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T-2416-97

The Governor and Company of the Bank of Scotland (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toute autre personne ayant un droit sur le navire Nel et Ocean Profile Maritime Limited (défendeurs)

Répertorié: Governor and Company of the Bank of Scotlandc. Nel (Le) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave" Vancouver, 5 janvier 1999.

Droit maritime Question de savoir s'il s'agissait d'un dépôt ou d'une vente de marchandiseLe transitaire maritime canadien a assuré, dans ce cas particulier, le ravitaillement en fournitures nécessairesDemande tendant au recouvrement, sur le prix de vente du navire, de la valeur des soutesLe fournisseur avait accepté de vendre les soutes au transitaireLes soutes ont été livrées au navireLe transitaire n'a pas envoyé de facture mais a obtenu, du propriétaire du navire, l'autorisation de déduire du fret le prix des soutesAvant le voyage, le navire a été vendu par autorisation de justiceL'absence de facturation porte à conclure à un dépôt plutôt qu'à une vente de marchandiseCela indique une intention de reporter le transfert de propriété des soutesLa livraison des soutes à bord du navire n'est pas, étant donné l'intention contraire manifestée par Canserv, compatible avec un transfert de propriétéL'intention du vendeur revêt la plus grande importanceCompte tenu des conditions de l'accord entre Canserv et le propriétaire du navire, du comportement des intéressés et des circonstances de cette affaire, Canserv a démontré qu'à l'époque où elle a conclu avec les propriétaires du navire l'accord de livraison des soutes, elle avait l'intention manifeste d'en différer le transfert de propriétéAucun élément permettant de conclure à une vente inconditionnelle.

Il s'agissait d'une demande en recouvrement, sur le prix de vente du navire Nel, du prix des soutes qui lui avait été livrées (89 550 $US). Marine Petro Bulk Ltd. refusait de faire crédit aux propriétaires du Nel pour le ravitaillement en carburant, nécessaire au navire, voire essentielle à son maintien en état de marche, mais était disposée à vendre le carburant au transitaire de Vancouver, Canpotex Shipping Services Ltd. (Canserv). Le carburant fut livré à bord du Nel en octobre 1997, et en décembre 1997 le navire était vendu par autorisation de justice. Canserv n'a pas facturé le prix des soutes au Nel ou à son propriétaire mais obtint du propriétaire du Nel la permission de déduire du fret le prix des soutes. Son intention était de ne vendre les soutes au propriétaire du Nel qu'une fois réglé le fret. Dans un affidavit déposé le 30 décembre 1997 à l'appui de la demande, Canserv réclame le remboursement d'autres fournitures nécessaires, dont le prix serait prélevé sur le produit de la vente du navire.

Il s'agissait de savoir si la propriété des soutes était passée de Canserv à l'armateur.

Jugement: Canserv était en droit de recouvrer le prix des soutes se trouvant à bord du Nel lorsque ce navire fut vendu par autorisation de justice.

Le fournisseur canadien de soutes ne peut, aux termes de la loi, faire valoir à l'égard du bateau qu'un droit réel et n'arguer d'aucun privilège maritime, ce qui le met dans une position très désavantageuse par rapport à d'autres catégories d'ayants-droits. Cela étant, lors de la vente d'un navire par autorisation de justice, il ne reste rien ou presque rien pour rembourser le pourvoyeur canadien de fournitures nécessaires. Pour se protéger, les pourvoyeurs canadiens de fournitures nécessaires doivent accorder une grande attention au montage de leurs transactions lorsqu'ils font affaires avec des propriétaires de navire qu'ils ne connaissent pas, ou qui peuvent être financièrement fragiles, et veiller à ce que n'intervienne aucune cession du droit de propriété sur les marchandises en question avant que le prix de celles-ci n'ait été acquitté. On ne procède pas toujours ainsi car, dans le cours normal des affaires, les pourvoyeurs ne se fondent pas toujours sur l'hypothèse que le propriétaire du navire est en mauvaise posture financièrement.

