Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1350-97

Fournier Pharma Inc. (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé (défendeurs)

et

Novopharm Limited (intervenante)

Répertorié: Fournier Pharma Inc.c. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum" Montréal, 28 septembre; Ottawa, 16 octobre 1998.

Brevets Médicaments brevetés Demande de bref de mandamus enjoignant au ministre d'inscrire les listes de brevets de la demanderesse dans le registre des brevets et demande de jugement déclarant que les art. 4(3) et 4(5) (maintenant art. 4(4)) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sont ultra vires de l'art. 55.2(4) de la Loi sur les brevets L'art. 4(3) exige que la liste de brevets soit soumise en même temps que la demande d'avis de conformité L'art. 4(4) dispose que la liste de brevets doit être déposée dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet lorsqu'une demande d'avis de conformité a déjà été déposée L'art. 55.2(4) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les règlements qu'il juge nécessaires pour empêcher la contrefaçon des brevets La demanderesse a attendu jusqu'en 1997 avant de soumettre ses listes de brevets pour des brevets qui lui avaient été accordés en 1993 Santé Canada a refusé d'enregistrer les listes de brevets au motif qu'elles n'étaient pas conformes aux art. 4(3) et 4(5) du Règlement Le pouvoir discrétionnaire et la compétence conférés au gouverneur en conseil par l'art. 55.2(4) sont suffisamment larges pour englober la prise des art. 4(3) et 4(4) La preuve ne démontre pas que les paragraphes en question sont déraisonnables, injustes ou inutiles ou qu'ils constituent un abus de pouvoir Les paragraphes en question sont compatibles avec les objectifs du Règlement, qui consistent à renforcer la position et les droits des brevetés tout en protégeant les intérêts des consommateurs canadiens en leur permettant de se procurer des médicaments brevetés à prix raisonnable La preuve ne permet pas de conclure que le Règlement est ultra vires.

Il s'agit d'une demande de bref de mandamus enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social d'inscrire les listes de brevets de la demanderesse dans le registre des brevets, ainsi qu'un jugement déclarant que le gouverneur en conseil a outrepassé les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets en édictant les paragraphes 4(3) et 4(5) (maintenant le paragraphe 4(4)) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Le paragraphe 4(3) prévoit que la liste de brevets doit être soumise en même temps que la demande d'avis de conformité. Le paragraphe 4(4) dispose que la liste de brevets doit être déposée dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet lorsqu'une demande d'avis de conformité a déjà été déposée.

En août 1992 et en juillet 1995 respectivement, la demanderesse a déposé une demande d'avis de conformité relativement à deux médicaments brevetés pour lesquels elle détient une licence exclusive. Les avis demandés lui ont été délivrés, mais elle a attendu jusqu'en 1997 avant de soumettre ses listes de brevets à la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada. L'enregistrement des listes de brevets a été refusé au motif qu'aux termes des paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement (dans leur rédaction alors en vigueur), les listes devaient être soumises en même temps que la demande d'avis de conformité.

Les questions en litige sont les suivantes: 1) Les paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement, modifiés, sont-ils ultra vires du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets? 2) Le refus du ministre d'enregistrer les listes de brevets de la demanderesse donne-t-il ouverture à un contrôle judiciaire et justifie-t-il le prononcé d'un bref de mandamus?

Jugement: la demande doit être rejetée.

Le Règlement n'est pas déraisonnable, injuste ou inutile. Lorsqu'aucun élément de preuve n'est présenté pour démontrer que l'exercice d'un pouvoir réglementaire est déraisonnable, inutile ou injuste ou constitue un abus de pouvoir, le Règlement doit être jugé valide, conformément à la présomption de validité et de bonne foi. Le paragraphe 55.2(4) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de "prendre des règlements [. . .] afin d'empêcher la contrefaçon de brevets d'invention". Le pouvoir discrétionnaire et la compétence conférés au gouverneur en conseil sont suffisamment larges pour englober la prise des paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement. La preuve ne démontre pas que les paragraphes en question sont déraisonnables, injustes ou inutiles ou qu'ils constituent un abus de pouvoir.

Lorsqu'un organisme de réglementation est investi d'un pouvoir discrétionnaire aussi vaste que celui que le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets confère au gouverneur en conseil, le seul examen auquel la Cour peut procéder est celui qui vise à déterminer si les dispositions du texte réglementaire concordent avec les objets de la loi habilitante. Le Règlement accorde aux "premières personnes" le droit limité d'enregistrer une liste de brevets dans un délai déterminé. Ce droit favorise l'atteinte des objectifs opposés de la Loi sur les brevets et est compatible avec les objectifs en question, qui consistent à renforcer la position et les droits des brevetés tout en protégeant les intérêts des consommateurs canadiens en leur permettant de se procurer des médicaments brevetés à prix raisonnable. L'atteinte de ces objectifs opposés est favorisée par l'octroi du droit d'enregistrer une liste de brevets et par l'imposition d'un délai, qui contribuent ensemble à maintenir l'équilibre que le législateur cherche à atteindre. L'enregistrement de la liste de brevets a pour effet de protéger les médicaments par l'octroi de brevets dans le but de récompenser l'innovation et d'encourager la recherche et le développement, tandis que l'imposition d'un délai a pour effet d'interdire aux grands monopoles d'empêcher les médicaments génériques de pénétrer sur le marché et de permettre aux consommateurs de se procurer des médicaments à prix raisonnable. Le droit limité d'enregistrer une liste de brevets dans les délais impartis vise de toute évidence à favoriser la prévention de la contrefaçon de brevets et est lié à cet objectif. Le droit limité de déposer une liste de brevets dans le délai imparti ne va pas à l'encontre de l'objet du Règlement ou de la Loi sur les brevets. De toute façon, le pouvoir d'imposer des délais de rigueur peut être inféré par déduction nécessaire ou délégation implicite. L'imposition de délais est nécessaire pour donner effet à l'intention du législateur de manière à renforcer la position des brevetés et à garantir que le consommateur canadien puisse se procurer des médicaments à prix raisonnable. Sans ces délais, les "premières personnes" pourraient étendre leur monopole et l'équilibre visé par le législateur ne pourrait être maintenu.

