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T-2552-97

Nu-Pharm Inc. (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé (défendeurs)

Répertorié: Nu-Pharm Inc.c. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Cullen"Ottawa, 28 octobre et 19 novembre 1998.

Aliments et drogues Présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN)Définition duproduit de référence canadienà l'art. C.08.001.1 du Règlement sur les aliments et droguesIl est acceptable pour le fabricant de médicaments génériques de soumettre une PADN pour le médicament X en comparant celui-ci à un médicament générique pour lequel un avis de conformité a été délivré plutôt qu'au médicament d'origine pour lequel un premier avis de conformité a déjà été délivré.

Droit administratif Contrôle judiciaire Contrôle du refus d'examiner la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) de la demanderesseMalgré le fait que l'auteur de la décision est hautement spécialisé et qu'il possède des connaissances techniques poussées en ce qui concerne l'innocuité et l'efficacité des nouveaux médicaments, il n'y a pas de disposition privative dans la LoiLa norme de contrôle applicable se rapproche davantage de celle du caractère raisonnable que de celle du bien-fondé de la décisionLe refus du ministre d'examiner la PADN reposait sur une interprétation abusive et erronée de l'art. C.08.001.1c) du Règlement sur les aliments et drogues et équivalait à une erreur de droit au sens de l'art. 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédéraleDe plus, sa décision était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance qui indiquaient que les médicaments étaient identiques.

La demanderesse, un fabricant de médicaments génériques, a soumis une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour sa version du médicament X qui, selon ce qu'elle affirmait, était identique au médicament X produit par le fabricant A. Le fabricant A avait déjà obtenu un avis de conformité pour sa version du médicament X sur le fondement d'une PADN qui renfermait des données comparatives démontrant que le médicament X du fabricant A était le bioéquivalent ou l'équivalent pharmaceutique de la version de B du médicament X. Le directeur général de la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a refusé la PADN au motif qu'elle ne mentionnait pas le médicament X du fabricant B. La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige sont celles de savoir si le défendeur a commis une erreur de droit en concluant que le médicament de la défenderesse ne constitue pas un "produit de référence canadien" au sens de l'article C.08.001.1 du Règlement, si le défendeur a commis une erreur de droit en fondant son refus d'examiner la PADN sur la possibilité qu'un "effet cumulatif" (écart plus grand lorsque le produit n'est pas comparé à l'original) se produise si la PADN était examinée ou sur la crainte que l'examen de la PADN se solde par une déclaration que le médicament de la demanderesse constitue un produit de référence canadien, si le défendeur a rendu sa décision en se fondant sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait en se fondant sur les facteurs précités pour refuser d'examiner la PADN, et si le défendeur a entravé son pouvoir discrétionnaire en refusant d'examiner la PADN en raison d'un présumé "effet cumulatif" ou de sa réticence à déclarer que le médicament de la demanderesse constituait un produit de référence canadien.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Le médicament de la demanderesse ne répond pas à la définition du "produit canadien de référence" que l'on trouve à l'alinéa C.08.001.1a ) du Règlement. Cette conclusion repose sur une interprétation du texte clair et simple de cette disposition. Le fabricant A n'était pas un innovateur. Le médicament X du fabricant A ne constitue pas un produit de référence canadien au sens de l'alinéa C.08.001.1b) parce que rien ne permet de penser que le fabricant B ne commercialise plus son médicament au Canada. Aux termes de l'alinéa C.08.001.1c), un médicament qui est identique au médicament de l'innovateur, comme le médicament X du fabricant A est identique au médicament X du fabricant B, peut être utilisé pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques, lorsque le ministre est convaincu que la preuve démontre que ces caractéristiques sont identiques. L'alinéa C.08.001.1c) confère toutefois au ministre un certain pouvoir d'appréciation, étant donné que la drogue doit être "jugée acceptable par le ministre". Il est donc nécessaire d'analyser la façon dont le ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire et le raisonnement qu'il a suivi pour refuser de délivrer un avis de conformité.

En matière de contrôle judiciaire, la tendance qui se dessine depuis quelques années chez les tribunaux judiciaires est de faire preuve de retenue judiciaire envers les conclusions tirées par les tribunaux administratifs lorsque ces conclusions relèvent du champ de connaissances spécialisées de ces tribunaux administratifs. Dans le cas qui nous occupe, c'est la norme du caractère raisonnable qui s'applique aux conclusions du ministre. Malgré le fait qu'il a été jugé que la compétence des tribunaux judiciaires est beaucoup plus étendue en appel que dans le cas d'un contrôle judiciaire et que l'auteur de la décision est hautement spécialisé et qu'il possède des connaissances techniques poussées en ce qui concerne l'innocuité et l'efficacité des nouveaux médicaments dont l'homologation est demandée, la décision du ministre n'est pas à l'abri de tout contrôle judiciaire, parce que le législateur fédéral n'a pas inséré dans la législation de disposition privative visant à éliminer tout contrôle judiciaire des erreurs de droit.