Il incombait à Canserv de démontrer l'existence d'une intention manifeste de ne pas transférer la propriété des soutes avant d'avoir en main le montant du fret permettant d'obtenir le règlement de la fourniture des soutes, afin d'écarter les règles régissant le transfert de propriété aux termes de la Sale of Goods Act, de la Colombie-Britannique. Les règles prévues à l'article 23 de cette loi, si elles étaient appliquées en l'espèce, laisseraient simplement Canserv dans la situation d'un vendeur qui n'a pas été payé. Une intention claire est une intention manifeste, nettement exprimée, par un contrat écrit ou verbal, par une action ou par un comportement. Cette intention doit être telle qu'elle paraîtrait évidente aux yeux d'une personne raisonnable se penchant à l'époque sur la transaction en cause en pleine connaissance des divers éléments pertinents. Le fait de ne pas avoir envoyé de facture indiquait un dépôt plutôt qu'une vente. Cela indique la volonté de différer le transfert de la propriété des soutes. Le simple fait d'avoir livré des soutes à bord du Nel n'a pas entraîné, au profit du propriétaire de ce navire, une appropriation absolue des biens en question étant donné l'intention contraire de Canserv. Ce qui compte par-dessus tout c'est l'intention du vendeur. Compte tenu des conditions de l'accord intervenu entre Canserv et les propriétaires du Nel, du comportement des intéressés et des circonstances entourant cette affaire, Canserv a montré qu'elle avait, à l'époque où elle a conclu avec les propriétaires l'accord de livraison des soutes, l'intention manifeste de différer le transfert de propriété des soutes en question en attendant de s'être vu régler le fret. Aucune preuve concrète, résultant du contre-interrogatoire ou d'une autre source, ne permet de conclure à une vente inconditionnelle. La propriété des soutes n'a pas été cédée au propriétaire du Nel.

lois et règlements

Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1979, ch. 370.

Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, ch. 410, art. 8, 22, 23, 24.

jurisprudence

décision appliquée:

James v. The Commonwealth (1939), 62 C.L.R. 339 (H.C. Aust.).

distinction faite avec:

NEC Corp. v. Steintron Int. Electronics Ltd. (1985), 59 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S.C.-B.); George Smith Trucking Co. v. Golden Seven Enterprises Inc. (1989), 55 D.L.R. (4th) 161; [1989] 3 W.W.R. 554; 34 B.C.L.R. (2d) 43 (C.A.C.-B.).

décisions citées:

Saetta, The, [1993] 2 Lloyd's Rep. 268 (Q.B. (Adm. Ct.)); Bank of Credit and Commerce International S.A. v. Aboody, [1990] 1 Q.B. 923 (C.A.).

doctrine

Atiyah, P. S. The Sale of Goods. London: Pitman, réimpression de 1969.

Benjamin's Sale of Goods, 5th ed. by A. G. Guest. London: Sweet & Maxwell, 1997.

Charlesworth, John. Mercantile Law, 11th ed. London: Stevens & Sons, 1967.

Fridman, G. H. L. Sale of Goods in Canada, 4th ed. Toronto: Carswell, 1995.

DEMANDE en recouvrement, sur le prix de vente du navire Nel, de la valeur des soutes fournies par un transitaire de Vancouver. La demande est accueillie.

ont comparu:

Peter Bernard pour la demanderesse.

John Bromley pour la réclamante Canpotex Shipping Services Ltd.

avocats inscrits au dossier:

Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.

Sproule, Castonguay, Pollack, Montréal, pour la réclamante Alfa Bunkering Co. Ltd.

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les réclamantes Petro Marine Products and Ashland Chemical Inc.

Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour les réclamantes Aktina S.A, Bureau Veritas and Mariner's Medical Clinic.

Gottlieb & Pearson, Montréal, pour la réclamante HBI International.

Bromley, Chapelski, Vancouver, pour la réclamante Canpotex Shipping Services Ltd.

