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T-1154-97

Bayer Inc. (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé (défendeurs)

Répertorié: Bayer Inc.c. Canada (Procureur général) (1re  inst.)

Section de première instance, juge Evans"Ottawa, 9 septembre et 3 novembre 1998.

Aliments et drogues Requête en jugement sommaire déclarant que l'art. C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues met pendant une période de cinq ans le premier fabricant à l'abri de toute concurrence de la part d'autres fabricants de médicaments identiques, sur le plan fonctionnel, au médicament que le premier fabricant a été autorisé à vendre au CanadaLa demanderesse a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) à l'égard du médicament X destiné au traitement de la maladie XLa demanderesse est l'innovateur du médicament XL'art. C.08.004.1 prévoit que, lorsque le fabricant dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en vue d'établir l'innocuité et l'efficacité d'une drogue nouvelle, et que le ministre s'appuie sur les données contenues dans la PDN, le ministre ne peut délivrer un avis de conformité avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la délivrance de l'avis de conformitéLes parties s'entendent pour dire que le médicament X est unedrogue nouvelle— — Unedroguese définit comme une substance vendue pour le traitement de maladies chez l'être humain ou les animauxLe médicament X contient une substance dont la vente a été approuvée au Canada pour le traitement de maladies chez les animauxL'art. C.08.004.1 s'applique aux drogues contenant une substance dont la vente n'a pas été préalablement approuvée au CanadaMais lorsque l'innovateur d'un médicament destiné aux humains présente des renseignements, la question à se poser devrait être celle de savoir si le médicament contient une substance dont la vente a déjà été approuvée pour être utilisée chez l'être humainEn d'autres termes, l'épithètehumaindevrait être accolée au motdroguechaque fois que le contexte le commandeCette interprétation s'accorde avec les objectifs généraux du régime législatifL'art. C.08.004.1 doit être interprété en tenant compte de l'économie générale du Règlement, qui vise à faciliter la procédure d'homologation des nouveaux médicaments et à réduire ainsi le coût des médicamentsIl ne vise pas à conférer une protection analogue à celle que confèrent les brevets à tous les innovateurs de nouveaux médicaments qui ont obtenu un avis de conformitéLe ministre nes'appuiepas sur les renseignements que lui communique l'innovateur lorsqu'en vertu de l'art. C.08.004.1, il examine une PADN soumise à l'égard d'un avis de conformité uniquement sur le fondement des renseignements contenus dans la PADN, c.-à-d. lorsqu'il se fonde sur le fait qu'un avis de conformité a déjà été délivré pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicamentOn ne doit pas intercaler l'adverbeindirectementà l'art. C.08.004.1(1) de manière à élargir la portée de l'expressions'appuie sur— — Suivant la preuve, la décision de délivrer un avis de conformité repose habituellement sur les renseignements contenus dans la PADN, et non sur les renseignements communiqués par l'innovateurLe ministre peut délivrer un avis de conformité dès que le fabricant de médicaments génériques établit, sur le fondement d'une PADN, que son produit est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X.

Commerce extérieur La demanderesse est l'innovateur du médicament XElle a soumis une présentation de drogue nouvelle (PDN)L'art. C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues prévoit que, lorsque le fabricant dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en vue d'établir l'innocuité et l'efficacité d'une drogue nouvelle, et que le ministre s'appuie sur les données contenues dans la PDN, le ministre ne peut délivrer un avis de conformité avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la délivrance de l'avis de conformitéL'art. C.08.004.1 a été inséré dans le règlement pour se conformer aux obligations imposées au Canada par l'ALÉNA, par particulièrement à l'art. 1711 de celui-ciLe par. 6 de l'art. 1711 oblige chaque partie à prévoir que seule la personne qui a communiqué les résultats d'études peut les utiliser à l'appui d'une demande d'approbation de produit au cours d'une période de temps raisonnable suivant la date de leur communicationCettepériode de temps raisonnablene doit normalement pas être de moins de cinq ans à compter de la date à laquelle la partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les donnéesSuivant la demanderesse, comme l'art. 1711 n'exige pas que les renseignements fournis par l'innovateur soient examinés à titre de condition préalable à l'existence du droit du fabricant à une protection d'une durée de cinq ans contre la concurrence des fabricants de produits génériques, la condition relative à l'examen qui est prévue à l'art. C.08.004.1 ne devrait pas être interprétée comme imposant une condition supplémentaire à celles qui sont énoncées à l'art. 1711Le par. 6 vise une situation dans laquelle un concurrents'appuiesur les données fournies par un fabricant pour obtenir l'autorisation de commercialiser son produitIl semble prévoir une réparation dans le cas où une partie n'a pas protégé le caractère confidentiel de ces données en interdisant au ministre d'accorder une autorisation au concurrent pendant cinq ansCette conclusion s'accorde avec l'énoncé général du par. 1 qui prévoit que chacune des parties assure les moyens juridiques d'empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués ou utilisésd'une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes— — S'il avait voulu que l'art. 1711 impose un délai de cinq ans dans les situations visées par la procédure abrégée de présentation, le législateur l'aurait dit expressémentLe ministre n'examineles données fournies par la demanderesse au sujet du médicament X, au sens de l'art. C.08.004.1, que si, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'art. C.08.003, il consulte des données déjà soumisesCette interprétation ne prive pas la demanderesse de la protection de l'art. 1711.

Il s'agit d'une requête en jugement sommaire déclarant que l'article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues met pendant une période de cinq ans le premier fabricant à l'abri de toute concurrence de la part d'autres fabricants de médicaments identiques, sur le plan fonctionnel, au médicament que le premier fabricant a été autorisé à vendre au Canada.

La demanderesse a déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle (PDN) à l'égard du médicament X destiné au traitement de la maladie X. La demanderesse est l'innovateur du médicament X, qui contient un ingrédient actif qui a été déjà été utilisé dans le médicament Z, lequel a été commercialisé au Canada en vue d'être utilisé pour le traitement de certaines maladies animales.

Le régime actuel d'homologation des médicaments oblige le fabricant d'une "drogue nouvelle" à obtenir un avis de conformité du ministre de la Santé avant de pouvoir vendre et annoncer son médicament au Canada. Une "drogue nouvelle" est définie comme étant une drogue pour laquelle le fabricant déclare un usage comme drogue et qui n'a pas été vendue pour cet usage au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir l'innocuité et l'efficacité de cet usage. Pour obtenir un avis de conformité, le fabricant doit déposer auprès du ministre une PDN renfermant les renseignements dont le ministre a besoin pour évaluer l'innocuité et l'efficacité du médicament ou une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) dans laquelle il compare la drogue en question à une autre drogue (le "produit de référence canadien") pour laquelle le ministre a déjà délivré un avis de conformité et qui est commercialisée au Canada. La PADN renferme des études comparatives établissant que la drogue visée est l'équivalent pharmaceutique et biologique du "produit de référence canadien". L'article C.08.004.1 prévoit que, lorsque le fabricant dépose une PDN en vue de faire déterminer l'innocuité et l'efficacité d'une drogue nouvelle, et que le ministre examine les renseignements présentés dans la PDN par l'innovateur d'une drogue et s'appuie sur les données, il ne peut délivrer un avis de conformité à l'égard de cette présentation avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la date à laquelle l'avis de conformité est délivré à l'innovateur. L'article C.08.004.1 a été inséré dans le nouveau régime réglementaire pour se conformer à l'Accord de libre-échange nord-américain , dont le paragraphe 6 de l'article 1711 dispose que chacune des parties doit prévoir que "seule la personne qui [. . .] a communiqué [. . .]" les données non divulguées visées au paragraphe 5 "peut [. . .] utiliser ces données à l'appui d'une demande d'approbation de produit au cours d'une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication". Le paragraphe 5 précise par ailleurs que cette "période de temps raisonnable" ne doit normalement pas être de moins de cinq ans à compter de la date à laquelle la partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données.

