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     A-228-98

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Brelco Drilling Ltd. (auparavant Trimac Limited) (intimée)

Répertorié: Canada c. Brelco Drilling Ltd. (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Linden et Sexton, J.C.A."Calgary, 25 janvier; Ottawa, 11 mai 1999.

Impôt sur le revenu " Calcul du revenu " Dividendes " Appel de la décision de la C.C.I. de ne pas tenir compte des pertes et autres charges de sociétés étrangères affiliées pour calculer le "revenu gagné ou réalisé" réputé aux termes de l'art. 55(2) de la LIR " La contribuable a reçu un dividende en espèces de 32 000 000 $, et l'a inclus dans le calcul de son revenu " Le dividende est réputé être un produit de disposition en vertu de l'art. 55(2) " Les gains non réalisés de certaines sociétés affiliées et sociétés étrangères affiliées ont été consolidés au sein de la société mère " Les sociétés affiliées avaient à la fois des revenus et des dettes " Les sociétés affiliées étrangères diminuent-elles le "revenu sauf" de la contribuable? " L'objet de l'art. 55 est d'empêcher le dépouillement de gains en capital et la double imposition " La C.C.I. n'a pas établi le revenu sauf en fonction des faits de l'affaire " L'art. 55(2) exige le calcul net de tous les montants qu'on pourrait raisonnablement attribuer à autre chose qu'à un revenu gagné ou réalisé par une société étrangère affiliée.

Interprétation des lois " Sens de l'art. 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu " En matière d'interprétation des lois, il faut adopter une approche contextuelle qui tient compte de l'objectif visé, à moins que le sens de la disposition ne soit clair et net " Lorsqu'il n'y a aucun doute quant au sens d'une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de l'objectif visé " L'art. 55 de la Loi n'a pas un sens clair et net " La Cour doit lui donner un sens raisonnable.

Il s'agit d'un appel d'une décision de la C.C.I. qui a accueilli l'appel de la contribuable au motif que rien ne l'obligeait à tenir compte des pertes de sociétés étrangères affiliées dans le calcul de son revenu sauf. En novembre 1989, l'intimée a reçu un dividende en espèces de 32 000 000 $ de Tricil Ltd. (Tricil), société dont elle détenait 50 p. 100 des actions, et elle a inclus cette somme dans ses revenus. Elle a par la suite vendu ses actions de Tricil à Laidlaw Inc. Tricil, une société canadienne, détenait 100 p. 100 des actions de Tricil Inc. (Inc.), société résidant aux États-Unis, qui était ainsi une société étrangère affiliée de Tricil aux fins des alinéas 55(5)d) et 93(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Inc. était propriétaire à 100 p. 100 de sept sociétés résidant aux États-Unis, les sociétés A, B, C, D, E, F et G. Les sociétés affiliées en cause avaient des revenus et des dettes (pertes). Le dividende de 32 000 000 $ avait notamment pour objet de diminuer sensiblement la part imposable du gain en capital non réalisé de l'intimée pour ses actions Tricil. L'intimée a donc appliqué le paragraphe 55(2) de la Loi aux dividendes en les considérant comme le produit de la disposition des actions. Dans son année d'imposition 1989, l'intimée a désigné la somme de 25 735 216 $ comme dividende distinct conformément à l'alinéa 55(5)f), considérant qu'il s'agissait là de la partie du gain en capital non réalisé relatif aux actions Tricil, vendues par l'intimée, qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à un revenu gagné ou réalisé. Le ministre a diminué le revenu sauf en mains que l'intimée pouvait utiliser à 23 149 721 $ en opérant une compensation entre les déficits exonérés des sociétés A, B, C, D, E et Inc., et les surplus exonérés des sociétés F et G. La décision du ministre a été infirmée par la Cour canadienne de l'impôt. Il s'agit de savoir si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant qu'aux fins du paragraphe 55(2) de la Loi, il n'est pas nécessaire de tenir compte des pertes et autres charges de sociétés étrangères affiliées pour calculer le "revenu gagné ou réalisé" réputé aux termes de cette disposition.

Arrêt (le juge Sexton, J.C.A., dissident): l'appel est accueilli.

Le juge Linden, J.C.A.: En interprétant la Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour doit adopter une approche contextuelle qui tient compte de l'objet même du texte, à moins que le sens de la disposition en cause ne soit clair et net. Lorsqu'il n'y a aucun doute quant au sens d'une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de son objet. Il y a de nombreux articles ambigus et peu clairs dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Parmi eux, l'article 55 est, à de nombreux endroits, ambigu, et son sens est loin d'être clair et net. Malgré ces complexités, la Cour doit faire de son mieux afin de donner à cette disposition un sens raisonnable.

Le paragraphe 55(2) de la Loi a été édicté par le législateur afin de contrecarrer le "dépouillement de gains en capital". Avant son adoption, les sociétés pouvaient, sans être imposées, réaliser des gains en capital provenant de sociétés qui leur étaient liées en s'arrangeant pour que ces sociétés leur versent des dividendes. Afin d'éviter la double imposition, le paragraphe 55(2) ne s'applique pas à un dividende (ou partie d'un dividende) qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à un revenu gagné par la société versant le dividende. Ce revenu, appelé "revenu sauf", doit être un revenu en mains. Dans la mesure où, pour déterminer le revenu sauf, le ministre adopte une démarche raisonnable, le paragraphe 55(2) s'applique. Le raisonnement adopté par le juge de la Cour de l'impôt, selon lequel les textes n'imposent pas que l'on tienne compte, dans le calcul du "revenu gagné ou réalisé", de déficits exonérés ou de tout autre coût ayant pour effet de diminuer le revenu sauf en mains, était donc défectueux. Le paragraphe 55(2) exige que le calcul du revenu sauf en mains se fasse en fonction des faits de chaque affaire. L'on n'a pas procédé ainsi dans cette affaire. Le juge de la Cour de l'impôt était tenu de dire qu'elle était, au vu des faits, la valeur véritable du revenu sauf en mains, ce qu'il n'a pas fait. Même en considérant que le juge de la Cour de l'impôt avait commis une erreur, la Cour ne pouvait retenir l'approche développée par l'appelante selon laquelle il y a lieu en l'espèce de prendre en compte l'ensemble des pertes puisqu'elles diminuent le revenu sauf du dividende intersociétés. Ce raisonnement était défectueux car il risquait de ne pas refléter la valeur effective des dividendes saufs. Pour savoir si le calcul retenu par Revenu Canada était raisonnable, la Cour de l'impôt devait se fonder sur des témoignage quant aux facteurs qui ont pour effet de diminuer ou non le revenu sauf en mains. La preuve n'a pas fait l'objet d'un tel examen.

Le juge Sexton, J.C.A. (dissident): Le juge de la Cour de l'impôt n'a commis aucune erreur en concluant que, selon le droit applicable, les déficits exonérés de sociétés étrangères affiliées ne doivent pas être déduits des surplus exonérés d'autres sociétés étrangères affiliées afin de diminuer le revenu sauf de la société mère. La Loi de l'impôt sur le revenu ne contient aucune disposition qui exige que les déficits exonérés soient pris en compte lors du calcul du "revenu gagné ou réalisé". Le revenu sauf gagné par la société mère ne peut dépasser la juste valeur marchande de celle-ci. Cela dit, l'acheteur peut tout simplement ignorer le fait que certaines des sociétés affiliées auraient subi des pertes. En l'absence de garantie ou de remboursement effectif par la société mère des pertes de ses sociétés affiliées, il est difficile d'imaginer un cas où les pertes des sociétés étrangères affiliées affecteraient le revenu sauf de la société mère. De plus, le ministre n'a pas démontré que les pertes avaient eu une incidence sur le revenu sauf de l'intimée. Si le législateur avait voulu que puisse être opérée une compensation entre les déficits d'une société affiliée et les surplus exonérés d'une autre, le texte de loi l'aurait certainement prévu. Or ce n'est pas le cas. C'est donc avec raison que le juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'il y a, au paragraphe 55(2), une "incertitude raisonnable découlant du manque de clarté de la loi qui doit jouer en faveur du contribuable".

L'idée de retrancher du gain en capital imposable le surplus exonéré d'une société étrangère affiliée se fonde sur la même raison que la non-imposition des dividendes intersociétés. L'article 55 a été conçu pour éviter qu'un gain en capital imposable ne devienne un dividende intersociétés non imposable. Une des principales raisons pour lesquelles le législateur a choisi, par le biais de l'alinéa 55(5)d), de considérer le surplus exonéré d'une société étrangère affiliée comme un revenu gagné aux fins du paragraphe 55(2), était d'éviter autant que possible la double imposition. Le fait que l'on permette au contribuable de considérer comme revenu sauf en mains l'intégralité du surplus exonéré montre que l'on reconnaît que toute autre imposition du surplus exonéré équivaut à une double imposition. Une interprétation équitable de l'article 55 de la Loi fait que les surplus provenant d'une société étrangère affiliée ne devraient pas être consolidés avec les pertes d'une autre société étrangère affiliée. Cette interprétation est fondée sur de solides motifs de politique fiscale, puisqu'elle contribue à un but important de la Loi en minimisant la double imposition. Le ministre n'a pas allégué les faits permettant de justifier la nouvelle cotisation. Il n'a pas invoqué de faits alléguant que les pertes des sociétés étrangères affiliées ont eu une incidence sur le revenu sauf de la société mère. En ne démontrant pas cela, il lui manque un élément essentiel à la validité de la nouvelle cotisation. Le dossier ne contenait aucun élément démontrant ou suggérant que les pertes ou déficits des sociétés affiliées A, B, C, D, E et Inc. ont fait, de la part de l'intimée, l'objet d'une garantie. Il était loisible au ministre de plaider les faits nécessaires lors de l'instruction. Il a choisi de ne pas le faire. Il serait injuste envers le contribuable d'accorder maintenant au ministre une deuxième occasion de démontrer le bien-fondé de la nouvelle cotisation.

    lois et règlements

        Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20.

        Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 55(3.1) (mod. par L.C. 1995, ch. 3, art. 16), (3.2) (mod. idem), (4) (mod. idem).

        Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 55(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 25), a) (mod. par S.C. 1984, ch. 45, art. 15), b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24), c) (mod. idem), (3) (mod. idem; 1984, ch. 45, art. 15), (4) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24), (5) (mod., idem; 1988, ch. 55, art. 33), 93(1)a) (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 69), 112(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71), (2) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 72), 113(1) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, art. 76), 138(6) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 68; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 79; 1988, ch. 55, art. 125).

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963; (1996), 184 A.R. 1; 133 D.L.R. (4th) 609; [1996] 5 W.W.R. 153; 38 Alta. L.R. (3d) 1; 39 C.B.R. (3d) 157; [1996] 1 C.T.C. 395; 96 DTC 6245; 196 N.R. 105; 11 P.P.S.A.C. (2d) 1; 122 W.A.C. 1; Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279; [1998] 1 C.T.C. 33; (1996), 97 DTC 5051; 206 N.R. 386 (C.A.); Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780; [1997] 1 C.T.C. 72; (1996), 96 DTC 6562 (C.A.).

        décisions examinées:

        Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; J.F. Newton Ltd. v. Thorne Riddell (1990), 50 B.L.R. 136; [1991] 2 C.T.C. 91; 91 DTC 5276 (C.S. C.-B.); Administration Gilles Leclair Inc. c. R., [1997] 3 C.T.C. 3053; (1996), 97 DTC 880 (C.C.I.); del Valle (D.) c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2288; (1986), 86 DTC 1235 (C.C.I.).

        décisions citées:

        Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46; (1985), 21 D.L.R. (4th) 210; [1985] 2 C.T.C. 111; 85 DTC 5373; 60 N.R. 244; Trico Industries Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 2058; (1994), 94 DTC 1740 (C.C.I.); Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802; (1995), 125 D.L.R. (4th) 485; [1995] 2 C.T.C. 64; 95 DTC 5389; 97 F.T.R. 159; 183 N.R. 124.

    doctrine

        Arnold, Brian J. "Statutory Interpretation: Some Thoughts on Plain Meaning", dans 50e Conférence annuelle sur la fiscalité , Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1998. (En cours de publication.)

        Brender, Mark D. "The Taxation of Corporate Reor-ganizations: Subsection 55(2): Part 2" (1997), 45 Rev. fisc. can. 806.

        Canadian Tax Reporter, Don Mills (Ont.): CCH Canadian Ltd., par. 7986.

        Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

        Hogg, Peter W. et J. E. Magee. Principles of Canadian Income Tax Law. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.

        "Interpreting the Income Tax Act : Towards a Pragmatic Approach", 1999. (Étude non publiée.)

        Reed, Robert. "Section 55: A Review of Current Issues" dans Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference . Toronto: Canadian Tax Foundation, 1988.

        Richter, Kirsten. "The removal of accrued gains in capital stock holdings through use of "safe income"" (1991), 39 Rev. fisc. can. 1349.

        Stikeman, H. Heward. Canada Tax Service, vol. 5, Toronto: De Boo, à la p. 55-125.

APPEL interjeté contre une décision de la Cour canadienne de l'impôt ([1998] 3 C.T.C. 2208; (1998), 98 DTC 1422), selon laquelle il était inutile de tenir compte, aux fins du paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des pertes et autres charges de sociétés affiliées étrangères en calculant le "revenu gagné réalisé" réputé aux termes de cette disposition. Appel accueilli.

    ont comparu:

    Roger E. Taylor pour l'appelante.

    H. George McKenzie, c.r., pour l'intimée.

    avocats inscrits au dossier:

    Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

    Felesky Flynn, Calgary, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.:

I.  Introduction

Le présent appel a trait à l'une des dispositions les plus complexes de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, modifiée (LIR). Il s'agit de savoir si le juge de la Cour de l'impôt [[1998] 3 C.T.C. 2208] a commis une erreur de droit quand il a conclu qu'aux fins du paragraphe 55(2) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; ch. 140, art. 25; 1984, ch. 45, art. 15] de la LIR, il n'est pas nécessaire de tenir compte des pertes et autres charges de sociétés étrangères affiliées pour calculer le "revenu gagné ou réalisé" réputé aux termes de l'article 55 de la LIR.

II.  Interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu

La Cour suprême du Canada a eu, à de nombreuses reprises, l'occasion de se pencher sur la manière dont il convient d'interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu, affirmant qu'en matière d'interprétation des lois, la Cour doit adopter une approche contextuelle qui tient compte de l'objet même du texte à moins que le sens de la disposition en cause ne soit clair et net. Dans l'arrêt faisant autorité, Stubart Investments Ltd. c. La Reine1, le juge Estey s'est appuyé sur ce passage tiré de l'ouvrage de E. A. Driedger2:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Malgré les propos parfois déroutants ou contradictoires relevés dans la jurisprudence, l'interprétation des termes de la Loi pris dans leur contexte global est encore la bonne façon d'aborder la LIR, chaque fois que le sens des termes n'est pas "clair et net"3. Dans l'arrêt Canada c. Antosko, le juge Iacobucci a déclaré au nom d'une Cour unanime que, si le sens des mots est "clair et net", c'est lui qui s'impose, mais il convient, s'il n'en est pas ainsi, de se pencher sur le contexte des termes en question ainsi que sur l'objet même du texte:

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l'impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu'ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l'effet juridique et pratique de l'opération est incontesté4.

Malheureusement, il est rarement facile de saisir le sens précis d'une disposition de la LIR. Dans l'arrêt Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., le juge Cory a écrit au nom de la Cour suprême à la majorité:

J'accepte les commentaires suivants qui ont été faits à l'égard de l'arrêt Antosko dans l'ouvrage de P. W. Hogg et J. E. Magee, intitulé Principles of Canadian Income Tax Law [. . .] aux pp. 453 et 454:

    [traduction] La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions tacites tirées de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition [. . .] (L'arrêt Antosko) ne fait que reconnaître que "l'objet" ne peut jouer qu'un rôle limité dans l'interprétation d'une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'une disposition est rédigée dans des termes précis qui n'engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet. Ce n'est que lorsque le libellé de la loi engendre un certain doute ou une certaine ambiguïté, quant à son application aux faits, qu'il est utile de recourir à l'objet de la disposition.

En conséquence, lorsqu'il n'y a aucun doute quant au sens d'une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de son objet. Je reconnais que des juristes habiles pourraient probablement déceler une ambiguïté dans une demande aussi simple que "fermez la porte, s'il vous plaît", et très certainement même dans le plus court et le plus clair des dix commandements. Cependant, l'historique même de la présente affaire, conjugué aux divergences évidentes d'opinions entre les juges de première instance et la Cour d'appel de l'Alberta, révèle que, pour des juristes doués et expérimentés, ni le sens de la mesure législative ni son application aux faits ne sont clairs. Il semblerait donc convenir d'examiner l'objet de la mesure législative. Même si l'ambiguïté n'était pas apparente, il importe de signaler qu'il convient toujours d'examiner "l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur" pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en cause5 . [Référence omises.]

Les directives de la Cour suprême sont claires: les tribunaux ne doivent pas modifier la formulation adoptée par le législateur, mais cette Loi"qui compte plus de 1 000 pages de texte imprimé en touts petits caractères"contient de nombreuses dispositions ambiguës ou peu claires. En pareil cas, les tribunaux ne peuvent pas renoncer à leur rôle d'interprètes de la loi et ils doivent examiner le contexte et l'objet du texte afin de donner à la disposition en cause un sens qui soit juste, s'ils peuvent le faire.

III.  L'article 55 de la LIR

L'article 55, qui compte quelque 5 000 mots est, à de nombreux endroits, ambigu, et on ne saurait prétendre que son sens est "clair et net". En première instance, le juge de la Cour de l'impôt l'a décrit en ces termes:

Dans l'affaire qui nous intéresse, la Cour a dû s'aventurer dans des domaines où des professionnels aguerris reculent avec une horreur qui est loin d'être feinte devant la simple possibilité d'être exposés au bourbier législatif et réglementaire se rapportant à l'article 55 et aux dispositions du Règlement de l'impôt sur le revenu relatives aux filiales étrangères6.

Dans une autre affaire7, le juge Finch de la Cour suprême de la Colombie-Britannique s'est plaint des difficultés que soulève l'article 55, s'exprimant en ces termes:

[traduction] J'ai peine à imaginer comment l'on pourrait prétendre qu'un tel langage se prête à l'entendement, ou qu'il est susceptible de s'appliquer effectivement aux réalités de la vie quotidienne, par exemple à la vente d'une entreprise ou d'un commerce.

Malgré ces complexités, la Cour doit faire de son mieux afin de donner à cette disposition un sens raisonnable. Dans l'article 55, la disposition la plus importante est le paragraphe 55(2), rédigé en ces termes:

55. [. . .]

(2) Lorsqu'une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements (sauf comme partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l'un des objets (ou, dans le cas d'un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l'un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements visés à l'alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l'exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l'impôt en vertu de la Partie IV qui n'est pas remboursé en raison du paiement d'un dividende à une corporation lorsqu'un tel paiement fait partie de la série d'opérations ou d'événements)

    a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

    b) lorsqu'une corporation a disposé de l'action, est réputé être le produit de la disposition de l'action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

    c) lorsqu'une corporation n'a pas disposé de l'action, est réputé être un gain de la corporation pour l'année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d'un bien en immobilisation.

