en droit contre d’autres personnes. Le ministre peut toutefois les recouvrer soit du propriétaire ou de l’agent du navire, soit du propriétaire, du consignataire ou de l’expéditeur de la cargaison ou de son mandataire.

(2) Les droits, taxes ou autres frais afférents à l’usage, par des personnes, des ports ou installations portuaires publics sont à la charge de l’usager.

(3) Les droits, taxes et autres frais prévus par la présente loi, ainsi que les frais et dépens de l’action, peuvent être recouvrés devant tout tribunal compétent.

Règlement sur les quais de l’État, tel qu’amendé.

Interprétation

2. Dans le présent règlement,

« navire de croisière » Navire qui transporte des passagers moyennant tarif et qui est utilisé pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit, à l’exclusion des transbordeurs. [DORS/86-493, art. 1]

Quayage, droits d’amarrage,

d’entreposage et autres

25. (1) Sous réserve de la Loi et du présent règlement, les droits sur les marchandises et les navires sont exigibles aux taux prévus dans l’annexe,

a) dans le cas de marchandises, lorsqu’elles sont déposées sur un quai, chargées ou déchargées à un quai ou transportées en travers, le long, sur le dessus ou en dessous d’un quai; et

b) dans le cas d’un navire, lorsqu’il

(i) est amarré à un quai,

(ii) occupe un poste ou tout espace à un quai ou à proximité d’un quai, ou

(iii) est amarré d’une manière quelconque à un navire auquel est imposé un droit d’amarrage.

(2) La personne responsable d’un navire qui transporte une cargaison paiera, relativement aux marchandises que le navire débarque ou embarque à un quai, le quayage exigible à l’égard de ces marchandises.

(3) La personne responsable d’un navire qui, normalement, transporte une cargaison devra, le plus tôt possible après que le navire aura été amarré à un quai ou aura pris un poste à un quai, remettre au gardien de quai un rapport signé de sa main et donnant :

a) le nom du navire;

b) la longueur du navire;

c) le quai visité;

d) l’heure d’arrivée du navire au quai et son heure de départ prévue;

e) la description et le poids de toutes les marchandises débarquées ou embarquées; et

f) s’il s’agit d’un transbordeur, le nombre et la désignation des véhicules à moteurs débarqués ou embarqués.

(3.1) Le capitaine ou la personne responsable d’un navire de croisière doit remettre au gardien de quai une déclaration indiquant le nombre de passagers à bord du navire le plus tôt possible après que le navire;

a) a été amarré à une installation de port public ou y a embarqué ou débarqué des passagers;

b) a embarqué des passagers à une installation de port public, directement ou par chaland;

c) a débarqué des passagers à une installation de port public, directement ou par chaland. [DORS/86-493, art. 3]

26.1 (1) En plus des droits payables en vertu du règlement, les droits relatifs aux navires de croisière prévus à la colonne I de l’annexe VII sont payables et égaux au montant obtenu par la multiplication du nombre d’unités, selon la base unitaire indiquée à la colonne II, par le taux prévu à la colonne III.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), les droits relatifs aux navires de croisière visés au paragraphe (1) sont payables à l’égard des navires de croisière qui utilisent une installation de port public dans les cas suivants :

a) les navires de croisière y sont amarrés et y embarquent ou débarquent des passagers;

b) des passagers y embarquent dans les navires de croisière, directement ou par chaland;

c) les passagers y débarquent des navires de croisière, directement ou par chaland.

(3) Lorsque les navires de croisière embarquent des passagers à une installation de port public ou y débarquent des passagers, plus d’une fois au cours d’un voyage, les droits relatifs aux navires de croisière sont payables une seule fois pour le voyage à l’égard de l’installation de port public visée. [DORS/86-493, art. 5]

28. Aucun droit d’amarrage n’est payable à l’égard d’un navire;

a) qui ne sert pas au commerce et qui appartient à Sa Majesté du chef d’une province ou au gouvernement d’un pays étranger;

b) qui est exempté du paiement des droits d’amarrage en vertu d’une entente entre le Canada et un pays étranger;

c) qui est un navire de pêche amarré à une installation de port public uniquement pour y charger des fournitures, y compris les appâts, ou y décharger ses prises de poisson. [DORS/86-493, art. 6]

ANNEXE VII

(article 26.1)

autres droits

(En vigueur le 1er avril 1987)

Article

Colonne I Désignation

Colonne II

Base unitaire

Colonne III

Taux

1.