Giaschi & Margolis, Vancouver, pour la réclamante Legend Marine Singapore Pte Ltd.

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour la réclamante Shell Canada Limited.

Owen, Bird, Vancouver, pour la réclamante Sait Communications S.A.

A.B. Oland Law Corporation, Vancouver, pour la réclamante Pacific Pilotage Authority.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave: L'auteur de la présente requête est un transitaire de Vancouver, la Canpotex Shipping Services Ltd. (Canserv), agent du Nel1, qui se trouve être, dans ce cas particulier, fournisseur de soutes dont il entend recouvrer la valeur, soit 89 550$US. C'est d'un fonds du même montant, créé et conservé dans un compte théoriquement distinct, représentant les soutes que renfermait le navire lorsque ce navire fut vendu par ordre de justice que Canserv entend le faire.

Les fournisseurs canadiens de soutes, contrairement à ce qu'il en est dans d'autres ressorts (il s'agit, dans le cas le plus fréquent, ici à Vancouver, de fournisseurs américains), ne peuvent, aux termes de la loi, faire valoir à l'égard du bateau qu'un droit réel. Ils ne peuvent donc arguer d'aucun privilège maritime. Le rang auquel est classé un fournisseur canadien de soutes, et cela est vrai ici de tout pourvoyeur canadien de fournitures nécessaires, le met dans une position très désavantageuse par rapport à d'autres catégories d'ayants droit, y compris ceux qui bénéficient d'un privilège maritime classique, les pourvoyeurs américains de fournitures nécessaires (y compris les fournisseurs de soutes), à qui la loi reconnaît un privilège, ainsi que les détenteurs d'une hypothèque maritime. Cela étant, lors de la vente d'un navire par autorité de justice, il ne reste rien ou presque rien pour rembourser le pourvoyeur canadien de fournitures nécessaires.

Pour se protéger, les pourvoyeurs canadiens de fournitures nécessaires doivent accorder une grande attention au montage de leurs transactions lorsqu'ils font affaires avec des propriétaires de navire qu'ils ne connaissent pas, ou qui peuvent être financièrement fragiles, et veiller à ce que n'intervienne aucune cession du droit de propriété sur les marchandises en question avant que le prix de celles-ci n'ait été acquitté. On ne procède pas toujours ainsi car, dans le cours normal des affaires, les pourvoyeurs ne structurent pas toujours leurs transactions en fonction de l'hypothèse que le propriétaire du navire est en mauvaise posture financièrement. De plus, le pourvoyeur de fournitures nécessaires n'a en général ni le temps ni les moyens de se renseigner à fond sur la réputation de solvabilité d'un armateur étranger. Dans bon nombre d'affaires délicates, on a vu des pourvoyeurs canadiens de fournitures nécessaires dans l'impossibilité de récupérer des sommes importantes. Souvent, dans ce genre d'affaires, il est même difficile d'exposer les motifs: il y a, d'une part, un pourvoyeur, en l'espèce un transitaire qui en l'occurrence avait fourni des soutes, et qui a livré les fournitures nécessaires, voire essentielles au maintien du navire en état de marche, mais il y a, d'autre part, un ayant droit détenteur d'un privilège maritime ou d'une hypothèque sur le bateau, une hypothèque en l'espèce, qui peut invoquer une priorité bien établie, les deux parties pouvant, comme c'est le cas ici, chercher dans la législation sur la vente de marchandises les principes régissant le transfert de propriété et, partant, la possibilité, pour un fournisseur, d'obtenir le remboursement du prix des marchandises, ou bien de voir la somme en question adjugée à un autre ayant droit.

Le Nel a été vendu en décembre 1997. Sur le prix de vente, soit 5 000 000 $US, on a prélevé 89 550 $US au titre du carburant, prix correspondant aux frais de ravitaillement des soutes, au mazout et aux frais d'acconage, fourni par Marine Petro Bulk Ltd. à Canserv, et chargé à bord du Nel au mois d'octobre 1997. Canserv entend maintenant se voir rembourser, sur le prix de vente du navire, le prix des soutes fournies au Nel pour un voyage entre Vancouver et la Tunisie.