Les questions en litige sont les suivantes: 1a) Le médicament X est-il une "drogue nouvelle"? b) Dans l'affirmative, le fait que le médicament X contient une substance chimique ou biologique que l'on retrouve dans un médicament dont la vente a déjà été approuvée pour le traitement d'une maladie animale le soustrait-il à l'application de l'article C.08.004.1? 2) Est-il nécessaire que le ministre s'appuie sur les données contenues dans la présentation de drogue nouvelle soumise par l'innovateur pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicament du second fabricant qui dépose PADN? 3) Est-il interdit au ministre de délivrer un avis de conformité au second fabricant qui dépose une PADN uniquement s'il examine les renseignements ou le matériel contenus dans la PDN de la partie demanderesse lors de son examen de la PADN? 4) Est-il interdit au ministre de délivrer un avis de conformité au second fabricant qui dépose une PADN avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la délivrance à la demanderesse d'un avis de conformité pour le médicament X destiné au traitement de la maladie X.

Jugement: la requête doit être rejetée.

1a) Les parties s'entendent pour dire que le médicament X est une "drogue nouvelle" au sens de l'article C.08.001 et qu'il répond à la définition contenue à l'alinéa c ). L'article C.08.004.1 ne s'applique que lorsqu'un fabricant tente d'établir l'innocuité et l'efficacité d'une "drogue nouvelle".

b) L'article C.08.004.1 ne s'applique qu'aux drogues contenant une substance chimique ou biologique dont la vente comme drogue n'a pas été préalablement approuvée au Canada. Le ministre maintenait que, comme une "drogue" se définit comme une substance vendue pour le traitement de maladies chez "l'être humain ou les animaux", le médicament X contient une substance dont la vente a déjà été approuvée au Canada et que l'article C.08.004.1 ne s'applique donc pas à la PDN soumise par la demanderesse pour obtenir un avis de conformité pour le médicament X. Lorsque l'innovateur d'un médicament destiné aux humains présente des renseignements, la question à se poser devrait être celle de savoir si le médicament contient une substance dont la vente a déjà été approuvée pour être utilisée chez l'être humain. En d'autres termes, l'épithète "humain" devrait être ajoutée au mot "drogue" chaque fois que le contexte le commande. Cette interprétation s'accorde avec les objectifs généraux du régime législatif. Lorsque quelqu'un demande l'homologation d'un médicament qui n'a pas encore été vendu pour le traitement d'une maladie chez l'être humain, il s'agit d'une "drogue" au sens du règlement, même si ce médicament a déjà été vendu pour le traitement d'une maladie chez les animaux. L'article C.08.004.1 s'applique au médicament X.

2) La demanderesse affirme que le ministre s'appuie presque toujours sur les renseignements présentés par l'innovateur d'un médicament lorsqu'il examine une PADN, parce que le ministre "s'appuie" sur le fait qu'un avis de conformité a déjà été délivré pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicament. L'article C.08.004.1 doit être interprété en tenant compte de l'économie générale du Règlement, qui vise à faciliter la procédure d'homologation des nouveaux médicaments et à réduire ainsi le coût des médicaments. Si on devait l'accepter, la thèse de la demanderesse aurait pour effet de diminuer l'efficacité des dispositions de la PADN en assujettissant la délivrance d'un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques à un délai d'attente de cinq ans. Le ministre ne "s'appuie" pas sur les renseignements que lui communique l'innovateur lorsqu'en vertu de l'article C.08.004.1, il examine une PADN soumise à l'égard d'un avis de conformité uniquement sur le fondement des renseignements contenus dans la PADN. Compte tenu de l'objet général du Règlement, on ne doit pas intercaler l'adverbe "indirectement" au paragraphe C.08.004.1(1) de manière à élargir la portée de l'expression "s'appuie sur".

3) La demanderesse soutient que l'examen visé à l'article C.08.004.1 aura déjà eu lieu au cours de l'examen par le ministre de la PDN de l'innovateur. Il ressort de la preuve qu'habituellement, la décision de délivrer un avis de conformité sur le fondement d'un PADN repose exclusivement sur les renseignements contenus dans la PADN et que les renseignements fournis par l'innovateur ne sont pas consultés. La seule préoccupation est de s'assurer que la PADN établit l'équivalence pharmaceutique et la bioéquivalence du nouveau médicament par rapport au "produit de référence canadien". L'emploi du présent dans le cas des deux verbes en cause, en l'occurrence "examine" et "s'appuie", démontre que chacun de ces actes se produit au cours de l'examen par le ministre de la même présentation, à savoir la PADN. La mention à l'article C.08.004.1 de l'examen du ministre semble se rattacher à la disposition de l'article C.08.003.1 qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d'examiner des éléments déjà soumis par un autre fabricant lors de l'examen d'une autre présentation soumise par un autre fabricant pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicament auquel cette dernière présentation se rapporte. Il semblerait toutefois qu'il s'agisse là d'une procédure exceptionnelle: dans la plupart des cas, on demande au ministre de délivrer un avis de conformité uniquement sur la foi des renseignements contenus dans la PADN soumise à l'appui de la demande.

La demanderesse affirme que l'article 1711 n'exige pas que les renseignements fournis par l'innovateur soient "examinés" à titre de condition préalable à l'existence du droit du fabricant à une protection d'une durée de cinq ans contre la concurrence des fabricants de produits génériques et que la condition relative à l'"examen" ne devrait donc pas être interprétée comme imposant une condition supplémentaire à celles qui sont explicitement énoncées à l'article 1711. L'article 1711 ne confère pas de droit à la commercialisation exclusive d'un nouveau médicament pendant cinq ans à compter de la date de délivrance d'un avis de conformité sur le fondement des résultats d'essais contenus dans la PDN de l'innovateur dans une situation comme celle qui est en litige en l'espèce. Le paragraphe 6 semble viser une situation dans laquelle un concurrent "s'appuie" sur les données fournies par un fabricant pour obtenir l'autorisation de commercialiser son produit. D'ailleurs, il semble prévoir simplement une réparation dans le cas où une partie n'a pas protégé le caractère confidentiel de ces données en interdisant au ministre d'accorder une autorisation avant l'expiration d'un délai de cinq ans. Cette conclusion semblerait s'accorder avec l'énoncé général que l'on trouve au paragraphe 1 et qui prévoit que chacune des parties assure les moyens juridiques d'empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués ou utilisés "d'une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes". S'il avait voulu que l'article 1711 impose un délai de cinq ans dans la plupart des situations visées par la procédure abrégée de présentation, le législateur l'aurait exprimé avec plus de précision. D'ailleurs, le paragraphe 7 traite précisément, mais uniquement dans un contexte international, d'une situation dans laquelle une partie se fonde sur une approbation de commercialisation antérieure. Si le législateur avait voulu que le paragraphe 6 impose lui aussi le délai de cinq ans à une situation dans laquelle une partie se fonde sur une approbation de commercialisation qu'elle a elle-même déjà accordée à un fabricant qui a été requis de soumettre ses données non divulguées pour obtenir une approbation, le législateur l'aurait certainement dit beaucoup plus clairement. Il est révélateur que le paragraphe 6 se termine par les mots suivants: "Sous réserve de cette disposition, rien n'empêchera une Partie d'adopter à l'égard de ces produits des procédures d'homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité". Le ministre n'"examine" les données fournies par la demanderesse au sujet du médicament X, au sens de l'article C.08.004.1, que si, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article C.08.003, par exemple, les fonctionnaires du Ministère retournent consulter les données en question au cours de leur examen de la PADN soumise par une autre compagnie. Le ministre n'"examine" les données fournies par la demanderesse au sujet du médicament X, au sens de l'article C.08.004.1, que si, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article C.08.003, par exemple, les fonctionnaires du Ministère retournent consulter les données en question au cours de leur examen de la PADN soumise par une autre compagnie qui sollicite l'homologation d'un médicament qui est l'équivalent fonctionnel du médicament X. Cette interprétation du paragraphe C.08.004.1(1) ne prive pas la demanderesse de la protection légale à laquelle elle a droit en vertu de l'article 1711.