Dans le contexte de l'analyse d'une présentation de drogue nouvelle visant à décider s'il y a lieu de délivrer un avis de conformité, le pouvoir discrétionnaire du défendeur n'est pas illimité. Le ministre a commis une erreur de droit en concluant que le médicament X du fabricant A ne répondait pas à la définition du produit de référence canadien contenue à l'alinéa C.08.001.1c), en raison de son interprétation abusive et erronée de cette disposition. La politique du ministre de n'utiliser l'alinéa C.08.001.1c) que dans les cas dans lesquels un demandeur cherche à comparer le produit dont il est question dans sa PADN avec un médicament commercialisé à l'extérieur du Canada qui est identique au produit de référence canadien commercialisé au Canada n'est pas justifiée. Finalement, les craintes exprimées par le ministre au sujet de l'effet cumulatif et du danger de créer un précédent l'ont amené à négliger l'élément le plus crucial en l'espèce, c'est-à-dire le fait que le médicament X de la demanderesse est identique à celui du fabricant A. En conséquence, le ministre a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance qui indiquaient que les médicaments étaient identiques. Cette conclusion constitue un motif de contrôle suffisant sous le régime de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. La décision du ministre de refuser d'examiner la demande est donc annulée et l'affaire est renvoyée à la Direction générale des produits thérapeutiques pour qu'elle prenne une nouvelle décision en conformité avec les motifs qui précèdent.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001.1 (édicté par DORS/95-411, art. 3), C.08.002 (mod., idem, art. 4), C.08.004.

jurisprudence

décisions appliquées:

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 518; (1996), 48 Admin. L.R. (2d) 109; 71 C.P.R. (3d) 166; 123 F.T.R. 161 (1re inst.); Dickason c. Université de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103; (1992), 127 A.R. 241; 95 D.L.R. (4th) 439; [1992] 6 W.W.R. 385; 4 Alta. L.R. (3d) 193; 17 C.H.R.R. D/87; 92 CLLC 17,033; 11 C.R.R. (2d) 1; 141 N.R. 1; 20 W.A.C. 241; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; Bell Canada c. Canada (Conseil canadien de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722; (1989), 60 D.L.R. (4th) 682; 38 Admin. L.R. 1; 97 N.R. 15; Dansereau c. Canada (Comité d'appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444; (1990), 91 CLLC 14,010; 122 N.R. 122 (C.A.); L'État portoricain c. Hernandez, [1973] C.F. 1206; (1973), 42 D.L.R. (3d) 541; 15 C.C.C. (2d) 56 (C.A.); inf. pour d'autres motifs sub nom. Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228; (1973), 41 D.L.R. (3d) 549; 14 C.C.C. (2d) 209.

décisions examinées:

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 49 C.P.R. (3d) 161; 66 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.); conf. par [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 29 Admin. L.R. (2d) 1; 59 C.P.R. (3d) 82; 176 N.R. 1.

décision citée:

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé a refusé d'examiner la présentation abrégée de drogue nouvelle de la demanderesse. La demande est accueillie.

ont comparu:

Harry B. Radomski pour la demanderesse.

Frederick B. Woyiwada pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Goodman Phillips & Vineberg, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Cullen: Dans la présente affaire, Nu-Pharm Inc. (la demanderesse) demande à la Cour de prononcer une ordonnance déclarant que le refus du ministre de la Santé (le défendeur) d'examiner sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) est illégal. En outre, la demanderesse sollicite une ordonnance enjoignant au défendeur d'examiner sa PADN en conformité avec le Règlement sur les aliments et drogues1 (le Règlement) et de lui délivrer un avis de conformité pour son produit pharmaceutique en conformité avec le Règlement.

CADRE RÉGLEMENTAIRE

Avant d'exposer les faits sur lesquels la présente demande est fondée, il serait instructif d'examiner le régime réglementaire applicable à l'homologation des nouveaux médicaments. La procédure d'homologation des nouveaux médicaments en vue de leur fabrication et de leur vente au Canada est régie par l'article C.08.002 [mod. par DORS/95-411, art. 4] du Règlement, qui oblige tout fabricant à obtenir un avis de conformité selon les dispositions de l'article C.08.004 avant de pouvoir obtenir une homologation.

