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[1997] 2 C.F. 1001

T-2418-96

Margem Chartering Co. Inc. (demanderesse)

c.

Cosena, S.R.L. et les propriétaires et tous les autres ayants droit du navire Bocsa et le navire Bocsa (défendeurs)

Répertorié : Margem Chartering Co. Inc. c. Bocsa (Le) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave —Vancouver, 24 janvier et 5 mars 1997.

Droit maritime Contrats Demande de radiation de la déclaration et de certaines parties de la déclaration relatives à l’action in rem et d’annulation du mandat de saisieContrat de transport de charbon de Vancouver en Turquie sur le Bocsa dans le cadre d’une charte-partie Welsh Coal Charter américanisée entre International Broking Agency, l’armateur-disposant et la demanderesseÀ son arrivée à Vancouver, le navire a été détenu par la Garde côtière en raison d’irrégularitésIncapable de recevoir la cargaisonIntroduction d’une action fondée sur le contrat en responsabilité délictuelleMandat de saisie fondée sur une réclamation pour manquement au contratDemande accueillie en ce qui a trait à certaines parties relatives au manquement au contratUne demande in rem visant un navire doit être fondée sur une demande in personam contre le propriétaire du navireLe sous-affréteur qui intente une action contre un propriétaire et qui saisit un navire sans avoir de lien contractuel avec celui-ci utilise manifestement les procédures de la Cour de façon abusive et cette action est aussi scandaleuse, futile et vexatoireL’action contractuelle est manifestement futile et constitue un emploi abusif des procéduresLe mandat de saisie n’est pas annulé, car l’inexactitude, le défaut d’indiquer que la demande était fondée sur la responsabilité délictuelle ne permettait pas aux demandeurs d’obtenir un redressement qu’ils n’auraient pu obtenir si le redressement convenable avait été demandé dans l’affidavit portant demande de mandat .

Compétence de la Cour fédéraleSection de première instanceL’art. 43(2) accorde à la Cour, aux termes de l’art. 22, la compétence en matière personnelle dans toute action portant sur un navireL’art. 22(2)i) confère à la Cour la compétence en ce qui concerne les demandes découlant de l’usage ou du louage d’un navireL’action pour manquement au contrat et en responsabilité délictuelle a débuté lorsque le Bocsa a été incapable de recevoir la cargaison parce qu’il était détenu par la garde côtière en raison d’irrégularités --Le navire a été saisi sur le fondement d’un manquement au contratIl existe un lien suffisant entre la demanderesse et le Bocsa, notamment l’envoi du navire à Vancouver, la préparation de la cargaison pour que l’on ne puisse conclure que l’action en responsabilité délictuelle est futileL’affaire est visée par l’art. 22(2)i) en raison de l’entente concernant l’utilisation du navire qui peut être invoqué tant en matière contractuelle que délictuelle.

Il s’agit d’une demande de radiation de la déclaration ou de certaines parties in rem de celle-ci et d’annulation du mandat de saisie parce que l’affidavit portant mandat n’a pas à bon droit fait état de la nature de la réclamation. Le Bocsa est un vraquier loué à la demanderesse. Une charte-partie américanisée dite « Welsh Coal Charter » qui comporte des modifications et différentes clauses supplémentaires devait régir le transport de charbon de Vancouver en Turquie. À son arrivée à Vancouver, le Bocsa a été détenu par la Garde côtière canadienne en raison d’un certain nombre d’irrégularités et n’a donc pas pu recevoir la cargaison de charbon. La demanderesse a intenté la présente action et a demandé un mandat de saisie à l’égard du navire. L’affidavit portant demande de mandat allègue un manquement à une charte-partie. La déclaration alléguait un manquement à la charte-partie et la responsabilité délictuelle. Le navire a été saisi mais après le dépôt par la défenderesse d’un cautionnement sous forme de garantie bancaire, il est reparti sur son lest.

Jugement : la demande doit être accueillie à l’égard de certaines parties de la déclaration qui concernent le manquement au contrat.

Si l’on accepte la déclaration comme si elle était établie, elle semble révéler une cause d’action.

Les alinéas 419(1)c) et f) des Règles prévoient un redressement uniquement à l’encontre des plaidoiries. Ni l’affidavit portant demande de mandat non plus que le mandat lui-même ne sont visés par la définition d’une plaidoirie écrite et, par conséquent, il n’est pas possible d’invoquer la Règle 419 pour annuler le mandat à titre de procédure abusive. Cependant, la Cour est investie d’une compétence inhérente procédurale ou implicite pour annuler un mandat qui constitue un abus de procédures.

Le contrat d’affrètement a été conclu avec l’armateur-disposant International Broking Agency. International Broking Agency est décrite en toutes lettres comme l’armateur-disposant et elle a signé sans réserve, alors qu’il aurait été très facile d’indiquer que l’agence signait l’entente à titre de représentant. Il existe une forte présomption prima facie selon laquelle une personne qui signe en son propre nom s’engage personnellement. La charte-partie Welsh Coal Charter ne comporte aucun élément suffisamment important pour réfuter la forte présomption prima facie selon laquelle International Broking Agency, l’armateur-disposant, s’est engagée comme partie principale. Le résumé du contrat d’affrètement (un document précédent sur lequel s’est fondé la demanderesse à titre d’entente pour l’affrètement du navire) indique que l’agence devait être partie contractante de son propre chef, tandis qu’il appert de la charte-partie qu’elle était armateur-disposant par suite du contrat d’affrètement qu’elle avait signé avec Cosena S.R.L., le propriétaire principal. L’argument de la demanderesse selon lequel l’agence a été utilisée comme simple prête-nom du propriétaire dans un but simplement fictif plutôt que dans un but commercial véritable ne peut être accepté.

Une demande in rem visant un navire doit être fondée sur une demande in personam contre le propriétaire du navire en question. Le contrat conclu avec International Broking Agency ne donne pas le droit de saisir le navire Bocsa. L’affidavit portant demande de mandat indique clairement que la demanderesse invoque un manquement à une charte-partie par Cosena S.R.L. pour saisir le Bocsa. Aucune autre cause d’action n’est mentionnée dans l’affidavit, bien qu’il ait été jugé que des renseignements suffisamment détaillés doivent être fournis dans l’affidavit portant demande de mandat. Le sous-affréteur qui intente une action contre un propriétaire et qui saisit un navire sans avoir de lien contractuel avec celui-ci utilise manifestement les procédures de la Cour de façon abusive et cette action est aussi scandaleuse, futile et vexatoire. L’action contractuelle est manifestement futile et constitue un emploi abusif des procédures et ne devrait pas être entendue.

L’omission de divulguer des faits importants dans un affidavit portant demande de mandat constitue un abus des procédures, mais il ne s’ensuit pas nécessairement que le mandat devrait être annulé lorsque l’inexactitude et l’omission n’ont pas permis à la demanderesse d’obtenir une réparation qu’elle n’aurait pas pu obtenir si les faits exacts avaient été énoncés dans l’affidavit en question. Bien que la responsabilité délictuelle n’ait pas été plaidée de façon claire dans la déclaration, la demande fondée sur la responsabilité délictuelle n’est pas futile au point où il est évident qu’elle serait rejetée. Par conséquent, si la demanderesse avait invoqué la responsabilité délictuelle dans l’affidavit portant demande de mandat, celui-ci aurait été délivré à bon droit.

La défenderesse soutient que l’action en responsabilité délictuelle ne peut faire l’objet d’une action in rem aux termes des articles 22 ou 43 de la Loi sur la Cour fédérale. Selon le paragraphe 43(2), la Cour peut exercer sa compétence en matière réelle dans toute action « portant sur un navire ». La compétence dont la Cour est investie en vertu de l’alinéa 22(2)i) concerne les demandes découlant de l’usage ou du louage d’un navire. La défenderesse soutient qu’il est nécessaire d’établir un lien avec le navire défendeur pour qu’une instance in rem puisse être régulièrement constituée, c.-à-d. que la compétence doit être exercée à l’égard du navire qui est à l’origine du préjudice. Il y avait un lien entre la demanderesse et le Bocsa, lequel lien découle notamment de l’envoi du navire à Vancouver et de la fourniture d’une cargaison, et ce lien apparaît suffisamment important pour empêcher de dire que l’action est futile et sera manifestement rejetée. De plus, une entente concernant l’utilisation d’un navire avait été conclue, et l’affaire est visée par l’alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale qui, d’après la Cour suprême du Canada peut être invoquée tant en matière contractuelle que délictuelle.

La défenderesse a droit au paiement des frais de la présente requête, car la demanderesse est allée trop loin en invoquant un manquement à une charte-partie plutôt que de se limiter à la responsabilité délictuelle et en déposant un affidavit portant demande de mandat qui comportait des erreurs et des omissions.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Administration of Justice Act, 1956 (R.-U.), 1956, ch. 46, art. 1(1)(h).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22(2)e),g),i),k), 43(2).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 22(2)e).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 2 « plaidoirie », 407(2), 415(3), 419(1)a),c),f),(2), 1003(2), tarif B (mod. par DORS/95-282, art. 5).