4) Le ministre peut délivrer un avis de conformité dès que le fabricant de médicaments génériques est en mesure d'établir, sur le fondement d'une PADN soumise en conformité avec le Règlement, que son produit est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X.

lois et règlements

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis du Mexique et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1711.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, art. 2 "drogue" (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 71).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001c) "drogue nouvelle", C.08.001.1 "produit de référence canadien" (édicté par DORS/95-411, art. 3), C.08.002 (mod., idem , art. 4), C.08.002.1 (édicté, idem, art. 5), C.08.003 (mod., idem, art. 6), C.08.003.1 (édicté, idem), C.08.004(1) (mod., idem), C.08.004.1 (édicté, idem).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 216.

jurisprudence

décision appliquée:

National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81.

doctrine

Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, DORS/95-411, (1995), 129 Gazette du Canada, Partie II, no 18.

REQUÊTE en jugement sommaire déclarant que l'article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues met pendant une période de cinq ans le premier fabricant à l'abri de toute concurrence de la part d'autres fabricants de médicaments identiques, sur le plan fonctionnel, au médicament que le premier fabricant a été autorisé à vendre au Canada. La requête est rejetée.

ont comparu:

Ronald E. Dimock et Michelle L. Wassenaar pour la demanderesse.

Frederick B. Woyiwada pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Dimock Stratton Clarizio, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans:

A. La genèse de l'instance

La Cour est saisie d'une requête en jugement sommaire présentée en vertu de la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998), [DORS/98-106] par Bayer Inc., demanderesse dans le cadre d'une instance introduite par voie de déclaration dans laquelle elle sollicite un jugement déclaratoire contre le ministre de la Santé (le ministre) en ce qui concerne l'interprétation et l'application de l'article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 [édicté par DORS/95-411, art. 6] (le Règlement).

La requête est fondée sur la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui dispose:

216. [. . .]

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est:

[. . .]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

Le ministre ne conteste pas que la présente affaire peut être tranchée par jugement sommaire. Étant donné qu'il reste seulement des points de droit à trancher, je vais trancher l'affaire dans le cadre de la présente requête.

B. Le contexte

La présente instance porte sur le processus par lequel les fabricants de nouveaux médicaments obtiennent l'approbation du ministre en vue de vendre et d'annoncer les médicaments en question au Canada. Elle porte également sur le degré de protection contre la concurrence accordée par le Règlement au fabricant qui est l'innovateur d'un nouveau médicament et qui obtient le premier l'approbation en ce qui concerne sa vente. La thèse de la demanderesse est que, dans la plupart des cas"et certainement dans le cas qui nous occupe", le Règlement met pendant une période de cinq ans le premier fabricant à l'abri de toute concurrence de la part d'autres fabricants de médicaments identiques, sur le plan fonctionnel, au médicament que le premier fabricant a été autorisé à vendre au Canada.

Le ministre, en revanche, affirme que le médicament de la demanderesse n'est pas visé par la disposition du Règlement que la demanderesse invoque et que, même s'il l'est, la disposition en question ne confère la protection revendiquée par la demanderesse que dans des situations fort inusitées et certainement pas dans le cas qui nous occupe.

L'issue du présent litige est susceptible d'avoir d'importantes incidences sur l'industrie pharmaceutique dans son ensemble. En effet, si la demanderesse obtient gain de cause, les sociétés qui produisent et commercialisent des médicaments d'origine pourraient bien bénéficier d'une période de non-concurrence de cinq ans à compter du moment où elles obtiennent l'autorisation de commercialiser un nouveau médicament. Toutefois, les fabricants de médicaments d'origine, qui n'administrent, n'analysent ni ne financent les essais visant à convaincre le ministre de l'innocuité et de l'efficacité d'un nouveau médicament, subiront un préjudice sur le plan commercial s'ils doivent attendre l'expiration de ce délai avant de pouvoir obtenir du ministre l'autorisation de commercialiser un médicament équivalent à un médicament qui a déjà fait l'objet d'une approbation.

De toute évidence, le présent litige revêt par ailleurs aussi une grande importance en ce qui concerne le juste milieu à trouver entre, d'une part, l'intérêt qu'a le public à s'assurer que l'innovation pharmaceutique est encouragée par une rétribution financière suffisante et, d'autre part, l'intérêt qu'a le public à s'assurer que le consommateur peut se procurer des médicaments à des prix qui demeurent modérés grâce aux forces de la concurrence.

Je tiens à souligner que la demanderesse n'a pas signifié d'avis de la présente requête à l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, qui représente les fabricants de médicaments d'origine. Après la clôture du débat, la Cour a été informée que les avocats de deux fabricants de médicaments d'origine avaient reçu pour instruction de demander l'autorisation d'intervenir à l'instance ou d'y être constituées parties. J'ai décidé qu'il serait contre-indiqué de retarder le prononcé du jugement en attendant que ces requêtes soient tranchées, ou de rejeter la présente requête de manière à ce que l'instance soit reprise avec la participation des fabricants de médicaments génériques.

C. Le cadre réglementaire

(i) Règlement sur les aliments et drogues

Le cadre réglementaire actuel dans lequel le régime d'homologation des médicaments est administré a été créé en 1995 par suite de l'ajout de l'annexe no 843 du DORS/95-411. Un des objectifs du régime était de s'assurer qu'il respecte les obligations imposées au Canada par l'article 1711 de l'Accord de libre-échange nord-américain [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis du Mexique et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, [1994] R.T. Can. no 2] (ALENA). Le régime prévoit essentiellement que le fabricant d'une "drogue nouvelle" doit obtenir un avis de conformité du ministre de la Santé avant de pouvoir vendre et annoncer le médicament en question au Canada. La partie de la définition de l'expression "drogue nouvelle" qui est pertinente en l'espèce se trouve à l'alinéa C.08.001c ) du Règlement:

C.08.001. [. . .] "drogue nouvelle" désigne

[. . .]

c) une drogue pour laquelle le fabricant prescrit, recommande, propose ou déclare un usage comme drogue ou un mode d'emploi comme drogue, y compris la posologie, la voie d'administration et la durée d'action, et qui n'a pas été vendue pour cet usage ou selon ce mode d'emploi au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada, l'innocuité et l'efficacité de cet usage ou de ce mode d'emploi pour ladite drogue.

L'article C.08.002 [mod. par DORS/95-411, art. 4] prévoit que, pour obtenir un avis de conformité, le fabricant doit déposer auprès du ministre une "présentation de drogue nouvelle" (PDN) renfermant les renseignements dont le ministre a besoin pour évaluer l'innocuité et l'efficacité du médicament. Le Règlement précise ensuite le contenu de la PDN, laquelle doit notamment contenir une description du médicament et de son utilisation projetée et le détail des épreuves effectuées pour en établir l'innocuité et l'efficacité. La réalisation de ces épreuves, qui comprennent à la fois des épreuves sur des animaux et des épreuves en laboratoire (épreuves précliniques) et des épreuves sur des humains (épreuves cliniques), et la présentation des résultats coûtent souvent très cher. À titre d'exemple, dans le cas qui nous occupe, la PDN que la requérante a soumise renferme 366 volumes de descriptions, de données d'essais et autres renseignements, et contient des résultats d'épreuves cliniques échelonnées sur huit années et portant sur 2 200 patients.