Les fabricants de médicaments obtiennent un avis de conformité en soumettant une présentation de drogue nouvelle (PDN) ou une PADN à la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Le défendeur peut ainsi évaluer l'innocuité et l'efficacité du médicament. Les compagnies qui produisent des médicaments soumettent des PDN pour des médicaments qui n'ont pas encore été commercialisés au Canada. Ces PDN comprennent des résultats d'études cliniques indépendantes démontrant l'innocuité et l'efficacité présumées du médicament. Les fabricants soumettent une PADN pour établir l'innocuité et l'efficacité de ce qu'on appelle couramment les médicaments génériques. Ces présentations comprennent des données qui sont davantage comparatives que cliniques, parce que le but visé est d'établir l'équivalence pharmaceutique ou la bioéquivalence du médicament générique avec un "produit de référence canadien", expression qui s'entend notamment des médicaments pour lesquels le ministre a examiné une PDN et a délivré un avis de conformité. Voici la définition que l'article C.08.001.1 [édicté, idem , art. 3] du Règlement donne de l'expression "produit de référence canadien":

C.08.001.1 [. . .]

"produit de référence canadien" Selon le cas:

a) une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l'article C.08.004 et qui est commercialisée au Canada par son innovateur;

b) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, lorsqu'une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l'article C.08.004 ne peut être utilisée à cette fin parce qu'elle n'est plus commercialisée au Canada;

c) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à une drogue visée à l'alinéa a).

LES FAITS

La demanderesse est une société constituée en personne morale sous le régime des lois de l'Ontario. Elle fabrique et distribue des produits pharmaceutiques. Comme ses produits pharmaceutiques sont identiques à une marque de médicament que le défendeur a déjà homologuée ou en sont l'équivalent thérapeutique, la demanderesse est un fabricant de médicaments génériques.

Le 11 septembre 1997, la demanderesse a soumis une PADN pour sa version du médicament X qui, selon ce qu'elle affirme, est identique au médicament X produit par le fabricant A. Le défendeur avait déjà délivré un avis de conformité à A pour sa version du médicament X sur le fondement d'une PADN qui renfermait des données comparatives démontrant que le médicament X du fabricant A était le bioéquivalent ou l'équivalent pharmaceutique du médicament X du fabricant B. Le directeur général de la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a écrit le 12 novembre 1997 une lettre à la demanderesse dans laquelle il refusait la présentation abrégée de drogue nouvelle au motif qu'elle ne mentionnait pas le médicament X du fabricant B. Le refus du défendeur d'examiner la PADN et, partant, de délivrer un avis de conformité à la demanderesse pour le médicament X est la décision dont la demanderesse demande le contrôle judiciaire.

MOYENS INVOQUÉS AU SOUTIEN DE LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

Les motifs sur lesquels la Cour peut se fonder pour accorder une réparation à la partie qui sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un office fédéral sont énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)]:

18.1 [. . .]

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas:

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

QUESTIONS EN LITIGE

La meilleure façon d'exposer les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à les formuler en fonction de quelques-uns des moyens qui sont habituellement invoqués au soutien d'une demande de contrôle judiciaire:

1. Le défendeur a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le médicament de la défenderesse ne constituait pas un "produit de référence canadien" au sens du Règlement?

2. Le défendeur a-t-il commis une erreur de droit en fondant son refus d'examiner la PADN sur l'un ou l'autre des facteurs suivants:

i) la possibilité qu'un "effet cumulatif" se produise si la PADN était examinée;

ii) la crainte que l'examen de la PADN se solde par une déclaration que le médicament de la demanderesse constitue un produit de référence canadien?

3. Le défendeur a-t-il rendu sa décision en se fondant sur une conclusion de fait erronée, sans tenir compte des éléments dont il disposait, en se fondant sur les facteurs précités pour refuser d'examiner la PADN?