Comme le Règlement est intra vires, il n'y a pas lieu de délivrer un bref de mandamus. La demanderesse n'a pas déposé ses listes de brevets dans les délais prescrits par le Règlement. De plus, le Règlement ne confère pas au ministre le pouvoir discrétionnaire d'accepter des listes de brevets présentées après l'expiration du délai prescrit. En conséquence, le ministre n'était pas tenu d'accepter et d'enregistrer les listes de brevets de Fournier, et le bref de mandamus ne devrait donc pas être décerné.

lois et règlements

Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 4.

Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, ch. I-3, art. 7(3).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté idem, art. 5), 18.2 (édicté idem).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2(4) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).

Loi sur les mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206, art. 3.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 4 (mod. par DORS/98-166, art. 3).

Règles sur la Commission d'appel de l'immigration, DORS/67-559, règle 19.

jurisprudence

décisions appliquées:

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 518; (1996), 48 Admin. L.R. (2d) 109; 71 C.P.R. (3d) 166; 123 F.T.R. 161 (1re inst.); Lemoyne (Ville) c. Bessette (1995), 129 D.L.R. (4th) 697 (C.A. Qué.).

distinction faite avec:

Alvarez c. Ministre de la Main d'œuvre et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 149; (1978), 128 D.L.R. (4th) 385; 189 N.R. 175 (C.A.); R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674; 10 Admin. L.R. (2d) 161; 79 C.C.C. (3d) 158; 19 C.R. (4th) 347; 14 M.P.L.R. (2d) 1; 149 N.R. 114; 61 O.A.C. 241; Dumont c. R., [1977] C.A. 114 (Qué.).

décisions examinées:

Reference as to the Validity of the Regulations in relation to Chemicals, [1943] R.C.S. 1; [1943] 1 D.L.R. 248; (1943), 79 C.C.C. 1; Alaska Trainship Corporation et al. c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; (1981), 120 D.L.R. (3d) 577; 35 N.R. 271; ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32; (1996), 138 D.L.R. (4th) 71; 68 C.P.R. (3d) 417; 200 N.R. 376 (C.A.).

décisions mentionnées:

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] 3 C.F. 752; (1997), 74 C.P.R. (3d) 307; 133 F.T.R. 184 (1re inst.); Barreau du Québec c. Morin, [1988] R.J.Q. 2629; (1988), 18 Q.A.C. 291 (C.A.); Québec (Procureur général) c. Fortier, [1990] R.J.Q. 1280 (C.A.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; (1994), 110 D.L.R. (4th) 1; [1994] 3 W.W.R. 609; 88 B.C.L.R. (2d) 145; 20 Admin. L.R. (2d) 202; 41 B.C.A.C. 81; 20 M.P.L.R. (2d) 1; 163 N.R. 81; 66 W.A.C. 81; Canada (Procureur général) c. Young, [1989] 3 C.F. 647; (1989), 27 C.C.E.L. 161; 89 CLLC 14,046; 100 N.R. 333 (C.A.).

DEMANDE de bref de mandamus enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social d'inscrire les listes de brevets de la demanderesse dans le registre des brevets et demande de jugement déclarant que les paragraphes 4(3) et 4(5) (maintenant le paragraphe 4(4)) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sont ultra vires du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Demande rejetée.

ont comparu:

André Bégin et Luise Bauer pour la demanderesse.

André Lespérance pour les défendeurs.

Edward J. B. Hore pour l'intervenante.

avocats inscrits au dossier:

Lette & Associés, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Hazzard & Hore, Toronto, pour l'intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum:

INTRODUCTION

Dans la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur les articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4], 18.1 [édicté, idem, art. 5] et 18.2 [édicté, idem] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], la demanderesse, Fournier Pharma Inc. (Fournier), sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre), d'inscrire ses listes de brevets dans le registre des brevets, ainsi qu'un jugement déclarant que le gouverneur en conseil a outrepassé les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, édicté par l'article 4 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, en édictant les paragraphes 4(3) et 4(5) (maintenant le paragraphe 4(4)) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [mod. par DORS/98-166, art. 3], (le Règlement).

GENÈSE DE L'INSTANCE

Les faits à l'origine de la présente demande ne sont pas contestés et peuvent être résumés comme suit. En 1993, le régime législatif prévu par la Loi sur les brevets a été modifié. La Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets est entrée en vigueur en février 1993. L'article 55.2 de la Loi sur les brevets est toutefois entré en vigueur le 12 mars 1993, en même temps que le Règlement. Suivant ce nouveau régime, le ministre est chargé de délivrer des avis de conformité et de tenir le registre des brevets à jour. Aux termes du Règlement, une "première personne" peut, dans les délais prescrits, déposer une liste énumérant les brevets visant un médicament ou comportant une revendication pour l'utilisation d'un médicament. Une fois cette liste enregistrée, la "seconde personne" qui demande un avis de conformité doit signifier un avis d'allégation de non-contrefaçon à la "première personne" dont elle est susceptible de contrefaire le brevet. La "première personne" peut ensuite contester les allégations en question en saisissant la Cour fédérale d'une demande de contrôle judiciaire qui peut donner lieu au prononcé d'une injonction interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la "seconde personne". Inversement, le défaut de déposer une liste de brevets dans les délais impartis peut se solder par la délivrance d'un avis de conformité à la "seconde personne" et ce, malgré l'existence d'un brevet pour le médicament. Pour une analyse plus fouillée de la procédure prévue par ce régime, voir la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) , [1997] 3 C.F. 752 (1re inst.).