Ce ne sont pas toutes les demandes d'autorisation de vendre et d'annoncer une "drogue nouvelle" qui nécessitent autant de temps et d'argent. L'article C.08.002.1 [édicté, idem , art. 5] permet en effet au fabricant d'une "drogue nouvelle" de déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) dans laquelle il compare la drogue en question à une autre drogue pour laquelle le ministre a déjà délivré un avis de conformité et qui est commercialisée au Canada par l'innovateur de la drogue. La drogue qui sert de comparaison dans la PADN est appelée "produit de référence canadien" à l'article C.08.001.1 [édicté, idem , art. 3].

L'objet premier de la PADN est de démontrer que la drogue qu'elle vise est l'équivalent fonctionnel de la drogue à laquelle elle est comparée. En conséquence, au lieu de contenir les résultats des épreuves effectuées pour établir l'innocuité et l'efficacité de la drogue, la PADN renferme des "études comparatives" qui visent à établir que la drogue visée est l'équivalent pharmaceutique et biologique du "produit de référence canadien". Une PADN est habituellement beaucoup moins volumineuse qu'une PDN typique. Le paragraphe C.08.004(1) [édicté, idem , art. 6] prévoit que, "Sous réserve de l'article C.08.004.1", le ministre délivre un avis de conformité si la PADN du fabricant est conforme au Règlement.

L'article C.08.003.1 [édicté, idem] confère au ministre le pouvoir discrétionnaire, au cours de l'examen d'une PDN ou d'une PADN, "d'examiner les renseignements ou le matériel que lui présente tout fabricant" dans une PDN ou une PADN pour déterminer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle visée par la PDN ou PADN.

Ce qui nous amène à l'aspect du régime qui est au cœur du litige. Il s'agit du paragraphe C.08.004.1(1), auquel, comme il a déjà été souligné, le paragraphe C.08.004(1) est assujetti. Voici les passages pertinents de cette disposition:

C.08.004.1. (1) Lorsque le fabricant dépose une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l'une de ces présentations en vue de faire déterminer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle qui en est l'objet, et que le ministre examine les renseignements et le matériel présentés, dans une présentation de drogue nouvelle, par l'innovateur d'une drogue contenant une substance chimique ou biologique dont la vente comme drogue n'a pas été préalablement approuvée au Canada et s'appuie sur les données y figurant pour étayer la présentation ou le supplément du fabricant, il ne peut délivrer un avis de conformité à l'égard de cette présentation ou de ce supplément avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la date à laquelle est délivré à l'innovateur l'avis de conformité ou l'approbation de commercialiser cette drogue, selon le cas, d'après les renseignements ou le matériel présentés par lui pour cette drogue.

(ii) Article 1711 de l'ALENA

Ainsi qu'il a déjà été signalé, le paragraphe C.08.004.1(1) a été inséré dans le nouveau régime réglementaire d'homologation des nouveaux médicaments pour permettre au Canada de respecter les obligations qu'il avait contractées aux termes de l'ALENA. L'article 1711 porte sur divers aspects de la protection des secrets commerciaux contre toute divulgation et utilisation irrégulières. Les paragraphes 5 et 6 de l'article 1711 sont particulièrement pertinents dans le cas qui nous occupe.

Article 1711: [. . .]

5. Lorsqu'une Partie subordonne l'approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l'agriculture qui comportent des éléments chimiques nouveaux, à la communication de données non divulguées résultant d'essais ou d'autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l'utilisation de ces produits est sans danger et efficace, cette Partie protégera ces données contre toute divulgation, lorsque l'établissement de ces données demande un effort considérable, sauf si la divulgation est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s'assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce.

6. Chacune des Parties prévoira, en ce qui concerne les données visées au paragraphe 5 qui lui sont communiquées après la date d'entrée en vigueur du présent accord, que seule la personne qui les a communiquées peut, sans autorisation de cette dernière à autrui, utiliser ces données à l'appui d'une demande d'approbation de produit au cours d'une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication. On entend généralement par période de temps raisonnable, une période d'au moins cinq années à compter de la date à laquelle la Partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données destinées à faire approuver la commercialisation de son produit, compte tenu de la nature des données, ainsi que des efforts et des frais consentis par cette personne pour les produire. Sous réserve de cette disposition, rien n'empêchera une Partie d'adopter à l'égard de ces produits des procédures d'homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité.

La demanderesse affirme que, dans la mesure où l'interprétation de l'article C.08.004.1 soulève une ambiguïté, qu'elle soit patente ou latente, cette ambiguïté devrait être résolue d'une manière compatible avec l'article 1711. Le ministre soutient pour sa part que l'interprétation de l'article C.08.004.1 ne soulève aucune ambiguïté et que l'article 1711 n'est par conséquent pas pertinent et ce, même s'il semble soutenir qu'il n'y a de toute façon aucun conflit entre l'article 1711 et le Règlement.

D. Les faits

Voici les faits pertinents, sur lesquels les parties s'entendent pour l'essentiel. La demanderesse Bayer Inc. a déposé une PDN à l'égard du médicament X destiné à être utilisé pour le traitement de la maladie X. Bayer est l'innovateur du médicament X, qui ne fait pas l'objet d'un brevet. Le médicament contient un ingrédient actif qui a déjà été utilisé dans le médicament Z, lequel a été commercialisé au Canada en vue d'être utilisé pour le traitement de certaines maladies animales. Ce même ingrédient actif a aussi été utilisé dans le médicament Y, qui a été commercialisé à l'extérieur du Canada pour le traitement d'une maladie humaine autre que celle qui est visée dans la PDN que Bayer a déposée auprès du ministre.

Je tiens à souligner que la Cour a déjà rendu une ordonnance protégeant la confidentialité du nom des médicaments ci-dessus désignés par une lettre, de même que la confidentialité de leurs ingrédients actifs et des maladies pour lesquelles ils sont utilisés ou pour lesquelles on se propose de les utiliser. Des restrictions ont donc été imposées aux documents versés au présent dossier dans lesquels il est fait mention de questions visées par l'ordonnance de confidentialité. Il ne sera donc divulgué dans le présent jugement aucun autre détail qui ne serait pas pertinent quant à la solution des questions en litige.

Bayer a déposé en preuve un long affidavit souscrit par M. Timothy Shannon, vice-président aux affaires médicales et scientifiques chez Bayer. Cet affidavit n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, et la véracité de son contenu n'a pas été contestée par le ministre. M. Shannon y explique notamment la procédure d'homologation des nouveaux médicaments déjà évoquée et y relate une rencontre qui s'est déroulée le 25 février 1997 entre des représentants de Bayer et des fonctionnaires du ministère de la Santé. L'objet de cette rencontre était de discuter de l'interprétation que le ministre donnait de l'article C.08.004.1. En particulier, Bayer tenait beaucoup à savoir si le ministre partageait son avis que, si un avis de conformité est délivré pour le médicament X, un avis de conformité ne peut être délivré à un autre fabricant d'un médicament équivalent dans les cinq années suivant la délivrance de l'avis de conformité à Bayer. Le ministre n'a pas souscrit à ce point de vue. En conséquence, Bayer a produit une déclaration dans laquelle elle demande à la Cour de faire certaines déclarations au sujet de l'article C.08.004.1, et au sujet de son applicabilité au médicament X.