4. Le défendeur a-t-il limité son pouvoir discrétionnaire en refusant d'examiner la PADN en raison d'un présumé "effet cumulatif" ou de sa réticence à déclarer que le médicament de la demanderesse constituait un produit de référence canadien?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

D'entrée de jeu, le défendeur aborde la question de la norme de contrôle applicable à la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur affirme que la Cour devrait faire preuve de retenue envers sa décision parce qu'il ressort du régime réglementaire que le législateur a choisi de s'en remettre largement à la compétence du ministre. Qui plus est, le défendeur allègue que la Cour n'est pas en mesure de remettre la décision en question, compte tenu du caractère technique des présentations de drogues et de la procédure suivie pour leur évaluation. Le défendeur exhorte par ailleurs la Cour à appliquer le critère du caractère raisonnable plutôt que celui de la décision correcte pour apprécier la décision du défendeur. Ainsi, tout doute ou toute ambiguïté devraient être résolus en faveur du pouvoir discrétionnaire du défendeur. La demanderesse affirme, pour sa part, que la Cour ne doit pas faire preuve de retenue envers la décision du ministre, étant donné qu'elle conteste le fondement juridique plutôt que les aspects techniques de cette décision.

La réponse à la question de savoir si la demanderesse s'est conformée au Règlement dépend en dernière analyse de la réponse à la question de savoir si la version du médicament X mise au point par le fabricant A constitue un "produit de référence canadien" au sens du Règlement. De façon générale, le défendeur fait valoir qu'accepter la version du médicament X mise au point par le fabricant A présenterait des risques sur le plan de l'innocuité pour deux raisons. Elle affirme en premier lieu que le produit du fabricant A, un produit générique, doit respecter une norme de biodisponibilité comparative oscillant entre 80 et 125 pour cent. En d'autres termes, pour qu'un avis de conformité puisse être délivré à son égard, le produit générique doit contenir entre 80 et 125 pour cent de l'ingrédient actif contenu dans le médicament X du fabricant B, lequel médicament a déjà été homologué sur le fondement de données cliniques. Comparer une PADN au médicament X du fabricant A risquerait donc d'élargir l'écart, de sorte que le médicament contiendrait entre 64 et 156 pour cent de l'ingrédient actif du médicament X du fabricant B et que sa biodisponibilité comparative déborderait le cadre de la mesure normalisée. La demanderesse soutient qu'en invoquant cette raison pour rejeter le médicament X, le ministre a commis une erreur de droit, a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et a limité son pouvoir discrétionnaire. La demanderesse explique qu'elle cherche à comparer son médicament avec le médicament du fabricant A, parce que les médicaments sont identiques, et non à établir que son médicament est le bioéquivalent ou l'équivalent pharmaceutique d'un médicament homologué. La demanderesse a cité le témoignage donné en contre-interrogatoire par Mme  Mary Elizabeth Carman, directrice du Bureau de la surveillance pharmaceutique de la Direction générale des produits thérapeutiques à Santé Canada, qui a souscrit un affidavit pour le compte du défendeur. Mme Carman a reconnu que l'argument de l'effet cumulatif est mal fondé lorsque les médicaments sont identiques. La demanderesse affirme donc que le défendeur a "oublié" que ce n'était pas un cas où l'effet cumulatif peut se produire. Le défendeur a rétorqué que Mme  Carman ne laissait pas entendre qu'il y avait eu un effet cumulatif en l'espèce, mais que les risques d'effet cumulatif font tout simplement partie des raisons retenues par le ministre pour ne pas accepter des médicaments génériques en tant que produits de référence canadien.

La demanderesse affirme par ailleurs que le défendeur craignait qu'en examinant la PADN, il déclarerait effectivement que le médicament X du fabricant A répondait à la définition de "produit de référence canadien" pour toutes les PADN ultérieures. Aux yeux de la demanderesse, le fait que le défendeur a tenu compte de ce facteur constitue une erreur de droit. La demanderesse souligne que, bien qu'elle ait tenté d'expliciter, lors de son contre-interrogatoire, les raisons pour lesquelles la politique du défendeur était d'éviter de considérer des médicaments comme le médicament X du fabricant A comme des produits de référence canadien, Mme  Carman a cité une disposition du Règlement, le paragraphe C.08.004(4), qui parle d'une "déclaration", bien que ce soit dans le contexte d'une déclaration d'équivalence des médicaments. La demanderesse fait valoir que, comme cette disposition ne s'applique pas au cas qui nous occupe, et comme le ministre conserverait toujours le pouvoir discrétionnaire d'approuver toute présentation, le fait d'accepter le médicament X comme produit de référence canadien n'équivaudrait pas à une déclaration de validité de ce médicament pour toutes les PADN subséquentes.