Navire de croisière…

par passager

à bord

3 00 $

[DORS/86-493, art. 9]

Les faits

Les faits, qui ne sont pas véritablement contestés, seront réduits à leur plus simple expression.

L’appelante opère un service de croisières entre les villes de Kingston, Ottawa, Montréal et Québec. Les croisières qu’elle offre sont de longue durée, en ce sens que les passagers passent au moins une nuitée à bord. Ses navires s’arrêtent en cours de route à certains ports, dont celui de Kingston, où ils utilisent le quai Crawford. Les jours où ses navires s’arrêtent au quai Crawford, pour embarquer ou débarquer des passagers, ils accostent au quai vers 14 heures et en repartent vers 19 heures. Entre 1988 et 1995, les croisières s’effectuaient sur le Canadian Empress, d’une capacité de 66 passagers; entre 1990 et 1992, des croisières ont également été effectuées sur le Victorian Empress, dont la capacité en termes de passagers n’apparaît pas au dossier. Pour l’année 1994, à titre d’exemple, le coût d’une croisière de quatre ou cinq nuitées variait entre 860 $ et 1 370 $.

En 1986, le gouverneur en conseil a modifié le Règlement de manière à imposer des droits de 3 $ par passager relativement à ces seuls navires de croisière qui étaient utilisés « pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit ». Le montant de ces droits est défini à l’annexe VII du Règlement et a fluctué au cours des années.

Le ministre des Transports (le ministre) s’est réclamé de cette modification au Règlement pour exiger de l’appelante qu’elle lui paie, eu égard aux années 1988 à 1995, une somme de 60 937 12 $, laquelle correspond au nombre de passagers ayant utilisé le quai Crawford, multiplié par le montant des droits payables. La somme en question est consignée au greffe, en attente de la décision de cette Cour.

La preuve révèle qu’au cours des années en cause, d’autres navires de croisière, dont le Island Queen, d’une capacité de 300 passagers, et le Island Belle, de capacité moindre, qui n’effectuaient que des croisières d’une journée, utilisaient le quai Crawford de la même manière, aux mêmes fins et plus souvent que les navires de l’appelante, mais ne payaient pas les droits prévus à l’annexe VII, puisque leurs passagers ne passaient aucune nuitée à bord au cours de leur croisière.

La preuve indique par ailleurs que les navires de l’appelante ne s’amarraient pas au quai Crawford durant la nuit et que tous les navires de croisière payaient les droits d’amarrage prévus au Règlement, peu importe que la croisière soit d’une seule journée, comme dans le cas de l’Island Queen, ou de plusieurs journées, comme dans le cas des navires de l’appelante. Ces droits d’amarrage étaient établis en fonction de la longueur du navire et du nombre de jours ou de fractions de jours pendant lesquels le navire était amarré.

Il est enfin acquis, à partir de documents mis en preuve d’un commun accord, que l’objectif poursuivi par le gouverneur en conseil en imposant des droits relatifs aux croisières comportant au moins une nuitée à bord, était de produire un revenu indépendamment de l’utilisation précise que les passagers faisaient des installations portuaires et que le gouverneur en conseil avait ciblé ces croisières parce que les droits imposés ne constituaient pas une « portion significative » du coût de leur croisière. Les documents suivants sont particulièrement pertinents :

—  une lettre du ministre des Transports, en date du 10 avril 1986, qui donnait suite à une lettre adressée par le président de la société appelante, M. Clark :

[traduction] Veuillez informer M. Clark qu’il est nécessaire de procéder à la hausse envisagée des frais portuaires et d’imposer un droit aux passagers des navires de croisière pour refléter l’augmentation des coûts relatifs au maintien d’un système de ports publics et d’infrastructure portuaire. Ces hausses permettront aux ports et installations portuaires publics de relever le niveau de récupération de leurs frais, ce qui s’inscrit dans le programme de réduction du déficit gouvernemental.

Suite aux consultations tenues avec les usagers et les fonctionnaires ministériels, les propositions ont été révisées. Le nouveau droit, fixé à 3 $, frappant les passagers des navires de croisière ne prendra pas effet avant le 1er avril 1987 pour permettre aux exploitants d’en tenir compte dans leur barème des tarifs pour la saison 1987. Il ne s’appliquera pas aux navires de croisière de jour ni aux transbordeurs et sera imposable aux navires qui utilisent une installation portuaire publique pour embarquer ou débarquer des passagers.