Le ministre a soumis à titre d'affidavit une transcription de l'interrogatoire préalable que l'avocat de Bayer a fait subir à Mme Dorothy Walker. Mme Walker est la directrice de la Division de la gestion des présentations au Bureau de l'évaluation des produits pharmaceutiques du ministère de la Santé et, à ce titre, elle connaît bien la procédure d'évaluation des drogues, notamment les demandes d'avis de conformité contenues dans les PDN et les PADN, et elle a été en mesure de les expliquer. La question de savoir si ce genre de transcription pouvait être admise en preuve dans le cadre d'une requête a fait l'objet d'un certain débat entre les parties, mais, comme j'ai conclu qu'il n'était pas nécessaire de se fonder sur les extraits de l'interrogatoire de Mme Walker auxquels Me Dimock, l'avocat de Bayer, s'est opposé, il n'est pas nécessaire que je tranche cette question.

E. Les questions en litige

L'avocat de Bayer a formulé quatre questions de droit auxquelles il a demandé à la Cour de répondre dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. Au cours du débat, il a été convenu que la première question posée par la demanderesse dans son mémoire devait être légèrement remaniée et qu'elle devait être scindée en deux. Par suite de cette modification et de l'inversion de l'ordre des questions 3 et 4, les questions sont les suivantes:

QUESTION 1

a) Le médicament X est-il une "drogue nouvelle" au sens de l'article C.08.001?

b) Le fait que le médicament X contient une substance chimique ou biologique que l'on retrouve dans un médicament dont la vente a déjà été approuvée pour le traitement d'une maladie animale le soustrait-il à l'application de l'article C.08.004.1?

Si l'on répond par l'affirmative à la question 1a) et si l'on répond par la négative à la question 1b), il faut alors répondre aux questions suivantes. Prises dans leur ensemble, elles portent sur la question plus large de savoir si l'article C.08.004.1 confère effectivement un monopole de cinq ans au Canada à l'innovateur-fabricant qui a obtenu un avis de conformité pour un nouveau médicament.

QUESTION 2

Après la délivrance d'un avis de conformité pour le médicament X destiné au traitement de la maladie X, est-il nécessaire que le ministre de la Santé (le ministre) s'appuie sur les données contenues dans la présentation de drogue nouvelle soumise par la demanderesse à l'égard du médicament X ou tirées de celle-ci pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicament du second fabricant qui dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à la présentation de drogue nouvelle dans lesquels il compare son médicament au médicament X de la demanderesse?

QUESTION 3

Est-il interdit au ministre de délivrer un avis de conformité au second fabricant qui dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à la présentation de drogue nouvelle dans lesquels il compare son médicament au médicament X de la demanderesse uniquement s'il examine les renseignements ou le matériel contenus dans la présentation de drogue nouvelle de la demanderesse lors de son examen de la présentation abrégée de drogue nouvelle?

QUESTION 4

Est-il interdit au ministre de délivrer un avis de conformité au second fabricant qui dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à la présentation de drogue nouvelle dans lesquels il compare son médicament au médicament X de la demanderesse avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la délivrance à la demanderesse d'un avis de conformité pour le médicament X destiné au traitement de la maladie X?

F. Analyse

QUESTION 1a)

Les parties s'entendent pour dire que le médicament X est une "drogue nouvelle" au sens de l'article C.08.001 et qu'il répond à la définition contenue à l'alinéa c ), que j'ai reproduite au paragraphe 8. Il s'ensuit que l'article C.08.004.1 ne s'applique que lorsqu'un fabricant tente d'établir l'innocuité et l'efficacité d'une "drogue nouvelle". Je réponds donc à cette question par l'affirmative.

QUESTION 1b)

Paradoxalement, la question de savoir si le médicament X est une "drogue" au sens de l'article C.08.004.1 est une question plus difficile. Les parties s'entendent pour dire que la définition applicable se trouve à l'article 2 de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 71], qui est la loi habilitante en application de laquelle le Règlement en cause dans le présent litige a été pris. L'article 2 dispose:

2. [. . .]

"drogue" Sont compris parmi les drogues les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir:

a) au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l'être humain ou les animaux. [Non souligné dans l'original.]

L'article C.08.004.1 ne s'applique qu'aux drogues "contenant une substance chimique ou biologique dont la vente comme drogue n'a pas été préalablement approuvée au Canada" [non souligné dans l'original]. Le problème est que le médicament X contient un ingrédient actif que l'on retrouve dans le médicament Z, dont la vente a été approuvée au Canada, mais uniquement pour le traitement de certaines maladies chez les animaux. L'avocat du ministre maintient que, comme une "drogue" se définit comme une substance vendue pour le traitement de maladies chez "l'être humain ou les animaux" [non souligné dans l'original], le médicament X contient une substance dont la vente a déjà été approuvée au Canada. En conséquence, l'article C.08.004.1 ne s'applique pas à la PDN que Bayer a soumise en vue d'obtenir un avis de conformité pour le médicament X.

L'avocat de Bayer fait valoir que ce résultat n'est pas très logique dans le contexte du régime législatif. Il se demande en effet comment le fait qu'un médicament renferme une substance dont l'utilisation chez les animaux a été approuvée peut avoir une incidence sur la question de savoir si on devrait considérer que sa vente a déjà été approuvée chez l'humain. L'avocat du ministre rétorque qu'il n'a pas de réponse à cette question, mais que ce résultat découle du sens manifeste de la Loi sur les aliments et drogues. Me Dimock affirme qu'une meilleure interprétation de cette disposition serait que, lorsque l'innovateur d'un médicament destiné aux humains présente des renseignements, la question à se poser devrait être celle de savoir si le médicament contient une substance dont la vente a déjà été approuvée pour être utilisée chez l'être humain. En d'autres termes, il souhaite accoler le mot "humain" au mot "drogue" chaque fois que le contexte le commande.

Voilà, à mon sens, une interprétation qui s'accorde davantage avec les objectifs généraux du régime législatif que la méthode littérale, non contextuelle, que propose l'avocat du ministre, Me Woyiwada. En conséquence, lorsque quelqu'un demande l'homologation d'un médicament qui n'a pas encore été vendu pour le traitement d'une maladie chez l'être humain, nous sommes en présence d'une "drogue" au sens du règlement, même si ce médicament a déjà été vendu pour le traitement d'une maladie chez les animaux. Je réponds donc par la négative à la question 1b).

Comme j'ai conclu que la requérante a satisfait au critère préliminaire et qu'elle a démontré que le médicament X tombe sous le coup de l'article C.08.004.1, je dois maintenant aborder les autres questions posées par la requérante dans la présente requête au sujet de l'interprétation de l'article C.08.004.1. Ces questions soulèvent des aspects qui sont susceptibles d'avoir des répercussions beaucoup plus larges.

Je tiens à souligner d'entrée de jeu que, comme l'objectif principal de cette partie du Règlement sur les aliments et drogues est de garantir l'innocuité et l'efficacité des médicaments commercialisés au Canada et d'instaurer une procédure d'homologation des médicaments génériques plus simple et plus efficace, l'argument de Bayer suivant lequel le Règlement confère également aux innovateurs le droit de commercialiser un médicament au Canada à l'abri de toute concurrence pendant une période de cinq ans est quelque peu étonnant. Ce type de droit est en effet normalement conféré à l'égard de produits qui sont protégés par un brevet.

L'avocat de Bayer maintient toutefois que si l'on répond aux questions 2 et 3 comme il affirme qu'on doit y répondre, c'est précisément là l'effet de l'article C.08.004.1. À son avis, tout doute sur le sens de cette disposition doit être éclairci en se reportant à l'article 1711 de l'ALENA, avec lequel l'article C.08.004.1 est censé être compatible, et qui vise à mettre des fabricants qui ont investi beaucoup de temps et d'argent pour tester l'innocuité et l'efficacité d'un nouveau médicament à l'abri de toute concurrence déloyale pouvant découler d'une divulgation et d'une utilisation irrégulières des renseignements secrets qu'ils ont dû communiquer au ministre pour pouvoir obtenir l'autorisation de commercialiser le médicament qu'ils ont formulé.