Cette disposition a été édictée par le législateur afin de contrecarrer le "dépouillement de gains en capital"8. Avant son adoption, les sociétés pouvaient, sans être imposées, réaliser des gains en capital provenant de sociétés qui leur étaient liées en s'arrangeant pour que ces sociétés leur versent des dividendes. Des dispositions telles que l'article 113 [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 73] de la LIR permettaient d'éviter que ces dividendes soient imposés9. Avant, les sociétés procédaient au dépouillement de certains gains en capital, réalisant en fait des gains en capital provenant de sociétés affiliées mais échappant à l'impôt. Cette manière de procéder était destinée non pas à éviter la double imposition mais à éviter tout impôt sur des sommes qui n'avaient pas été imposées au départ. On trouve, dans un manuel destiné aux praticiens, deux exemples permettant de décrire ce dépouillement de gains en capital:

[traduction] C'est ainsi que, avant l'adoption du paragraphe 55(2), une société qui entendait vendre les actions qu'elle détenait dans une autre société, pouvait d'abord toucher un dividende non imposable. Puis, elle vendait ses actions à un prix qu'elle amputait du montant du dividende, ce qui avait pour effet de réduire le gain en capital qui aurait été réalisé si la vente s'était faite sans déclaration de dividende. Un vendeur pouvait également éviter la réalisation de gains en capital provenant d'autres biens qu'il possédait en transférant la propriété à la société acheteuse en vertu du choix autorisé par le paragraphe 85(1) et en recevant en échange des actions privilégiées dont le prix de rachat était égal à la valeur des biens transférés mais avec un faible capital versé. Le gros du produit provenant du rachat des actions était réputé être un dividende non imposable aux mains de la société10.

Afin d'empêcher le dépouillement des gains en capital, le paragraphe 55(2) attribue certains gains en capital non réalisés à la société touchant des dividendes par ailleurs libres d'impôt. Plus précisément, en raison du paragraphe 55(2), sont réputées gains en capital certaines sommes qu'une société touche au titre de dividendes par ailleurs libres d'impôt. Voici en quels termes la Cour a décrit le jeu du paragraphe 55(2):

[. . .] s'il peut être démontré que la totalité du dividende est attribuable à un revenu sauf ou fait intégralement partie de ce revenu, le paragraphe 55(2) n'est pas applicable. Toutefois, si une fraction du dividende ou du gain en capital est attribuable à autre chose qu'au revenu sauf, alors la totalité de la somme reçue par la société est réputée ne pas être un dividende11.

D'après moi, voici les conditions prévues par le paragraphe 55(2):

    a) Le contribuable doit être une société résidant au Canada.

    b) Le contribuable doit recevoir un dividende imposable à laquelle s'appliquent certaines déductions (les paragraphes 112(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71], (2) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 72], ou 138(6) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 68; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 79; 1988, ch. 55, art. 125]).

    c) Le dividende reçu doit s'inscrire dans le cadre d'une opération ou d'une série d'opérations.

    d) Cette opération doit notamment avoir pour objet de diminuer sensiblement les gains en capital qui seraient réalisés si l'action avait été vendue par la société bénéficiaire juste avant l'attribution du dividende.

    e) Cette partie du gain en capital qui peut raisonnablement être attribuée à autre chose qu'un "revenu gagné ou réalisé" est imputée à la société en tant que gain en capital12 .

Les termes essentiels du paragraphe 55(2) sont les suivants:

55. [. . .]

(2) Lorsqu' une corporation résidant au Canada a reçu [. . .] un dividende imposable [. . .] dont l'un des objets [. . .] a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation [. . .] [Non souligné dans l'original.]

En raison de cette formulation, et afin d'éviter la double imposition, le paragraphe 55(2) ne s'applique pas à un dividende (ou partie d'un dividende) qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à un revenu gagné par la société versant le dividende. Ce revenu est familièrement appelé "revenu sauf" ou "revenu à l'abri"13. Plus le "revenu à l'abri" que détient la société attribuant le dividende est important, plus la société peut attribuer un gros dividende non imposable.

Selon Revenu Canada, pour que ce revenu soit "sauf" il faut qu'il s'agisse d'un revenu "en mains". Dans l'affaire Placer Dome , précitée, la Cour a expressément retenu la thèse de Revenu Canada, selon laquelle un revenu sauf doit être un revenu "en mains". Se prononçant au nom d'une formation unanime de la Cour, le juge Robertson s'est exprimé en ces termes:

Il est acquis aux débats que le paragraphe 55(2) ne s'applique pas aux dividendes qui sont entièrement attribuables au revenu gagné par Falconbridge après 1971 ou à ce qu'on appelle dans les milieux fiscaux le "revenu à l'abri". La somme qui peut être versée sous forme de dividendes sans aller à l'encontre du paragraphe 55(2) est appelée familièrement "dividende à l'abri", et elle peut être payée dans la mesure où la société a un revenu sûr en mains immédiatement avant de verser le dividende14. [Non souligné dans l'original.]

Dans l'arrêt Walnut Investments, précité, la Cour a expressément retenu la manière dont Revenu Canada avait évalué le "revenu sauf". Le juge Robertson s'est exprimé en ces termes au nom de la Cour d'appel:

Le paragraphe 55(2) s'applique lorsqu'un dividende a pour effet de réduire de façon significative un gain en capital qui pourrait raisonnablement être considéré comme étant attribuable à autre chose qu'au revenu sauf. Par conséquent, en supposant que les autres exigences de cette disposition sont réunies, et que la méthode adoptée par le ministre pour la répartition du revenu sauf est raisonnable, le paragraphe 55(2) devrait s'appliquer abstraction faite du caractère tout aussi raisonnable de la méthode choisie par Nassau15. [Non souligné dans l'original.]

C'est au contribuable qui souhaite ne pas se voir appliquer le paragraphe 55(2) qu'il incombe "d'établir que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s'applique pas"16, autrement dit, il doit démontrer que les dividendes versés avaient été prélevés sur un "revenu sauf", ce qui exige que l'on calcule le montant des fonds en mains sur lesquels a été prélevé le dividende. En cela, le cas ne diffère guère d'autres situations fiscales: le ministre établit une nouvelle cotisation du contribuable et, pour ce faire, énonce une série d'hypothèses factuelles. Il appartient alors au contribuable de réfuter ces hypothèses en s'appuyant lui-même sur les faits, ou bien de démontrer que les hypothèses du ministre n'entraînent pas, sur le plan juridique, les conséquences dont fait état le ministre.

Afin de faciliter l'interprétation du paragraphe 55(2), le législateur a édicté les paragraphes 55(3) [mod par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; 1984, ch. 45, art. 15] à 55(5) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; 1988, ch. 55, art. 33]. L'alinéa 55(3)a) dispense de l'application du paragraphe 55(2) les dividendes qui sont véritablement des dividendes intrasociété. L'alinéa 55(3)b) et les paragraphes 55(3.1) [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (mod. par L.C. 1995, ch. 3, art. 16)] et 55(3.2) [mod., idem] prévoient la manière dont le paragraphe 55(2) s'applique à ce que l'on pourrait appeler des réorganisations "papillon". Heureusement, ces dispositions complexes ne s'appliquent guère en l'espèce. Le paragraphe 55(4) [mod., idem ] est une autre disposition anti-évitement. Elle prévoit que:

55. [. . .]

(4) Pour l'application du présent article, lorsqu'il est raisonnable de considérer que l'un des principaux motifs d'événements ou d'opérations consiste à faire en sorte que des personnes deviennent liées entre elles ou qu'une société en contrôle une autre, de façon que le paragraphe (2) ne s'appliquerait pas, n'eût été le présent paragraphe, à un dividende, ce lien et ce contrôle sont réputés ne pas exister.

Ainsi, lorsque des sociétés se livrent à des opérations visant à les faire passer pour des sociétés liées (ou pour le devenir effectivement) afin d'échapper à l'application du paragraphe 55(2), les sociétés en question sont réputées ne pas êtres liées. Cette disposition n'est pas directement pertinente en l'espèce, mais elle donne néanmoins une certaine idée de l'étendue et de la souplesse que le législateur a entendu donner au mécanisme anti-évitement de l'article 55.

Le paragraphe 55(5) énonce un certain nombre de règles pour calculer le montant du revenu sauf. C'est, plus précisément, l'alinéa 55(5)d) qui prévoit les règles permettant de calculer le montant du revenu sauf provenant de sociétés étrangères affiliées. Cette disposition prévoit que:

55. [. . .]

(5) Aux fins du présent article,

    [. . .]

    d) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à une date où elle était une corporation étrangère affiliée d'une autre corporation est réputé être le total de la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l'alinéa 113(1)a) et la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l'alinéa 113(1)b) si celle-ci

        (i) était propriétaire de toutes les actions du capital-actions de la corporation étrangère affiliée immédiatement avant cette date,

        (ii) avait disposé à cette date de toutes les actions visées au sous-alinéa (i) en contrepartie d'un produit de disposition égal à leur juste valeur marchande à cette date, et

        (iii) avait fait un choix en vertu du paragraphe 93(1) relativement au montant global du produit de disposition visé au sous-alinéa (ii);

Réduite à sa plus simple expression, la thèse de l'intimée est que l'alinéa 55(5)d) édicte pour le calcul du revenu sauf d'une société étrangère affiliée, un code qui est complet.

IV.  Les faits

Devant la Cour de l'impôt, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, que le juge de la Cour de l'impôt a admis et résumé sous la forme suivante:

Le 29 novembre 1989, l'appelante a reçu de Tricil des dividendes en espèces de 32 000 000 $, qu'elle a inclus dans le calcul de son revenu. Elle a appliqué le paragraphe 55(2) à l'égard de ces dividendes, avec pour conséquence que ceux-ci ont été réputés être un produit de disposition. Elle a soustrait du gain en capital réputé qui en est résulté le montant du "revenu sauf" qu'elle avait calculé. L'appelante avait subi des pertes dans le cadre d'autres activités dans l'année d'imposition en question, et elle a fait valoir en fin de compte qu'elle avait subi, pour l'année en question, une perte autre qu'une perte en capital.

Le 29 décembre 1989, l'appelante a vendu la totalité de ses actions de Tricil à Laidlaw Inc.

En 1995, à la demande de l'appelante, la ministre a établi un avis de détermination d'une perte. Il a déterminé que la perte était inférieure au montant que l'appelante avait déduit, la différence étant directement liée au montant du "revenu sauf" qui pouvait être utilisé pour réduire le gain en capital.