Supreme Court Act 1981 (R.-U.), 1981, ch. 54, art. 20(2)(h).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Swan, The, [1968] 1 Lloyd’s Rep. 5 (Adm.); Société par actions « Oceangeotechnology » c. 1201 (Le), [1994] 2 C.F. 265 (1994), 72 F.T.R. 211 (1re inst.); Antonis P. Lemos, The, [1985] 1 Lloyd’s Rep. 283 (H.L.); Nordglimt, The, [1987] 2 Lloyd’s Rep. 470 (Adm. Ct.); Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313; Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1re inst.); Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd., [1995] 1 C.F. 3 (1994), 170 N.R. 372 (C.A.); Brandt & Co. v. Morris & Co., [1917] K.B. 784 (C.A.); Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (1985), 60 N.R. 203 (C.A.); Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1981] 1 C.F. 293 (1980), 11 D.L.R. (3d) 360 (1re inst.); Bandag Inc. c. Vulcan Equipment Co. Ltd., [1977] 2 C.F. 397 (1977), 32 C.P.R. (2d) 1 (1re inst.); Vasso, The, [1984] 1 Lloyd’s Rep. 235 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Virgo, The, [1976] 2 Lloyd’s Rep. 135 (C.A.); Nissos Samos, The, [1985] 1 Lloyd’s Rep. 378 (Q.B. Com. Ct.); Junior K, The, [1988] 2 Lloyd’s Rep. 583 (Q.B. Com. Ct.); Astyanax, The, [1985] 2 Lloyd’s Rep. 109 (C.A.); O/Y Wasa Steamship Company Ltd., and Another v. Newspaper Pulp& Wood Export, Ltd. (1949), 82 Ll.L.Rep. 936 (K.B.); Zien c. La Reine (1986), 26 D.L.R. (4th) 121; 64 N.R. 282 (C.A.); Evans c. Canada (Gouvernement du) (1986), 4 F.T.R. 247 (C.F. 1re inst.); Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire « Neekis » (1986), 31 D.L.R. (4th) 709; 6 F.T.R. 235 (C.F. 1re inst.); Moschanthy, The, [1971] 1 Lloyd’s Rep. 37 (Adm.); Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le), [1993] 2 C.F. 553 (1993), 60 F.T.R. 1; Milbank v. Milbank, [1990] 1 Ch. 376 (C.A.); Hot Spot Fishing & Lures Ltd. c. O’Ki Tackle Mfg. Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 575 (C.F. 1re inst.); John Labatt Ltd. c. Molson Breweries, société en nom collectif (1993), 51 C.P.R. (3d) 502; 69 F.T.R. 235 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321; McCain Produce Co. Ltd. c. Le Rea, [1978] 1 C.F. 686 (1977), 80 D.L.R. (3d) 105 (1re inst.); Cooke v. Wilson (1856), 1 C.B. (N.S.) 153; 140 E.R. 65 (C.P.); Sextum, The, [1982] 2 Lloyd’s Rep. 532 (H.K.S.C.); Genie, The, [1979] 2 Lloyd’s Rep. 184 (C.A.); Solholt, The, [1981] 2 Lloyd’s Rep. 574 (Q.B. Com. Ct.); Schwarz& Co. (Grain), Ltd. v. St. Elefterio (Owners), [1957] 1 Lloyd’s Rep. 283 (Adm.).

DOCTRINE

Carver, Thomas Gilbert. Carver’s Carriage by Sea, 13th ed. by Raoul Colinvaux. London : Stevens & Sons, 1982.

Jacob, I. H. « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Current Legal Problems 23.

Supreme Court Practice 1993. London : Sweet & Maxwell, 1992.

DEMANDE de radiation de la déclaration ou de certaines parties in rem de celle-ci pour abus des procédures et d’annulation du mandat de saisie parce que l’affidavit portant mandat n’a pas dûment fait état de la nature de la réclamation. Demande accueillie à l’égard de la déclaration qui concerne le manquement au contrat.

AVOCATS :

J. Kenrick Sproule pour la demanderesse.

Peter G. Bernard pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Sproule, Castonguay, Pollack, Montréal, pour la demanderesse.

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : En novembre 1996, la demanderesse a saisi le navire Bocsa à Vancouver, soutenant, dans l’affidavit portant demande de mandat, qu’il y avait eu manquement à une charte-partie. Tout en contestant le bien-fondé de la saisie, la défenderesse, qui est le propriétaire du navire, a versé la garantie convenue sans porter atteinte à son droit de demander la mainlevée de la saisie.

La défenderesse demande maintenant à la Cour de radier la déclaration ou, subsidiairement, certaines parties de la déclaration relative à l’action in rem pour divers motifs et d’annuler le mandat de saisie à l’égard du navire Bocsa.

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

Le Bocsa est un vraquier de trente-deux mille tonnes renforcé pour la navigation dans les glaces dont la construction remonte à une vingtaine d’années et qui appartient à Cosena, S.R.L., de Constanţa (Roumanie). Au cours de la période pertinente, le Bocsa était loué à la demanderesse. Une des questions en litige concerne l’identité de l’entité qui a donné le navire en location.

Les parties invoquent deux documents au sujet de la location du navire. Le premier est un résumé de contrat d’affrètement non signé en date du 27 août 1996 qui a été établi sous réserve de conditions particulières ultérieures et qui concerne le transport de charbon de Vancouver à Eregli, sur la côte nord de la Turquie, dans le cadre d’un échange entre les courtiers d’affrètement; c’est ce contrat qui, d’après la demanderesse, s’applique à l’utilisation du navire. Le second document, appelé en anglais « Welsh Coal Charter », est une charte-partie américanisée non signée en date du 29 août 1996, qui comporte des modifications et différentes clauses supplémentaires et qui a été établi encore là apparemment dans le cadre d’un échange entre les courtiers d’affrètement; c’est ce document (appelé aux présentes charte-partie) qu’invoque la défenderesse propriétaire. Le résumé du contrat d’affrètement et la charte-partie renvoient tous deux à un armateur-disposant[1], International Broking Agency of « Kingstown » Jamaica (agence de courtage international de Kingstown en Jamaïque); je commenterai cette fausse appellation plus loin dans mes motifs. D’après les copies des télécopies qui se trouvent dans les documents joints à l’affidavit, il est évident que le résumé du contrat d’affrètement a été préparé par Margem Shipping ApS, de Copenhague, qui agissaient apparemment en qualité de mandataires de la demanderesse et qui ont négocié la charte-partie avec Genoa Seabrokers SRL, les mandataires du fréteur. Aucun élément de la preuve n’indique de façon absolue lequel des courtiers d’affrètement a préparé la charte-partie; cependant, le nom de Genoa Seabrokers SRL n’est pas écrit correctement dans ce document, ce qui pourrait logiquement donner à penser que ce sont des gens de Margem Shipping ApS qui ont préparé celui-ci après avoir rédigé le résumé du contrat d’affrètement.

D’après le résumé du contrat d’affrètement, qui est dactylographié en abrégé sur du papier à lettre non daté de Margem Shipping ApS pour le compte de Margem Chartering Co. Inc., d’Istanbul, le « propriétaire principal » serait Cosena, S.R.L. et l’« armateur-disposant » serait International Broking Agency of « Kingstown [sic] » Jamaica. De plus, le nom des gestionnaires italiens du navire figure également sur ce résumé, mais ce renseignement n’est pas pertinent à ce moment-ci. Il s’agit du document qui a été présenté à la défenderesse lorsque celle-ci a demandé à la demanderesse, en application du paragraphe 407(2) [des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], de produire le document de charte-partie mentionné dans la déclaration. Il se termine en ces termes :

[traduction]

— sous rés. cond. partic. cp am., comm. tot. 3,75 %, incl. 2,5 % comm. adresse

— fin princ. disp. résumé//

En d’autres termes, ces deux courtes lignes indiquent que le résumé du contrat d’affrètement est assujetti aux conditions particulières ultérieures pouvant être convenues et énoncées dans une charte-partie américanisée sur le transport de charbon et que les commissions à verser aux courtiers s’établissent au total à 3,75 % du fret brut, du faux fret et des surestaries, y compris une commission d’adresse de 2,5 %, c’est-à-dire la rémunération accordée à l’affréteur après la signature des connaissements, ce qui entraîne une baisse du taux de fret. La dernière ligne indique clairement que le résumé du contrat d’affrètement énonce les principales conditions qui figureront dans la charte-partie une fois que celle-ci sera préparée.

Le résumé du contrat d’affrètement, qui est écrit en abrégé et condensé sur un peu moins de deux feuilles de papier à lettre, est ensuite présenté deux jours plus tard sous forme de charte-partie américanisée sensiblement modifiée, soit un formulaire imprimé d’environ 145 lignes qui est protégé par un droit d’auteur et dont l’usage est largement répandu, lequel document comporte en annexe sept pages renfermant 18 autres clauses dactylographiées à simple interligne. D’après l’intitulé, la charte-partie a été conclue entre International Broking Agency « Kingstown [sic] » Jamaica et Margem Chartering Co. Inc. d’Istanbul, la première étant appelée, suivant une modification, l’armateur-disposant, et la seconde, l’affréteur. Par la suite, le formulaire de la charte-partie et les clauses dactylographiées supplémentaires renvoient simplement au [traduction] « propriétaire » et aux « propriétaires », mais il appert d’une clause de la charte-partie que celle-ci doit être signée par [traduction] « les propriétaires » et [traduction] « au nom des affréteurs ». À la clause 30 des clauses dactylographiées supplémentaires jointes à la charte-partie, Cosena S.R.L. est désignée à titre de « propriétaire principal » et International Broking Agency à titre d’« armateur-disposant ». L’avocat de la demanderesse soutient que la charte-partie n’est pas pertinente et que, si elle l’est, il s’agit d’une entente conclue avec le propriétaire et non avec l’armateur-disposant ou l’armateur-affréteur, International Broking Agency. Pour les raisons que j’exposerai en temps utile, j’estime que la charte-partie est le document qui s’applique et qu’il s’agit d’une entente intervenue entre International Broking Agency en qualité d’armateur-disposant et Margem Chartering Co. Inc. en qualité de sous-affréteur : il n’y a aucune raison logique d’interpréter la charte-partie comme une entente intervenue entre Cosena S.R.L. à titre de propriétaire et Margem Chartering Co. Inc. à titre d’affréteur principal.