QUESTION 2

La question qui se pose ici est celle de savoir si, lorsqu'il examine une PADN, le ministre "s'appuie sur les données y figurant pour étayer la présentation [. . .] du fabricant" [non souligné dans l'original]. L'avocat de Bayer demande à la Cour de statuer que, si Bayer obtient un avis de conformité à l'égard du médicament X et qu'un second fabricant dépose une PADN dans laquelle le médicament X est désigné comme "produit de référence canadien", il est inévitable qu'en appréciant la PADN du second fabricant, le ministre "s'appuie" sur les données contenues dans les renseignements et le matériel présentés par Bayer dans sa PDN en tant qu'innovateur du médicament X. Cette situation tient au fait que les seuls renseignements dont le ministre dispose au sujet de l'innocuité et de l'efficacité du médicament sont ceux qui se trouvent dans la présentation de Bayer. Dans sa présentation abrégée, le second fabricant se contentera d'essayer de démontrer que son médicament est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X et il ne soumettra pas de nouveaux éléments de preuve au sujet de l'innocuité et de l'efficacité de ce nouveau médicament.

La demanderesse poursuit son argument en faisant valoir que, même si l'on peut dire que le ministre "s'appuie" sur le fait qu'un avis de conformité a déjà été délivré à l'égard du médicament X pour établir son innocuité et son efficacité, l'avis de conformité n'aura été délivré à Bayer que sur la foi de la preuve de l'innocuité et de l'efficacité du médicament X contenue dans les renseignements présentés dans la PDN de Bayer. Dans les faits, le ministre s'appuiera donc presque toujours sur les renseignements présentés par l'innovateur d'un médicament lorsqu'il examine la PADN produite par le second fabricant d'un médicament équivalent du point de vue fonctionnel au premier médicament.

L'avocat soutient qu'il n'est pas loisible au ministre de s'en remettre au fait que le "produit de référence canadien" a été commercialisé au Canada pour établir son innocuité et de son efficacité. D'une part, un second fabricant pourrait déposer une PADN le lendemain de la date de délivrance d'un avis de conformité pour le "produit de référence canadien", auquel cas on n'aurait pas eu le temps de mettre le médicament à l'essai en vue de sa commercialisation. Qui plus est, il ressort d'un document d'orientation publié le 21 août 1991 par la Direction des médicaments du Ministère, que le ministre n'estime que l'innocuité et l'efficacité d'un médicament ont été établies par le marché qu'après sept années de commercialisation. Le document précise:

Dans le cas d'une nouvelle drogue, l'expression "pendant assez longtemps" que l'on trouve à l'article C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues s'entend d'une période minimale de sept ans à compter de la date de la commercialisation initiale au Canada (avis de mise en vente de médicament). À l'expiration de ce délai, le médicament n'est plus considéré comme une drogue nouvelle. [Non souligné dans l'original.]

En réponse, Me Woyiwada insiste pour dire qu'habituellement, le ministre ne s'"appuie" pas sur les renseignements contenus dans la PDN de l'innovateur lorsqu'il examine la possibilité de délivrer un avis de conformité à un second fabricant sur la foi d'une PADN dans laquelle le médicament de l'innovateur est désigné comme "produit de référence canadien". Le ministre "s'appuie" plutôt sur les renseignements contenus dans la PADN pour décider de l'opportunité de délivrer un avis de conformité, et il ne se sert pas des éléments antérieurement présentés par l'innovateur.

De prime abord, la thèse du ministre peut sembler très formaliste, en ce sens que, lorsqu'il accorde une approbation à un fabricant de médicaments génériques au motif que son produit est l'équivalent fonctionnel d'un médicament pour lequel il a déjà délivré un avis de conformité sur la foi des renseignements fournis par l'innovateur, le ministre "s'appuie", du moins indirectement, sur les renseignements en question pour établir l'innocuité et l'efficacité du produit du fabricant de médicament générique. L'avis de conformité sur lequel le ministre affirme s'appuyer a lui-même été délivré sur la foi des données d'épreuves confidentielles compilées par l'innovateur-fabricant.

Il importe par ailleurs d'interpréter cette disposition du Règlement en tenant compte de l'économie générale du Règlement, qui vise à faciliter la procédure d'homologation des nouveaux médicaments lorsque cette homologation est demandée par d'autres fabricants que les innovateurs, et à réduire ainsi le coût des médicaments pour les gouvernements provinciaux et les consommateurs (voir le Résumé de l'Étude d'impact de la réglementation jointe au texte du Règlement dans la Gazette du Canada Partie II, vol. 129, no 18).

Si on devait l'accepter, la thèse de Bayer aurait pour effet de diminuer l'efficacité des dispositions relative à la PADN en assujettissant la délivrance d'un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques à un délai d'attente de cinq ans. L'économie du Règlement ne permet pas de penser que la délivrance d'un avis de conformité est normalement retardée de la sorte. Si c'est le résultat que visait le législateur, le libellé de l'article C.08.004.1 est une façon bien indirecte de l'exprimer.

Il ressort des explications fournies par le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, publié en même temps que le Règlement, que le champ d'application que le législateur voulait donner à l'article C.08.004.1 est très limité.

L'innovateur de par cette disposition pourrait bénéficier d'une protection commerciale supplémentaire dans les cas où la période de brevet est à la veille de prendre fin. L'exemple suivant illustre ce point:

Le brevet du produit A d'un innovateur prend fin en 1997. L'avis de conformité pour le produit est octroyé en 1995 et contient une nouvelle substance chimique ou biologique. En 1996, une présentation de drogue nouvelle abrégée est soumise pour un produit générique B. Si afin d'établir le profil d'innocuité, d'efficacité et de qualité du produit B, le ministre se fonde sur les renseignements contenus dans la présentation de l'innovateur pour le produit A, un avis de conformité pour le produit B ne pourra être octroyé avant l'an 2000, procurant ainsi à l'innovateur une protection commerciale supplémentaire de 3 ans pour le produit A.

Dans le cas où la Direction des médicaments a l'intention de se fonder sur les données de l'innovateur pour appuyer les allégations concernant l'innocuité et l'efficacité du produit et où cela entraînerait un retard dans l'octroi de l'avis de conformité, la Direction des médicaments en informera le fabricant du produit générique avant l'examen. La Direction des médicaments offrira au fabricant du produit générique la possibilité de fournir d'autres données à l'appui des allégations et ne se fondera pas sur les données déjà soumises par l'innovateur. Le fabricant aura le loisir de fournir directement les renseignements demandés, conformément à la politique sur la gestion de l'information; il se soustraira ainsi à l'application de cette disposition.

Cette explication s'avère fort utile lorsqu'il s'agit d'interpréter l'article C.08.004.1, et elle va dans le sens de mon opinion initiale suivant laquelle cette disposition n'est pas censée accorder à la presque totalité des innovateurs de nouveaux médicaments qui ont obtenu un avis de conformité une protection analogue à celle qui est accordée en matière de brevets. Par conséquent, je n'accepte pas l'argument que le ministre "s'appuie" sur les renseignements que lui communique l'innovateur lorsqu'en vertu de l'article C.08.004.1, il examine une PADN soumise en vue de l'obtention d'un avis de conformité. En pareil cas, le ministre ne délivre un avis de conformité que sur le fondement des renseignements contenus dans la PADN. Compte tenu de l'objet général du Règlement, on ne doit pas intercaler l'adverbe "indirectement" au paragraphe C.08.004.1(1) de manière à élargir la portée de l'expression "s'appuie sur".