Vous pouvez donner à M. Clark l’assurance que ses opérations et ses préoccupations particulières ont été prises en considération lors de l’élaboration de ce droit imposé aux passagers. En fait, le texte du règlement proposé a été modifié de manière à s’assurer qu’un navire qui quitte une installation portuaire publique, telle celle de Kingston, et qui y retourne, ne paie les droits qu’une seule fois à ce port.

J’ai par ailleurs appris que le Ministère des pêches et océans n’a pas l’intention de proposer l’imposition d’un droit aux passagers des navires de croisière … [D.A., aux p. 22 et 23.]

—  une lettre de la Garde côtière canadienne, quelque temps en février 1989, en réponse à une lettre de M. Clark :

[traduction] … Ainsi que vous l’avez mentionné, le droit imposé aux passagers constitue un droit imposé pour l’utilisation de l’installation, un peu comme les droits de quayage et d’amarrage qui apparaissent depuis toujours dans la liste des tarifs. Les revenus émanant des tarifs relatifs aux ports publics contribuent à l’amélioration et à la restauration des installations, de manière à assurer la sécurité du transport de véhicules et de passagers associé aux activités de navires de croisière. Les croisières d’une journée ont été spécialement exemptées de l’imposition des droits aux passagers de navires de croisière, de manière à éviter la situation où un droit de $3.00 constituerait une portion significative du coût global de la croisière payé par les passagers. À l’exception de cette exemption dont bénéficient les croisières d’une journée les navires de croisière comportant au moins une nuitée et les opérations de tournées à travers le pays sont sujettes au paiement de ce droit. Les croisières d’une journée continuent d’être sujettes au paiement de tous les autres tarifs, tels ceux d’amarrage, associés aux ports publics. [D.A., aux p. 26 et 27.]

—   les comptes à recevoir de Transports Canada, décrivant les droits réclamés comme des « droits imposés au passager » (passenger fees).

Le juge de première instance a rejeté les prétentions de l’appelante relativement à l’invalidité des articles attaqués. Il s’est dit d’avis que le Règlement ne violait pas le principe d’égalité de traitement établi à l’alinéa 3(1)c) de la Loi, puisque tous les navires de croisière de longue durée étaient visés; que la fin recherchée par le gouverneur en conseil, soit l’accroissement de recettes et la réduction du déficit, était une fin valide; et que la distinction entre croisières de longue durée et croisières de courte durée n’était pas discriminatoire. Je crois, avec égards, que le juge de première instance a erré et qu’il aurait dû rejeter l’action de la Couronne.

Une question procédurale

La Cour s’est interrogée à l’audience sur le pouvoir de la Couronne, en l’espèce, de poursuivre le propriétaire des navires plutôt que les passagers en recouvrement des droits impayés. En effet, lorsque les droits réclamés sont « afférents au navire ou à sa cargaison », le paragraphe 13(1) de la Loi veut que ces droits soient recouvrables du propriétaire du navire ou du propriétaire de la cargaison, tandis que si les droits réclamés sont « afférents à l’usage, par des personnes, des ports ou installations portuaires publics », le paragraphe 13(2) veut que ces droits soient « à la charge de l’usager ».

Puisque je suis arrivé, au terme du délibéré, à la conclusion que les droits en litige n’étaient pas recouvrables, je n’ai pas à décider si, dans l’hypothèse où ils l’auraient été, la Couronne avait eu raison de considérer les droits réclamés comme des droits afférents au navire et de poursuivre en conséquence le propriétaire du navire.

La question de fond

La première démarche qui s’impose lorsque la validité d’un règlement est attaquée, est d’interpréter la loi habilitante. Il faut prendre garde d’appliquer aux règlements les principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence sans d’abord s’interroger sur la portée du pouvoir réglementaire spécifique que confère la législation en cause. Ainsi que le notait lord Reid dans Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Foods[4] :

[traduction] Le Parlement a dû attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l’intention qu’il soit exercé pour promouvoir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l’interprétation est toujours une question de droit pour la cour. Dans une affaire semblable, il n’est pas possible de fixer des limites précises et inflexibles, mais si le ministre, parce qu’il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l’encontre de ceux-ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n’avaient pas droit à la protection de la cour. Il est donc nécessaire de procéder d’abord à l’interprétation de la Loi.

Le juge Rand, dans Roncarelli v. Duplessis[5], s’était exprimé en ces termes :

[traduction] Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi … Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu’il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d’expression de la législature.

