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     T-769-98

Constance St-Hilaire (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada, Conseil du Trésor du Canada (défendeurs)

Répertorié: St-Hilaire c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Blais"Québec, 16 avril; Ottawa, 30 avril 1999.

Fonction publique " Pensions " Contrôle judiciaire du refus de verser à la demanderesse, résidente du Québec, des prestations aux termes de la LPFP à titre de conjointe survivante et d'héritière légale " La demanderesse a été déclarée coupable d'homicide involontaire pour avoir poignardé à mort son mari, ancien fonctionnaire, qui contribuait au fonds de pension de retraite créé par la LPFP " Le défendeur a cité une règle d'ordre public selon laquelle une personne ne peut pas profiter de son crime " L'art. 12(4) de la LPFP prévoit les modalités d'allocation au conjoint survivant et aux enfants mais est silencieux quant à l'inadmissibilité à ce sujet " Une loi fédérale qui voudrait déroger au droit applicable dans une province dans son champ de compétence doit le faire de façon expresse comme le prévoit la disposition préliminaire du Code civil du Québec " Il existe une présomption selon laquelle une loi ne veux pas modifier le droit commun au-delà de ce qu'elle déclare expressément " Le droit commun au Québec accepte qu'une personne déclarée coupable d'homicide involontaire puisse hériter du défunt " La règle d'ordre public n'est pas applicable parce qu'elle n'est pas expressément énoncée dans la Loi et parce qu'elle est contraire au droit commun " En sa qualité d'héritière légale et de conjointe survivante, la demanderesse a droit à des prestations aux termes de la LPFP.

Code civil " La disposition préliminaire du Code civil du Québec énonce que le Code constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger " L'art. 620 prévoit que les personnes qui sont déclarées coupable d'avoir attenté à la vie du défunt sont indignes de succéder " L'ancien article prévoyait que ceux qui étaient déclarées coupable d'avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt étaient indignes de succéder " Alors que l'ancienne formulation faisait abstraction de la nécessité d'une quelconque volonté, puisque l'on peut être convaincu d'avoir tué sans l'avoir voulu, l'expression "attenté à la vie" à l'art. 620 implique l'intention de tuer " L'intention homicide est une condition nécessaire pour entraîner l'indignité.

Droit administratif " Contrôle judiciaire " Jugements déclaratoires " La demanderesse est coupable d'homicide involontaire pour la mort de son mari " Elle cherche à obtenir un jugement déclaratoire statuant que le Conseil du Trésor n'a pas le droit de retenir les prestations de pension prévues par la Loi sur la pension de la fonction publique en se fondant sur la règle d'ordre public selon laquelle une personne ne peut pas profiter de son crime " Cette règle n'est pas expressément incorporée dans la Loi et est contraire au droit commun du Québec où une personne déclarée coupable d'homicide involontaire peut hériter du défunt " Jugement déclaratoire accueilli, ordonnance demandée rendue.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir un jugement déclaratoire déclarant illégal le refus du Conseil du Trésor du Canada de verser à la demanderesse des prestations en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique en sa qualité de conjointe survivante et d'héritière de Gérard Morin, une ordonnance intimant au procureur général de remettre les sommes d'argent dues à la demanderesse et une ordonnance d'exécution provisoire, nonobstant appel. La demanderesse est une résidente du Québec. Gérard Morin était, jusqu'à la date de sa mort, et ce depuis 1975, un fonctionnaire et avait contribué au fonds de pension de retraite créé par la Loi. La demanderesse et Gérard Morin se sont mariés en 1981. En 1995, la demanderesse a poignardé à mort son mari alors qu'ils étaient tous deux enivrés. La demanderesse a plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire. Le juge qui a imposé la peine a conclu que l'infraction commise l'avait été sous le coup de la colère, et non de la peur, et était survenue dans un contexte de violence conjugale.