Quant à la suite des événements, à son arrivée à Vancouver le 26 septembre 1996, le Bocsa a été détenu par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne en raison d’un certain nombre d’irrégularités et n’a donc pas pu recevoir la cargaison de charbon. Le navire a été saisi par la demanderesse et, après le dépôt par la défenderesse d’un cautionnement sous forme de garantie bancaire, il est reparti sur son lest. J’en arrive maintenant aux procédures de la demanderesse qui ont donné lieu à la saisie.

LES PROCÉDURES DE LA DEMANDERESSE

Le 1er novembre 1996, Margem Chartering Co. Inc., la demanderesse, a intenté une action contre Cosena S.R.L., les propriétaires et les autres ayants droit du navire Bocsa et le navire Bocsa et a demandé un mandat de saisie à l’égard du navire. L’affidavit portant demande de mandat, qu’un avocat a fait sous serment en se fondant en partie sur les renseignements fournis par un certain capitaine Semih, de Margem Chartering Co. Inc., renferme plusieurs paragraphes qui sont pertinents quant à la présente demande :

[traduction]

3. La nature de la demande de la demanderesse est décrite dans la déclaration relative à l’action in rem et in personam et porte, notamment, sur un manquement à une charte-partie concernant le transport de marchandises à bord d’un navire de Vancouver à Eregli;

4. À la date du présent affidavit, j’ai appris du capitaine Semih, de Margem Chartering Co. Inc., que la cargaison d’anthracite ne sera pas transportée à bord du navire M.V. BOCSA, contrairement aux conditions du résumé de la charte-partie, et que la présente demande relative à un manquement à la charte-partie n’a pas été réglée de façon satisfaisante;

5. Après avoir consulté le Lloyd’s Registry of Shipping et la Lloyd’s List of Shipowners, je suis convaincu que la défenderesse Cosena S.R.L. était propriétaire ou propriétaire bénéficiaire du navire M.V. BOCSA en tout temps pertinent et qu’elle l’est encore aujourd’hui. [Non souligné dans l’original.]

L’auteur de l’affidavit portant demande de mandat désigne l’entente concernant l’utilisation du Bocsa par les appellations « charte-partie » et « entente de charte-partie ». Dans sa déclaration, la demanderesse utilise les expressions [traduction] « résumé de la charte-partie », « charte-partie » et « contrat de charte-partie ». Dans un affidavit subséquent qu’il a présenté en réponse à la présente demande, un des avocats de la demanderesse utilise l’expression « résumé du contrat d’affrètement ». Il s’agit de l’expression qui décrit le mieux le document et c’est celle que j’ai utilisée dans les présents motifs.

La déclaration, qui est citée dans l’affidavit portant demande de mandat sans y être intégrée, renferme les paragraphes pertinents suivants :

[traduction]

1. En tout temps pertinent, la demanderesse était l’affréteur du navire BOCSA, qu’elle avait affrété au propriétaire de celui-ci pour transporter une cargaison d’anthracite (la « cargaison ») depuis le port de Vancouver jusqu’à Eregli (Turquie), comme en fait foi le résumé de la charte-partie qui a été établi vers le 27 août 1996.

2. En tout temps pertinent, les défendeurs étaient les propriétaires ou ayants droit du navire BOCSA qui s’étaient engagés à assurer le transport de la cargaison depuis Vancouver jusqu’à Eregli;

3. À son arrivée au port de Vancouver, le navire M.V. BOCSA a été détenu par la Garde côtière canadienne et a dû rester à English Bay pendant l’inspection dont il faisait l’objet;

4. Après l’inspection, la Garde côtière canadienne a déclaré qu’un certain nombre d’irrégularités devaient être corrigées avant que le navire M.V. BOCSA puisse être libéré et recevoir sa cargaison;

5. Contrairement à la charte-partie, les propriétaires ne sont pas en mesure de charger la cargaison à bord du navire M.V. BOCSA, parce que celui-ci ne respecte pas les normes et ne convient pas pour le transport de la cargaison désignée;

7. Les défendeurs ne se sont pas conformés au contrat de charte-partie et n’ont pas transporté la cargaison de Vancouver à Eregli;

8. Les défendeurs sont également coupables de négligence et responsables envers la demanderesse selon les règles de la responsabilité délictuelle;

Sur la foi de ces allégations, la demanderesse réclame une indemnité d’environ 325 000 $.

LA REQUÊTE DE LA DÉFENDERESSE

Dans sa requête, la défenderesse demande premièrement à la Cour de radier la déclaration ou, subsidiairement, la partie de la déclaration qui concerne l’action in rem, parce qu’elle ne révèle aucun motif d’action raisonnable. Subsidiairement, elle soutient que la déclaration est scandaleuse, futile ou vexatoire et qu’elle constitue un emploi abusif des procédures et une instance in rem qui outrepasse la compétence de la Cour.

Deuxièmement, la défenderesse demande une mainlevée de la saisie, au motif que la Cour n’a pas compétence in rem en l’espèce et que l’affidavit portant demande de mandat n’indique pas de façon suffisamment précise la nature de la réclamation, comme l’exige le paragraphe 1003(2) des Règles.

Aucune allégation n’est formulée au sujet du droit d’International Broking Agency, qui n’est pas partie au présent litige ni n’est représentée en l’espèce, de soumettre le différend à l’arbitrage comme le prévoit la clause 44 de la charte-partie, si ce n’est le fait qu’elle se réserve explicitement le droit de demander effectivement l’arbitrage.

ANALYSE

Une demande visant à radier une plaidoirie ou une partie d’une plaidoirie aux termes de l’alinéa 419(1)a) des Règles parce qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action, c’est-à-dire qu’elle porte sur une action qui, de toute évidence, sera indubitablement rejetée[2], ne peut être appuyée d’un affidavit et, par conséquent, en ce qui a trait à cet aspect de la requête, la charte-partie ne peut être examinée. Cependant, le résumé du contrat d’affrètement a été produit, comme la défenderesse l’a demandé à la demanderesse, conformément au paragraphe 407(2) des Règles.

Production d’un document mentionné dans une plaidoirie écrite

L’avocat de la défenderesse reconnaît qu’aucun élément de preuve n’est admissible dans une demande portant radiation en raison de l’absence de cause d’action, mais soutient que le résumé du contrat d’affrètement qui a été produit en application du paragraphe 407(2) des Règles devient une plaidoirie écrite et peut donc être examiné dans le cadre d’une requête visant à radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action.

Il n’y a aucun doute sur le fait que les précisions produites suivant une demande en ce sens sont des plaidoiries : voir, par exemple, l’arrêt Milbank v. Milbank, [1900] 1 Ch. 376 (C.A.), à la page 385, où le lord juge Vaughan Williams décrit le document renfermant des précisions comme un document modifiant les plaidoiries, et l’arrêt Hot Spot Fishing & Lures Ltd. v. O’Ki Tackle Mfg. Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 575 (C.F. 1re inst.), où il a été décidé que la contestation n’avait pas été liée, en raison de l’existence d’une demande de précisions non encore réglée. Par ailleurs, le paragraphe 407(2) des Règles oblige simplement une partie à « signifier un document mentionné dans sa plaidoirie, rien de plus, rien de moins » : John Labatt Ltd. c. Molson Breweries, société en nom collectif (1993), 51 C.P.R. (3d) 502 (C.F. 1re inst.), à la page 506.

Il n’est pas nécessaire qu’un document produit en application du paragraphe 407(2) des Règles soit déposé et signifié comme s’il s’agissait d’une précision, comme le prévoit le paragraphe 415(3). Je refuse d’admettre qu’un document devient une plaidoirie du simple fait qu’il est produit et signifié en application du paragraphe 407(2). Selon la Règle 2 des Règles de la Cour fédérale, une plaidoirie écrite est « tout acte par lequel une action devant la Section de première instance a été engagée ou par lequel une demande dans une telle action a été définie, ainsi que tout acte par lequel une demande a été contestée ou par lequel il y a été fait réponse, et s’entend aussi d’un consentement à jugement et d’un désistement ». Bien que cette définition soit large, si un document mentionné dans une des plaidoiries écrites, qui peuvent être nombreuses, était également appelé « plaidoirie écrite », la situation deviendrait entièrement incontrôlable. Dans la présente affaire, le résumé du contrat d’affrètement n’a pas pour effet de définir la demande, de la contester ou d’y répondre : il s’agit simplement d’un document qui peut être pertinent comme élément établissant la nature de la réclamation. Ainsi, même si j’estimais que le résumé du contrat d’affrètement est le document contractuel applicable, ce document demeure un élément de preuve qui, selon le paragraphe 419(2) des Règles, ne peut être présenté dans le cadre d’une requête portant radiation en raison de l’absence de cause raisonnable d’action. Étant donné que je dois, aux fins d’une demande de cette nature, accepter la déclaration comme si elle était établie, cette déclaration semble révéler une cause d’action. Cependant, le débat ne s’arrête pas là, car la défenderesse soutient également que la plaidoirie écrite est futile et vexatoire et qu’elle constitue un emploi abusif des procédures.