En août 1992 et en juillet 1995 respectivement, la demanderesse, qui détient une licence exclusive à l'égard du brevet canadien no 1322529 relativement aux médicaments Fénofibrate et Fénofibrate (micronisé), a déposé une demande d'avis de conformité relativement aux médicaments en question. Santé Canada lui a délivré les avis demandés. Fournier a toutefois attendu jusqu'en 1997 avant de soumettre ses listes de brevets à la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada. Les listes en question concernaient des brevets délivrés en octobre 1993. Santé Canada a refusé d'enregistrer les listes de brevets au motif qu'aux termes des paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement, les listes devaient être soumises en même temps que la demande d'avis de conformité. À la suite du refus du ministre d'enregistrer les listes de brevets, Fournier a déposé la présente demande de contrôle judiciaire par laquelle elle sollicite le prononcé d'une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'enregistrer les listes de brevets, ainsi qu'un jugement invalidant les paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement, sur lesquels le ministre s'est fondé pour justifier son refus.

Dans son mémoire, Fournier soutient que les paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement sont ultra vires du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, au motif qu'ils sont déraisonnables, injustes et inutiles. Au soutien de sa thèse, Fournier invoque trois grands principes de droit: 1) tout texte réglementaire pris en application d'une loi doit être conforme à sa loi habilitante et ne doit pas aller au-delà des objets de celle-ci; 2) le règlement ne doit pas entrer en conflit avec des dispositions législatives d'une manière qui en modifie ou en limite les effets; 3) le règlement ne doit pas constituer un abus de pouvoir ou être déraisonnable. Plus précisément, Fournier affirme que la disposition habilitante, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, dont la formulation est générale, ne permet pas à l'organisme de réglementation d'ajouter dans la loi des conditions qui auraient pour effet d'en limiter les effets, de supprimer des droits ou d'imposer de nouvelles obligations. Fournier ajoute qu'un tel règlement constituerait un abus de pouvoir, serait déraisonnable et irait à l'encontre de la loi habilitante. De plus, Fournier soutient que les délais de rigueur auxquels le Règlement assujettit les "premières personnes" privent les brevetés et les titulaires de licences de la pleine protection de la Loi.

Toutefois, lors de l'audience que j'ai présidée, Fournier a soutenu que, ce qu'elle conteste, ce n'est pas tant le délai imparti pour déposer la liste de brevets que le fait que les délais de rigueur prévus ne permettent pas d'accorder un délai de grâce ou une prorogation de délai et qu'ils portent donc atteinte aux droits que la Loi est censée protéger.

À la suite de la présentation de la demande par laquelle Fournier conteste la validité du Règlement, Novopharm Limited a demandé à la Cour l'autorisation d'intervenir à l'instance, autorisation qui lui a été accordée aux termes de l'ordonnance rendue le 31 octobre 1997.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la validité des paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement qui ont été édictés en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, dont voici le libellé:

55.2 [. . .]

(4) Afin d'empêcher la contrefaçon de brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment:

a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l'exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d'avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n'est pas le breveté;

b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l'alinéa a) peut être délivré à quelqu'un qui n'est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;

c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l'ancien titulaire du brevet, et le demandeur d'un titre visé à l'alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;

d) conférant des droits d'action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l'alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

[Règlement]

4. (1) La personne qui dépose ou qui, avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue qui contient un médicament ou a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets.

(2) La liste de brevets visée au paragraphe (1) doit faire l'objet d'une attestation de la personne quant à son exactitude et doit contenir les éléments suivants:

a) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire en vue de l'inclure dans la liste et qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament et qu'elle souhaite inclure dans la liste;

b) une déclaration portant qu'à l'égard de chaque brevet, la personne qui demande l'avis de conformité en est le propriétaire, en détient la licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire en vue de l'inclure dans la liste;

c) la date d'expiration de la période à laquelle est limitée la durée de chaque brevet aux termes des articles 44 ou 45 de la Loi sur les brevets;

d) l'adresse de la personne au Canada aux fins de signification de tout avis d'allégation visé à l'alinéa 5(3)b) ou les nom et adresse au Canada d'une autre personne qui peut recevoir signification avec le même effet que s'il s'agissait de la personne elle-même.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de sa demande d'avis de conformité.

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la personne qui a déposé une demande d'avis de conformité ou qui a obtenu un tel avis avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement et qui souhaite soumettre une liste de brevets doit le faire dans les 30 jours suivant cette date.

(5) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets qui comprend les éléments visés au paragraphe (2) à l'égard d'un brevet qui a été délivré au cours des 30 jours précédents et qui était fondé sur une demande au tribunal déposée avant la date de ce dépôt ou elle peut modifier la liste de brevets existante pour inclure ces éléments.