La disposition préliminaire du Code civil du Québec énonce que le Code constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au Code ou y déroger. La demanderesse a soutenu que le droit des successions étant de la compétence exclusive des provinces, pour faire appliquer le droit fédéral dans ce domaine il faudrait que la loi fédérale invoquée écarte expressément l'application du Code civil du Québec. Les défendeurs ont allégué que la Loi sur la pension de la fonction publique doit être lue en conjonction avec la règle d'ordre public selon laquelle une personne ne peut pas profiter de son crime. Le fait que le législateur n'ait pas inclus de règles explicites quant à l'inadmissibilité n'est pas déterminant puisque la règle d'ordre public est là de façon implicite. Subsidiairement, l'homicide involontaire est un cas d'indignité successorale prévue par l'article 620 du Code civil qui prévoit que les personnes qui sont déclarées coupable d'avoir attenté à la vie du défunt sont indignes de succéder.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Étant donné que le droit réclamé par la demanderesse a pris naissance au Québec, on ne peut faire abstraction du droit applicable dans cette province. Une loi fédérale qui voudrait déroger au droit applicable dans une province dans son champ de compétence doit le faire de façon expresse comme le prévoit la disposition préliminaire du Code civil du Québec. Le paragraphe 12(4) de la Loi sur la pension de la fonction publique prévoit les modalités d'allocation au conjoint survivant et aux enfants et nulle part n'est-il fait mention d'une restriction à cet égard. Selon le principe de stabilité du droit, les lois doivent être interprétées, autant que possible, en harmonie avec le droit commun. Le législateur n'est pas présumé avoir voulu modifier le droit commun au-delà de ce qu'il en déclare expressément.

Le droit commun au Québec accepte qu'une personne déclarée coupable d'homicide involontaire puisse hériter du défunt. Le libellé de l'article 610 (ayant précédé l'article 620) prévoyait que ceux qui étaient déclarés coupable d'avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt étaient indignes de succéder et étaient exclus des successions. Alors que l'ancienne formulation faisait abstraction de la nécessité d'une quelconque volonté, puisque l'on peut être convaincu d'avoir tué sans l'avoir voulu, l'expression "attenté à la vie" à l'article 620 implique l'intention de tuer. L'intention homicide est une condition nécessaire pour entraîner l'indignité.

La règle d'ordre public selon laquelle une personne ne peut pas profiter de son crime ne s'appliquait pas parce qu'elle n'était pas expressément énoncée dans la Loi ou parce qu'elle était contraire au droit commun, qui permet à une personne déclarée coupable d'homicide involontaire d'hériter du défunt. La demanderesse n'était pas indigne de plein droit de par la nature de son crime. En sa qualité d'héritière légale et de conjointe survivante, la demanderesse avait droit aux prestations découlant de la pension de Gérard Morin aux termes de la Loi sur la pension de la fonction publique.

    lois et règlements

        Code civil du Bas-Canada, art. 610, 813.

        Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. disposition préliminaire, 620, 623, 3098.

        Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

        Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 12(4).

    jurisprudence

        décisions examinées:

        R. c. St-Hilaire, [1996] A.Q. no 597 (C.S. Qué.) (QL); Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147 (C.A.).

        décisions citées:

        Banque Canadienne Nationale c. Carette, [1931] R.C.S. 33; Lamontagne v. Quebec Railway, Light Heat & Power Co. (1914), 50 R.C.S. 423.

    doctrine

        Brière, G "Le nouveau droit des successions", La collection bleue , Montréal: Wilson & Lafleur, 1994.

        Brière, G "Les successions", coll. Traité de droit civil, 2e éd., Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais, 1994.

        Brun, Henri et Guy Tremblay. Droit constitutionnel, 3e éd., Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais Inc., 1997.

        Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais Inc., 1990.

DEMANDE de contrôle judiciaire en vue d'obtenir un jugement déclaratoire déclarant illégal le refus du Conseil du Trésor de verser à la demanderesse des prestations en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique en sa qualité de conjointe survivante et d'héritière de Gérard Morin, une ordonnance intimant au procureur général de remettre les sommes d'argent dues à la demanderesse et une ordonnance d'exécution provisoire, nonobstant appel. Demande accueillie.

    ont comparu:

    Suzy-Guylaine Gagnon pour la demanderesse.

    René Leblanc pour les défendeurs.

    avocats inscrits au dossier:

    Rochon, Belzile, Carrier, Auger & Associés, Québec, pour la demanderesse.

    Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Voici les motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus en français par

Le juge Blais: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] pour un jugement déclaratoire déclarant illégal le refus du défendeur, le Conseil du Trésor du Canada, division des pensions, de procéder à une conciliation dans le dossier de la demanderesse et pour une ordonnance, ordonnant au procureur général du Canada, par l'entremise du Conseil du Trésor du Canada de remettre les sommes d'argent qui sont dues à la demanderesse et une ordonnance, ordonnant l'exécution provisoire nonobstant appel.

Cette demande émane d'une demanderesse résidante du Québec et se base sur la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36 (la Loi) et sur le Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64].

LES FAITS

Les faits non contestés donnant lieu à la présente demande se résument comme suit:

La demanderesse prétend avoir droit aux bénéfices aux termes de la Loi sur la pension de la fonction publique à titre de conjoint survivant de feu Gérard Morin d'une part, et à titre d'héritière des biens de Gérard Morin d'autre part.