Emploi abusif des procédures

Les mots « futile » et « vexatoire » sont souvent utilisés de façon interchangeable avec l’expression « emploi abusif des procédures de la Cour », laquelle [traduction] « indique que les procédures de la Cour doivent être utilisées de bonne foi et à bon escient et non de façon abusive » : voir l’ouvrage intitulé Supreme Court Practice 1993 (ci-après appelée le White Book), à la page 345, et l’article intitulé « The Inherent Jurisdiction of the Court » que I. H. Jacob a écrit en 1970 dans la revue Current Legal Problems, vol. 23 (page 23), à la page 40. Cette expression signifie que :

[traduction] La Cour empêchera que son appareil soit utilisé à mauvais escient et, dans les cas pertinents, elle empêchera sommairement que ses mécanismes soient utilisés de façon à causer des ennuis et de l’oppression au cours d’une instance. (White Book, loc. cit.)

Les éditeurs du White Book soulignent que les catégories de demandes futiles et vexatoires et de demandes qui constituent un emploi abusif des procédures ne sont pas exhaustives (loc. cit.). Il appartient au tribunal d’intervenir sommairement pour empêcher que ses procédures soient déformées et mal utilisées.

Nos alinéas 419(1)c) et f) des Règles prévoient un redressement à l’encontre des plaidoiries écrites scandaleuses, futiles ou vexatoires ou à l’encontre de celles qui constituent un emploi abusif des procédures. La défenderesse soutient également que la démarche qui a mené à la saisie du navire Bocsa constituait un emploi abusif des procédures. À cet égard, la défenderesse cite l’affidavit portant demande de mandat et l’obtention du mandat lui-même : l’avocat du propriétaire du Bocsa allègue que le mandat devrait être annulé.

Ni l’affidavit portant demande de mandat non plus que le mandat lui-même ne sont visés par la définition d’une plaidoirie écrite figurant à la Règle 2 et, par conséquent, il n’est pas possible d’invoquer la Règle 419 pour annuler le mandat à titre de procédure abusive. Cependant, la Cour est investie d’une compétence inhérente, qui ne découle pas du droit positif et ne s’explique pas non plus par une comparaison avec la compétence d’origine législative de la Cour, mais résulte plutôt du pouvoir inhérent de celle-ci de contrôler ses propres procédures pour éviter les emplois abusifs, malgré ses règles et la compétence restreinte qui lui est conférée par sa loi habilitante[3]. Dans l’arrêt Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 la Cour d’appel fédérale utilise le mot « implicite » pour décrire ce type de compétence (page 26 et suivantes), eu égard au fait que, lorsque le Parlement a conféré une compétence à la Cour, il doit également lui avoir conféré implicitement le pouvoir nécessaire pour en contrôler l’exercice et en assurer l’application. Dans l’arrêt Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1981] 1 C.F. 293 (1re inst.), à la page 301, le juge Addy aborde ce concept lorsqu’il écrit : « toute Cour supérieure … doit avoir droit de regard sur ses propres procédures et, sous réserve des exigences de la justice, sur les actions dont on veut la saisir ». Par ailleurs, dans l’arrêt Bandag Inc. c. Vulcan Equipment Co. Ltd., [1977] 2 C.F. 397 (1re inst.), le juge Mahoney explique ce concept de façon plus claire à la page 402 : « la présente cour a la compétence inhérente de mettre à exécution ses moyens de contrainte, ce qui lui permet de mener à bonne fin la raison d’être fondamentale qu’elle partage avec toutes les autres cours de compétence civile ». Par conséquent, étant donné que la Cour a compétence pour délivrer un mandat en vertu de sa loi habilitante, elle doit aussi être investie d’une compétence inhérente ou implicite en matière de procédure qui lui permet d’annuler un mandat lorsque celui-ci constitue un emploi abusif de ses procédures.

Selon le propriétaire, l’emploi abusif réside dans le fait que la demanderesse revendique le droit de saisir le navire Bocsa en se fondant sur un contrat qui aurait été conclu avec le propriétaire en question et qui donnerait lieu à une action in rem. Cette saisie convient uniquement si la défenderesse, comme propriétaire, est responsable personnellement envers la demanderesse aux termes d’un contrat[4]. Tant dans le résumé du contrat d’affrètement que dans la charte-partie, Cosena, S.R.L. est désignée à titre de propriétaire et International Broking Agency à titre d’armateur-disposant. Aucun de ces documents ne favorise particulièrement l’interprétation que la demanderesse propose et selon laquelle le contrat qu’elle aurait conclu est une entente intervenue avec Cosena, S.R.L.; cependant, aux fins de la présente ordonnance, j’estime que c’est la charte-partie et non le résumé du contrat d’affrètement qui s’applique. Même s’il peut y avoir des cas où, en raison de circonstances spéciales, le résumé du contrat d’affrètement constitue l’entente de charte-partie, ce n’est pas ce qui se produit habituellement.

Nature juridique de la charte-partie

De façon générale, aucun contrat n’existe lorsque l’entente intervenue entre les parties est conclue [traduction] « sous réserve des conditions particulières ultérieures » : voir, par exemple, l’arrêt Solholt, The, [1981] 2 Lloyd’s Rep. 574 (Q.B. Com. Ct.), à la page 576. Effectivement, l’expression [traduction] « sous réserve des conditions particulières ultérieures » est bien connue dans le domaine du courtage maritime :

[traduction] L’expression « sous réserve des conditions particulières ultérieures » est une expression bien connue dans le domaine du courtage : elle vise à permettre à l’une ou l’autre des parties de résilier le contrat si elle est insatisfaite, de bonne foi, d’une condition particulière dont elle a discuté avec l’autre partie. [Nissos Samos, The, [1985] 1 Lloyd’s Rep. 378 (Q.B. Com. Ct.), à la p. 385.)

L’arrêt Nissos Samos portait sur la vente d’un navire pour la ferraille et la condition particulière de la vente qui n’a pas été respectée était le tonnage en déplacement lège, que le vendeur n’a pu confirmer. Cependant, le même principe a également été appliqué aux chartes-parties.

Dans l’arrêt Junior K, The, [1988] 2 Lloyd’s Rep. 583 (Q.B. Com. Ct.), des négociations concernant l’affrètement du navire ont eu lieu entre des intermédiaires, c’est-à-dire des courtiers qui agissaient au nom des parties. Le dernier échange entre les courtiers était un télex concernant le résumé du contrat d’affrètement, qui se terminait par les mots « sub dets Gencon CP » ([traduction] « sous réserve des conditions particulières Gencon CP »). La Cour a rejeté spécifiquement le raisonnement américain selon lequel un contrat est formé dès qu’un télex d’un résumé énonçant les principales conditions de l’affrètement d’un navire est envoyé et, si les conditions particulières ne sont pas acceptées, les parties doivent s’en remettre au formulaire imprimé. Le juge Steyn, qui a tranché le litige dans l’affaire Junior K, a cité l’extrait suivant d’un bulletin envoyé par la Fédération des associations nationales des agents et courtiers maritimes de navires, à la page 588 :

[traduction] Comme nous le savons tous, plusieurs tribunaux américains ont récemment conclu qu’il y avait contrat d’affrètement lorsque les principales conditions avaient été convenues, même si l’entente demeurait « assujettie aux conditions particulières ». L’opinion des tribunaux américains n’est pas partagée ailleurs dans le milieu de la navigation et est vivement critiquée par l’ensemble du marché, y compris les armateurs, les affréteurs et les courtiers américains.

Le juge Steyn a poursuivi en ces termes, à la page 588 :

[traduction] À mon humble avis, les tribunaux devraient, dans l’intérêt de l’industrie de l’affrètement, reconnaître l’efficacité de la variante de l’exception bien connue « sous réserve du contrat », laquelle variante est utilisée dans le milieu maritime. L’expression « sous réserve des conditions particulières » permet aux propriétaires et aux affréteurs de savoir à quel point ils en sont dans les négociations et d’administrer leur entreprise en conséquence. C’est une clause qui permet bien souvent d’éviter les différends et le fait que les intervenants du milieu maritime présument qu’elle est valable indique clairement qu’il n’existe à ce stade aucune entente exécutoire devant être respectée.

Le juge Steyn a conclu en soulignant que le télex échangé entre les courtiers était tout à fait clair et indiquait qu’il n’y aurait pas de contrat tant que les conditions particulières ne seraient pas acceptées de part et d’autre.

Dans la présente affaire, les courtiers ont produit la charte-partie ainsi que toutes les conditions particulières, y compris de nombreuses modifications au formulaire imprimé et sept pages de clauses supplémentaires. L’entente a été mise à exécution : le navire est arrivé à Vancouver et la demanderesse a fait préparer une cargaison. Il est indubitable que la charte-partie s’applique à l’affrètement du navire.

Identité de l’affréteur-disposant

Pour déterminer l’identité des parties, il faut appliquer les règles ordinaires régissant l’interprétation des contrats : [traduction] « L’intention que le tribunal recherche est une intention objective des deux parties, fondée sur ce que deux hommes d’affaires raisonnables qui concluent un contrat de cette nature, selon ces conditions et dans ces circonstances, devaient avoir envisagé » : commentaires formulés par le juge Brandon dans l’arrêt Swan, The, [1968] 1 Lloyd’s Rep. 5 (Adm.), à la page 12.