À la fin de leur année d'imposition se terminant avant le 30 novembre 1989, les compagnies Inc., A, B, C, D et E [filiales de Tricil, Inc.] avaient toutes un "déficit exonéré" au sens où cette expression est utilisée dans la Loi . B, C, D et E ont toutes subi des pertes entre leur dernière année d'imposition précédente et le 29 novembre 1989.

À la fin de leur année d'imposition se terminant avant le 30 novembre 1989, F et G [filiales de Tricil, Inc.] avaient toutes deux un surplus exonéré au sens où cette expression est entendue dans la Loi.

L'appelante a déterminé que son "revenu sauf" était de 25 735 216 $; elle a déduit ce montant du gain en capital réputé en vertu du paragraphe 55(2). Le ministre

    [traduction] a déterminé que la partie du dividende versé par Tricil à Trimac qui pouvait raisonnablement être considérée comme étant attribuable au revenu gagné ou réalisé par Tricil et ses filiales après 1971 (ci-après appelé le "revenu sauf") [. . .] s'élevait à 23 149 721 $, ce qui représente un écart de 2 585 495 $.

Le montant de 1 723 672 $ a donc été ajouté au gain en capital imposable de l'appelante, et la perte autre que la perte en capital qu'elle avait subie a été réduite du même montant.

Le ministre a effectué une analyse du calcul du revenu sauf de l'appelante, laquelle a été jointe en annexe à l'exposé conjoint des faits [. . .] D'après cette analyse, en ce qui concerne Tricil, les montants de 9 026 833 $ et de 2 845 896 $ totalisent 12 776 622 $. Les parties conviennent que le total des deux montants en question devrait être de 11 872 729 $. Par conséquent, la moitié de la différence de 903 893 $ qui en résulte au titre du "revenu sauf" devrait réduire la part de l'appelante de 451 946 $. Il a été convenu que, si l'appelante obtenait gain de cause dans l'appel en l'instance, cette erreur de calcul serait corrigée, ce qui donnerait lieu à une réduction du "revenu sauf" de l'appelante. Si, toutefois, l'appelante est déboutée, l'erreur de calcul ne sera pas corrigée puisqu'il en résulterait une hausse du montant payable par l'appelante selon la Cour.

Selon le calcul de l'intimée, le "revenu sauf" de l'appelante est réduit du montant des déficits exonérés de Inc., A, B, C, D et E. L'appelante soutient que les déficits exonérés ne doivent pas être "déduits" des surplus exonérés de F et de G. L'intimée soutient que tous les déficits exonérés doivent être ainsi "déduits"17. [Les notes en bas de page ne sont pas reproduites ici.]

Les faits essentiels de cette affaire sont donc très simples. Dans l'année d'imposition 1991, Brelco (auparavant Trimac) a fait une opération en vertu de laquelle le gain non réalisé de certaines sociétés affiliées, notamment des sociétés étrangères affiliées, a été consolidé au sein de Brelco, la société mère. Les sociétés affiliées en question avaient à la fois des revenus et des dettes (pertes). L'alinéa 55(5)d) de la LIR, une disposition déterminative qui fixe les règles concernant les niveaux de revenu de sociétés étrangères affiliées aux fins du calcul du revenu sauf (aux termes du paragraphe 55(2)), ne prend pas en compte, à première vue, les pertes subies par une société étrangère affiliée. Le ministre a néanmoins estimé que les pertes de la société étrangère affiliée avaient pour effet de diminuer le montant des fonds en mains à partir desquels la société affiliée pouvait déclarer et verser un dividende, et devaient donc être prises en compte aux fins du paragraphe 55(2) de la LIR. Brelco a fait appel devant la Cour canadienne de l'impôt.

Après un examen approfondi des faits et des thèses développées par les partis, le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'argument avancé par le gouvernement, selon lequel les dispositions du paragraphe 55(2) exigeaient que le contribuable calcule l'intégralité du revenu qui n'était pas attribuable à un revenu gagné ou réalisé par la société affiliée. Il a plus précisément estimé que, l'alinéa 55(5)d) prévoyant expressément les calculs permettant de connaître le revenu gagné ou réalisé par la société affiliée, il n'y avait pas lieu, pour des fiscalistes du monde universitaire ou de l'administration, de se livrer à des conjectures quant aux autres facteurs qui pourraient éventuellement servir aux calculs prévus au paragraphe 55(5). Il a conclu que le recours à de tels facteurs afin de calculer le revenu sauf visait à donner un sens à une loi "qui en manque grandement"18, considérant que cet effort pour interpréter le texte tendait à une reformulation de la disposition en cause.

V.  Thèse de l'appelante

Revenue Canada affirme que si une société étrangère affiliée doit des impôts ou en paye, doit des dividendes, en verse, ou subit une perte d'exploitation, ces charges vont, par la force des choses, réduire le "revenu gagné ou réalisé" étant donné que ce sont des sommes perdues, c'est-à-dire des sommes qui ne sont plus en mains pour servir à verser des dividendes. Inclure ces sommes dans le revenu gagné ou réalisé a pour effet de surévaluer l'argent en mains et donc de grossir à tort le montant potentiel des dividendes non imposables.

L'appelante fait par ailleurs valoir qu'en raison du paragraphe 55(2), il incombe à la Cour de l'impôt de dire quelle est la partie du gain en capital non réalisé qu'il serait "raisonnable de considérer comme étant attribuable" au revenu gagné ou réalisé des sociétés étrangères affiliées de Brelco. L'appelante prétend que le législateur a expressément donné à ces dispositions une formulation suffisamment large pour assurer que la Cour de l'impôt ne pêchera pas par excès de subtilité lorsqu'il s'agit de dire ce qui doit entrer dans le calcul du revenu sauf.

L'appelante affirme également que lorsque le législateur a opté pour la formule "qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à " il a ouvert au ministre la possibilité d'imposer le contribuable sur la base d'un calcul raisonnable du revenu sauf. En l'espèce, il était, selon elle, raisonnable de la part de Revenu Canada de soustraire du revenu sauf des sociétés étrangères affiliées, les pertes de ces dernières.

VI.  Thèse de l'intimée

L'intimée estime, pour sa part, que si le législateur avait entendu réduire le montant du revenu gagné ou réalisé par des sociétés étrangères affiliées, afin de tenir compte des impôts ou dividendes versés, ou des pertes subies, il l'aurait fait expressément. L'intimée estime que le paragraphe 55(5) prévoit explicitement quel est le calcul du revenu à retenir aux fins du paragraphe 55(2). L'intimée estime que l'on ne peut rien trouver dans la loi qui permette à l'appelante d'affirmer que le membre de phrase "qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable" offre au ministre la possibilité de déterminer le montant du revenu sauf pourvu que son calcul soit raisonnable.

De plus, selon l'intimée, le juge de la Cour de l'impôt a en fait conclu qu'il n'y avait aucun rapport entre les pertes des sociétés étrangères affiliées et le gain en capital réalisé par Brelco en ce qui concerne les actions qu'elle détenait dans sa société affiliée.

Et enfin, l'intimée prétend qu'en l'espèce il ne peut être ni démontré ni présumé que les pertes des sociétés étrangères affiliées étaient liées aux surplus des sociétés étrangères affiliées ou que ces pertes auraient eu pour effet de diminuer le rendement ou le prix des actions de Brelco. Celle-ci affirme que, pour l'évaluation d'un bien, on ne tient compte des pertes que dans la mesure où elles ont contribué à une baisse de la valeur des actions.

VII.  Analyse

Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que, dans la mesure où la loi ne comprend aucune disposition exigeant que les pertes soient prises en compte pour le calcul du "revenu gagné ou réalisé" aux fins du paragraphe 55(2), il n'y a pas lieu de tenir compte de ces pertes. Je crois savoir que s'il a conclu ainsi, c'est surtout parce que, d'après lui, la thèse avancée par Revenu Canada ne se justifie pas au regard du sens évident du paragraphe 55(2). Ce n'est pas mon avis.

En ce qui concerne l'application du paragraphe 55(2), j'estime que la question a déjà été réglée. Ainsi que nous l'avons relevé plus haut, la Cour a, dans deux arrêts récents, admis à l'unanimité que par "revenu sauf" on entend "revenu sauf en mains". Par deux fois une formation de la Cour a déclaré qu'un revenu sauf est le fruit d'un calcul net. Dans un de ces arrêts, l'arrêt Walnut Investments , précité, une formation de la Cour a expressément admis à l'unanimité que dans la mesure où, pour déterminer le revenu sauf, le ministre adopte une démarche raisonnable, le paragraphe 55(2) s'applique. La Cour n'a aucune raison de s'écarter de cette jurisprudence. Le raisonnement adopté par le juge de la Cour de l'impôt, selon lequel les textes n'imposent pas que l'on tienne compte, dans le calcul du "revenu gagné ou réalisé", de déficits exonérés ou de tout autre coût ayant pour effet de diminuer le revenu sauf en mains, est donc défectueux.

Le paragraphe 55(2) n'est pas clair et précis. Lorsque les termes d'une disposition sont difficiles à comprendre, comme c'est le cas en l'occurrence, les tribunaux doivent se pencher sur le contexte et sur l'objet de la disposition en question. C'est ce que la Cour a fait dans les arrêts Placer Dome et Walnut Investments, précités. Ce serait une erreur de s'écarter de ce principe maintenant. Même si l'application des mots en question peut se révéler difficile dans un cas donné, les tribunaux ne peuvent tout de même pas démissionner devant la difficulté. Ils doivent évaluer, en fonction des faits, la valeur du revenu sauf en mains. La tâche est difficile mais non impossible.