Toutefois, après que Fournier eut déposé sa demande et avant l'ouverture de l'audience, le Règlement a été modifié. Ces modifications sont entrées en vigueur le 11 mars 1998. Le texte des deux paragraphes a été modifié et le paragraphe 4(5) a été remplacé par le paragraphe 4(4). Par souci de commodité, je reproduis ci-après les paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement, modifiés par DORS/98-166.

4. [. . .]

(3) Sous réserve du paragraphe (4), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d'avis de conformité.

(4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2).

QUESTIONS EN LITIGE

Les actes de procédure soulèvent deux questions litigieuses:

Les paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement, modifiés, sont-ils ultra vires du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets?

Le refus du ministre d'enregistrer les listes de brevets de Fournier donne-t-il ouverture à un contrôle judiciaire et justifie-t-il le prononcé d'une ordonnance de mandamus?

ANALYSE

J'examinerai d'abord la question de la validité des dispositions du Règlement sur lesquelles repose la décision du ministre pour décider s'il y a lieu d'accorder à Fournier la réparation qu'elle sollicite, à savoir une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'enregistrer sa liste de brevets.

Dans son mémoire, Fournier soutient que les paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement devraient être déclarés invalides parce qu'ils sont déraisonnables, injustes et inutiles. À l'appui de cet argument, Fournier a soutenu à l'audience que les délais de rigueur prévus au Règlement constituent des conditions sine qua non qui ne sont pas autorisées par la loi habilitante. Elle a également fait valoir que ces délais de rigueur ont pour effet de priver les "premières personnes" de la protection de la Loi, ce qui va à l'encontre de l'objet du Règlement et de la Loi sur les brevets , qui est d'empêcher la contrefaçon des brevets. Elle ajoute que les délais de rigueur prescrits par le paragraphe 4(3)"qui prévoit que la liste de brevets doit être soumise en même temps que la demande d'avis de conformité"et par le paragraphe 4(4)"qui dispose que la liste de brevets doit être déposée dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet lorsqu'une demande d'avis de conformité a été déposée"sont déraisonnables, injustes et inutiles, parce qu'ils ne prévoient pas de délai de grâce et qu'ils ne permettent pas d'obtenir la prorogation du délai imparti le dépôt de la liste de brevets.

Le nouveau régime régissant les brevets, qui englobe la Loi sur les brevets et son règlement d'application, a déjà été examiné par la Cour fédérale dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 518 (1re inst.), où la Cour a examiné la validité du Règlement.

Dans l'affaire Apotex, certaines des questions en litige étaient pratiquement identiques à celles qui se posent en l'espèce. La Cour s'est notamment demandée si, en prenant le Règlement, le gouverneur en conseil avait outrepassé les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. La Cour a également examiné les arguments d'Apotex suivant lesquels le Règlement avait été pris inutilement et pour un motif accessoire ou non avoué et qu'il était discriminatoire. Le juge MacKay a jugé ces arguments non convaincants et a rejeté la demande.

Pour en arriver à cette conclusion, le juge MacKay a examiné la portée des pouvoirs réglementaires conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, et a estimé que cette disposition conférait au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire et une compétence qui le justifiaient pleinement de prendre le règlement en question. J'ai également examiné les pouvoirs réglementaires conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) à la lumière de l'argument de Fournier suivant lequel l'imposition des délais de rigueur constitue une condition qui n'est pas autorisée par la loi habilitante et qui est effectivement déraisonnable, injuste et inutile. À mon avis, le juge MacKay a abordé certaines de ces questions dans le jugement Apotex. Je cite et fais mien le passage suivant de sa décision, à la page 552:

Selon moi, cet argument découle d'une méprise quant au sens des mots "as the Governor in Council considers necessary". Ces mots confèrent au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire à l'égard duquel les tribunaux, reconnaissant cette intention du législateur, appliquent le principe de retenue judiciaire. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne serait compromis que par la preuve, absente en l'espèce, que le gouverneur en conseil ne considérait pas le Règlement nécessaire. Le gouverneur en conseil n'a pas à démontrer la nécessité d'un règlement; il n'a même pas à prouver qu'il a examiné cette question. La simple prise d'un règlement établit que le gouverneur en conseil l'a jugé nécessaire, pour ce qui est, à tout le moins, de l'examen de la Cour. Le libellé utilisé renvoie à une question qui doit être déterminée par le gouverneur en conseil, dont les opinions en cette matière ne sont pas susceptibles d'examen, il n'énonce d'aucune façon un critère objectif de nécessité qui doit être satisfait, voire examiné.

Le juge MacKay a poursuivi en examinant l'arrêt Reference as to the Validity of the Regulations in relation to Chemicals, [1943] R.C.S. 1. Dans cette affaire, la validité du règlement était contestée au motif que le gouverneur en conseil n'était pas autorisé par la disposition habilitante à prendre un règlement portant sur des produits chimiques. La Cour suprême du Canada a examiné l'article 3 de la Loi des mesures de guerre [S.R.C. 1927, ch. 206], qui conférait au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre le règlement en question. L'article 3 prévoyait que "[l]e gouverneur en son conseil a le pouvoir de faire et autoriser tels actes et choses et d'édicter quand il y a lieu les décrets et règlements qu'il peut [. . .] juger nécessaires ou opportuns pour la sécurité, la défense, la paix, l'ordre et le bien-être du Canada". Dans l'arrêt Apotex , supra, à la page 552, le juge MacKay a cité un extrait de l'arrêt Chemicals de la Cour suprême du Canada où le juge en chef Duff déclarait, à la page 12:

[traduction] [. . .] lorsque le gouverneur en conseil prend un règlement dans l'exercice déclaré des fonctions que la loi lui confère, je ne puis souscrire à l'opinion selon laquelle il est loisible à tout tribunal d'examiner les facteurs qui ont pu l'amener à considérer que le règlement était nécessaire ou souhaitable pour les objets transcendants exposés.