Il appert de la première page de la charte-partie qu’il s’agit d’une entente intervenue entre International Broking Agency et Margem Chartering Co. Inc. Le formulaire est modifié par l’ajout du mot « disponent » (disposant) avant le mot « owner » (armateur), à la deuxième ligne, pour décrire International Broking Agency. Ailleurs sur le formulaire, le mot « owner » n’a pas été ainsi modifié; cependant, compte tenu du grand nombre de pages imprimées en petits caractères et de la tendance des agents du monde entier à garder les modifications en petits caractères et à utiliser le minimum de clauses supplémentaires dactylographiées, cette omission ne m’apparaît pas importante. À la clause 30 des clauses supplémentaires de la charte-partie, Cosena, S.R.L. est appelée le propriétaire principal et International Broking Agency of « Kingstown [sic] » Jamaica, l’armateur-disposant.

Dans l’arrêt Virgo, The, [1976] 2 Lloyd’s Rep. 135 (C.A.), le litige portait sur la question de savoir si la partie qui signait la charte-partie était un mandant ou un mandataire. Le lord juge Megaw, qui a rédigé l’un des trois exposés de motifs concordants de la Cour d’appel, a examiné les mots introductifs de la charte-partie, dont voici un extrait, à la page 143 :

[traduction] Il est convenu en ce jour entre Tudor Marine Limited—propriétaire du navire panaméen S/S Virgo … [—puis, (ligne 7)—] et Tradax Export, S.A., affréteur, que … [—et ainsi de suite—].

Il a ensuite formulé les commentaires suivants :

[traduction] Tradax est donc décrite de façon claire et sans réserve comme l’affréteur à ce stade-ci à un endroit où il est normal de s’attendre à ce que les parties au contrat de charte-partie soient définies.

Ces remarques étaient suivies de différentes conditions qui renvoyaient à l’affréteur et qui se trouvaient tant sur le formulaire imprimé que dans les clauses dactylographiées. À la page des signatures, la capacité de Tradax est clairement indiquée. La Cour d’appel a reconnu qu’il faut examiner toutes les conditions de la charte-partie, y compris une clause semblable à la suivante, à la page 144 :

[traduction] 31. Le présent navire a été affrété au nom et pour le compte de General Organization pour le transport de marchandises au Caire.

laquelle clause figurait parmi d’autres clauses dactylographiées, ainsi que les circonstances environnantes. Elle a statué que même la clause 31 ne suffisait pas en soi à réfuter d’autres éléments de preuve, surtout la description de la partie figurant sur la première ligne et la façon dont cette partie avait signé la charte-partie. Dans la présente affaire, International Broking Agency est décrite en toutes lettres comme l’armateur-disposant et, d’après le formulaire préparé par les mandataires, elle devait signer sans réserve. Il aurait été très facile pour les courtiers de nuancer la position d’International Broking Agency en dactylographiant sur la page des signatures une restriction visant à indiquer que l’agence signait l’entente à titre de représentant, mais ils ne l’ont pas fait. Les renvois au « propriétaire » et aux « propriétaires » dans la charte-partie ou encore au [traduction] « propriétaire principal, Cosena S.R.L., Mamaia Constanţa (Roumanie) », dans la clause supplémentaire dactylographiée 30, qui énonce une description du navire, ont-ils un sens particulier? Je ne crois pas. J’aurais été étonné si, à chaque endroit où le propriétaire est mentionné sur le formulaire imprimé, les courtiers avaient inséré le mot « disposant ». De la même façon, j’estime que le mot « propriétaire » qui se trouve dans les clauses supplémentaires désigne International Broking Agency qui, en qualité d’armateur-disposant, peut également donner des garanties quant à son navire affrété à terme. Le renvoi à un propriétaire principal à la clause 30 fait partie de l’identification du navire, sans plus.

En ce qui a trait à la page des signatures, j’aimerais souligner qu’une personne qui signe un contrat sans réserve sera normalement tenue responsable personnellement à l’égard de ce contrat : Brandt& Co. v. Morris & Co., [1917] 2 K.B. 784 (C.A.). Dans cette affaire, le litige portait sur un contrat de vente d’huile pour moteurs d’avions. Le lord juge Scrutton, qui est reconnu pour sa grande expérience dans le domaine de l’amirauté, a cité plusieurs arrêts, aux pages 796 et 797, notamment l’arrêt Cooke v. Wilson (1856), 1 C.B. (N.S.) 153; 140 E.R. 65 (C.P.), à la page 69, où il a été décidé ce qui suit :

[traduction] À première vue, lorsqu’une personne signe un contrat en son nom, elle est partie contractante et, pour que cette partie échappe à la responsabilité qui en découle, le document en question doit comporter un élément très clair en ce sens.

C’est dans cet esprit que le lord juge Scrutton, après avoir examiné à nouveau l’intitulé du contrat où figurait le nom de la partie devant signer le document, a conclu à l’absence d’éléments permettant de réfuter la forte présomption prima facie selon laquelle une personne qui signe en son propre nom s’engage personnellement (pages 797 et 798). Dans la présente affaire, la charte-partie ne comporte aucun élément suffisamment important pour réfuter la forte présomption prima facie selon laquelle International Broking Agency, l’armateur-disposant, s’est engagée comme partie principale.

En ce qui a trait aux circonstances extérieures à la charte-partie, la demanderesse soutient que l’armateur-disposant, International Broking Agency of « Kingstown [sic ] » Jamaica, n’existe pas et produit un certificat de recherche de sociétés jamaïcaines en ce sens. L’avocat de la défenderesse a tenté de déposer un affidavit signifié la veille de l’audience afin de clarifier cette question : cette production d’un affidavit à la dernière minute peut avoir des conséquences défavorables et je ne l’ai pas autorisée. Toutefois, je peux souligner que la ville de « Kingstown [sic] » (Jamaïque) ou, plus justement, Kingston, n’est pas un territoire privilégié par les armateurs ou exploitants du monde entier tandis que Kingstown, la capitale de St-Vincent dans les Grenadines, accueille de nombreux armateurs, exploitants et affréteurs. Le fait que la demanderesse n’a pu trouver aucune entité appelée International Broking Agency à « Kingstown [sic] » (Jamaïque) ne veut absolument rien dire.

Selon la demanderesse, International Broking Agency n’est pas un armateur-disposant, mais plutôt le mandataire du propriétaire du navire et de la défenderesse Cosena, S.R.L. L’armateur-disposant qui donne un navire en location sur une base d’affrètement est presque toujours un affréteur précédent. Le concept de l’affréteur devrait être interprété de façon large. Cependant, il faut aussi interpréter les termes de ce genre selon leur sens habituel : voir, par exemple, l’arrêt Sextum, The, [1982] 2 Lloyd’s Rep. 532 (H.K.S.C.), à la page 534. Il serait inhabituel d’ignorer un renvoi à un armateur-disposant ou de donner à cette expression un sens autre que celui d’un affréteur précédent. Effectivement, le lord juge Kerr, de la Cour d’appel, a formulé les commentaires suivants à ce sujet dans l’arrêt Astyanax, The, [1985] 2 Lloyd’s Rep. 109, à la page 113 :

[traduction] À l’exception d’une décision publiée que nous mentionnons plus loin, les avocats (pas plus que nous d’ailleurs) n’ont pu se rappeler aucun cas dans lequel une personne ou entreprise a été désignée en qualité d’armateur-disposant dans une charte-partie pour une raison autre que le fait qu’elle était elle-même affréteur du navire, habituellement un armateur-affréteur, parce qu’elle l’avait loué directement au propriétaire inscrit ou peut-être à un sous-affréteur.

Dans l’affaire Astyanax, les propriétaires inscrits ont tenté, en présence d’un armateur-disposant, d’exiger directement l’exécution des conditions d’un contrat de sous-affrètement au voyage, soutenant que l’armateur-disposant en question s’était engagé en qualité de mandataire pour les propriétaires, qui étaient des mandants non déclarés. La Cour d’appel a refusé d’admettre qu’un armateur-disposant pouvait être un mandataire du propriétaire inscrit, ce qui donnerait à celui-ci le droit d’exiger l’exécution d’une charte-partie au voyage à titre de mandant non déclaré. La Cour d’appel a toutefois admis que la situation pourrait être différente si la charte-partie principale n’était qu’une simple fiction.

Dans l’arrêt O/Y Wasa Steamship Company, Ltd., and Another v. Newspaper Pulp & Wood Export, Ltd. (1949), 82 Ll.L. Rep. 936 (K.B.), le cas exceptionnel que le lord juge Kerr a mentionné dans le jugement Astyanax, une société hollandaise a signé une entente de charte-partie dans laquelle elle était décrite en qualité d’ »armateur-disposant » et qu’elle a signée à titre de « disposant ». Cependant, dans une lettre jointe à la charte-partie, la même société était expressément décrite à titre de gestionnaire d’une société finlandaise qui était le propriétaire du navire en question. Étant donné que le territoire était occupé par l’ennemi en 1940 lorsque la charte-partie a été signée, la société hollandaise n’a pu faire valoir l’entente et la société finlandaise n’a pu le faire non plus en qualité de mandant non déclaré, parce que cette mesure aurait été incompatible avec la description de la société hollandaise à titre d’armateur-disposant. La Cour a conclu que la société hollandaise s’était engagée comme mandataire et que le fait qu’elle était décrite à titre d’armateur-disposant n’était pas nécessairement incompatible avec l’existence d’un mandat. Après avoir répété que les circonstances de l’affaire étaient inhabituelles, la Cour d’appel qui a rendu le jugement Astyanax, a souligné que, si la société hollandaise avait conclu l’entente en qualité d’armateur-affréteur aux termes d’une charte-partie principale consentie par le propriétaire finlandais, la décision aurait été manifestement différente. Elle a admis que la désignation « armateur-disposant » pouvait en soi être neutre et a ensuite examiné les circonstances environnantes.