Mes conclusions sont appuyées par la doctrine qui admet à l'unanimité que le paragraphe 55(2) impose le calcul du revenu sauf en mains, et non pas, plus généralement, du revenu exonéré. On entend par "revenu sauf en mains" cette partie du revenu sauf d'une action que l'on peut raisonnablement considérer comme contribuant au gain en capital que procure cette action. Il s'agit, par définition, d'un calcul net qui commence avec le revenu réputé du paragraphe 55(5), mais qui ne s'y limite pas. Dans un article persuasif, un fiscaliste affirme que le gouvernement interprète de manière trop large la notion de revenu sauf en mains:

[traduction] Les impôts sur le revenu, les dividendes déclarés mais non versés, et les dépenses dont la déduction n'a pas été admise, bien qu'ils ne soient pas déductibles dans le calcul du revenu sauf, ne sauraient, d'une manière générale, être considérés comme contribuant au rendement des actions de la société étant donné qu'il s'agit de sommes qui ont été soit déboursées, soit provisionnées afin de s'acquitter d'une obligation de la société. Dans un même ordre d'idées, selon Revenu Canada, les dépenses qui ne sont pas déductibles aux fins de l'impôt et les pertes subies au cours de la période en question ont également pour effet de diminuer le revenu sauf étant donné qu'il s'agit de sommes qui ne peuvent jamais être "en mains" et donc contribuer aux gains tirés des actions de la société19 .

Le même auteur estime, ensuite, que les pertes d'une société affiliée ne doivent entrer dans le calcul du revenu sauf que si la société mère est responsable des pertes, c'est-à-dire en garantit le remboursement20. Alors que d'autres auteurs confirment21, ou critiquent22, la manière dont le gouvernement choisit les facteurs entrant dans le calcul du "revenu sauf" aux fins du paragraphe 55(2), s'agissant des facteurs contribuant au revenu sauf, les universitaires et les juges s'entendent pour dire que le paragraphe 55(2) exige que le calcul du revenu sauf en mains se fasse en fonction des faits de chaque affaire. Je regrette de dire que l'on n'a pas procédé ainsi dans cette affaire.

La Cour a expliqué que l'article 55 vise à prévenir le dépouillement de gains en capital. Cet objet n'est pas antinomique au dessein d'éviter la double imposition. Au contraire, cette disposition a été édictée afin d'éviter le recours abusif à la disposition visant expressément à éviter la double imposition. Au vu d'un calcul du revenu sauf fondé sur des éléments factuels précis, un tribunal peut déterminer le montant qui, compte tenu des faits de la cause, correspond au revenu sauf en mains23. Faute de preuve concernant les facteurs qu'il serait raisonnable de considérer comme contribuant au volet gain en capital d'un dividende attribué, une société pourrait bien détourner impunément le but même de l'article 55 qui est de contrer les opérations d'évitement, ou bien Revenu Canada pourrait inclure à tort certains facteurs dans le calcul du revenu sauf en mains. En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas entrepris la tâche consistant à déterminer, compte tenu des faits de la cause, le montant du revenu sauf. C'était, en toute déférence, une erreur de procéder ainsi. Bien qu'il ait eu raison d'admettre l'exposé conjoint des faits, le juge de la Cour de l'impôt était tout de même tenu de dire quelle était, au vu de ces faits, la valeur véritable du revenu sauf en mains.

Je ne suis pas convaincu que l'alinéa 55(5)d), déja reproduit, constitue un code complet régissant le calcul du revenu sauf en mains en ce qui concerne les dividendes versés par des sociétés étrangères affiliées. Il y a pour cela deux raisons. D'abord, en interprétant ainsi le paragraphe 55(5), on sépare la disposition de son objet premier et on ouvre la porte au dépouillement de gains en capital"manœuvre que l'article 55 avait précisément pour but d'empêcher"chaque fois qu'une société étrangère affiliée procure un gain en capital.

Deuxièmement, la manière dont est formulée la disposition essentielle de cet article, le paragraphe 55(2), est censée lui ouvrir un champ d'action plus large que celui que propose l'intimée. Le paragraphe 55(2) s'applique à:

55. [. . .]

(2) [. . .] la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation [. . .] [Non souligné dans l'original.]

Le paragraphe 55(2) s'applique à "une corporation". Si le législateur avait voulu qu'elle s'applique à "toute corporation  sauf une corporation étrangère affiliée", il l'aurait précisé. Le paragraphe 55(2) entend clairement prévenir tout dépouillement de gains en capital et non pas seulement le dépouillement de gains en capital auxquels pourraient procéder des sociétés liées résidant au Canada. D'ailleurs, cette disposition s'applique aux gains en capital qui pourraient raisonnablement être considérés comme étant attribuables à tout ce qui n'est pas revenu gagné ou réalisé. Cela oblige de procéder au tri de tous les facteurs censés affecter le revenu sauf en mains. S'agissant d'une société étrangère affiliée, le calcul prévu à l'alinéa 55(5)d) représente le début du processus et les montants pouvant être déduits en vertu des alinéas 113(1)a) et 113(1)b) sont réputés correspondre à un revenu gagné ou réalisé par une société. Cette présomption n'est pas en elle-même le dernier mot de l'affaire. En effet, le paragraphe 55(2) exige un calcul net de tous les montants qui pourraient raisonnablement être considérés comme étant attribuables à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé par une société étrangère affiliée.

Même si j'estime que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur, je ne saurais retenir l'approche développée par l'appelante selon laquelle il y a lieu en l'espèce de prendre en compte l'ensemble des pertes puisqu'elles diminuent le revenu sauf du dividende intersociétés. Ce raisonnement est défectueux car il risque de ne pas refléter la valeur effective des dividendes saufs. Pour savoir si le calcul retenu par Revenu Canada est raisonnable, la Cour de l'impôt doit se fonder sur des témoignages quant aux facteurs qui ont effectivement pour effet de diminuer ou non le revenu sauf en mains. La Cour de l'impôt doit examiner les hypothèses du ministre et décider si elles fondent effectivement un calcul raisonnable du revenu sauf. Dans cette tâche, les parties feront sans doute appel à des témoignages d'experts ainsi qu'à divers autres éléments de preuve concernant le caractère raisonnable de la manière dont Revenu Canada a calculé le revenu sauf. Dans cette affaire, la preuve n'a pas fait l'objet d'un tel examen. La Cour n'est pas en mesure de dire quel est ou n'est pas le bon moyen de calculer le revenu sauf en mains faute d'élément de preuve concernant l'effet que peuvent effectivement avoir les divers facteurs invoqués aussi bien par Sa Majesté que par le contribuable.

Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel avec dépens en faveur de l'appelante, d'infirmer la décision dont il est fait appel et de renvoyer l'affaire devant la Cour canadienne de l'impôt qui devra déterminer, en fonction des faits de cette affaire, la valeur véritable du "revenu sauf en mains". La partie du gain en capital qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé pourra ainsi être fixée, après quoi il sera possible de calculer le juste montant des dividendes nets d'impôt et du gain en capital réputé, s'il y en a.

Le juge en chef Isaac: Je partage cet avis.

    * * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A (dissident): J'ai lu dans leur version préliminaire les motifs exposés par le juge Linden et, en toute déférence, je ne pense pas qu'il y ait lieu de renvoyer l'affaire devant le juge de la Cour de l'impôt. J'estime que le juge de la Cour de l'impôt n'a commis aucune erreur en concluant que, selon le droit applicable, les déficits exonérés de sociétés étrangères affiliées ne doivent pas être déduits des surplus exonérés d'autres sociétés étrangères affiliées afin de diminuer le revenu sauf de la société mère. J'estime en outre que le ministre n'a pas invoqué les hypothèses de fait qui lui auraient permis de démontrer que les pertes exonérées avaient eu quelque incidence sur le revenu de la société mère.

Les faits

Le 29 novembre 1989, l'intimée, Brelco Drilling Ltd. (Brelco), auparavant Trimac Limited (Trimac), a reçu un dividende en espèces de 32 millions de dollars de Tricil Ltd. (Tricil), société dont elle détenait 50 p. 100 des actions. Trimac a par la suite vendu ses actions de Tricil à Laidlaw Inc. Tricil, société canadienne, détenait 100 p. 100 des actions de Tricil Inc. (Inc.), société résidant aux États-Unis. Inc. était ainsi une société étrangère affiliée de Tricil aux fins des alinéas 55(5)d) et 93(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Inc. était propriétaire à 100 p. 100 de sept sociétés résidant aux États-Unis, les sociétés A, B, C, D, E, F et G. Les sociétés F et G avaient des surplus exonérés de 6 049 488 $ au total. Ces surplus correspondaient aux sommes pouvant être rapatriées sous forme de dividendes à l'intimée, dividendes nets d'impôt aux termes mêmes de l'alinéa 113(1)a) de la Loi. Le surplus exonéré est réputé par l'alinéa 55(5)d) être le "revenu gagné ou réalisé" par ces sociétés en tant que sociétés étrangères affiliées. Les sociétés A, B, C, D, E et Inc. avaient, au total, une perte d'exploitation de 5 118 119 $, dont la part incombant à l'intimée s'élevait à 2 975 398 $.

Le dividende de 32 millions de dollars avait notamment pour objet de diminuer sensiblement la part imposable du gain en capital non réalisé de l'intimée pour ses actions Tricil. L'intimée a donc appliqué le paragraphe 55(2) de la Loi aux dividendes, les considérant comme le produit de la disposition des actions qu'elle détenait auparavant. Dans son année d'imposition 1989, l'intimée a désigné comme dividendes distincts 25 735 216 $ de dividendes conformément à l'alinéa 55(5)f), considérant qu'il s'agissait là de la partie du gain en capital non réalisé relatif aux actions Tricil vendues par l'intimée, qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à un revenu gagné ou réalisé. Le ministre a calculé l'impôt dû par l'intimée pour l'année d'imposition 1989, ne retenant que 23 149 721 $ comme revenu sauf en mains que l'intimée pouvait utiliser afin de diminuer le montant de ce qui était réputé être le produit de la disposition des actions. La différence entre la manière dont l'intimée a calculé le revenu sauf en mains et la manière retenue par le ministre s'explique par le fait que le ministre a opéré une compensation entre les déficits exonérés des sociétés A, B, C, D, E et Inc. et les surplus exonérés des sociétés F et G. L'intimée estime qu'une telle compensation ne doit pas avoir lieu.