Dans cette affaire, Marine Petro Bulk Ltd. refusait à l'évidence de faire crédit aux propriétaires du Nel pour le ravitaillement en carburant, mais était disposée à vendre le carburant à Canserv, agent du Nel à Vancouver. Canserv et Marine Petro Bulk Ltd. s'entendirent sur cela, et les soutes furent chargées à bord du Nel le 18 octobre 1997, même si le mazout avait en fait été vendu par Marine Petro Bulk Ltd. à Canserv. Canserv avait obtenu auparavant du propriétaire du Nel, Leond Maritime Inc., l'autorisation de déduire du fret le prix des soutes. Le voyage du Nel ne se fit pas cependant au nom de l'armateur Leond Maritime Inc. puisque, je le rappelle, le navire fut vendu par autorisation de justice, le voyage étant assuré par le nouveau propriétaire.

Même réduite à sa plus simple expression, la question de savoir si la propriété des soutes est passée de Canserv à l'armateur ne se prête pas facilement à l'analyse. Il est clair que Canserv savait que son mandant, le propriétaire du Nel, n'avait pas, aux yeux d'un pourvoyeur de métier, une bonne réputation de solvabilité, et d'ailleurs le fournisseur, Marine Petro Bulk Ltd., refusait de vendre des soutes au propriétaire en question. Il ne voulait traiter qu'avec Canserv. Il faut, cependant, qu'il y ait eu intention de différer le transfert de propriété, intention qui suffise à écarter les règles régissant le transfert de la propriété de marchandises prévues à l'article 23 de la Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, ch. 410 (Sale of Goods Act) de la Colombie-Britannique, ui, si elles étaient appliquées en l'espèce, laisseraient Canserv dans la situation d'un vendeur qui n'est pas payé, et qui a perdu la propriété des marchandises en question.

Lors de la vente des soutes au Nel ou à ses propriétaires, Canserv n'a émis aucune facture, entendant simplement se fonder sur l'autorisation du propriétaire du Nel pour défalquer une partie du fret qui, si tout s'était passé comme prévu, devait être versé aux propriétaires par l'intermédiaire de Canserv. Canserv prit cette précaution, on l'imagine, après avoir appris que, selon Marine Petro Bulk Ltd., la réputation de solvabilité des propriétaires du Nel était douteuse et, aussi, parce que, comme l'a lui-même expliqué M. Rod Hansen, chef des opérations de Canserv:

[traduction] Étant donné que je ne connaissais pas les propriétaires du navire, Canserv n'était pas disposé à leur faire crédit et n'entendait pas leur fournir des soutes à moins d'être payée. [Paragraphe 10 de l'affidavit de M. Hansen en date du 30 décembre 1997.]

M. Hansen a donc témoigné qu'il avait:

[traduction] [. . .] au nom de Canserv, accepté les conditions fixées par Marine Petro Bulk Ltd., étant donné que mon intention était de vendre les soutes aux propriétaires du navire lorsque le fret serait réglé. Mon idée était de déduire de celui-ci le prix des soutes.

Mais les dispositions prises par Canserv permettent-elles à celle-ci d'affirmer avoir retenu la propriété des soutes? Les dispositions législatives applicables à la vente de marchandises ont souvent été invoquées en l'espèce pour affirmer que lors de la vente de marchandises précises, la propriété en est transférée à l'acheteur si c'est l'intention des parties, cette intention devant ressortir des conditions prévues au contrat, du comportement des parties et, plus généralement, de l'ensemble des circonstances de l'affaire: voir, par exemple, les articles 22 et 23 de la Sale of Goods Act (précitée), et les ouvrages qui font autorité sur la vente de marchandises, y compris Benjamin's Sale of Goods, 5e éd., Sweet & Maxwell, 1997, à la page 223; Charlesworth Mercantile Law, 11e éd., Stevens & Sons, 1967, à la page 173; Atiyah The Sale of Goods, Pitman, réimpression de 1969, à la page 106 et suivantes et Fridman Sale of Goods in Canada, 4e éd., Carswell, à la page 72 et suivantes.