Le juge Beetz, dans Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres[6] avait par ailleurs fait sienne l’observation suivante de Louis-Philippe Pigeon dans Rédaction et interprétation des lois[7] :

Il est une autre observation importante à faire sur la question du pouvoir de réglementation. C’est la suivante : le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d’établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l’autorise dise le contraire, s’appliquer à tout le monde de la même façon. Si l’on veut pouvoir faire des distinctions il faut le dire.

Que dit, que permet en l’espèce la Loi sur les ports et installations portuaires publics?

Cette Loi, à son article 3, définit la « politique portuaire nationale » en fonction de quatre « rôles ou caractéristiques », dont, à l’alinéa 3(1)c) le suivant :

3. (1) …

c) de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagers;

Cet objet législatif est exceptionnel. Il semble qu’il n’y ait, dans la législation fédérale, que deux autres lois qui s’expriment en ces termes, et ces deux lois, curieusement, traitent également de la « politique portuaire nationale ». Il s’agit de la Loi sur la Société canadienne des ports[8] et de la Loi sur les commissions portuaires[9]. Même la Loi de 1987 sur les transports nationaux[10] n’utilise pas un tel langage, encore qu’en son alinéa 3(1)e), elle véhicule un concept qui s’en rapproche :

3. (1) …

e) chaque transporteur ou mode de transport supporte, dans la mesure du possible, une juste part du coût réel des ressources, installations et services mis à sa disposition sur les fonds publics;

Je note que la Loi sur l’aéronautique[11] ne contient aucune disposition semblable ou analogue.

Le législateur ayant pris soin, de manière exceptionnelle, d’ajouter au texte même de la Loi cette exigence d’égalité de traitement, j’en déduis qu’il a voulu conférer aux usagers des ports canadiens des droits plus amples que ceux qui découlent de l’exigence implicite de non-discrimination que les tribunaux importent généralement dans les textes de loi.

Le règlement attaqué a été adopté, nous dit la procureure de l’intimée, dans le but d’accroître les recettes et de réduire le déficit. Elle ajoutera à l’audience que les droits imposés le sont à l’entreprise appelante peu importe l’usage précis qu’elle fait des installations portuaires : ce n’est pas, nous dit-elle, un droit d’usage (a user fee). L’objectif recherché par le gouverneur en conseil n’est pas contesté en l’espèce. Il ne s’agit donc pas ici de rechercher quels motifs animaient le gouverneur en conseil[12], mais de déterminer si l’objectif recherché est conforme à ceux qu’autorise la loi habilitante.

L’objectif d’accroître les recettes et de réduire le déficit est très certainement permis par les alinéas 3(1)a) et b) et il est à tout le moins reconnu implicitement par l’attribution au ministre de pouvoirs généraux d’administration (article 4) et d’exploitation (paragraphe 12(1)). Cet objectif, cependant, doit être poursuivi de la manière permise par la Loi et celle-ci ne l’autorise que s’il est associé à l’usage qui est fait des installations (je rappelle qu’il est acquis, ici, que les droits sont relatifs à l’usage des installations plutôt qu’à l’entrée dans le port). Il est vrai que le montant des droits n’a pas à refléter le coût précis de l’usage qui est fait[13], mais encore faut-il que l’imposition des droits soit reliée à un usage précis et que les usagers soient traités de manière égale.

Je suis d’avis qu’à sa face même, l’imposition de droits aux seuls navires de croisière de longue durée qui font des installations portuaires le même usage que les navires de croisière d’une seule journée, ne respecte pas le principe d’égalité de traitement que j’interprète comme signifiant qu’à usage égal et en l’absence d’un autre objectif valide qui permettrait l’établissement d’une distinction, tous les navires d’une même catégorie devraient recevoir un traitement égal[14]. Je verrais mal, par exemple, qu’à usage égal des installations portuaires, un navire de pêche de sardines ne reçoive pas le même traitement qu’un navire de pêche de homards, ou que les droits d’amarrage de deux yachts varient selon leur valeur respective sur le marché. Les objets définis au paragraphe 3(1) de la Loi sont complémentaires, le mot « and » dans le texte anglais le dit. Le ministre peut certes imposer des droits pour accroître les revenus et réduire le déficit, mais il doit, ce faisant, « garantir l’égalité de traitement » aux navires de croisière. Ici, les dispositions attaquées sont incompatibles avec cet objectif.