Dispositions législatives

Les dispositions législatives qui s'appliquent au présent appel sont les suivantes:

55. [. . .]

(2) Lorsqu'une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements (sauf comme partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l'un des objets (ou, dans le cas d'un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l'un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements visés à l'alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l'exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l'impôt en vertu de la Partie IV qui n'est pas remboursé en raison du paiement d'un dividende à une corporation lorsqu'un tel paiement fait partie de la série d'opérations ou d'événements):

    a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

    b) lorsqu'une corporation a disposé de l'action, est réputé être le produit de la disposition de l'action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

    c) lorsqu'une corporation n'a pas disposé de l'action, est réputé être un gain de la corporation pour l'année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d'un bien en immobilisation.

    [. . .]

(5) Aux fins du présent article,

    [. . .]

    d) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à un moment où elle était une corporation étrangère affiliée d'une autre corporation est réputé être le total de la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l'alinéa 113(1)a) [. . .] si celle-ci

        (i) était propriétaire de toutes les actions du capital-actions de la corporation étrangère affiliée immédiatement avant cette date,

        (ii) avait disposé à cette date de toutes les actions visées au sous-alinéa (i) en contrepartie d'un produit de disposition égal à leur juste valeur marchande à cette date, et

        (iii) avait fait un choix en vertu du paragraphe 93(1) relativement au montant global du produit de disposition visé au sous-alinéa (ii);

    [. . .]

93. (1) Pour l'application de la présente loi, dans le cas où une corporation résidant au Canada fait un choix, selon les modalités et dans le délai réglementaires, concernant l'action du capital-actions d'une corporation étrangère affiliée donnée de cette corporation dont celle-ci, ou une autre de ses corporations étrangères affiliées, a disposé, les présomptions suivantes s'appliquent:

    a) le montant, ne dépassant pas le produit de disposition de l'action, que la corporation indique dans le choix est réputé être un dividende qu'une des corporations ayant procédé à la disposition à reçu sur l'action de la corporation affiliée donnée immédiatement avant la disposition, et non un produit de disposition;

    [. . .]

113. (1) Une corporation résidant au Canada qui, dans une année d'imposition, a reçu un dividende sur une action lui appartenant du capital-actions d'une corporation étrangère affiliée de cette corporation, peut déduire de son revenu pour l'année, aux fins du calcul de son revenu imposable pour cette année, le total des sommes suivantes:

    a) la fraction du dividende qui est prescrite avoir été prélevée sur le surplus exonéré défini par règlement [. . ]

Analyse

À l'instruction, les parties se sont entendues sur un ensemble de faits qu'elles jugeaient pertinents et qui, d'après elles, devaient permettre de trancher cette affaire. Ni l'une ni l'autre des parties n'a fait valoir devant la Cour la nécessité, pour trancher le présent appel, de produire d'autres preuves, et ni l'une ni l'autre n'a proposé que l'affaire soit renvoyée devant la Cour de l'impôt. Ainsi que le juge de la Cour de l'impôt l'a expliqué au paragraphe 12 [à la page 2212] de ses motifs, la Cour était saisie de la question suivante:

Selon le calcul de l'intimée, le "revenu sauf" de l'appelante est réduit du montant des déficits exonérés de Inc., A, B, C, D et E. L'appelante soutient que les déficits exonérés ne doivent pas être "déduits" des surplus exonérés de F et de G. L'intimée soutient que tous les déficits exonérés doivent être ainsi "déduits".

Je ne suis pas d'accord que les faits sur lesquels les parties s'étaient entendues ne permettaient pas de trancher la question portée devant la Cour.

L'appelante fait essentiellement valoir que, aux termes du paragraphe 55(2), les bénéfices des sociétés affiliées rentables devraient être consolidés avec les pertes des autres sociétés affiliées. Le présent appel dépend donc d'une question d'interprétation des lois et, plus précisément, du sens à donner au passage suivant du paragraphe 55(2):

55. [. . .]

(2) [. . .] l'un des résultats a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971. [. . .] [Non souligné dans l'original.]

Selon l'appelante, il convenait d'examiner le gain en capital en question et d'analyser la part qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé. L'appelante prétend que l'on ne peut pas simplement se fonder pour cela sur le "revenu gagné ou réalisé". Il s'agit, plutôt, de ne retenir que la part du "revenu gagné ou réalisé" qui est en mains et qui diminue le gain en capital imposable. C'est ainsi que des sommes telles que les pertes de sociétés étrangères affiliées, qui ne constituent plus, pour la société, une valeur, doivent être soustraites du revenu gagné par d'autres sociétés affiliées et calculées dans les conditions prévues au paragraphe 55(5).

Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'approche adoptée par le ministre, et conclu que les surplus exonérés de F et de G ne devraient pas être amputés des déficits exonérés de A, B, C, D, E et Inc. lors du calcul du revenu gagné ou réalisé après 1971. Il a estimé que [au paragraphe 51, pages 2224 et 2225]:

L'alinéa 55(5)d) prévoit ce que le "revenu gagné ou réalisé d'une corporation" est réputé être aux fins de l'article 55. Le paragraphe (2) de l'article 55 prévoit que la partie d'un dividende "qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971" est réputé ne pas être un dividende, mais un produit de disposition. Le surplus exonéré de F et de G, qui sont des filiales étrangères de l'appelante, est, du fait de l'interaction entre l'alinéa 55(5)d ), le paragraphe 93(1) et le paragraphe 113(1), un "revenu gagné ou réalisé par une corporation" au sens où cette expression est utilisée au paragraphe 55(2). Il n'y a aucune directive législative ou réglementaire comparable relativement aux déficits exonérés. Par conséquent, j'ai conclu que les déficits exonérés de A, B, C, D, E et Inc. ne devraient pas être utilisés pour réduire les surplus exonérés de F et de G dans le calcul du "revenu gagné ou réalisé après 1971".

Je suis du même avis que le juge de la Cour de l'impôt. La Loi ne contient aucune disposition qui exige que les déficits exonérés soient pris en compte lors du calcul du "revenu gagné ou réalisé". La seule exigence d'origine législative figure à l'alinéa 55(5)d ) qui prévoit, en vertu de l'alinéa 113(1)a) et du paragraphe 93(1), que le revenu gagné d'une société étrangère affiliée est réputé être son surplus exonéré.

Lors des plaidoiries, l'avocat du ministre a fourni à la Cour des exemples hypothétiques dans le cadre desquels le calcul de la "juste valeur marchande" d'une société mère serait basé sur l'évaluation de l'ensemble des sociétés affiliées. Selon lui, pour fixer la juste valeur marchande de la société mère, il fallait déduire du prix que serait autrement disposé à payer l'acheteur, les pertes des sociétés affiliées.

J'estime que ce n'est pas l'approche qu'il convient d'adopter. Je conviens que le revenu sauf gagné par la société mère ne peut pas dépasser la juste valeur marchande de celle-ci. Cela dit, l'acheteur peut tout simplement ignorer le fait que certaines des sociétés affiliées auraient subi des pertes. L'acheteur pourrait procéder à la liquidation des sociétés affiliées qui ont un déficit exonéré et, en l'absence d'une garantie, ne serait pas tenu d'assumer les pertes. C'est ainsi que, pour obtenir une évaluation plus précise de la "juste valeur marchande" il faudrait calculer le total de l'actif des diverses sociétés. Le prix d'achat finalement arrêté correspondrait à la "juste valeur marchande" de ces éléments d'actif. En l'espèce, les sociétés A, B, C, D, E et Inc., n'ont apporté aucune plus-value à Tricil et, par conséquent, un acheteur ne paierait pas un montant supplémentaire pour les obtenir. Par contre, en l'absence d'une garantie de remboursement des pertes, les pertes subies par ces sociétés affiliées, qui constituent autant de sociétés distinctes, n'auront pas pour effet de diminuer la "juste valeur marchande" de la société mère. Il est même possible qu'un acheteur soit disposé à payer davantage pour reprendre les pertes des ces sociétés affiliées dans la mesure où ces pertes pourraient lui conférer un avantage fiscal.

L'extrait de la Revue fiscale canadienne cité par mon collègue étaye mon argument:

[traduction] Il est important de noter l'absence d'une disposition législative claire étayant la thèse de Revenu Canada quant à la prise en compte des pertes pour calculer le revenu sauf. Je me demande s'il est juste de dire que les pertes d'une société affiliée réduisent en général le revenu sauf en mains de la société mère. Souvent, il semblerait plus juste de dire que le revenu sauf devrait être calculé en tant qu'agrégat de chiffres positifs. Dans le cadre de cette démarche, le revenu sauf en mains d'une société mère ne peut être amputé des pertes ou déficits d'une société affiliée, sauf dans la mesure où la société mère s'est portée garante des pertes de la société affiliée ou elle se voit tenue elle-même de les financer. À supposer, par exemple, qu'une société mère ait un revenu sauf de 1 million de dollars et que sa société affiliée ait un déficit de 1 million de dollars et un capital insignifiant. Si la société mère n'a pas garanti le remboursement des pertes de la société affiliée, toute valeur assignée aux actions de la société mère pourrait raisonnablement être considérée comme attribuable au revenu sauf. En pareilles circonstances, les pertes de la société affiliée ne devraient pas servir à réduire à néant le revenu sauf de la société mère. Ce serait dire, en fait, que la valeur de la société affiliée est inférieure à zéro. Bien que les actions de la société affiliée n'aient aucune valeur, il serait dans de nombreux cas inexact de dire qu'elles ont une valeur négative, surtout lorsque la société mère a la possibilité d'abandonner purement et simplement la société affiliée avant de mettre en vente ses propres actions24.