Souvent, le contrat type en matière de fourniture de soutes, utilisé par un pourvoyeur qui fait de cela son métier, prévoit clairement que la propriété des soutes reste, même après livraison, acquise au vendeur jusqu'à ce que soit effectué le paiement, le propriétaire du navire n'étant considéré que comme dépositaire: voir, par exemple, Saetta, The, [1993] 2 Lloyd's Rep. 268 (Q.B. (Adm. Ct.)), à la page 270. En pareil cas, la propriété des marchandises en question n'est pas nécessairement transférée à l'acheteur. En l'espèce, Canserv, entreprise dont ce n'est pas le métier de fournir des soutes, devient, par nécessité, à la fois le propriétaire, puis le vendeur des soutes livrées au Nel et, vu les circonstances, a pu à juste titre penser retenir par-devers elle, la propriété des biens en question. Elle n'a toutefois pas mis par écrit la transaction aussi nettement que l'aurait fait un pourvoyeur de soutes dont c'est le métier. Cette lacune quant à la mise par écrit n'empêche bien sûr pas de conclure à l'existence d'une vente avec cession conditionnelle de propriété, car un contrat peut être écrit ou verbal, ou les deux en même temps (article 8 de la Sale of Goods Act).

Passons maintenant à l'intention dont fait état Canserv. Au nom de Canserv, M. Hansen fait essentiellement valoir que, en ce qui concerne la vente des soutes, Canserv n'entendait pas faire crédit au propriétaire du navire, son intention n'étant de vendre les soutes au propriétaire du Nel qu'une fois réglé le fret. Cela est, dans une certaine mesure, confirmé par l'affidavit de M. Gary Tincher, directeur adjoint de Canserv, en date du 30 décembre 1997 et déposé à l'appui de la demande. L'auteur de l'affidavit réclame par ailleurs le remboursement d'autres fournitures nécessaires, dont le prix devrait être prélevé sur le produit de la vente du navire, car ces fournitures avaient été payées par Canserv:

[traduction]

3. Agissant comme mandataire des propriétaires du navire, Canserv a à diverses reprises avancé de l'argent aux entreprises fournissant au navire des biens et des services. Canserv n'était nullement obligée de le faire car elle pensait en être remboursée sur le montant du fret devant être acquitté pour le transport de la cargaison. Canserv n'aurait autrement pas réglé le prix de ces biens et de ces services et a en tout temps agi uniquement en tant que mandataire des propriétaires.

Une liste annexée à l'affidavit de M. Tincher fait le décompte des 47 670,60 $ de débours portuaires assumés par Canserv, en tant que transitaire, pour le compte du propriétaire du Nel, mais cette liste ne comprend pas les soutes. L'affidavit de M. Tincher confirme donc l'opinion avancée par M. Hansen concernant la solvabilité des propriétaires. D'après M. Tincher, Canserv croyait qu'elle serait payée sur le fret. Le fait que la liste des biens et services fournis en octobre et novembre 1997 ne comprend pas les soutes, permet de penser que ces biens et services devaient faire l'objet d'un traitement différent.

Le nantissement consenti à la Bank of Scotland s'étend aux soutes, sous réserve, bien sûr, des divers degrés de priorité reconnus aux différents créanciers. L'avocat de la Bank of Scotland, établissement à qui pourrait très bien revenir le prix des soutes si la propriété de celles-ci a effectivement été transférée aux propriétaires, et dont le prix s'intégrerait à la somme totale du produit de la vente, relève une certaine contradiction entre l'affidavit de M. Hansen et celui de M. Tincher, en ce sens que, d'une part, M. Tincher entendait prélever sur le fret les sommes nécessaires au remboursement de 28 petits débours portuaires, alors que M. Hansen n'était disposé à approvisionner le navire en soutes sans condition que lorsqu'il serait payé sur le fret. Je ne relève sur ce point aucune contradiction entre les deux affidavits. Qui plus est, 26 des 28 dépenses répertoriées par M. Tincher ont trait à des services, c'est-à-dire à des choses qui n'auraient guère pu être fournies sous condition ou récupérées auprès du propriétaire du navire qui n'aurait agi qu'à titre de dépositaire. Canserv a déclaré avoir, au niveau du traitement, fait une distinction entre les débours portuaires et les soutes nécessaires à la poursuite du voyage.