Dans la présente affaire, la charte-partie ne comporte pas suffisamment d’éléments permettant de dire qu’International Broking Agency est mandataire. Les courtiers qui ont établi le résumé du contrat d’affrètement et la charte-partie aurait pu préciser le rôle d’International Broking Agency, mais ils ne l’ont pas fait. Le résumé du contrat d’affrètement indique que l’agence devait être partie contractante de son propre chef, tandis qu’il appert de la charte-partie qu’elle était armateur-disposant par suite du contrat d’affrètement qu’elle avait signé avec Cosena, S.R.L., le propriétaire principal. Il serait injuste et artificiel de dire, comme la demanderesse le soutient, que l’agence a été utilisée comme simple prête-nom du propriétaire dans un but simplement fictif plutôt que dans un but commercial véritable. Je reviens maintenant à la question de l’emploi abusif des procédures.

La saisie du navire Bocsa

Selon un principe fondamental, une demande in rem visant un navire doit être fondée sur une demande in personam contre le propriétaire du navire en question. Dans la présente affaire, le contrat relatif à l’utilisation du navire Bocsa a été conclu avec l’armateur-disposant International Broking Agency et ne donne pas le droit de saisir le navire Bocsa, qui appartient à Cosena. La défenderesse Cosena soutient que la demanderesse s’est délibérément exprimée d’une façon qui prête à confusion dans la déclaration afin de dissimuler le fait qu’elle est un affréteur au voyage aux termes d’un contrat d’affrètement conclu avec l’armateur-disposant, International Broking Agency, et qu’elle n’a donc aucun lien contractuel avec le propriétaire. Il se peut fort bien que l’avocat de la demanderesse ait reçu des directives inappropriées et je ne formule donc aucune conclusion quant à la question de savoir si la déclaration a été intentionnellement rédigée de façon à prêter à confusion. J’examinerai plutôt l’affidavit portant demande de mandat, qui indique clairement que la demanderesse invoque un manquement à une charte-partie par Cosena, S.R.L. pour saisir le navire Bocsa. Aucune autre cause d’action n’est mentionnée dans l’affidavit, ce qui m’amène à la question du contenu d’un affidavit portant demande de mandat, plus précisément à la question de la portée des renseignements devant y être indiqués.

L’affidavit portant demande de mandat

Dans l’arrêt Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1re inst.), le juge Thurlow, qui était alors juge en chef adjoint, a laissé entrevoir une orientation que la Cour a suivie plus récemment, soit celle d’exiger que des renseignements suffisamment détaillés soient fournis dans l’affidavit portant demande de mandat. Dans cette affaire, le litige portait sur le droit de la demanderesse de poursuivre in rem alors que la partie défenderesse n’était ni le propriétaire inscrit ni le propriétaire bénéficiaire du navire, argument qu’il aurait été difficile de réfuter, selon le juge Thurlow, si les choses en étaient restées là. Effectivement, un autre argument a été invoqué au sujet du titre bénéficiaire du navire; cependant, si je cite cet arrêt, c’est parce qu’à la page 266, le juge Thurlow mentionne (en partie dans une note en bas de page) que, malheureusement, même s’il respecte le paragraphe 1003(2) des Règles, l’affidavit portant demande de mandat devrait, de nos jours, « contenir quelque chose de plus pour démontrer qu’il existe des circonstances pertinentes justifiant la saisie d’un navire ou d’un bien ».

Dans l’arrêt Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd., [1995] 1 C.F. 3 la Cour d’appel souligne qu’une partie demanderesse (qui saisit un navire ou une cargaison en application de la Règle 1003) doit démontrer que la saisie est exécutée de façon légale (page 20). Elle souligne également que les critères à établir pour obtenir un mandat de saisie visant un navire sont semblables à ceux qui s’appliquent à l’obtention d’une injonction Mareva et que lord Denning a énoncés dans l’arrêt Third Chandris Shipping, Genie, The, [1979] 2 Lloyd’s Rep. 184 (C.A.), à la page 189; les critères pertinents en l’espèce résident dans l’obligation de divulguer de façon franche et ouverte tous les renseignements pertinents dont la partie demanderesse est au courant et dans celle de fournir toutes les précisions concernant la demande, y compris les arguments que la partie défenderesse invoque à l’encontre de la partie demanderesse. Il se peut que la partie demanderesse ne soit pas tenue d’exposer les arguments de la partie défenderesse lorsqu’elle doit, dans le cadre d’une procédure relativement informelle et souvent précipitée, préparer une déclaration et obtenir un mandat l’autorisant à saisir un navire sur le point de partir. Cependant, indépendamment de cette question, le sous-affréteur qui intente une action contre un propriétaire et qui saisit un navire sans avoir de lien contractuel avec celui-ci utilise manifestement les procédures de la Cour de façon abusive et cette action est aussi scandaleuse, futile et vexatoire. Il s’agit ni plus ni moins d’une tentative déguisée d’exiger à tort le dépôt d’une garantie.

Le critère à appliquer pour déterminer s’il y a lieu de radier une déclaration ou une partie d’une déclaration au motif qu’elle est scandaleuse, futile ou vexatoire ou qu’elle constitue un emploi abusif des procédures est au moins aussi strict que celui qui s’applique pour radier une déclaration en raison de l’absence de cause d’action. Dans la présente affaire, l’action contractuelle est manifestement futile et constitue un emploi abusif des procédures et ne devrait pas être entendue.

Compte tenu de cet emploi abusif des procédures, les mots [traduction] « au propriétaire de celui-ci » sont radiés du paragraphe 1 et les mots [traduction] « manquement à un contrat ou » sont radiés du paragraphe 9 de la déclaration. De la même façon, les paragraphes 2, 5 et 7 sont radiés parce qu’ils sont abusifs et concernent une cause d’action qui, manifestement et indubitablement, ne sera pas reconnue.

Mandat de saisie

La façon dont je devrais traiter le mandat est un peu plus complexe. Cependant, cela ne signifie pas que les tribunaux ont été moins stricts lorsque l’emploi abusif des procédures réside dans l’obtention d’un mandat plutôt que dans la déclaration, mais que le fardeau de preuve s’y rapportant est lourd et qu’un tribunal tentera de confirmer la validité d’un mandat de la même façon qu’il tentera d’accorder le bénéfice du doute à la partie demanderesse afin de ne pas la priver de la possibilité d’exercer ses recours en justice.

Dans l’arrêt Vasso, The, [1984] 1 Lloyd’s Rep. 235 (C.A.), la partie demanderesse avait omis de divulguer, dans son affidavit portant demande de mandat, non seulement qu’une entente d’arbitrage existait, mais aussi que l’arbitrage était en cours. La saisie visait uniquement à obtenir une garantie à l’égard du paiement de l’indemnité que la partie défenderesse pourrait être condamnée à verser par les arbitres. La Cour a souligné que, selon le droit alors en vigueur en Angleterre, la compétence de la Cour en matière de saisie ne devrait pas être exercée uniquement pour assurer le respect d’une décision qui pourrait être rendue au cours de l’arbitrage. Elle a ajouté qu’un mandat peut être délivré à tort lorsque la partie demanderesse omet de divulguer que des procédures d’arbitrage sont en cours et que la saisie vise à obtenir une garantie à l’égard de l’indemnité pouvant en découler : cette omission de divulguer un fait important serait vexatoire et constituerait un emploi abusif des procédures de la Cour. En pareil cas, la Cour pourrait ordonner la mainlevée de la saisie et la remise de la garantie versée. La Cour en est arrivée à cette conclusion même si l’auteur de l’affidavit n’était pas de mauvaise foi (page 242). Elle a ajouté que l’omission de divulguer franchement et ouvertement tous les renseignements connus peut entraîner la mainlevée d’une saisie malgré le fait que l’ordonnance s’y rapportant aurait peut-être été justifiée si tous les renseignements avaient été divulgués. La Cour a donc souscrit à l’avis du juge de première instance et rejeté l’appel de l’ordonnance dans laquelle il avait statué que la lettre d’engagement obtenue par suite de la saisie devait être annulée. Toutefois, l’analyse de ce type de situation ne se termine pas avec l’arrêt Vasso.

Dans une affaire subséquente, l’arrêt Nordglimt, The, [1987] 2 Lloyd’s Rep. 470 (Adm. Ct.), le juge Hobhouse a examiné une demande visant à annuler ou à radier un mandat de saisie du navire Nordglimt parce que l’affidavit portant demande de mandat renfermait des renseignements factuels inexacts et que le déposant n’avait pas divulgué franchement et ouvertement tous les faits dont il était au courant. Le juge Hobhouse a conclu que l’affidavit renfermait une fausse déclaration de fait importante qui aurait été comprise si la prudence voulue avait été exercée. Selon le juge, [traduction] « les conseillers juridiques des demandeurs ne semblaient pas préoccupés par la fausse déclaration, même après que les représentants des défendeurs l’ont portée à leur attention » (page 473) et :

[traduction] L’affidavit portant demande de mandat de saisie renfermait des déclarations de fait inexactes et cette inexactitude aurait dû être connue. Si elle avait été divulguée à la Cour, le mandat n’aurait pas été délivré, sauf si d’autres faits avaient été communiqués.