C'est aussi mon avis. En l'absence de garantie ou de remboursement effectif, par la société mère, des pertes de ses sociétés affiliées, il est difficile d'imaginer un cas où les pertes des sociétés étrangères affiliées affecteraient le revenu sauf de la société mère. Il est en outre tout à fait clair en l'espèce que le ministre n'a pas démontré que les pertes avaient eu une incidence sur le revenu sauf de l'intimée. Avant d'aborder cette question, je tiens à examiner la question du revenu sauf et de la raison d'être de l'alinéa 55(5)d).

Le calcul du revenu sauf

Dans le cadre de sa décision, le juge de la Cour de l'impôt a estimé que pour fixer le montant du revenu sauf, il faut commencer par calculer le revenu gagné ou réalisé. Selon lui, la manière la plus simple de déterminer le montant de "quoi que ce soit qui n'est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971" est:

[. . .] de calculer d'abord le "revenu gagné ou réalisé" puisque l'alinéa 55(5)d ) édicte explicitement ce que ce montant est réputé être. Il n'y a aucune disposition à la partie LIX du Règlement qui requiert que les déficits exonérés soient pris en compte dans le calcul du "revenu gagné ou réalisé". La seule exigence d'origine législative est prévue à l'alinéa 55(5)d ). L'inclusion de cette disposition dans la Loi met fin au propos25 [. . .]

C'est à mon avis une manière rationnelle d'appliquer une disposition très difficile. Mon collègue fait valoir que cette approche n'est pas compatible avec ce qui a été affirmé dans les arrêts Canada c. Placer Dome Inc.26 et Canada c. Nassau Walnut Investments Inc.27. En toute déférence, j'estime que ces arrêts ne sont pas pertinents relativement à la question qui se pose en l'espèce car ni l'un ni l'autre n'a analysé la question de savoir si les pertes d'une société affiliée pouvaient diminuer le revenu sauf en mains d'une société mère juridiquement indépendante. Dans l'affaire Placer Dome, le contribuable niait que l'opération en question ait eu pour objet de diminuer le gain en capital. Il s'agissait donc de savoir si le paragraphe 55(2) s'appliquait même et le débat a porté sur le sens d'une autre partie du paragraphe que celle dont il est question en l'espèce. De même, l'affaire Walnut Investments, qui portait sur le fonctionnement de l'alinéa 55(5)f) et la désignation de dividendes distincts, n'a rien à voir avec la présente affaire. Cet autre arrêt n'évoquait pas le revenu sauf en mains, qui est pertinent en l'espèce.

Il est généralement admis qu'il n'est pas facile de déceler l'intention du législateur d'après la formule employée au paragraphe 55(2). Il me semble, cependant, que si le législateur avait voulu que puisse être opérée une compensation entre les déficits d'une société affiliée et les surplus exonérés d'une autre, le texte de loi l'aurait clairement prévu. Or ce n'est pas le cas. C'est donc avec raison que le juge de la Cour de l'impôt [au paragraphe 51, page 2225] s'est fondé sur l'arrêt Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine28 pour conclure qu'il y a, au paragraphe 55(2), une "incertitude raisonnable [. . .] découlant du manque de clarté de la loi (qui) doit jouer en faveur du contribuable".

La conclusion selon laquelle les surplus des sociétés étrangères affiliées ne devraient pas être consolidés avec les pertes provenant de sociétés étrangères affiliées, contribue à un autre objet de la Loi, à savoir, minimiser la double imposition. Examinons maintenant la question de la double imposition en ce qu'elle a trait à l'article 55.

La raison pour laquelle il y a lieu de considérer les surplus exonérés comme un revenu gagné

L'idée de retrancher du gain en capital imposable le surplus exonéré d'une société étrangère affiliée se fonde sur la même raison que la non-imposition des dividendes intersociétés. Il est généralement admis que la non-imposition des dividendes intersociétés se justifie par le fait que la société qui fait des bénéfices est elle-même assujettie à l'impôt et qu'il n'est pas équitable d'imposer une deuxième fois un même revenu, qui passe, sous forme de dividendes, de la société affiliée à la société mère29. Par l'article 113, le législateur a étendu cet avantage fiscal aux dividendes versés à la société mère canadienne et provenant du surplus exonéré d'une société étrangère affiliée.

L'article 55 a été conçu pour éviter qu'un gain en capital imposable ne devienne un dividende intersociétés non imposable. Le paragraphe 55(5) fixe les règles applicables au calcul du revenu sauf d'un contribuable. Notons en particulier l'alinéa 55(5)f) qui permet à un contribuable de désigner comme dividende distinct une partie d'un dividende imposable. En adoptant l'alinéa 55(5)f), le législateur a montré qu'il entendait que l'application de l'article 55 n'entraîne aucune double imposition. Dans l'affaire Administration Gilles Leclair Inc. c. R.30, on trouve des propos qui vont effectivement en ce sens:

Il semble acquis par tous les auteurs qui ont écrit sur ce sujet que l'alinéa 55(5)f) de la Loi a pour but de ne pas taxer deux fois le revenu au niveau corporatif. Il s'agit d'une disposition intégrée au régime d'imposition relatif au gain en capital prévu par le paragraphe 55(2) de la Loi lors du rachat d'actions qui permet de ne pas imposer comme gain en capital la partie attribuable à du revenu gagné ou réalisé après 197131.

L'alinéa 55(5)f) permet d'assurer que la partie du dividende attribuable au revenu gagné du contribuable ne sera pas considérée comme le produit d'une disposition. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, cela permet d'éviter que le contribuable soit imposé deux fois.

Une des principales raisons pour lesquelles le législateur a choisi, par le biais de l'alinéa 55(5)d), de considérer le surplus exonéré d'une société étrangère affiliée comme un revenu gagné aux fins du paragraphe 55(2), était d'éviter autant que possible la double imposition. L'argument défendu par l'appelante, selon lequel il convient de déduire, pour calculer son revenu sauf, les pertes provenant d'autres sociétés étrangères affiliées, déborde les termes de l'article 55 et va directement à l'encontre du but de cette disposition qui est d'éviter autant que possible la double imposition.

Notons en l'espèce qu'il s'agit de sociétés affiliées installées aux États-Unis, pays qui a conclu avec le Canada la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) [Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20]. Ce traité vise principalement à minimiser la double imposition. Expliquant la raison d'être de ce traité, le juge Iacobucci a déclaré que: "Afin de promouvoir le commerce international entre le Canada et les États-Unis, on a jugé important de soustraire ces personnes [. . .] morales à la double imposition"32.

D'après moi, le fait que l'on permette au contribuable de considérer comme revenu sauf en mains l'intégralité du surplus exonéré, comme l'y autorise effectivement l'article 113, montre que l'on reconnaît que toute autre imposition du surplus exonéré équivaut à une double imposition. L'alinéa 55(5)d) complète donc l'article 113 en assurant que la double imposition du revenu d'une société étrangère affiliée sera évitée.

Je suis persuadé, pour une autre raison encore, que le surplus exonéré ne devrait pas être compensé par les déficits exonérés. En tant que compagnies jouissant d'une existence juridique distincte, il est évident que chaque société étrangère affiliée installée aux États-Unis doit payer des impôts sur ses propres revenus. L'argument selon lequel une société étrangère affiliée pourrait réduire sa charge fiscale en déduisant les pertes d'une société affiliée sœur serait immédiatement écarté comme contraire au principe élémentaire qui veut que chaque société constitue une entité distincte et soit considérée comme telle aux fins de l'impôt. Il serait donc à la fois illogique, et injuste pour la société mère, qu'elle soit imposée sur l'argent qu'elle reçoit d'une société étrangère affiliée alors que l'argent en question a déjà été imposé entre les mains de la société étrangère affiliée.

En somme, ma conclusion que les surplus provenant d'une société étrangère affiliée ne devraient pas être consolidés avec les pertes d'une autre société étrangère affiliée, est fondée sur mon interprétation de l'article 55 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette interprétation est elle-même fondée sur de solides motifs de politique fiscale puisqu'elle contribue à un but important de la Loi en minimisant la double imposition. J'aborde maintenant la question des lacunes de l'argumentation du ministre.

Les lacunes de l'argumentation développée par le ministre

Pour établir la nouvelle cotisation du contribuable, le ministre doit d'abord exposer un certain nombre d'hypothèses quant aux faits. Il appartient alors au contribuable de les réfuter. Analysant le rôle respectif des parties après l'établissement de la nouvelle cotisation, le juge de la Cour de l'impôt a convenu avec l'intimée que la jurisprudence a posé trois principes. D'abord, le ministre doit tenir pour acquis tous les faits nécessaires pour justifier la nouvelle cotisation. Deuxièmement, l'appelante n'est pas tenue de produire de preuve concernant des faits non présumés. Troisièmement, dans la réponse à l'avis d'appel, les conclusions de droit ou les références à une disposition législative, ne constituent pas des allégations de fait.

Vu ces principes, je conclus que le ministre n'a pas allégué les faits permettant de justifier la nouvelle cotisation. Le ministre n'a notamment pas invoqué de faits alléguant que les pertes des sociétés étrangères affiliées ont eu une incidence sur le revenu sauf de la société mère. Aucune hypothèse ni aucune preuve n'explique par ailleurs comment les pertes des sociétés étrangères affiliées sont survenues, comment ces pertes ont été couvertes, ni comment ces pertes ont affecté le revenu sauf de l'intimée.

Au paragraphe 43 [à la page 2222] de sa décision, le juge de la Cour de l'impôt a noté que "certaines hypothèses de fait essentielles à la validité de la cotisation n'étaient pas formulées dans la réponse". Il lui a ensuite semblé "déraisonnable d'empêcher l'intimée de faire valoir sa position parce qu'elle n'a allégué aucune hypothèse de fait à l'appui d'une disposition à laquelle l'appelante s'est elle-même assujettie". Je conviens avec le juge de la Cour de l'impôt qu'il n'était pas loisible au contribuable de contester l'application de cette disposition après s'y être elle-même assujettie. Cela dit, il appartient tout de même au ministre de plaider les hypothèses de fait justifiant la nouvelle cotisation. En l'espèce, le ministre n'est pas parvenu à établir un lien entre les pertes des sociétés étrangères affiliées et le revenu de la société mère.