La réponse apportée le 17 octobre 1997 par les propriétaires au coup de téléphone les informant, semble-t-il, d'une fourniture de soutes sous condition, ne nous avance guère, mais on ne peut pas dire qu'elle soit incompatible avec la thèse de Canserv. Leond Maritime Inc. ne fait que confirmer la quantité de soutes fournie et conclut:

[traduction] Paiement: à déduire du fret du navire Nel.

Cette correspondance entre Canserv et Leond Maritime Inc. est plutôt informelle, mais j'admets qu'il s'agisse d'un usage de la profession. Cet échange de correspondance a eu lieu le jour avant l'approvisionnement en soutes du Nel.

Le fait qu'aucune facture n'ait été envoyée par Canserv est pertinent en l'espèce car il tend à confirmer qu'il y a bien eu dépôt et non pas vente.

L'avocat de Canserv fait valoir que les auteurs des affidavits produits par cette compagnie n'ayant pas été contre-interrogés, leur témoignage est non contredit. Je n'accorde guère d'importance à cela, cependant, car les affidavits n'avaient rien d'ambigu. Canserv ne pourra obtenir gain de cause que si, au vu des faits dont elle peut faire état, je parviens à conclure à l'existence d'une intention de différer le transfert de propriété, le propriétaire du navire n'ayant alors été que le dépositaire des marchandises en question, en attendant que Canserv puisse se payer sur le montant du fret. La partie adverse peut toujours, bien sûr, tenter de démontrer, par un contre-interrogatoire ou au moyen d'autres preuves, que la vente ne s'était pas faite sous condition, mais ce n'est pas comme cela que les choses se sont déroulées en l'espèce.

L'avocat de la Bank of Scotland prétend que la manière dont Canserv interprète la transaction en cause est une reconstitution à laquelle il ne faut accorder aucun crédit, affirmant que je ne devrais moi-même pas ajouter foi au coup de téléphone de Canserv aux propriétaires du Nel, à l'occasion duquel Canserv aurait refusé d'assurer sans condition la livraison des soutes. Il s'agit, en fait, d'une récusation de l'affidavit de M. Hansen alors que la Bank of Scotlant n'a produit aucune preuve concrète qui permettrait effectivement de réfuter la version que M. Hansen a donnée de cette transaction: cette tentative de récusation est fondée sur de pures hypothèses. Le télex envoyé le 17 octobre 1997 par les propriétaires du Nel à M. Graeme Tobb, de Canserv, confirme l'existence d'une conversation téléphonique comportant des instructions claires selon lesquelles le prix des soutes devait être déduit du fret. Ce télex ne permet pas nécessairement de conclure à l'existence d'une vente sous condition, mais il n'est pas incompatible avec une telle vente.

L'avocat de la Bank of Scotland fait également valoir que le formulaire des douanes canadiennes portant déclaration des provisions à bord du navire, rempli par Marine Petro Bulk Ltd. le 18 octobre 1998 et qui procure à un propriétaire ou à un armateur une détaxe sur le carburant devant servir à un voyage à l'étranger, montre bien que la propriété des soutes avait été attribuée au propriétaire du navire. Je ne vois pas comment le capitaine du Nel, du simple fait qu'il a signé une déclaration de détaxe certifiant que le navire avait été approvisionné en carburant et que ce carburant entrait dans la catégorie des provisions mises à bord, au titre d'une classification douanière numérique que le capitaine ne semble pas avoir connue, aurait pu s'attribuer des biens appartenant à autrui. Le capitaine est tenu au respect des conditions régissant la fourniture des soutes. C'est aussi ce qui ressort clairement du paragraphe 23(7) de la Sale of Goods Act (précitée), qui prévoit qu'un acheteur ne peut pas s'attribuer des choses éventuelles ou non individualisées, dont la propriété lui serait ainsi transmise, sans l'assentiment du vendeur.