Les parties ont également abordé la question de la définition du "produit de référence canadien" dans le cadre plus précisément du Règlement. À l'alinéa C.08.001.1a ) du Règlement, sont assimilés à un produit de référence canadien les médicaments pour lesquels un avis de conformité est délivré en vertu de l'article C.08.004 et qui sont commercialisés au Canada par l'innovateur du médicament. Suivant la demanderesse, la décision de désigner le médicament du fabricant B comme produit de référence canadien est arbitraire, compte tenu du fait que le médicament X du fabricant A a également fait l'objet d'un avis de conformité et qu'il répond donc à la définition précitée. Les parties contestent également le sens du terme "innovateur", que le Règlement ne définit pas. Le défendeur soutient que la version du médicament X mise au point par le fabricant A ne tombe pas sous le coup de l'alinéa C.08.001.1a ) parce que cette version n'a pas été commercialisée au Canada par l'innovateur du médicament. La demanderesse n'est pas de cet avis, étant donné que l'alinéa C.08.001.1a) définit également le "produit de référence canadien" comme un médicament pour lequel un avis de conformité a été délivré. Or, un avis de conformité a été délivré pour le médicament X du fabricant A. Selon la demanderesse, en délivrant un avis de conformité, le défendeur a admis l'innocuité du médicament en tant que produit de référence canadien.

L'alinéa C.08.001.1b) s'applique notamment aux médicaments qui constituent des succédanés acceptables pour les médicaments pour lesquels un avis de conformité a été délivré mais qui ne sont plus commercialisés au Canada au sens de la définition du "produit de référence canadien". Ces produits de référence canadien de remplacement doivent être "jugé[s] acceptable[s] par le ministre". La demanderesse soutient que l'alinéa C.08.001.1b ) autorise expressément l'utilisation de produits de référence de remplacement, ce qui permet de conclure qu'une marque du médicament X ne peut être désignée comme produit de référence canadien à l'exclusion de toutes les autres. Le défendeur souligne quant à lui que l'alinéa b) ne s'applique que lorsque le produit de l'innovateur, en l'espèce le médicament X du fabricant B, n'est plus commercialisé au Canada.

Finalement, l'alinéa C.08.001.1c) prévoit qu'est assimilé à un produit de référence canadien le médicament qui peut être utilisé pour la détermination de la bioéquivalence par comparaison à une drogue visée à l'alinéa C.08.001.1a). Ce paragraphe confère par ailleurs au ministre tout pouvoir résiduel d'appréciation en matière d'approbation. Le défendeur justifie donc son refus d'approuver la PADN par le fait qu'il ne délivre pas d'avis de conformité pour les médicaments qui renvoient à des produits de référence de remplacement qui reposent sur les données comparatives contenues dans la PADN plutôt que sur les données cliniques qui font normalement partie d'une PDN. En outre, le défendeur affirme qu'en l'espèce, la preuve ne permet pas de conclure que le médicament X de la demanderesse est le bioéquivalent ou l'équivalent pharmaceutique du médicament X du fabricant B.

ANALYSE

Je me propose de commencer mon analyse en discutant de chacun des trois paragraphes de la définition du "produit canadien de référence". J'examinerai ensuite la décision du défendeur et la question de savoir si la Cour devrait faire preuve de retenue envers elle. Pour examiner cette décision, la Cour devra nécessairement examiner les effets présumés de l'élargissement de la définition du "produit canadien de référence". Dans le cadre de cette analyse, j'aborderai chacun des moyens invoqués au soutien de la demande de contrôle judiciaire.

1. L'alinéa C.08.001.1a)

À mon avis, le médicament de la demanderesse ne répond pas à la définition du "produit canadien de référence" que l'on trouve à l'alinéa C.08.001.1a ). Cette conclusion repose sur une interprétation du texte clair et simple de cette disposition. Une fois que le défendeur a délivré un avis de conformité, le médicament visé par cet avis de conformité ne devient pas automatiquement un produit canadien de référence au sens de l'alinéa C.08.001.1a), comme le prétend la demanderesse. Le mot "et" que l'on trouve à cet alinéa doit être interprété comme une conjonction, de sorte que, pour être visé par l'alinéa a ), le médicament doit également être commercialisé au Canada par son innovateur.

Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)2, le juge Robertson a déclaré que les compagnies innovatrices font des recherches et mettent au point des médicaments et qu'elles sont les premières à les lancer sur le marché. Dans le jugement Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)3, le juge MacKay a qualifié les compagnies défenderesses de compagnies innovatrices en faisant remarquer qu'elles avaient:

[. . .] demandé au ministre intimé, une approbation. Cette approbation leur permet de commercialiser des médicaments sur ordonnance protégés par des brevets dont elle sont titulaires.