Comme j'ai répondu par la négative à cette question, il n'est pas strictement nécessaire que j'examine les autres questions, étant donné que la requérante ne peut obtenir la protection qu'elle réclame que si l'on répond à chacune des questions en sa faveur. Toutefois, pour le cas où j'aurais tort en ce qui concerne ma réponse à la deuxième question, et parce que j'ai entendu le plaidoyer détaillé des avocats sur toutes les questions en litige, je me propose d'aborder aussi les autres questions.

QUESTION 3

Il s'agit ici de savoir si, pour l'application de l'article C.08.004.1, le ministre "examine les renseignements et le matériel présentés" [non souligné dans l'original] par Bayer dans sa PDN en tant qu'innovateur du médicament X. Dans l'affirmative, l'article C.08.004.1 s'applique et, si les autres exigences de cette disposition ont été respectées, le ministre ne peut délivrer d'avis de conformité au fabricant d'un médicament générique équivalent tant que cinq années ne sont pas écoulées depuis la délivrance de l'avis de conformité à Bayer.

Suivant les éléments de preuve non contestés qui ont été présentés, habituellement, les fonctionnaires du ministère de la Santé ne consultent pas les renseignements fournis par l'innovateur lorsqu'ils se prononcent sur l'opportunité de délivrer un avis de conformité sur le fondement d'une PADN. Leur décision repose exclusivement sur les renseignements contenus dans la PADN, et leur seule préoccupation est de s'assurer que la PADN établit l'équivalence pharmaceutique et la bioéquivalence du nouveau médicament par rapport au "produit de référence canadien". En conséquence, comme le soutient l'avocat du défendeur, comme le ministre n'ouvre et ne consulte pas matériellement les documents qui ont déjà été présentés par l'innovateur, on ne peut dire que le ministre "examine" les documents en question lorsqu'il examine la PADN du second fabricant.

L'avocat de Bayer formule deux arguments à cet égard. En premier lieu, il fait valoir que l'examen auquel procède le ministre et dont il est question à l'article C.08.004.1 est l'examen que le ministre fait des renseignements présentés par le fabricant-innovateur lorsque celui-ci dépose sa PDN. En conséquence, souligne-t-il, il est sans intérêt de savoir si le ministre examine ces renseignements au moment où il examine la PADN du fabricant de médicaments génériques. L'examen dont il est question à l'article C.08.004.1 aura déjà eu lieu dans le cadre de l'examen de la PDN de l'innovateur.

Si l'on se fonde uniquement sur le libellé de l'article C.08.004.1, il semble qu'il s'agisse là d'une interprétation invraisemblable. Premièrement, comme le ministre doit nécessairement toujours examiner les éléments que l'innovateur porte à sa connaissance pour décider s'il y a lieu de délivrer ou non un avis de conformité, la disposition en litige est superflue. En second lieu, il aurait fallu que le législateur emploie le passé composé s'il avait voulu renvoyer à l'examen antérieur des renseignements soumis par l'innovateur. Suivant l'interprétation préconisée par l'avocat, l'examen par le ministre des données d'épreuves compilées par l'innovateur dans sa PDN doit nécessairement avoir eu lieu avant que le ministre ne "s'appuie" sur eux lors de son examen de la PADN. L'emploi du présent dans le cas des deux verbes en cause, en l'occurrence "examine" et "s'appuie", démontre bien qu'en rédigeant l'article C.08.004.1, le législateur envisageait que chacun de ces actes se produirait au cours de l'examen par le ministre de la même présentation, à savoir la PADN.

La mention à l'article C.08.004.1 de l'examen du ministre semble se rattacher à la disposition de l'article C.08.003.1 qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d'examiner des éléments déjà soumis par un fabricant lors de l'examen d'une autre présentation soumise par un autre fabricant pour établir l'innocuité et l'efficacité du médicament auquel cette dernière présentation se rapporte. Il semblerait toutefois qu'il s'agisse là d'une procédure exceptionnelle: dans la plupart des cas, on demande au ministre de délivrer un avis de conformité uniquement sur la foi des renseignements contenus dans la PADN soumise à l'appui de la demande.

Le second moyen qu'invoque l'avocat de Bayer est tiré du paragraphe 6 de l'article 1711 de l'ALENA, dont le paragraphe C.08.004.1(1) est censé assurer l'exécution. L'avocat de la demanderesse souligne plus particulièrement que l'article 1711 n'exige pas que les renseignements fournis par l'innovateur-fabricant soient "examinés" à titre de condition préalable au droit du fabricant à une protection de cinq ans contre la concurrence des fabricants de produits génériques. L'avocat ajoute que, comme l'édiction du paragraphe C.08.004.1(1) visait à permettre au Canada de se conformer à ses obligations aux termes de l'ALENA, et plus particulièrement à celles qui sont énoncées à l'article 1711, la condition relative à l'"examen" ne devrait pas être interprétée comme imposant une condition supplémentaire à celles qui sont explicitement énoncées au paragraphe 6. L'interprétation proposée par l'avocat de Bayer ne devrait donc pas être écartée du simple fait qu'elle n'ajoute pas une autre condition préalable à l'application de l'article C.08.004.1.

En réponse, l'avocat du ministre se fonde sur le sens courant du paragraphe C.08.004.1(1) et avance que, comme il ne comporte aucune ambiguïté, l'article 1711 n'est pas pertinent, même si le Règlement a été modifié aux fins d'en assurer la conformité à l'ALENA. Je tiens à signaler que l'avocat de Bayer n'a pas prétendu que, si l'avocat du ministre a raison, le paragraphe C.08.004.1(1) est invalide dans la mesure où il accorde aux innovateurs-fabricants une protection moindre que celle que prévoit l'article 1711.

L'avocat du ministre fait également remarquer que le paragraphe 6 de l'article 1711 se termine par les mots suivants:

Sous réserve de cette disposition, rien n'empêchera une Partie d'adopter à l'égard de ces produits des procédures d'homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité.

Il souligne que l'argument invoqué par Bayer aurait pour effet de miner la procédure relative à la PADN qu'établit le paragraphe C.08.004.1(1) en assujettissant à un délai de cinq ans la délivrance d'un avis de conformité au second fabricant d'un médicament, ce qui n'est manifestement pas l'intention de l'article 1711.

L'avocat du ministre a peut-être adopté un point de vue trop restrictif quant à l'emploi que l'on devrait faire des termes d'un traité lorsqu'il s'agit d'interpréter une disposition d'une loi interne qui est censée assurer l'exécution d'obligations contractées par le Canada aux termes de ce traité. Ainsi, dans l'arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371, le juge Gonthier a énoncé dans les termes suivants les principes applicables:

Dans l'interprétation d'une loi adoptée en vue d'assurer l'exécution d'obligations internationales, comme c'est le cas en l'espèce, il est raisonnable pour un tribunal d'examiner la loi nationale dans le contexte de la convention pertinente afin d'obtenir les éclaircissements voulus. En fait, lorsque le texte de la loi nationale s'y prête, on devrait en outre s'efforcer d'adopter une interprétation qui soit compatible avec les obligations internationales en question.

En deuxième lieu, et plus précisément, il est raisonnable de se référer à une convention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût-elle latente. L'assertion de la Cour d'appel que le recours à un traité international n'est permis que dans un cas où la disposition de la loi nationale est ambiguë à première vue est à écarter. [Non souligné dans le texte original.]

Il est donc nécessaire d'examiner la portée des obligations imposées aux Parties par l'article 1711 de l'ALENA, et en particulier par le paragraphe 6. L'objet général de l'article 1711 est indiqué par son intitulé "Secrets commerciaux", et son objectif général est contenu au paragraphe 1, qui dispose:

Article 1711: [. . .]