En s'en tenant encore à l'article 23 de la Sale of Goods Act, c'est-à-dire aux règles régissant le transfert de propriété, l'avocat de la Bank of Scotland a invoqué le paragraphe 23(9), selon laquelle le vendeur doit, s'il entend écarter la présomption qu'il a disposé inconditionnellement des choses en question, se réserver un droit de disposition. Cette règle ne s'applique pas aux cas où l'on peut faire valoir une autre intention concernant le transfert de propriété: voir le paragraphe 23(1) de la Sale of Goods Act.

L'avocat de la Bank of Scotland a également invoqué la notion, exposée dans Fridman (précité, à la page 337), selon laquelle une fois que le vendeur n'a plus possession des biens et que cette possession est acquise à l'acheteur, le vendeur n'a guère plus de recours, c'est-à-dire de recours réel, la seule réparation qu'il puisse alors demander étant d'ordre pécuniaire. Mais cela suppose bien sûr qu'il y ait effectivement eu transfert de propriété selon la Sale of Goods Act, et absence de toute intention contraire entraînant un résultat autre qu'un véritable transfert de propriété, par exemple la simple remise des marchandises au propriétaire du navire à titre de dépôt, les marchandises en question devant être conservées à bord jusqu'au paiement ou jusqu'à la réalisation d'une autre condition qui entraînera le transfert de propriété.

Sur ce point, l'avocat de la Bank of Scotland a cité l'arrêt NEC Corp. v. Steintron Int. Electronics Ltd. (1985), 59 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S.C.-B.). Dans cette affaire, la pratique du vendeur, et son comportement aussi, étaient tels qu'il y avait appropriation des biens et transfert de leur propriété à l'acheteur dès le placement des biens sur les palettes en vue du chargement. En l'espèce, en raison d'une intention contraire, le simple fait d'avoir livré des soutes à bord du Nel n'a pas entraîné, au profit du propriétaire de ce navire, une appropriation absolue des biens en question. Dans l'affaire Steintron, une longue pratique et une manière de faire solidement ancrée avaient permis d'établir que, vu les circonstances et le comportement des parties, le placement des biens sur une palette en vue de leur expédition à l'acheteur avait pour effet de faire sortir les biens en question des stocks du vendeur. En l'espèce, on ne peut invoquer aucune pratique antérieure. Le simple fait de livrer les soutes à bord du navire ne peut pas entraîner une appropriation des biens en question étant donné l'intention contraire de Canserv. Il est vrai qu'il peut être difficile de décharger les soutes d'un navire, mais Canserv n'aurait pas forcément eu à procéder ainsi. À l'époque où la livraison des soutes a été effectuée à bord du Nel, ce navire était en état de marche; il suffisait que le propriétaire ou l'armateur règle ce qui était dû afin que s'effectue le transfert de propriété et que les soutes puissent être librement utilisées par le navire. D'ailleurs, comme le fait remarquer le juge Dixon dans l'affaire James v. The Commonwealth (1939), 62 C.L.R. 339 (H.C. Aust.), à la page 381, ce qui compte par-dessus tout c'est l'intention du vendeur:

[traduction] [. . .] il ne faut jamais perdre de vue que ce qui compte par-dessus tout c'est l'intention du vendeur, c'est-à-dire qu'il faut présumer que, en vertu des conditions prévues dans le contrat de vente, l'appropriation des marchandises dépend de lui.

Tout porte en l'espèce à penser que Canserv allait attribuer la propriété des marchandises en question à l'acheteur dès qu'elle toucherait le fret, c'est-à-dire dès qu'elle pourrait être payée.