À mon avis, il ressort clairement de la jurisprudence précitée que le tribunal devrait hésiter à intervenir dans l'exercice des larges pouvoirs discrétionnaires et de la vaste compétence dont le gouverneur en conseil est investi. À cet égard, l'avocat de Fournier a soutenu à l'audience que les délais de rigueur prévus aux paragraphes en question permettent aux fabricants de médicaments génériques de pénétrer sur le marché malgré les brevets et les licences délivrés à l'égard des médicaments en question. L'avocat de Fournier a soumis en preuve un affidavit"que l'on trouve à l'onglet 3 du dossier de la demande"dans lequel Tom Brogan affirme que le lancement de médicaments génériques sur le marché est susceptible d'avoir des répercussions financières et commerciales considérables, plus particulièrement en ce qui concerne Fournier, étant donné que Fournier ne fabrique que les deux médicaments susmentionnés au sujet desquels l'enregistrement de la liste de brevets a été refusé.

Les arguments et les éléments de preuve présentés par Fournier ne m'ont pas convaincu que le Règlement est déraisonnable, injuste ou inutile. À mon avis, lorsqu'aucun élément de preuve n'est présenté pour appuyer la thèse de Fournier que les paragraphes en question sont ultra vires et pour démontrer que l'exercice d'un pouvoir réglementaire est déraisonnable, inutile ou injuste ou constitue un abus de pouvoir, comme je conclus que c'est le cas en l'espèce, le Règlement doit être jugé valide, conformément à la présomption de validité et de bonne foi (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) supra et Lemoyne (Ville) c. Bessette (1995), 129 D.L.R. (4th) 697 (C.A. Qué.)).

Dans Apotex, supra, le juge MacKay dit ceci, aux pages 552 et 553:

Je signale qu'en l'espèce, le préambule du Règlement visé énonce expressément que le texte réglementaire qui suit, concernant les avis de conformité portant sur les médicaments brevetés, est pris "en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets".

Par conséquent, lorsque Apotex prétend que ni la nécessité du Règlement ni la prise en considération de cette nécessité n'ont été démontrées, elle n'établit pas que le gouverneur en conseil n'a pas satisfait aux exigences du paragraphe 55.2(4) en prenant le Règlement. Dans les circonstances, il y a lieu de tenir pour acquis, en l'absence de toute preuve de l'inutilité du Règlement, que le gouverneur en conseil a considéré le Règlement nécessaire au moment où il l'a pris. Dans un tel cas, le seul examen auquel la Cour peut procéder est celui qui vise à déterminer si les dispositions du texte réglementaire concordent avec les objets de la loi habilitante. (Voir Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada, [1989] 2 C.F. 158 (C.A.), à la page 171, juge d'appel Pratte.)

Dans l'arrêt Lemoyne, supra, la Cour d'appel du Québec a invalidé un règlement municipal qui fixait les heures d'ouverture des salles de jeux électroniques et qui en limitait l'accès aux personnes âgées de plus de 18 ans. Avant d'examiner la question de savoir si le règlement était discriminatoire, injuste, abusif ou entaché de mauvaise foi, le juge Gendreau a, avec l'appui du juge Fish, dit ce qui suit au sujet de la présomption de validité et de bonne foi, à la page 702:

[traduction] J'aimerais formuler deux observations. Premièrement, il est faux de dire que c'était à la ville qu'il incombait de démontrer qu'elle agissait dans l'intérêt du public. Au contraire, lorsqu'elle réglemente une activité, une municipalité est présumée agir dans l'intérêt général et être de bonne foi (Montréal (Ville) c. Arcade Amusements, supra; Corporation municipale de Dollard-des-Ormeaux c. Amusements Pinocchio Inc., [1994] R.J.Q. 895, 63 Q.A.C. 21, 46 A.C.W.S. (3d) 1164), et c'est à celui qui demande l'annulation pour cause d'abus de droit qu'il incombe de le prouver.

Ainsi que je l'ai déjà mentionné, le paragraphe 55.2(4) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de "prendre des règlements [. . .] afin d'empêcher la contrefaçon de brevet d'invention". Le pouvoir discrétionnaire et la compétence conférés au gouverneur en conseil sont suffisamment larges pour englober l'édiction des paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement, qui imposent une date limite pour l'enregistrement des listes de brevets. Je conclus que les éléments de preuve soumis par l'avocat de Fournier ne démontrent pas que les paragraphes en question sont déraisonnables, injustes ou inutiles ou qu'ils constituent un abus de pouvoir.

Cela ne règle cependant pas le sort de la demande. Il reste à trancher une question qui découle de l'argument de Fournier suivant lequel l'imposition de délais de rigueur ne respecte ni l'objet du Règlement, ni les objectifs généraux de la Loi sur les brevets. À cet égard, je me reporte à la conclusion à laquelle le juge MacKay en est venu dans le jugement Apotex, supra, à la page 553, où il dit que, lorsqu'un organisme de réglementation est investi d'un pouvoir discrétionnaire aussi vaste que celui que le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets confère au gouverneur en conseil, "le seul examen auquel la Cour peut procéder est celui qui vise à déterminer si les dispositions du texte réglementaire concordent avec les objets de la loi habilitante".