En décidant que la Loi n’autorise pas le gouverneur en conseil à distinguer, comme il l’a fait en l’espèce, entre navires de croisière de longue durée et navires de croisière de courte durée et qu’en conséquence les dispositions attaquées sont invalides, j’adopte en réalité la même approche que celle qui a mené la Cour suprême du Canada dans Alaska Trainship[15] et le juge Denault, dans Great Lakes Pilotage Authority Ltd c. Misener Shipping Ltd.[16], à invalider certains règlements adoptés en matière de pilotage.

Cela suffit, à mon avis, à disposer du litige. Le procureur de l’appelante nous invite à décider que la Loi ne permet pas au gouverneur en conseil de donner au mot « navire », par règlement, une définition autre que celle que donne la Loi à ce mot, et que le Règlement ne saurait contenir des dispositions applicables à certaines catégories de navires, et pas à d’autres. Je suis d’accord avec la première de ces propositions, pas avec la deuxième. Le Règlement ne pourrait inclure dans « navire » une catégorie qui ne serait pas incluse dans la définition que donne la Loi du mot « navire »; l’argument, en l’espèce, est académique puisque le législateur, dans le texte anglais, a utilisé le mot « includes » plutôt que « means » et puisque la définition donnée, « toute construction flottante », est suffisamment vaste pour viser les navires de croisière. Par contre, l’administration de la Loi exige implicitement que le Règlement puisse distinguer entre certaines catégories de navires. L’objet défini à l’alinéa 3(1)a) de la Loi permet, je pense, de conférer un statut spécial, par exemple, aux navires de pêche, ainsi que fait l’alinéa 28c) du Règlement, et l’objet défini à l’alinéa 3(1)d) permettrait aussi, à mon avis, de considérer dans une classe à part les transbordeurs (ferries), lesquels sont associés au réseau de transport terrestre. Je ne partage pas l’avis du procureur de l’appelante à l’effet que seul un texte législatif exprès permet l’établissement, par règlement, de catégories ou de sous-catégories[17].

Je voudrais, en terminant, commenter brièvement certaines décisions de la Cour fédérale sur lesquelles se sont appuyés l’intimée et le juge de première instance, à savoir : Gulf Trollers Assn.[18]; Aerlinte Eireann Teorante c. Canada (Ministre du Transport)[19]; New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes[20]; et Airport Taxicab (Malton) Association c. Canada (Ministre du Transport)[21].

Dans Gulf Trollers[22], des avis publics émis par des fonctionnaires en vertu de la Loi sur les pêcheries [S.R.C. 1970, ch. F-14] imposaient aux pêcheurs pratiquant la pêche commerciale du saumon des restrictions qu’ils n’imposaient pas aux pêcheurs pratiquant la pêche sportive. La loi applicable ne contenait aucune exigence d’égalité de traitement, et c’est sous l’angle du droit constitutionnel plutôt que sous l’angle du droit administratif que l’affaire a été tranchée. Le débat, quoi qu’il en soit, ne portait pas sur la possibilité d’établir des distinctions à l’intérieur, par exemple, de la classe des pêcheurs sportifs.

Dans Aerlinte[23], la Loi sur l’aéronautique [S.R.C. 1970, ch. A-3] en vigueur ne garantissait pas l’égalité de traitement. Le Règlement sur les taxes des services aéronautiques [C.R.C., ch. 5] établissait des taxes d’atterrissage distinctes selon que les vols étaient intérieurs, internationaux ou transocéaniques; ces taxes étaient établies en fonction du poids des aéronefs et la preuve avait démontré que les coûts de construction et d’entretien des pistes et d’accueil des passagers étaient plus élevés dans le cas des vols transocéaniques; la Cour a conclu qu’il n’y avait dans les faits aucune discrimination. L’intimée s’appuie sur un extrait des motifs de la Cour, à la page 228, qui n’est qu’un obiter dont le bien-fondé, par surcroît, est discutable. Cet arrêt, au fond, favorise la thèse de l’appelante en ce qu’il confirme que le gouverneur en conseil peut, sans faire de discrimination, définir le montant des droits qu’il impose en fonction de l’usage qui est fait des installations publiques en cause par un transporteur et ses passagers.

Dans New Brunswick Broadcasting[24], où cette Cour a reconnu le pouvoir du CRTC d’établir des classes de personnes ayant le droit de faire usage de fréquences, la Loi sur la radiodiffusion [S.R.C. 1970, ch. B-11] contenait une disposition qui conférait au Conseil le pouvoir d’établir de telles classes. Cet arrêt n’est guère utile en l’espèce.