L'arrêt George Smith Trucking Co. v. Golden Seven Enterprises Inc. (1989), 55 D.L.R. (4th) 161 (C.A.C.-B.), cité par l'avocat de la Bank of Scotland, n'est pas incompatible avec la notion d'un report du transfert de propriété. Cette affaire avait été tranchée au regard d'une version antérieure de la Sale of Goods Act [R.S.B.C. 1979, ch. 370] de Colombie-Britannique: malgré un changement dans la formulation de la nouvelle Sale of Goods Act de la Colombie-Britannique, l'arrêt Smith Trucking s'applique toujours lorsque les circonstances s'y prêtent. L'affaire Smith Trucking portait sur la réservation d'un droit de disposition alors que le contrat prévoyait clairement l'appropriation inconditionnelle des marchandises. Il s'agissait uniquement de savoir s'il y avait conservation d'un droit résiduel de disposer des marchandises en question du fait de la rétention, par le vendeur, de divers documents, y compris une facture et les formulaires exigés pour l'exportation, car ce n'était qu'en versant l'intégralité du prix convenu que l'acheteur pouvait obtenir ces documents et ainsi être en mesure d'exporter les marchandises. L'arrêt Smith Trucking porte donc sur une question tout autre que celle qui nous retient ici. En l'occurrence, il n'y a pas d'appropriation nette et absolue des soutes par les propriétaires du Nel, mais, plutôt, un contrat conditionnel qui reporte le transfert de propriété, comme l'autorise l'article 22 de la Sale of Goods Act de Colombie-Britannique. C'est pourquoi la question de la réservation d'un droit de disposition au titre de l'article 24 de la Sale of Goods Act de Colombie-Britannique ne se pose pas. Je tiens ici à préciser que, pour moi, le fait de n'avoir pas envoyé de facture aux propriétaires du Nel pour les soutes ne porte pas réserve d'un droit de disposition mais indique simplement la volonté de différer le transfert de la propriété des soutes.

En somme, il incombe à Canserv de démontrer l'existence d'une réserve quant au transfert de propriété. Je dois pouvoir déceler, chez Canserv, une intention suffisamment claire de ne pas transférer la propriété des soutes avant d'avoir en main le montant du fret permettant d'obtenir le règlement de la fourniture des soutes.

Une intention claire est une intention manifeste, nettement exprimée, par un contrat écrit ou verbal, par une action ou par un comportement. Cette intention doit être telle qu'elle paraîtrait évidente aux yeux d'une personne raisonnable se penchant à l'époque sur la transaction en cause en pleine connaissance des divers éléments pertinents: voir, par exemple, l'arrêt Bank of Credit and Commerce International S.A. v. Aboody, [1990] 1 Q.B. 923, à la page 965, dans lequel la Cour d'appel reprend les motifs du juge de première instance.

Compte tenu des conditions de l'accord intervenu entre Canserv et les propriétaires du Nel, du comportement des intéressés et des circonstances entourant cette affaire, et malgré l'argumentation solide de l'avocat de la Bank of Scotland, Canserv a démontré qu'à l'époque où elle a conclu avec les propriétaires du navire l'accord de livraison des soutes, elle avait l'intention manifeste de différer le transfert de propriété des soutes en question. Je pense qu'en l'occurrence il était possible de renverser le fardeau de la preuve, la partie contestant le caractère conditionnel d'un contrat de vente étant admise à démontrer le contraire au moyen de preuves concrètes, y compris de preuves résultant d'un contre-interrogatoire. De telles preuves n'ont pas été produites en l'espèce.

En conséquence, Canserv n'a pas cédé la propriété des soutes au propriétaire du Nel et a donc droit au produit de la vente des soutes ainsi qu'aux intérêts courus.

Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur les dépens, elles pourront s'adresser à la Cour.

1 Peu importe en l'occurrence que Canserv ait été mandataire à la fois du propriétaire du navire et de l'affréteur au voyage.

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