Fournier soutient qu'en empêchant la "première personne" de déposer une liste de brevets, les paragraphes 4(3) et 4(4) ont pour effet de permettre l'arrivée d'un médicament générique sur le marché canadien, ce qui risque de causer des pertes considérables et irréparables. Elle ajoute que ce n'est pas l'objet de la Loi. Quant à l'intervenante Novopharm, elle fait valoir que la procédure extraordinaire prévue par le Règlement confère aux fabricants de médicaments d'origine un avantage considérable lorsqu'ils planifient leur stratégie de mise en marché et que cette procédure permet aux "premières personnes" de retarder l'arrivée des fabricants de médicaments génériques sur le marché. Sans les délais prescrits pour le dépôt des listes de brevets, les "premières personnes" pourraient prolonger indéfiniment leur monopole.

À l'appui de sa thèse, Fournier invoque les propositions suivantes: le pouvoir de réglementation est limité par l'exigence que les règlements doivent être établis dans la poursuite de ses objets ou en conformité avec eux: Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261, à la page 268; le règlement doit être compatible avec l'objet général de la loi habilitante: Barreau du Québec c. Morin, [1988] R.J.Q. 2629 (C.A.); Dumont c. R., [1977] C.A. 114; Québec (Procureur général) c. Fortier, [1990] R.J.Q. 1280 (C.A.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; et R. c. Greenbaum, [1993] 1 R.C.S. 674.

Les objets du Règlement et de la Loi sur les brevets ont été examinés dans l'affaire Apotex, supra et dans l'arrêt ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32 (C.A.). Dans le jugement Apotex, supra, le juge MacKay a examiné l'historique législatif du régime applicable aux brevets et a dit, à la page 547, que les pouvoirs réglementaires conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) devaient être interprétés "en fonction des objectifs poursuivis par la Loi modificatrice et dans le contexte de cette Loi".

L'analyse la plus complète des objets de la Loi sur les brevets et de son règlement d'application en tant que régime intégré se trouve dans l'arrêt ICN Pharmaceuticals, supra. S'exprimant au nom de la Cour d'appel, le juge Robertson a expliqué, aux pages 40 et 41, que l'objectif poursuivi était double:

La protection accordée aux médicaments par l'octroi de brevets vise à récompenser l'innovation et à inciter les entreprises pharmaceutiques à consacrer davantage de ressources à la recherche et au développement de nouveaux médicaments. Cependant, cet objectif ne doit pas l'emporter sur la nécessité de faire en sorte que les Canadiens puissent se procurer des médicaments brevetés à prix raisonnable. Depuis le début du siècle, deux cadres législatifs ont tenté, au Canada, de réaliser un tel équilibre. Le premier a mis sur pied un système d'octroi de licences obligatoires, et le second a établi un contrôle des prix.

Dans l'affaire ICN Pharmaceuticals, le juge Robertson a également examiné l'objectif poursuivi par le Règlement à la lumière de l'évolution législative du régime applicable aux brevets. Aux pages 43 à 45, il dit ceci:

Les dispositions les plus récentes touchant les médicaments brevetés ont été adoptées en 1993. Il s'agit de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2 et du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). Ces modifications s'imposaient surtout en raison de la participation du Canada aux négociations relatives au GATT et à l'ALÉNA (voir Horton, aux pages 150 à 153; et Marusyk, à la page 162). Comme le Canada était le seul des principaux pays industrialisés à être doté d'un régime d'octroi de licences obligatoires, on estimait que ses dispositions régissant les brevets devaient être harmonisées avec celles des autres pays industrialisés (voir Horton, à la page 153, et Communiqué, Gouvernement du Canada, CP-10770/92-21, à la page 3).

Les modifications apportées à la Loi en 1993 et l'adoption du Règlement comportent trois volets principaux. Les deux premiers correspondent au renforcement de la position et des droits des brevetés, et le troisième, à la protection des intérêts des consommateurs canadiens.

Premièrement, le régime d'octroi de licences obligatoires a été aboli, éliminant ainsi la possibilité de contrôler les prix grâce à la concurrence sur le marché. Désormais, le breveté jouit d'une exclusivité sur le marché pendant toute la période de validté de son brevet, soit vingt ans à partir de la date de la demande (voir l'article 44 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi). Toutefois, les sociétés de produits génériques peuvent développer un produit avant l'expiration du brevet à la seule fin de pouvoir accéder au marché dès l'expiration du brevet en cause.

Deuxièmement, aux termes du nouveau Règlement, une procédure est établie afin d'éviter qu'un fabricant de médicaments génériques obtienne un avis de conformité à l'égard d'un médicament qui pourrait emporter la contrefaçon d'un brevet détenu par un fabricant de médicaments d'origine. À défaut d'un tel avis, un médicament ne peut être commercialisé au Canada; voir la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 (la Loi sur les aliments et drogues). En vertu de ce régime, les droits du breveté sont consolidés, mais leur portée est réduite. D'une part, les dispositions pertinentes permettent l'inscription des brevets sur une "liste de brevets", mais seulement s'ils comportent une revendication pour un médicament ou une revendication pour son utilisation (alinéa 4(2)a ) du Règlement). Lorsqu'une société de produits génériques demande un avis de conformité relativement à un médicament et qu'une comparaison est établie avec un médicament inscrit sur une liste de brevets, le breveté en est informé. Ce dernier peut alors demander à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à la société de produits génériques. Il s'agit d'un recours extraordinaire, le breveté n'ayant pas à intenter une action en contrefaçon de brevet ni à obtenir une injonction applicable pendant la période de validité du brevet en cause. Par conséquent, si une ordonnance d'interdiction est rendue, la société de produits génériques ne peut obtenir un avis de conformité et ne peut donc commercialiser son produit avant l'expiration du brevet. Le droit du breveté à une période d'exclusivité est ainsi préservé. Cependant, comme signalé, les modifications ont également pour effet de restreindre la portée des brevets auxquels s'applique ce recours extraordinaire. Seul le brevet visant un médicament ou l'utilisation d'un médicament bénéficie de la protection. Le terme "médicament" est défini à l'article 2 du Règlement comme étant une "[s]ubstance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie", ce qui exclut notamment les intermédiaires; voir Eli Lilli and Co. v. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.); conf. par [1996] A.C.F. no 638 (C.A.) (QL). Il ressort de ce qui précède que le Règlement vise deux objectifs opposés. L'un est d'accorder une protection complète au breveté en empêchant les fabricants de médicaments génériques de commercialiser des médicaments qui pourraient emporter la contrefaçon de ses brevets et l'autre est de limiter cette protection à une catégorie restreinte de médicaments.