À mon avis, le fabricant A n'est pas un innovateur. Il a obtenu son avis de conformité en comparant les données relatives à la biodisponibilité de son médicament à celles concernant le médicament B au lieu d'effectuer des recherches cliniques et de soumettre ses propres données cliniques. Le fabricant A n'était pas la première compagnie à lancer le médicament X sur le marché, et il ne détient pas de droits de brevet à l'égard du médicament A, un fait qu'on peut inférer du fait qu'il a soumis au défendeur une PADN plutôt qu'une PDN.

2. L'alinéa C.08.001.1b)

Je suis d'accord avec la demanderesse pour dire que l'alinéa C.08.001.1b) permet d'utiliser des produits de référence de remplacement. En conséquence, sous le régime de l'alinéa b), un médicament pour lequel un avis de conformité a été délivré ne peut être déclaré être un produit de référence canadien à l'exclusion de toutes les autres formulations de cette drogue, du moins lorsqu'un médicament n'est plus commercialisé au Canada. Mais le fait que le produit de référence proposé ne soit plus commercialisé au Canada constitue une condition nécessaire à laquelle le médicament doit répondre avant de devenir un produit de référence canadien au sens de l'alinéa C.08.001.1b). J'estime donc que le médicament X du fabricant A ne constitue pas un produit de référence canadien au sens de l'alinéa C.08.001.1b) parce que rien ne permet de penser que le fabricant B ne commercialise plus son médicament au Canada.

3. L'alinéa C.08.001.1c)

Finalement, l'alinéa C.08.001.1c) autorise les produits de référence canadiens de remplacement lorsqu'on peut utiliser une drogue déterminée pour la détermination de la bioéquivalence, d'après les caractéristiques pharmaceutiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à un produit de référence canadien visé à l'alinéa C.08.001.1a). À mon avis, un médicament qui est identique au médicament de l'innovateur, comme le médicament X du fabricant A est identique au médicament X du fabricant B, peut être utilisé pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques, lorsque le défendeur est convaincu que la preuve démontre que ces caractéristiques sont identiques. L'alinéa C.08.001.1c) confère toutefois au défendeur un certain pouvoir d'appréciation, étant donné que la drogue doit être "jugée acceptable par le ministre". Il est donc nécessaire d'analyser la façon dont le ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire et le raisonnement qu'il a suivi pour refuser de délivrer un avis de conformité.

4. Examen de la décision du défendeur

Avant d'analyser la décision par laquelle le défendeur a refusé d'examiner la PADN de la demanderesse et, partant, de lui délivrer un avis de conformité, il me faut examiner les facteurs qui me guideront lors de l'examen de cette décision. La tendance qui se dessine depuis quelques années chez les tribunaux judiciaires, comme en fait foi l'arrêt Dickason c. University de l'Alberta4, est de faire preuve de retenue envers les conclusions tirées par les tribunaux administratifs lorsque ces conclusions relèvent du champ de connaissances spécialisées de ces tribunaux administratifs. Les questions de droit font partie de ces conclusions, à supposer qu'elles relèvent du champ de compétence du tribunal administratif en question5. Pour sa part, le juge Iacobucci a statué, dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)6, qu'en pareil cas, le rôle de la Cour ne consiste pas à décider si les conclusions tirées par le tribunal administratif sont correctes, mais plutôt à déterminer si elles sont raisonnables.

Il y a, dans le cas qui nous occupe, des facteurs qui militent en faveur de l'application de la norme du caractère raisonnable en ce qui concerne les conclusions du défendeur. En premier lieu, la présente audience concerne une demande de contrôle judiciaire et non un appel interjeté en vertu d'une disposition législative. Dans l'arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes)7, le juge Gonthier a statué que la compétence des tribunaux judiciaires est beaucoup plus étendue en appel que dans le cas d'un contrôle judiciaire. Un second facteur qui m'amène à penser que je devrais faire preuve de retenue envers le raisonnement suivi par le défendeur est le fait que l'auteur de la décision, le directeur général de la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, est hautement spécialisé et qu'il possède des connaissances techniques poussées en ce qui concerne l'innocuité et l'efficacité des nouveaux médicaments dont l'homologation est demandée. Ces facteurs ne mettent pas la décision du défendeur à l'abri de tout contrôle judiciaire. Le législateur fédéral n'a en effet pas inséré dans le Règlement ou dans la Loi sur les aliments et drogues8 de disposition privative visant à éliminer tout contrôle judiciaire des erreurs de droit. En prévoyant une telle disposition, le législateur indique aux tribunaux judiciaires qui sont saisis d'une demande de contrôle judiciaire qu'ils doivent respecter les conclusions des tribunaux administratifs inférieurs. J'en conclus donc que la norme de contrôle applicable dans le cas de la présente demande de contrôle judiciaire se rapproche davantage de celle du caractère raisonnable que de celle de la décision correcte, bien que je n'accepte pas pour autant sans réserve la décision du défendeur.