De plus, à la page 474

[traduction] Il m’apparaît important de dire de façon claire et non équivoque que, lorsqu’une personne constate qu’elle a fait une fausse déclaration dans un affidavit, même s’il s’agit d’une simple erreur, elle doit la corriger rapidement et franchement … Les tribunaux devraient, au nom de l’administration de la justice, pouvoir se fonder sur l’exactitude et la véracité des affidavits faits sous serment par les avocats ou leurs employés … De plus, les avocats qui représentent les parties, notamment les auteurs de ces affidavits, se doivent d’accorder la plus haute importance à leur serment et, lorsqu’ils constatent qu’ils ont fait une fausse déclaration sous serment, ils doivent s’efforcer de la corriger.

Le juge Hobhouse a ensuite souligné qu’à son avis, l’inexactitude de l’affidavit portant demande de mandat ne justifiait pas l’annulation de celui-ci, car [traduction] « il ne s’ensuit pas automatiquement que l’omission d’informer la Cour en bonne et due forme entraînera automatiquement l’annulation de l’ordonnance ainsi obtenue » (à la page 474). Le juge a alors précisé que l’inexactitude n’était pas délibérée et qu’elle ne touchait pas non plus le bien-fondé, parce qu’elle ne permettait pas aux demandeurs d’obtenir un redressement qu’ils n’auraient pu obtenir si les faits exacts avaient été déclarés. Le juge n’a donc pas annulé le mandat, mais il a ordonné aux demandeurs de payer les frais. Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que le mandat devrait être annulé. De plus, parallèlement à tout cela, si le déposant de l’affidavit portant demande de mandat de la demanderesse avait indiqué que la demande était fondée sur la responsabilité délictuelle, comme l’exige l’alinéa 1003(2)b) des Règles, la présente requête aurait pu être évitée, du moins en partie; par conséquent, les frais seront adjugés en faveur de la défenderesse.

La responsabilité délictuelle

Au paragraphe 8 de la déclaration, la demanderesse invoque, subsidiairement, la responsabilité délictuelle de la défenderesse par suite du fait que le navire a été détenu par la Garde côtière canadienne en raison de ses irrégularités qui n’ont pu être corrigées à temps pour permettre le chargement de la cargaison. Cet argument subsidiaire n’est pas plaidé de façon claire et est également nié par la défenderesse propriétaire, qui souligne que tous les certificats d’inspection du navire étaient à jour. Cependant, je ne suis pas disposé à dire que la demande est futile au point où il est évident qu’elle sera rejetée. Ainsi, compte tenu des principes énoncés dans l’arrêt Nordglimt, si la demanderesse avait invoqué la responsabilité délictuelle dans l’affidavit portant demande de mandat, celui-ci aurait été délivré à bon droit. La saisie devrait demeurer en vigueur, du moins à ce stade-ci.

Si j’en arrive à cette conclusion, c’est en partie parce que je reconnais que la défenderesse a le droit de connaître les détails des arguments allégués contre elle et que, pour bien plaider la responsabilité délictuelle, la demanderesse doit non seulement décrire de façon détaillée les fautes ou omissions empreintes de négligence, mais énoncer également l’obligation de diligence dont la défenderesse est redevable envers elle et le manquement de la défenderesse à cet égard : voir, par exemple, les arrêts Zien c. La Reine (1986), 26 D.L.R. (4th) 121 (C.A.F.) et Evans c. Canada (Gouvernement du) (1986), 4 F.T.R. 247 (C.F. 1re inst.). Dans l’arrêt Zien, le juge de première instance avait conclu qu’il y avait eu négligence en se fondant sur un fait qui n’avait pas été plaidé, soit la négligence d’un préposé de la défenderesse. Dans l’arrêt Evans, en l’absence d’une allégation claire de négligence ou de manquement à un contrat, le juge de première instance a radié la déclaration, mais il a permis à la partie demanderesse de la modifier.

Dans la présente affaire, en ce qui a trait à l’allégation de négligence, la déclaration est mal rédigée, mais la demanderesse y indique qu’à son arrivée à Vancouver, le navire Bocsa était dans un tel état et comportait de telles irrégularités que la Garde côtière a retenu le chargement jusqu’à ce que la demanderesse soit forcée d’affréter un autre navire pour assurer le transport de sa cargaison de charbon. Cette présentation du navire en mauvais état constituerait de la négligence. Quant à l’obligation due envers la demanderesse, la défenderesse, qui est propriétaire et exploitant de navires sur une base commerciale, devait connaître l’objet pour lequel le navire était demandé et devait savoir qu’un navire retenu par la Garde côtière coûterait de l’argent à la demanderesse. Comme je l’ai déjà mentionné, cet argument est mal formulé dans les plaidoiries écrites, mais je ne suis pas disposé à dire que les rédacteurs ont bâclé leur travail au point de faire perdre à la demanderesse le droit, à tout le moins, de se faire entendre par la Cour. L’autorisation de procéder qui est accordée à la demanderesse ne devrait pas être considérée comme une admission de l’existence d’un lien de cette nature entre un affréteur au voyage et un propriétaire lorsqu’il y a un armateur-affréteur intermédiaire : c’est une question que le juge devra trancher au cours de l’instance.

Demande in rem fondée sur la responsabilité délictuelle

En plus de soutenir que la responsabilité délictuelle n’est pas mentionnée dans l’affidavit portant demande de mandat et qu’elle n’est pas plaidée en bonne et due forme, la défenderesse allègue que, même si un devoir de diligence existe, ce qui n’est pas certain selon elle, il ne s’agit pas en l’espèce d’une demande pouvant faire l’objet d’une action in rem aux termes des articles 22 ou 43 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7].

Sous réserve de différentes exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, le paragraphe 43(2) accorde à la Cour, aux termes de l’article 22, la compétence en matière personnelle dans toute action portant sur un navire. La partie du paragraphe 22(2) de la Loi qui s’appliquerait en l’espèce est l’alinéa i) :

22. (2) …

i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte-partie;

Selon la défenderesse, le droit d’exercer une action in rem en droit maritime en vue d’obtenir une indemnité découlant d’une conduite négligente se limite aux cas où le navire a causé un préjudice, par exemple, des avaries découlant d’une navigation empreinte de négligence. L’alinéa 22(2)g), qui concerne les décès et les lésions corporelles, couvre certainement la négligence et la faute, mais l’alinéa e), qui porte, notamment, sur la perte d’un navire, ne renvoie nullement à la négligence. Effectivement, dans l’arrêt Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157, la Cour suprême du Canada a souligné que l’alinéa 22(2)e) [de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] était l’une des dispositions législatives permettant d’instruire les actions contractuelles et délictuelles relatives aux avaries causées à une cargaison.

La défenderesse soutient également qu’il doit y avoir un lien avec le navire défendeur pour qu’une action in rem puisse être intentée, car selon le paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale, la compétence dont la Cour est investie en vertu de l’article 22 de la Loi « peut être exercée en matière réelle dans toute action portant sur un navire ». Selon la défenderesse, ces mots signifient que la compétence doit être exercée à l’égard du navire qui est à l’origine du préjudice, compte tenu des arrêts Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire « Neekis » (1986), 31 D.L.R. (4th) 709 (C.F. 1re inst.); et Société par actions « Oceangeotechnology » c. 1201 (Le), [1994] 2 C.F. 265 (1re inst.).

L’arrêt Neekis portait sur une requête visant à radier une action in rem et à annuler le mandat de saisie. Les procédures découlaient d’événements plutôt inusités. L’équipage des navires Neekis et Nootka Mariner faisait de la pêche au même endroit et employait à cette fin des trappes à morue. Le Nootka Mariner a laissé ses trappes à l’eau et, à son retour, l’équipage a constaté que quelques-unes des trappes avaient disparu. Dans la déclaration, les personnes à bord du Neekis étaient accusées d’avoir coupé intentionnellement la ligne-mère appartenant au Nootka Mariner, ce qui a causé la disparition des trappes, ou encore de les avoir volées, de les avoir utilisées pendant la saison et de les avoir ensuite jetées par-dessus bord. Le juge Rouleau a souligné que le navire n’avait pas subi d’avarie et qu’il n’y avait pas eu d’avarie causée par un abordage ou d’avarie reliée à la navigation qui pourrait donner lieu à une action in rem. Ni l’enchevêtrement de filets, non plus que le sectionnement de lignes ou l’appropriation illicite d’apparaux ne donnent lieu à une action in rem, bien que la demanderesse puisse intenter une action in personam contre ceux qui volent ses filets de pêche. Par conséquent, la requête visant à rejeter l’action in rem et à radier le mandat de saisie du navire a été accueillie.

À mon avis, l’arrêt Neekis permet de dire uniquement que, lorsque des membres d’un équipage qui n’est pas fourni par le propriétaire adoptent de leur propre chef une conduite pouvant avoir un aspect criminel, la Cour refusera de pénaliser un propriétaire innocent en imposant un prélèvement in rem sur le navire de celui-ci.

Dans l’arrêt 1201, les défendeurs ont demandé, notamment, la radiation des plaidoiries et l’annulation du mandat au motif que l’instance in rem était irrégulièrement constituée. La demande était fondée sur un contrat de remorquage qui aurait été conclu; cependant, la défenderesse propriétaire du navire 1201 aurait annulé le contrat de remorquage après l’envoi du remorqueur de la demanderesse et conclu une nouvelle entente avec d’autres propriétaires de remorqueurs. Le litige portait, notamment, sur la question de savoir si la demanderesse pouvait intenter une action in personam seulement, ou si une action in rem pouvait également être engagée. Le juge Teitelbaum a souligné qu’une action in rem pourrait être intentée uniquement s’il y avait un lien avec le navire défendeur. Si la demanderesse n’avait pris aucune mesure pour remplir son obligation aux termes du contrat de remorquage, il n’y aurait eu aucun lien avec le navire saisi. Cependant, le remorqueur était désigné dans le contrat de remorquage, qui prévoyait également que celui-ci devait être envoyé immédiatement de la Méditerranée à Halifax. Douze jours et demi après le départ du remorqueur, les défendeurs ont annulé le contrat de remorquage. Le juge Teitelbaum a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’entreprendre effectivement le remorquage pour pouvoir présenter une demande d’indemnisation pour remorquage aux termes de l’alinéa 22(2)k) de la Loi et a donc autorisé l’introduction d’une instance in rem, parce qu’il n’était pas clair et évident que la demanderesse n’avait pas de droit d’action raisonnable dans une instance in rem.