Les paragraphes 4(3) et 4(4) ont-ils été établis dans la poursuite des objets du Règlement et de la Loi sur les brevets ou en conformité avec eux?

Dans l'arrêt Alaska Trainship, supra, le juge en chef a, à la page 275, précisé que, ce qui est exigé, c'est que le règlement puisse "à bon droit être considéré" comme une question de sécurité ou une question [. . .] reliée" aux objets de la loi habilitante:

En un mot, il faut déterminer si faire reposer la demande d'exemption sur le pavillon d'un navire, en l'espèce l'immatriculation au Canada, et de la même façon, la demande de dispense, en l'espèce l'immatriculation aux États-Unis, peut à bon droit être considéré comme une question de sécurité ou une question y reliée, dans la réalisation des objets de l'Administration en vertu de l'art. 12.

Dans l'affaire Greenbaum, supra, que Fournier invoque, la Cour suprême du Canada a examiné la validité d'un règlement municipal interdisant l'étalage sans permis de marchandises sur la voie publique. Le règlement avait pour effet d'établir une distinction entre les vendeurs ambulants indépendants et les propriétaires-occupants des biens-fonds attenants. Comme seuls ces derniers pouvaient obtenir un permis pour l'utilisation des trottoirs, le juge en chef a déclaré le règlement invalide et a estimé, à la page 695, que l'établissement d'une distinction doit être absolument nécessaire à l'exercice d'un pouvoir réglementaire pour que la Cour puisse inférer le pouvoir d'établir une telle distinction du texte législatif habilitant, par déduction nécessaire ou délégation implicite:

Je ne suis pas convaincu qu'en l'espèce l'établissement d'une distinction entre les vendeurs ambulants indépendants et les propriétaires-occupants d'un bien-fonds attenant était absolument nécessaire à l'exercice du pouvoir de délivrer un permis, au point de devoir inférer du texte législatif habilitant (l'art. 90 de la Loi sur la municipalité de la communauté urbaine de Toronto), par déduction nécessaire ou délégation implicite, le pouvoir d'établir une telle distinction.

Dans l'arrêt Dumont, supra, que Fournier invoque à l'appui de sa proposition que les conditions sine qua non non autorisées par les pouvoirs conférés par règlement sont invalides sauf si l'on peut en démontrer la nécessité, la Cour d'appel écrit, sous la plume du juge Bernier, à la page 116:

Je suis d'avis qu'on ne pouvait sur une disposition aussi vague fonder l'article 13.03 du Règlement, sans démontrer, qu'eu égard au contexte de la Loi, cette mesure "était nécessaire à l'application de la présente loi". La Couronne ne l'a pas démontré.

Fournier invoque également l'arrêt Alvarez c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 149 (C.A.), dans lequel une disposition imposant un délai de 30 jours a été jugée ultra vires. Dans l'affaire Alvarez, l'article 19 des Règles de la Commission d'appel de l'immigration [DORS/67-559] prévoyait que les demandes visant à obtenir que la Commission motive ses décisions devaient être déposées auprès du registraire dans les 30 jours suivant la date de la décision relative à l'appel. La Cour d'appel fédérale a jugé ultra vires les Règles de la Commission d'appel de l'immigration au motif qu'elles étaient incompatibles avec le paragraphe 7(3) de la Loi. Le juge Le Dain a conclu ce qui suit, à la page 151:

La Règle 19 précitée a été établie en vertu de cette autorisation. Il faut admettre que, généralement parlant, il s'agit là d'une règle concernant l'"activité [de la Commission] et la pratique et la procédure relatives aux appels". J'estime cependant qu'elle est incompatible avec l'article 7(3) de la Loi dans la mesure où elle fixe un délai pour le dépôt d'une demande de communication des motifs et qu'à ce titre, elle est ultra vires . Elle limite un droit qui a été accordé sans restriction par l'article 7(3). Elle implique qu'une demande de communication des motifs ne peut être faite qu'à l'issue de l'appel. Dans cet ordre d'idées, elle est manifestement incompatible avec l'article 7(3) qui n'impose pas une telle restriction. Si le législateur avait voulu fixer un délai pour le dépôt des demandes de communication des motifs, il aurait expressément habilité la Commission à fixer un tel délai, comme il l'a fait à l'article 19 de la Loi en ce qui concerne le délai d'appel. Sur le plan pratique, un tel délai eût été souhaitable, mais le pouvoir d'en fixer un ne peut, à mon avis, se fonder sur l'article 8(1).