Le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au défendeur aux termes de l'alinéa C.08.001.1c) de la définition du produit canadien de référence, étant donné que le médicament doit être jugé "acceptable par le ministre" avant de pouvoir devenir un produit canadien de référence. Toutefois, dans le contexte de l'analyse d'une présentation de drogue nouvelle visant à décider s'il y a lieu de délivrer un avis de conformité, le pouvoir discrétionnaire du défendeur n'est pas illimité. Dans le jugement Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)9 , la Cour a statué que la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre se limite strictement à l'examen de la question de savoir si le fait d'approuver la PDN s'avérerait sans danger et efficace. En l'espèce, j'étends aux PADN cette restriction apportée au pouvoir discrétionnaire du ministre.

Il me faut donc évaluer la conclusion du défendeur suivant laquelle le médicament X du fabricant A ne tombe pas sous le coup de l'alinéa C.08.001.1c) de la définition d'après la norme précitée. De plus, je dois m'assurer que le défendeur s'en est tenu, dans son raisonnement, à des considérations d'innocuité et d'efficacité pour décider s'il y avait lieu d'accepter le médicament X du fabricant A à titre de produit de référence canadien.

5. La décision du ministre

Il ressort de l'affidavit de Mme Carman et du contre-interrogatoire que l'avocat de la demanderesse lui a fait subir que le défendeur a effectivement fait reposer sa décision sur des considérations d'innocuité et d'efficacité. Premièrement, le témoignage de Mme Carman fait état de la réticence du défendeur à considérer qu'un médicament répond à la définition du produit de référence canadien lorsqu'une telle mesure risquerait de créer un effet cumulatif, de sorte que le nouveau médicament ne répondrait pas au critère des 80 à 125 pour cent. Deuxièmement, dans son contre-interrogatoire, Mme Carman s'est dite préoccupée par le fait que le Règlement ne limite pas l'utilisation des médicaments qui sont identiques au produit canadien de référence actuel en tant que produits de référence de remplacement. Ainsi, le défendeur serait impuissant à refuser de considérer comme un produit de référence canadien le médicament qui est, par exemple, le bioéquivalent à 99 pour cent d'un produit de référence canadien ou y équivaut à 99 pour cent sur le plan pharmaceutique. L'effet cumulatif et la possibilité que des médicaments qui ne sont pas identiques à des produits de référence canadiens soient réputés constituer des produits de référence de remplacement sont certainement des facteurs qui pourraient avoir une incidence sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments dont on demande l'homologation. Je conclus donc que le défendeur a limité son pouvoir discrétionnaire en refusant d'examiner la PADN, mais que son refus était légitime, étant donné que les facteurs dont il a tenu compte reposaient sur des considérations d'innocuité et d'efficacité.

Je ne rejette pas pour autant les autres moyens invoqués par la demanderesse au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. À mon avis, la décision du défendeur de refuser d'examiner la PADN de la demanderesse et de refuser en conséquence de délivrer un avis de conformité à la demanderesse pour le médicament X n'était pas raisonnable, eu égard à deux des motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, et elle doit être infirmée. Je ferais preuve de retenue à l'égard du vaste pouvoir discrétionnaire que le législateur fédéral a conféré au défendeur, mais les observations orales et écrites du défendeur et le témoignage que Mme Carman a donné lors de son contre-interrogatoire ne me donnent aucune raison convaincante de le faire.

Le premier moyen invoqué avec succès par la demanderesse au soutien de sa demande de contrôle judiciaire est que le médicament X du fabricant A ne répond pas à la définition du produit de référence canadien que l'on trouve à l'alinéa C.08.001.1c), ce qui représente une erreur de droit commise par le défendeur. Mme Carman a souligné, lors de son contre-interrogatoire, que la politique du défendeur était de n'utiliser l'alinéa c) de la définition que dans les cas dans lesquels un demandeur cherche à comparer le produit dont il est question dans sa PADN avec un médicament commercialisé à l'extérieur du Canada qui est identique au produit de référence canadien commercialisé au Canada. Il n'existe à mon sens aucune raison de refuser à un tel médicament le statut de produit de référence canadien lorsque le produit de référence de remplacement proposé est identique au produit de référence canadien actuellement utilisé, commercialisé au Canada. D'ailleurs, ni Mme Carman ni l'avocat du défendeur n'ont expliqué la raison d'être de cette différence. Je suis donc d'avis de conclure que le refus d'examiner la PADN reposait sur une interprétation abusive et erronée de l'alinéa c) et que cette interprétation équivaut à une erreur de droit au sens de l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale.