Gérard Morin était, jusqu'à la date de sa mort, le 3 février 1995, et ce depuis au moins le 10 juin 1975, un fonctionnaire de Sa Majesté la Reine aux droits du Canada à l'emploi du ministère des Transports, et à ce titre, un "contributeur", au sens de la Loi, au fonds de pension de retraite crée par la Loi.

Gérard Morin était également, à la date de sa mort, l'époux de la demanderesse; le couple n'avait pas d'enfants.

Gérard Morin est décédé tragiquement d'un coup de couteau à l'abdomen.

Le 8 janvier 1996, la demanderesse plaidait coupable à une accusation d'homicide involontaire sur la personne de Gérard Morin.

Le 27 février 1996, elle était condamnée, comme conséquence dudit plaidoyer de culpabilité, à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour assortie d'une ordonnance de probation de trois ans devenant effective à sa libération.

Les circonstances entourant le décès de Gérard Morin sont relatées dans le jugement sur sentence rendu par la Cour supérieure du Québec le 27 février 1996 [[1996] A.Q. no 597 (QL)] aux termes de trois jour d'audience présidés par l'honorable André Trottier, J.C.S.

Il appert ainsi dudit jugement:

" que la demanderesse et Gérard Morin ont commencé à cohabiter en 1978 pour se marier en 1981;

" que le couple consommait de façon excessive de l'alcool, la demanderesse consommant au surplus de la drogue (cocaïne) à l'occasion;

" que leur relation était tumultueuse et violente;

" que l'agressivité dans le couple, tant sur le plan verbal que physique, était réciproque;

" que le 2 février 1995, veille du décès de Gérard Morin, le couple a consommé de l'alcool de façon excessive, entraînant une intervention policière;

" que le 3 février 1995, jour du décès de Gérard Morin, le couple s'est enivré de nouveau, s'est adressé mutuellement des reproches et insultes, et est passé aux actes physiques, Gérard Morin en repoussant la demanderesse sur le mur de la cuisine et celle-ci répondant à cette agression en administrant à Gérard Morin un coup de couteau fatal à l'abdomen.

Aux fins de la détermination de la sentence, l'honorable juge Trottier a émis les considérations suivantes [aux paragraphes 21 à 23]:

"la gravité objective du crime commis entraînant mort d'homme par l'utilisation d'un couteau; [. . .] dans les circonstances, l'infraction commise le fut sous le coup de la colère et non de la peur, ce qui exclut toute prétention à un accident [. . .] ce drame s'inscrit dans le contexte de la violence conjugale et qu'en l'occurrence, la jurisprudence dominante est à l'effet de maintenir un juste équilibre entre les sentiments humains et les fondements juridiques d'une sentence."

PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

La demanderesse soulève que la seule question à être débattue devant cette Cour vise l'application de la loi en l'occurrence et que la Cour n'a pas à se prononcer sur l'indignité dont pourrait faire l'objet la demanderesse. Cette prétention est partagée par le procureur des défendeurs.

La procureure soumet que c'est le droit commun applicable au Québec que l'on doive considérer et non un principe de common law selon lequel les défendeurs voudraient faire jouer une règle d'ordre public non reconnue par le droit commun au Québec.

La disposition préliminaire du Code civil du Québec édicte d'ailleurs que:

Le Code est constitué d'un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l'esprit ou l'objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elle-mêmes ajouter au code ou y déroger.

Citant également les auteurs Henri Brun et Guy Tremblay dans leur ouvrage Droit constitutionnel, 3e édition, Éditions Yvon Blais Inc., à la page 29, la procureure ajoute au soutien de sa théorie que:

Les règles de common law canadienne doivent aussi céder le pas aux règles incompatibles contenues dans les lois des parlements impérial (en autant que celles-ci sont applicables au Canada), fédéral et provinciaux.

Ainsi, le statut d'héritier de la demanderesse, en vertu du droit commun au Québec, suffit à lui conférer le droit aux bénéfices de la Loi sur la pension de la fonction publique, sans que besoin ne soit de franchir une autre étape au préalable en appliquant une règle d'ordre public prenant sa source dans la common law.

Le droit des successions étant de la juridiction exclusive des provinces, pour faire appliquer le droit fédéral dans ce domaine il faudrait que la loi fédérale invoquée écarte expressément l'application du Code civil du Québec.

Quant à l'indignité de succéder de plein droit, prévu à l'article 620 C.c.Q., elle ne trouve application que dans les cas de meurtre et ne peut donc être invoquée contre la demanderesse.