À mon sens, il y a lieu d'établir une distinction entre l'affaire Alvarez et la présente espèce. Dans l'affaire Alvarez, le délai de 30 jours prescrit par les Règles de la Commission d'appel de l'immigration pour demander à la Commission de motiver sa décision avait pour effet de limiter le droit des parties de demander à la Commission, en vertu du paragraphe 7(3) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration [S.R.C. 1970, ch. I-3], de motiver ses décisions. Le paragraphe 7(3) disposait: "La Commission peut, et doit à la demande de l'une ou l'autre des parties à l'appel, motiver sa décision quant à l'appel". En ce sens, l'article 19 limitait le droit des parties de demander à la Commission de motiver sa décision, droit qui leur était conféré sans réserve par le paragraphe 7(3) de la loi habilitante.

En l'espèce, l'obligation prévue au paragraphe 4(3) de déposer la liste des brevets en même temps que la demande d'avis de conformité, et le délai de 30 jours prévu au paragraphe 4(4) du Règlement, ne limitent et ne restreignent aucunement les droits conférés par la loi habilitante, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Alvarez. En outre, dans le cas qui nous occupe, le droit de déposer une liste de brevets qui est prévu par le Règlement est limité et restreint par les délais qui sont imposés, alors que, dans l'affaire Alvarez, le droit conféré par la loi habilitante ne comportait aucune réserve. À mon avis, les délais prévus aux paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement ne suppriment ou ne restreignent aucun droit, notamment ceux qui sont conférés par la Loi sur les brevets. Lorsqu'une loi ne crée aucun droit à un avantage, il ne peut y avoir de conflit: Canada (Procureur général) c. Young, [1989] 3 C.F. 647 (C.A.), aux pages 664 et 665.

Le Règlement accorde aux "premières personnes" le droit limité d'enregistrer une liste de brevets dans un délai déterminé. À mon avis, ce droit favorise l'atteinte des objectifs concurrents de la Loi sur les brevets et est compatible avec les objectifs en question, savoir le renforcement de la position et des droits des brevetés, et la protection des intérêts des consommateurs canadiens par l'accès à des médicaments brevetés à prix raisonnable. L'atteinte de ces objectifs concurrents est favorisée par l'octroi du droit d'enregistrer une liste de brevets et par l'imposition d'un délai, qui contribuent ensemble à maintenir l'équilibre que le législateur cherche à atteindre. L'enregistrement de la liste de brevets a pour effet d'étendre la protection par brevet dans le but de récompenser l'innovation et d'encourager la recherche et le développement, tandis que l'imposition d'un délai a pour effet d'empêcher les grands monopoles de freiner l'arrivée des médicaments génériques sur le marché et de permettre aux consommateurs de se procurer des médicaments à prix raisonnable.

De plus, même s'il m'est impossible de conclure que les délais prescrits pour l'enregistrement des listes de brevets constituent des distinctions ou des interdictions comme celles dont il était question dans les affaires Greenbaum et Dumont, supra, je conclus que le droit limité d'enregistrer une liste de brevets dans les délais impartis vise manifestement à favoriser la prévention de la contrefaçon de brevets et est lié à cet objectif. Je ne peux m'empêcher d'être en désaccord avec l'idée que les délais ont une incidence sur les objectifs visés dans la mesure où l'on peut dire que le droit limité de déposer une liste de brevets dans le délai imparti va à l'encontre de l'objet du Règlement ou de la Loi sur les brevets. Et si j'ai tort de conclure que les délais sont établis dans la poursuite des objets du Règlement et de la Loi sur les brevets ou qu'ils y sont liés, je conclus que le pouvoir d'imposer des délais de rigueur peut être inféré par déduction nécessaire ou délégation implicite. Dans l'arrêt ICN Pharmaceuticals, (supra) la Cour a précisé les objectifs du régime applicables aux brevets. À mon avis, l'imposition de délais est nécessaire pour donner effet à l'intention du législateur de manière à renforcer la position des brevetés et à garantir au consommateur canadien l'accès à des médicaments à prix raisonnable. Sans ces délais, les "premières personnes" pourraient étendre leur monopole et l'équilibre visé par le législateur ne pourrait être maintenu.

Compte tenu de ma conclusion que le Règlement est intra vires, force m'est de conclure qu'il n'y a pas lieu de prononcer une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'enregistrer les listes de brevets de Fournier. Fournier n'a pas déposé ses listes de brevets dans les délais prescrits par le Règlement. Les brevets désignés dans les listes de brevets ont été accordés en octobre 1993 et les listes de brevets ont été soumises en avril 1997. De plus, le Règlement ne confère pas au ministre le pouvoir discrétionnaire d'accepter des listes de brevets présentées après l'expiration du délai prescrit. En conséquence, le ministre n'était pas tenu d'accepter et d'enregistrer les listes de brevets de Fournier, et le mandamus ne devrait donc pas être décerné.

CONCLUSION

Je rejette donc la demande présentée par Fournier en vue d'obtenir une ordonnance déclarant les paragraphes 4(3) et 4(4) du Règlement ultra vires, ainsi qu'une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'enregistrer les listes de brevets de Fournier. Je suis convaincu que le gouverneur en conseil avait toute la compétence et tout le pouvoir discrétionnaire voulus pour édicter les paragraphes en question et que ceux-ci ont été établis dans la poursuite des objets précis du Règlement et des objets généraux de la Loi sur les brevets ou en conformité avec eux. À cet égard, les arguments de Fournier ne m'ont pas convaincu et j'estime que les éléments de preuve présentés sous forme d'affidavit par Fournier ne permettent pas de conclure que le Règlement est ultra vires ou qu'il est par ailleurs illicite.

La demande est en conséquence rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.