1. Chacune des Parties assurera à toute personne les moyens juridiques d'empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués à des tiers, acquis ou utilisés par eux, sans le consentement de la personne licitement en possession de ces renseignements et d'une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes,

Les paragraphes plus spécifiques qui suivent devraient être interprétés en fonction de cet énoncé de l'obligation générale imposée par l'article 1711.

Le paragraphe 5 prévoit que "cette Partie protégera ces données contre toute divulgation, lorsque l'établissement de ces données demande un effort considérable", lorsque, comme en l'espèce, la législation interne exige, comme condition préalable à l'obtention de l'approbation de commercialiser un nouveau médicament, "la communication de données non divulguées résultant d'essais ou d'autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l'utilisation de ces produits est sans danger et efficace". En l'espèce, rien ne permet de penser que les données confidentielles fournies par Bayer dans sa PDN au sujet du médicament X seront divulguées lorsqu'une PADN est produite par un fabricant de médicament générique qui désigne le médicament X comme "produit de référence canadien".

Le paragraphe 6 oblige pour sa part chacune des Parties à prévoir que "seule la personne qui [. . .] a communiqué [. . .]" les données non divulguées visées au paragraphe 5 "peut [. . .] utiliser ces données à l'appui d'une demande d'approbation de produit au cours d'une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication". Le paragraphe 5 précise par ailleurs que cette "période de temps raisonnable" ne doit normalement pas être de moins de cinq ans à compter de la date à laquelle la Partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données. Il se termine, comme nous l'avons déjà vu, par la phrase suivante: "Sous réserve de cette disposition, rien n'empêchera une Partie d'adopter à l'égard de ces produits des procédures d'homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité".

Le paragraphe 7 de l'article 1711 vise une situation qui n'est pas pertinente en l'espèce, bien qu'il puisse jeter un peu de lumière sur l'interprétation qu'il convient de donner du paragraphe 6. Il prévoit que "Lorsqu'une Partie se fie à une approbation de commercialisation accordée par une autre Partie", la période de temps raisonnable d'utilisation exclusive commence à la date de la première approbation du produit.

La première question à se poser est celle de savoir si, selon l'interprétation du ministre, le cadre législatif prévu au titre 8 du Règlement sur les aliments et drogues n'accorde pas à Bayer la protection que lui confère le paragraphe 6 de l'article 1711.

À mon avis, l'article 1711 ne confère pas le droit à une commercialisation exclusive pendant cinq ans d'un nouveau médicament à compter de la date de délivrance d'un avis de conformité sur le fondement des données d'essais contenus dans la PDN de l'innovateur dans une situation comme celle qui est en litige en l'espèce.

Le paragraphe 6 semble viser une situation dans laquelle un concurrent "s'appuie" sur les données fournies par un fabricant pour obtenir l'autorisation de commercialiser son produit. D'ailleurs, dans la foulée du paragraphe 5, qui prescrit aux Parties de protéger ces données "contre toute divulgation", le paragraphe 6 semble prévoir simplement une réparation dans le cas où une Partie n'a pas protégé le caractère confidentiel de ces données en interdisant au ministre d'accorder une autorisation avant l'expiration d'un délai de cinq ans. Cette conclusion semblerait s'accorder avec l'énoncé général que l'on trouve au paragraphe 1 et qui prévoit que chacune des parties assure les moyens juridiques d'empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués ou utilisés "d'une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes".

La procédure de PADN prescrite par l'article C.08.003 [mod. par DORS/95-411, art. 6] n'implique pas, à mon avis, d'actes qui sont interdits par le paragraphe 6. Dans une situation comme celle qui est visée en l'espèce, le ministre ne manque pas à son obligation de protéger Bayer contre la divulgation non autorisée de ses données d'essais, et un fabricant de médicaments génériques ne "s'appuie" pas sur ces données dans une PADN visant l'obtention d'un avis de conformité pour un médicament qui est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X. Le fabricant s'appuie plutôt sur ses études de bioéquivalence et de biodisponibilité.

S'il avait voulu que l'article 1711 impose un délai de cinq ans dans la plupart des situations visées par la procédure abrégée de présentation, le législateur l'aurait certainement exprimé avec plus de précision. D'ailleurs, ainsi qu'il a déjà été signalé, le paragraphe 7 de l'article 1711 traite précisément, mais uniquement dans un contexte international, d'une situation dans laquelle une Partie se fie à une approbation de commercialisation antérieure. Il dispose:

Article 1711: [. . .]

7. Lorsqu'une Partie se fie à une approbation de commercialisation accordée par une autre Partie, la période raisonnable d'utilisation exclusive des données présentées en vue d'obtenir l'approbation en question commencera à la date de la première approbation de commercialisation.

Si le législateur avait voulu que le paragraphe 6 impose lui aussi le délai de cinq ans à une situation dans laquelle une Partie se fie à une approbation de commercialisation qu'elle a elle-même déjà accordée à un fabricant qui a été requis de soumettre ses données non divulguées pour obtenir une approbation de commercialisation, il l'aurait certainement dit beaucoup plus clairement. Il est à cet égard révélateur selon moi que le paragraphe 6 se termine par les mots suivants: "Sous réserve de cette disposition, rien n'empêchera une Partie d'adopter à l'égard de ces produits des procédures d'homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité". Il est vrai que l'interprétation que Bayer donne du paragraphe 6 n'empêcherait pas formellement l'utilisation de présentations abrégées de drogues nouvelles, mais retarderait simplement la délivrance d'un avis de conformité. Toutefois, dans l'industrie pharmaceutique, on formule constamment de nouveaux médicaments, et une période de cinq ans représente une longue période pour accorder un monopole de fait pour un médicament qui n'est pas protégé par un brevet. Au bout de cinq ans, de nombreux médicaments auront été supplantés par d'autres produits plus efficaces.

Ainsi, mon examen de l'article 1711 ne m'amène pas à conclure que l'interprétation que le ministre donne de l'article C.08.004.1 viole l'une quelconque des obligations imposées par l'article 1711. En conséquence, le texte du Traité ne révèle aucune ambiguïté latente à l'article C.08.004.1 et il ne dissipe aucune ambiguïté patente dans la façon dont il est libellé.

Je conclus donc que le ministre n'"examine" les données fournies par Bayer au sujet du médicament X, au sens de l'article C.08.004.1, que si, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article C.08.003, par exemple, les fonctionnaires du Ministère retournent consulter les données en question au cours de leur examen de la PADN soumise par une autre compagnie qui sollicite l'homologation d'un médicament qui est l'équivalent fonctionnel du médicament X. Qui plus est, cette interprétation du paragraphe C.08.004.1(1) ne prive pas Bayer de la protection légale à laquelle elle a droit en vertu de l'article 1711.

QUESTION 4

Dans sa quatrième question, la demanderesse me demande de statuer qu'il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité sur la foi d'une PADN déposée relativement à un médicament qui est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X tant que la période de cinq ans commençant à la date de la délivrance à Bayer d'un avis de conformité pour le médicament X n'est pas écoulée. La réponse à cette question découle automatiquement des réponses données aux questions 2 et 3.

Étant donné que j'ai conclu que, dans le cours normal de l'examen d'une PADN, le ministre n'"examine" pas habituellement les données fournies par l'innovateur ni ne "s'appuie" sur elles, il s'ensuit que le ministre peut délivrer un avis de conformité dès que le fabricant de médicaments génériques est en mesure d'établir, sur le fondement d'une PADN soumise en conformité avec le Règlement, que son produit est l'équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du médicament X.

G. Conclusion

Je résume de la façon suivante mes réponses aux questions posées dans la présente requête:

QUESTION 1a): Oui

b): Non

QUESTION 2: Non

QUESTION 3: Oui

QUESTION 4: Non

Par conséquent, la requête en jugement sommaire de la demanderesse est rejetée avec dépens.

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