L'article 623 du Code civil du Québec quant à lui, prévoit qu'en l'absence d'indignité de plein droit, il est possible de demander et de faire déclarer l'indignité judiciaire dans l'année de l'ouverture de la succession. Cette possibilité étant ouverte aux successibles seulement.

Les successibles ne s'étant pas manifesté, la demanderesse conserve alors sont droit à la succession de Gérard Morin.

De plus, l'article 3098 du Code civil du Québec prévoit que les successions portant sur des meubles sont régies par la loi du dernier domicile du défunt, et qu'en l'occurrence, c'est la loi au Québec qui doit trouver application et qu'en vertu de la loi, rien n'empêche la demanderesse de succéder à Gérard Morin.

La procureure soumet également que la déclaration d'hérédité officielle figurant au dossier confirme le statut d'héritière légale de la demanderesse.

En outre, la demanderesse répond aux critères de conjoint survivant édictés dans la Loi sur la pension de la fonction publique et celle-ci est donc en droit, autant à titre d'héritière légale, qu'à titre de conjoint survivant à recevoir les bénéfices de pension prévus par la Loi.

Finalement, la procureure affirme que ce n'est pas au Conseil du Trésor de décider du sort des prestations de pension dues à la succession de Gérard Morin. Le Conseil du Trésor n'a pas l'intérêt de prendre action et seuls les successibles intéressés avaient cet intérêt.

PRÉTENTIONS DES DÉFENDEURS

Le procureur des défendeurs fait valoir que la Loi sur la pension de la fonction publique s'applique partout de la même façon et qu'elle doit être lue en conjonction avec la règle d'ordre public qui doit elle aussi s'appliquer partout parce qu'elle fait partie de la Loi.

La règle d'ordre public invoquée par les défendeurs a pris naissance dans la jurisprudence d'Angleterre en 1891 alors que le lord juge Fry de la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147 (C.A.) énoncait à la page 156:

[traduction] Il me semble qu'aucun système de droit ne peut raisonnablement inclure parmi les droits qu'il sanctionne des droits que la personne qui les fait valoir a directement obtenus en commettant un crime.

Ce n'est pas le statut d'héritier ou de conjoint survivant qui est contesté mais plutôt l'admissibilité aux bénéfices. Aux règles d'admissibilité contenues expressément dans la Loi il faut appliquer en deuxième étape, la règle d'ordre public selon laquelle une personne ne puisse profiter de son crime.

Le procureur admet qu'il peut exister des nuances dans les circonstances où la règle va trouver application mais qu'il n'y a pas de distinction entre le meurtre et l'homicide involontaire et que ces crimes en déclenchent l'application.

Le procureur a plaidé que rien dans notre droit constitutionnel ne s'oppose à ce que la Loi fédérale puisse contredire le Code civil du Québec dans sa sphère de juridiction constitutionnelle.

Le fait que le législateur n'ait pas inclus de règles explicites quant à l'inadmissibilité n'est pas déterminant puisque la règle d'ordre public est là de façon implicite. Le silence de la Loi ne veut pas dire que le législateur a voulu exclure la règle d'ordre public.

Le procureur ajoute que le fonctionnaire ne peut pas céder sa pension et que c'est la Loi qui en détermine les conditions de partage. La demanderesse n'a donc aucun droit de propriété tant que les conditions d'admissibilité ne sont pas rencontrées. La règle d'ordre public faisant ici obstacle à l'admissibilité de la demanderesse aux prestations, le Conseil du Trésor, refuse à bon droit de remettre à la demanderesse les sommes réclamées en sa qualité de conjoint survivant.

Subsidiairement, le procureur des défendeurs soumet que l'homicide involontaire est un cas d'indignité successorale.

Il n'y a pas eu de changement substantiel dans la nouvelle formulation de la cause d'indignité prévu à l'article 620 C.c.Q., anciennement l'article 610 du Code civil du Bas-Canada.

Le procureur propose un parallèle avec l'article 813 du Code civil du Bas-Canada afin d'interpréter la notion "attenter à la vie" prévu à l'article 620 C.c.Q. qui selon la doctrine du temps inclut le meurtre involontaire et notamment de donner la mort dans un excès de colère causé par une provocation soudaine.

Les défendeurs soumettent donc que dans la mesure où elle a causé la mort de Gérard Morin dans un excès de colère, toute prétention à un accident étant exclue, et où elle a plaidé coupable au crime d'homicide involontaire, la demanderesse est, dans l'état actuel du droit et de la jurisprudence pertinente, indigne de plein droit de succéder à Gérard Morin.