Dans Airport Taxicab[25], le règlement attaqué, qui avait été adopté en vertu de la Loi sur le ministère des Transports [S.R.C. 1970, ch. T-15], permettait d’émettre des permis distincts aux chauffeurs de taxi et aux chauffeurs de limousine. Le règlement avait été adopté dans le but de mettre un terme à une guerre que se livraient les chauffeurs en question. L’article 25 de la Loi en cause conférait au gouverneur en conseil le pouvoir d’« établir les règlements qu’il juge nécessaires pour la gestion, l’entretien, le bon usage et la protection ». Cette Loi ne contenait pas d’exigence d’égalité de traitement. Le juge Rouleau a conclu, dans un premier temps, que les dispositions législatives avaient, entre autres objets, celui de permettre à la Couronne de limiter, contrôler et superviser la conduite d’activités commerciales sur le territoire des aéroports, et que le règlement attaqué répondait à cet objet. Il a conclu, dans un deuxième temps, que rien dans la preuve n’indiquait traitement inégal ou discriminatoire. Je ne vois pas en quoi cette décision peut aider l’intimée.

Somme toute, le résultat du présent litige est dicté par la présence, à l’alinéa 3(1)c) de la Loi, d’une exigence exceptionnelle d’égalité de traitement. À usage égal et en l’absence d’un autre objectif valide pouvant justifier une distinction, le gouverneur en conseil ne peut, à l’intérieur d’une même catégorie de navires, cibler celle qui est la plus susceptible de lui procurer des revenus ou celle qui lui permet le plus facilement de percevoir des revenus. En réalité, les droits imposés à l’appelante en l’espèce sont l’équivalent d’un impôt sur les revenus d’une entreprise s’adonnant à une activité jugée de luxe par le ministre des Transports. La Loi sur les ports et installations portuaires publics ne permet tout simplement pas au ministre des Transports de se substituer à cet égard au ministre des Finances.

Dispositif

J’accueillerais l’appel, je rejetterais l’action de Sa Majesté la Reine, je déclarerais invalides la définition de « navire de croisière » à l’article 2 du Règlement sur les quais de l’État, ainsi que le paragraphe 25(3.1), l’article 26.1 et, par voie de conséquence, l’annexe VII dudit Règlement et j’accorderais à l’appelante ses dépens en appel et en première instance.

Le juge Desjardins, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge suppléant Chevalier : J’y souscris.



[1] C.R.C., ch. 881, tel qu’amendé le 1er mai 1986, DORS/86-493.

[2] L.R.C. (1985), ch. P-29.

[3] La Cour fédérale a compétence pour entendre cette action de la Couronne contre un particulier, en vertu de la compétence générale que lui confère l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] en matière de droit maritime canadien; l’art. 22(2)s), notamment, donne compétence à la Cour fédérale eu égard à « une demande de remboursement des droits de bassin, de port ou de canaux, notamment des droits perçus pour l’utilisation des installations fournies à cet égard ».

[4] [1968] A.C. 997 (H.L.), à la p. 1030.

[5] [1959] R.C.S. 121, à la p. 140. Voir, également, Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261, à la p. 269.

[6] [1985] 1 R.C.S. 368, à la p. 406.

[7] Québec : Éditeur officiel, 1978, à la p. 34.

[8] L.R.C. (1985), ch. C-9, art. 3(1)c).

[9] L.R.C. (1985), ch. H-1, art. 3(1)c).

[10] L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28.

[11] L.R.C. (1985), ch. A-2.

[12] Voir : Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106, aux p. 112 à 117; et Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, aux p. 1046 et 1047.

[13] Voir : Thorne’s Hardware Ltd., supra, note 12, à la p. 122.

[14] J’en arrive à cette conclusion aussi bien en vertu du texte français, « garantir … l’égalité de traitement », qu’en vertu du texte anglais, vraisemblablement moins exigeant, « providesequitable treatment ».

[15] Supra, note 5.

[16] [1987] 2 C.F. 431 (1re inst.).

[17] Voir : Gulf Trollers Assn. c. Canada (ministre des Pêches et Océans), [1987] 2 C.F. 93 (C.A.), aux p. 102 et 103.

[18] Supra, note 17.

[19] (1990), 68 D.L.R. (4th) 220 (C.A.F.).

[20] [1984] 2 C.F. 410 (C.A.).

[21] (1986), 7 F.T.R. 105 (C.F. 1re inst.).

[22] Supra, note 17.

[23] Supra, note 19.

[24] Supra, note 20.

[25] Supra, note 21.

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