Vu cette conclusion, j'estime qu'il convient de rejeter la nouvelle cotisation. Je ne saurais convenir qu'il y a lieu de renvoyer l'affaire devant la Cour de l'impôt. Le jugement rendu dans l'affaire del Valle (D.) c. M.R.N.33 appuie mon opinion. Dans cette affaire, le juge Sarchuk de la Cour canadienne de l'impôt a déclaré:

Selon l'appelante, ni les actes de procédure, ni les documents que l'intimé lui a remis ne font ressortir les faits essentiels au maintien des cotisations; par conséquent, l'appelante n'a rien à démontrer pour réfuter une preuve inexistante. À mon avis, cela ne signifie pas que la Cour devrait accueillir l'appel pour cette seule raison, mais que, si la Cour est d'accord avec le procureur de l'appelante, l'intimé aurait alors le fardeau de la preuve à l'égard des faits ou des dispositions législatives invoquées à l'appui des nouvelles cotisations en litige.

Il est bien reconnu que le contribuable a le droit de connaître les présomptions de fait sur lesquelles l'intimé se fonde au moment d'établir la cotisation, car c'est le contribuable qui doit démontrer que ces présomptions ne prouvent pas le bien-fondé de la cotisation. (Voir Johnston c. M.R.N., [1948] C.T.C. 195; 3 D.T.C. 1182).

    [. . .]

J'estime que ces commentaires s'appliquent en l'espèce. À mon avis, l'intimé n'a pas allégué les faits qui constituent un élément essentiel à la validité de la nouvelle cotisation. L'appelante n'est pas tenue de réfuter un fait inexistant ou une hypothèse que l'intimé n'a pas formulée34.

En l'espèce, le ministre n'a pas plaidé les faits ou hypothèses nécessaires pour établir un lien entre les pertes de la société étrangère affiliée et le revenu sauf de la société mère. En ne démontrant pas comment les déficits exonérés d'une société étrangère affiliée pouvaient avoir une incidence sur le revenu sauf d'une société mère juridiquement indépendante, il lui manque un "élément essentiel à la validité de la nouvelle cotisation". Le dossier ne contient aucun élément démontrant ou suggérant que les pertes ou déficits des sociétés affiliées A, B, C, D, E et Inc. ont fait, de la part de l'intimée, l'objet d'une garantie.

Bref, il était loisible au ministre de plaider les faits nécessaires lors de l'instruction. Il a choisi ne pas le faire. Il serait, d'après moi, injuste envers le contribuable d'accorder maintenant au ministre une deuxième occasion de démontrer le bien-fondé de la nouvelle cotisation.

Conclusion

Pour conclure, l'article 55 de la Loi de l'impôt sur le revenu n'exige pas expressément que les pertes d'une société étrangère affiliée soient consolidées avec les surplus exonérés d'autres sociétés étrangères affiliées. L'interprétation que l'appelante propose de l'article 55 n'est pas appuyée par les termes de cette disposition et paraît contraire à la fois à l'objet et à l'esprit de la Loi. Je suis donc d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

1 [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.

2 Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1983, à la p. 87.

3 Pour un examen critique, voir Brian J. Arnold, "Statutory Interpretation: Some Thoughts on Plain Meaning", 50e Conférence annuelle sur la fiscalité , Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1998 (en cours de publication).

Voir également "Interpreting the Income Tax Act : Towards a Pragmatic Approach", 1999 (monographie non publiée).

4 [1994] 2 R.C.S. 312, aux p. 326 et 327.

5 [1996] 1 R.C.S. 963, aux p. 976 et 977.

6 Par. 44 des motifs de la Cour de l'impôt [aux p. 2222 et 2223]. Les motifs de la Cour de l'impôt sont rapportés dans [1998] 3 C.T.C. 2208. Tous les renvois suivent la même numérotation des paragraphes que la Cour de l'impôt.

7 J.F. Newton Ltd. v. Thorne Riddell (1990), 50 B.L.R. 136 (C.S. C.-B.), à la p. 149.

8 Voir, p. ex., H. Stikeman (ouvrage collectif) Canada Tax Service, vol. 5 (feuillets mobiles) (Toronto: De Boo), à la p. 55-125 (ci-après cité sous la forme Canada Tax Service); Canadian Tax Reporter, Don Mills (Ont.): CCH Canadian Ltd., au par. 7986.

9 En l'espèce, pour bien comprendre l'art. 55(2), il faut se référer à l'art. 113 de la LIR, qui vise à éviter la double imposition des dividendes entre sociétés affiliées d'un même groupe. Cette disposition prévoit que:

    113. (1) Lorsque, dans une année d'imposition, une corporation résidant au Canada a reçu un dividende sur une action qui lui appartenait dans le capital-actions d'une corporation étrangère affiliée de la corporation, il peut être déduit du revenu de la corporation pour l'année, aux fins du calcul de son revenu imposable pour l'année, une somme égale au total des sommes suivantes:

    a) un montant égal à la fraction du dividende qui, selon les prescriptions, a été payé sur le surplus exonéré, selon la définition qu'en donne le règlement (appelé dans la présente Partie le surplus exonéré) de la corporation affiliée;

L'art. 113 a pour objet d'éviter la double imposition. L'art. 55 a été édicté en raison même de cet art. 113 qui permettait aux sociétés de dépouiller les gains de sociétés étrangères affiliées et d'éviter que ces sommes soient imposées.

10 Voir Canada Tax Service, supra, note , à la p. 55-125.

11 ;Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279 (C.A.), à la p. 287, par. 6 (ci-après cité sous l'appellation Walnut Investments).

12 Pour une analyse analogue, voir Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780 (C.A.), aux p. 785 et 786, par. 5 (ci-après cité sous l'appellation de Placer Dome).

13 Voir, p. ex., Mark D. Brender, "The Taxation of Corporate Reorganizations: Subsection 55(2): Part 2" (1997), 45 Rev. fisc. can. 806, aux p. 807 et 808.

14 Placer Dome, supra, note 12, à la p. 786, par. 6.

15 Walnut Investments, supra, note 11, à la p. 292, par. 17.

16 Placer Dome, supra, note 11, à la p. 792, par 18.

17 Jugement en appel, aux par. 5 à 12 [aux p. 2210 à 2212].

18 Jugement en appel, au par. 46 [à la p. 2223].

19 Mark D. Brender, "The Taxation of Corporate Reorganizations: Subsection 55(2): Part. 2" (1997), 45 Rev. fisc. can. 806, à la p. 819. À la p. 824, l'auteur explique pourquoi il estime que les pertes d'une société affiliée ne devraient entrer en ligne de compte que si la société mère peut être tenue de les assumer. Il s'exprime en ces termes:

    [traduction] Je me demande s'il est juste de dire que les pertes d'une société affiliée réduisent en général le revenu sauf en mains de la société mère. Souvent, il semblerait plus juste de dire que le revenu sauf devrait être calculé en tant qu'aggrégat de chiffres positifs. Dans le cadre de cette démarche, le revenu sauf en mains d'une société mère ne peut être amputé des pertes ou déficits d'une société affiliée, sauf dans la mesure où la société mère s'est portée garante des pertes de la société affiliée ou si elle se voit tenue elle-même de les financer. À supposer, par exemple, qu'une société mère ait un revenu sauf de 1 million de dollars et que sa société affiliée ait un déficit de 1 million de dollars et un capital insignifiant. Si la société mère n'a pas garanti le remboursement des pertes de la société affiliée, toute valeur assignée aux actions de la société mère pourrait raisonnablement être considérée comme attribuable au revenu sauf. En pareilles circonstances, les pertes de la société affiliée ne devraient pas servir à réduire à néant le revenu sauf de la société mère. Ce serait dire, en fait, que la valeur de la société affiliée est inférieure à zéro. Bien que les actions de la société affiliée n'aient aucune valeur, il serait dans de nombreux cas inexact de dire qu'elles ont une valeur négative, surtout lorsque la société mère a la possibilité d'abandonner purement et simplement la société affiliée avant de mettre en vente ses propres actions. [Les italiques se trouvaient déjà dans l'original, mais non les soulignements.]

L'auteur parvient à une conclusion générale selon laquelle il serait faux de dire que les pertes d'une société affiliée ont une "valeur négative". L'auteur reconnaît, cependant, que dans certains cas, les pertes d'une société affiliée dont n'est cependant pas responsable la société mère affecteront tout de même le revenu sauf de celle-ci. En dernière analyse, il s'agit d'une question de fait: quelle valeur attribue-t-on au revenu sauf lors de l'évaluation des actions de la société mère? Autrement dit, comment un acheteur raisonnable et bien informé analyserait-il, pour calculer la valeur des actions de la société mère, les pertes de la société affiliée?

20 Id., à la p. 824.

21 Voir, p. ex., Robert Read, "Section 55: A Review of Current Issues". Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference (Toronto: L'Association canadienne d'études fiscales, 1988).

22 Voir, p. ex., Kirsten Richter, "The removal of accrued gains in capital stock holdings through use of "safe income"". (1991), 39 Rev. fisc. can. 1349.

23 Voir Trico Industries Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 2058 (C.C.I.), à titre d'exemple de ce genre de considération.

24 Mark D. Brender, "The Taxation of Corporate Reorganizations: Subsection 55(2): Part 2" (1977), 45 Rev. fisc. can. 806, à la p. 824.

25 Par. 46 des motifs de la Cour de l'impôt [à la p. 2223].

26 [1997] 1 C.F. 780 (C.A.).

27 [1997] 2 C.F. 279 (C.A.).

28 [1985] 2 R.C.S. 46.

29 Voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law, Scarborough (Ont.): Carswell, 1995, art. 19.5a)(ii) "Taxation of Corporations", à la p. 424.

30 [1997] 3 C.T.C. 3053 (C.C.I.).

31 Id., à la p. 3068.

32 Voir Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, à la p. 823.

33 [1986] 1 CTC 2288 (C.C.I.).

34 Id., aux p. 2289 et 2290.

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