Dans l’arrêt 1201, la Cour a effectivement autorisé, compte tenu des circonstances spéciales de l’affaire, une instance in rem contre un navire qui devait être remorqué, mais qui ne l’a pas été. La demanderesse cite cet arrêt afin de démontrer la nécessité d’établir un lien entre la partie demanderesse et le navire pour qu’une instance in rem puisse être régulièrement constituée, car selon le paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour peut exercer sa compétence en matière réelle dans toute action « portant sur un navire ». De toute évidence, le propriétaire du navire 1201 était responsable contractuellement in personam. Cependant, la demande n’aurait comporté aucun aspect in rem si la société de remorquage n’avait pas envoyé un remorqueur désigné depuis la Méditerranée pour remorquer le navire 1201 jusqu’en Inde. Cet envoi a été comparé aux services d’escorte assurés par un remorqueur qui, de l’avis de la Cour, créaient avec le navire saisi un lien suffisant pour qu’il lui soit impossible de conclure qu’il était clair et évident que l’action in rem serait rejetée. De la même façon, dans la présente instance, il y a un lien entre la demanderesse et le navire Bocsa, lequel lien découle notamment de l’envoi du navire à Vancouver et de la fourniture d’une cargaison, et ce lien m’apparaît suffisamment important pour m’empêcher de dire que l’action est futile et sera manifestement rejetée. Cependant, ce type d’analyse ne fournit pas pour autant de réponse à la question de savoir si la compétence dont la Cour est investie en vertu de l’alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale, qui concerne les demandes découlant de l’usage ou du louage d’un navire, peut être exercée tant en matière délictuelle que contractuelle.

Il est bien certain qu’en Angleterre, le propriétaire qui fournit un navire inapte à prendre la mer peut être poursuivi en responsabilité délictuelle; voir Carver’s Carriage by Sea, Stevens & Sons, 13e édition, 1982, aux sections 123 et 420. De plus, il appert de la jurisprudence anglaise que cette action peut être intentée in rem par un sous-affréteur contre un propriétaire : voir l’arrêt Antonis P. Lemos, The, [1985] 1 Lloyd’s Rep. 283, où la Chambre des lords a interprété de façon large la compétence accordée par l’article 20(2)h) de la loi intitulée Supreme Court Act 1981 [(R.-U.), 1981, ch. 54], l’équivalent anglais de l’alinéa 22(1)i) de la Loi sur la Cour fédérale. La Chambre des lords a statué que cette disposition conférait à la Cour le pouvoir d’entendre l’action délictuelle in rem qu’un sous-affréteur avait intentée contre l’armateur du navire, en autant que la demande découlait d’une entente du type pertinent, soit une charte-partie, mais qu’il n’était pas nécessaire que celle-ci ait été conclue entre le sous-affréteur et le propriétaire défendeur[5]. Cette situation s’apparente beaucoup à celle dont la Cour est saisie en l’espèce.

La défenderesse soutient que ni l’arrêt Antonis P. Lemos non plus que l’arrêt Moschanthy (cités à la note 5) ne représentent le droit en vigueur au Canada. Cependant, dans l’arrêt Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le), [1993] 2 C.F. 553 (1re inst.), Mme le juge Reed n’était pas convaincue de l’existence d’un obstacle empêchant l’introduction d’une action in rem pour remorquage empreint de négligence à l’encontre d’un propriétaire de navire par un expéditeur qui avait conclu une entente avec un affréteur.

Enfin, la Cour suprême du Canada a abordé ce sujet dans l’arrêt Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157, où elle a statué que la Cour fédérale pouvait être saisie d’une action en responsabilité contractuelle et délictuelle découlant des avaries subies par une cargaison, laquelle action était fondée sur différentes rubriques du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, notamment l’alinéa 22(2)i), qui s’applique en l’espèce.

En résumé, le navire Bocsa a été envoyé à Vancouver, conformément aux exigences de la charte-partie, et la demanderesse avait fait préparer une cargaison; de plus, une entente concernant l’utilisation d’un navire a été conclue, ce qui constitue l’un des critères appliqués par la Chambre des lords dans l’arrêt Antonis P. Lemos. Pour toutes ces raisons, l’affaire est visée par l’alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale qui, d’après la conclusion à laquelle la Cour suprême du Canada en est arrivée dans l’arrêt Tropwood, peut être invoqué tant en matière contractuelle que délictuelle.

CONCLUSION

La demanderesse, qui est un sous-affréteur au voyage, a intenté une action tant contractuelle que délictuelle contre la défenderesse Cosena, S.R.L., le propriétaire du navire Bocsa. La demande n’est pas fondée en ce qui a trait à la responsabilité contractuelle, parce qu’aucun élément important n’indique que le propriétaire était lié d’une façon ou d’une autre au sous-affréteur et qu’une preuve abondante indique plutôt le contraire. La demanderesse ne peut intenter une action contractuelle in personam contre Cosena, S.R.L. et n’a donc aucun droit d’action in rem. Cette action et la saisie qui en découle constituent un emploi abusif des procédures. Les mots [traduction] « au propriétaire de celui-ci » du paragraphe 1 et [traduction] « manquement à un contrat ou » du paragraphe 9 ainsi que la totalité des paragraphes 2, 5 et 7 de la déclaration sont radiés.

Même si l’affidavit portant demande de mandat est inexact et ne comporte aucune mention de la responsabilité délictuelle, il ne s’ensuit pas nécessairement que le mandat devrait être annulé lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’inexactitude et l’omission n’ont pas permis à la demanderesse d’obtenir une réparation qu’elle n’aurait pas pu obtenir si les faits exacts, soit une demande fondée sur la responsabilité délictuelle, avaient été énoncés dans l’affidavit en question. Cela ne signifie pas que la demande fondée sur la responsabilité délictuelle qui reste et qui, à mon sens, ouvre droit à une action in rem aux termes de l’alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale, sera accueillie, mais plutôt qu’elle n’était pas futile ni manifestement vouée à l’échec. Par conséquent, le mandat et la garantie visant à couvrir la responsabilité de Cosena, S.R.L., le cas échéant, demeureront en vigueur.

La présente requête découle du fait que la demanderesse est allée trop loin en invoquant un manquement à une charte-partie plutôt que de se limiter à la responsabilité délictuelle et en déposant un affidavit portant demande de mandat qui comportait des erreurs et des omissions. Dans l’intérêt de la justice, la Cour, y compris les personnes chargées d’administrer la délivrance des mandats, doit pouvoir se fier en entier à la véracité et à l’exactitude des affidavits portant demande de mandat. Pour ce motif, la défenderesse a immédiatement droit au paiement des frais de la présente requête, taxés selon le tarif maximal prévu sous la colonne IV [de la partie II du tarif B des Règles de la Cour fédérale (mod. par DORS/95-282, art. 5)].

La défenderesse Cosena, S.R.L. dispose d’un délai de trente jours pour produire une défense.



[1] Un disposant est habituellement la première personne qui a loué un navire à son propriétaire et qui, à son tour, a affrété le navire à un sous-affréteur, souvent dans le cadre d’une convention au voyage. Lorsqu’il y a plusieurs affréteurs, chacun peut considérer l’affréteur précédent comme un armateur-disposant. Dans certains cas, mais très rarement, un disposant peut aussi être un mandataire. Voir, de façon générale, l’arrêt Astyanax, The, [1985] 2 Lloyd’s Rep. 109 (C.A.).

[2] Les principes qui s’appliquent à la radiation d’une plaidoirie au motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action sont énoncés dans les arrêts Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; et Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[3] Jacob commente ce concept dans l’article « The Inherent Jurisdiction of the Court » cité plus haut, aux p. 24 et 25.

[4] Voir, par exemple, l’arrêt McCain Produce Co. Ltd. c. Le Rea, [1978] 1 C.F. 686 (1re inst.).

[5] Le jugement rendu en 1984 dans l’affaire Antonis P. Lemos a été exprimé par lord Brandon of Oakbrook, tandis que l’affaire Moschanthy, The, [1971] 1 Lloyd’s Rep. 37 (Adm.), a été réglée par le juge Brandon. Dans cette affaire, l’expéditeur, qui était également un armateur-affréteur, a poursuivi le propriétaire en responsabilité délictuelle et, dans une action in rem, il a réclamé des dommages-intérêts pour détention illicite de biens. Le juge Brandon a cité l’arrêt Schwarz & Co. (Grain), Ltd. v. St. Elefterio (Owners), [1957] 1 Lloyd’s Rep. 283 (Adm.), pour conclure que le libellé de l’art. 1(1)h) de la loi intitulée Administration of Justice Act, 1956 [(R.-U.), 1956, ch. 46] le pendant de l’art. 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale à l’époque, était suffisamment large pour couvrir les demandes fondées sur la responsabilité tant délictuelle que contractuelle.

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