Je tiens à souligner que je ne tire aucune conclusion au sujet des produits de référence canadiens de remplacement qui ne sont pas identiques au produit de référence canadien actuel. Les préoccupations que le défendeur a exprimées, par la voix de Mme Carman, au sujet de l'innocuité et de l'efficacité, sont parfaitement légitimes lorsque le produit de référence de remplacement proposé n'est pas identique, mais elles ne s'appliquent tout simplement pas aux faits de l'espèce.

Pour expliquer le second motif pour lequel je conclus que les gestes du défendeur étaient déraisonnables, je me reporte à l'affaire Dansereau c. Canada (Comité d'appel de la fonction publique)10. Dans cet arrêt, le juge Décary a cité l'ancien alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale11, dont le libellé est identique à celui de l'alinéa 18.1(4)d) actuel. Pour interpréter le pouvoir de contrôle judiciaire conféré à la Cour par cette disposition, le juge Décary a cité un extrait de l'arrêt L'État portoricain c. Hernandez12, dans lequel il a été jugé que la Cour ne devait intervenir que:

[. . .] lorsque l'erreur commise dans l'appréciation du dossier soumis est si lourde qu'elle ne constitue pas seulement une erreur de jugement quant à l'effet d'une preuve marginale, mais un tel mépris des éléments de preuve présentés à la Cour que cela revient à une erreur de droit ou porte à conclure qu'on a fait application d'un principe erroné [. . .]

À mon avis, les craintes exprimées par le défendeur au sujet de l'effet cumulatif et du danger de créer un précédent en acceptant le médicament X du fabricant A en tant que produit canadien de référence l'ont amené à négliger l'élément le plus crucial en l'espèce, c'est-à-dire le fait que le médicament X de la demanderesse est identique à celui du fabricant A. En conséquence, je conclus que le défendeur a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance qui indiquaient que les médicaments étaient identiques. J'estime que la conclusion à laquelle j'en viens constitue un motif de contrôle suffisant sous le régime de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

DISPOSITIF

Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale énumère les réparations qui peuvent être accordées une fois que le demandeur a réussi à établir l'existence d'un motif légitime de contrôle judiciaire. Ainsi, l'alinéa a) permet à la Cour d'ordonner à l'auteur de la décision d'accomplir tout acte "qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir", ce qui constitue essentiellement une permission de délivrer un bref de mandamus . La demanderesse exhorte la Cour d'ordonner au défendeur de délivrer un avis de conformité à l'égard de sa version du médicament X. Les modalités complexes qui régissent la délivrance des avis de conformité, notamment la présentation de preuves scientifiques complexes destinées à être examinées par des techniciens et des scientifiques qualifiés, expliquent mes réticences à accéder à la requête de la demanderesse. Je me fonde plutôt sur l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale pour annuler la décision du ministre de refuser d'examiner la demande et pour renvoyer l'affaire à la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social pour qu'elle procède à un nouvel examen et qu'elle prenne une nouvelle décision en conformité avec les motifs qui précèdent.

1 C.R.C., 1978, ch. 870, modifié.

2 [1994] 1 C.F. 742 (C.A.).

3 [1997] 1 C.F. 518 (1re inst.), à la p. 526.

4 [1992] 2 R.C.S. 1103.

5 Voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la p. 584.

6 [1994] 2 R.C.S. 557.

7 [1989] 1 R.C.S. 1722.

8 L.R.C. (1985), ch. F-27, modifiée.

9 (1993), 49 C.P.R. (3d) 161 (C.F. 1re inst.); conf. par [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

10 [1991] 1 C.F. 444 (C.A.).

11 Telle que cette disposition figurait dans les L.R.C. (1985), ch. F-7. Cet alinéa a été modifié par L.C. 1990, ch. 8, art. 8.

12 [1973] C.F. 1206 (C.A.), à la p. 1208; infirmé pour d'autres motifs à [1975] 1 R.C.S. 228.

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