ANALYSE

Étant donné que le droit réclamé par la demanderesse a pris naissance au Québec, la Cour considère qu'on ne peut faire abstraction du droit applicable dans la province de Québec.

La Cour accepte l'argument de la demanderesse à l'effet qu'une loi fédérale qui voudrait déroger au droit applicable dans une province dans son champ de juridiction, doit le faire de façon exprès tel qu'il est stipulé dans le Code civil du Québec dans la disposition préliminaire.

La Loi sur la pension de la fonction publique prévoit à l'article 12(4), les modalités d'allocation au conjoint survivant et aux enfants et nulle part n'est-il mention d'une restriction à cet égard. Le principe de stabilité du droit, identifié par Pierre-André Côté dans son ouvrage Interprétation des lois, 2e édition, (1990), Éditions Yvon Blais, à la page 479, nous réfère à la jurisprudence de la Cour suprême:

Une règle fondamentale est que les statuts doivent être interprétés, autant que possible, en harmonie avec le droit commun. Le législateur n'est pas présumé avoir voulu modifier le droit commun au-delà de ce qu'il en déclare expressément1.

Le droit commun au Québec accepte qu'une personne trouvée coupable d'homicide involontaire puisse hériter du défunt. L'article 620 C.c.Q. énonce:

Art. 620. Est de plein droit indigne de succéder:

1o Celui qui est déclaré coupable d'avoir attenté à la vie du défunt;

La formulation de l'ancien article 610 C.c.B.-C. se lisait:

610. Sont indignes de succéder et comme tels exclus des successions:

1. Celui qui est convaincu d'avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt;

Alors que l'ancienne formulation faisait abstraction de la nécessité d'une quelconque volonté, puisque l'on peut être convaincu d'avoir tué sans l'avoir voulu, la nouvelle formulation apporte une dimension importante reliée à l'intention.

En effet, l'auteur Germain Brière dans son volume intitulé Les successions2 explique que l'intention homicide est une condition nécessaire pour entraîner l'indignité de plein droit. Il le réitère d'ailleurs de façon plus convaincue dans son volume intitulé Le nouveau droit des successions3:

La question de savoir si l'homicide involontaire coupable entraîne l'indignité de plein droit se pose sous l'article 620 C.c.Q. comme elle se posait sous l'article 610 C.c.B.-C. Il y a lieu de considérer que tel homicide ne fait pas encourir l'indignité successorale, vu que l'expression "attenté à la vie" implique l'intention de tuer.

Les autres auteurs cités par le procureur des défendeurs au soutien de la théorie contraire se sont prononcés antérieurement au nouveau droit et aucune jurisprudence du Québec ne semble s'être encore prononcée sur la question.

Ayant déterminé que la règle d'ordre public invoquée par les défendeurs à l'effet qu'une personne ne puisse bénéficier de son crime, ne trouve pas application en l'espèce parce que non exprimée expressément dans la Loi ou à l'encontre du droit commun qui permet qu'une personne trouvée coupable d'homicide involontaire puisse hériter du défunt; cette Cour décide d'accueillir la demande de la demanderesse.

La demanderesse n'est pas indigne de plein droit de par la nature de son crime et aucun successible n'a demandé l'indignité judiciaire. La demanderesse est l'héritière légale du défunt Gérard Morin et en cette qualité et en sa qualité de conjoint survivant elle a le droit aux bénéfices découlant de la pension de Gérard Morin aux termes de la Loi sur la pension de la fonction publique.

POUR CES MOTIFS, LA COUR

" Déclare illégal le refus de l'intimé, le Conseil du Trésor du Canada, division des pensions, de verser à la demanderesse les sommes auxquelles elle a droit depuis l'ouverture de la succession de feu Gérard Morin;

" Ordonne au procureur général du Canada, par l'entremise du Conseil du Trésor du Canada, division des pensions, de remettre, dans les 15 jours de ce jugement, les sommes d'argent qui sont dues à la demanderesse depuis l'ouverture de la succession de feu Gérard Morin; et

" Ordonne l'exécution provisoire, nonobstant appel;

" Le tout avec dépens.

1 Banque Canadienne Nationale c. Carette, [1931] R.C.S. 33, à la p. 42 (le juge Rinfret). Voir aussi: Lamontagne v. Quebec Railway, Light, Heat & Power Co. (1914), 50 R.C.S. 423.

2 G. Brière, Les successions, 2e éd., Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais, 1994.

3 G. Brière, "Le nouveau droit des successions", La collection bleue : Montréal: Wilson & Lafleur, 1994, à la p. 51.

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