Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM-1635-97

Mustazar Raza (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Razac. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon"Toronto, 26 mars; Ottawa, 14 décembre 1998.

Citoyenneté et Immigration Contrôle judiciaire Compétence de la Cour fédérale Contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration déclarant que le demandeur ne pouvait voir sa demande de statut de réfugié renvoyée à la SSR en vertu de l'art. 44 de la Loi sur l'immigration du fait qu'il était frappé d'une mesure de renvoi non exécutéeSelon le défendeur, la question de la constitutionnalité de l'art. 44(1) doit être soulevée par voie d'action et non par le biais d'un recours en contrôle judiciaire fondé sur l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale puisque le demandeur ne cherche pas à obtenir un jugement déclaratoire, l'agent d'immigration n'ayant pas compétence pour trancher des questions d'ordre constitutionnelLa Cour peut rendre des déclarations d'invalidité en vertu de l'art. 18.1(3)b) qui lui donne compétence pourdéclarer nulle ou illégaletoute décision d'un office fédéral En vertu de l'art. 18.1(4)f), la Section de première instance de la Cour fédérale peut trancher tout cas où l'office fédéral a agi illégalement et la Cour peut se prononcer sur des arguments d'ordre constitutionnel même si le tribunal administratif dont la décision fait l'objet d'un recours en contrôle judiciaire n'est pas habilité à trancher des questions d'ordre constitutionnel.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d'enquête en matière d'immigration Contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration déclarant que le demandeur ne pouvait voir sa demande de statut de réfugié renvoyée à la SSR en vertu de l'art. 44 de la Loi sur l'immigration du fait qu'il était frappé d'une mesure de renvoi non exécutéeLe demandeur a quitté le Canada volontairement sans en informer les services d'immigration, alors qu'il était frappé par une mesure d'exclusionL'art. 54 précise que l'autorisation du ministre est requise pour qu'un départ volontaire constitue l'exécution d'une mesure d'expulsionL'autorisation n'ayant pas été obtenue, la mesure de renvoi n'a pas été exécutéeQuestions certifiées: 1) l'agent principal d'immigration a-t-il compétence, en vertu de la common law ou des art. 7 de la Charte, ou 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience qui s'est soldée par une mesure d'exclusion afin de permettre à une personne de réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention; 2) si oui, cette compétence est-elle restreinte aux instances où la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration déclarant que le demandeur ne pouvait voir sa demande de statut de réfugié renvoyée à la SSRLe demandeur a quitté le Canada volontairement sans en informer les services d'immigration, alors qu'il était frappé par une mesure d'exclusionDe retour au Canada, il redemande le statut de réfugié au motif qu'il a été l'objet de persécutions au PakistanL'art. 44 de la Loi sur l'immigration prévoit qu'une personne frappée d'une mesure de renvoi non exécutée ne peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la ConventionLe demandeur allègue que l'art. 44 est incompatible avec l'art. 7 de la Charte qui prévoit qu'on ne peut porter atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu'en vertu des principes de justice fondamentaleLe filtrage des demandes de statut de réfugié ne contrevient pas à l'art. 7 de la CharteLe Parlement peut déclarer que certaines personnes ne seront pas admises à présenter une demande de statut de réfugiéL'art. 7 ne s'applique pas en l'instance.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration portant qu'en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'immigration, le demandeur ne pouvait voir sa demande de statut de réfugié renvoyée devant la section de statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié, au motif qu'il était une personne frappée d'une mesure de renvoi non exécutée. Le demandeur est un musulman chiite originaire du Pakistan, qui est d'abord venu au Canada en 1988. Sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée et une mesure d'exclusion a été prise à son endroit. Le demandeur est rentré volontairement au Pakistan en août 1992, sans toutefois confirmer son départ auprès des services de l'immigration. Le demandeur n'a pu prendre connaissance de la mesure de renvoi livrée à sa dernière adresse, car il avait déjà quitté le pays. En août 1993, le demandeur expédia du Pakistan une lettre adressée au ministère de l'Immigration, confirmant son départ et demandant le remboursement de la caution de 2 000 $ qu'il avait versée lors de sa remise en liberté. En 1996, le demandeur est revenu au Canada et, prétendant avoir fait l'objet de persécutions au Pakistan, il a déposé une nouvelle demande de statut de réfugié. C'est le refus de porter sa demande devant la SSR qui fait l'objet de la présente demande.

L'article 44 de la Loi sur l'immigration prévoit que toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent de l'immigration, sauf si elle est frappée d'une mesure de renvoi non exécutée. Le paragraphe 46.01(1) porte que la revendication de statut de réfugié en vertu de la Convention n'est pas recevable par la section du statut si un agent principal d'immigration a pris une décision d'irrecevabilité à son égard. Le paragraphe 54(1) porte que l'ordonnance de renvoi est réputée n'avoir pas été exécutée au cas où la personne qui en fait l'objet quitte le Canada mais ne peut obtenir la permission de séjourner dans aucun autre pays.

Le demandeur fait valoir que le paragraphe 44(1) est contraire à l'article 7 de la Charte, qui garantit qu'on ne peut être privé de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne qu'en vertu des principes de justice fondamentale, et qu'il devrait de ce fait être déclaré inopérant. Le demandeur fait également valoir que le défendeur a commis une erreur de droit en décidant que le demandeur n'avait pas éxécuté la mesure de renvoi dont il faisait l'objet en quittant volontairement le Canada. À titre préalable, le défendeur a soulevé la question de la compétence de la Cour pour connaître de la question constitutionnelle soulevée par le demandeur. Selon le défendeur, la constitutionnalité du paragraphe 44(1) ne peut être mise en cause que par la voie d'une action et non par le biais d'un recours en contrôle judiciaire, au motif que le demandeur ne sollicite pas un jugement déclaratoire et que l'agent principal d'immigration n'a pas compétence pour trancher des questions constitutionnelles. L'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que, sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut "déclarer nulle ou illégale" toute décision d'un office fédéral. L'alinéa 18.1(4)f ) autorise la Section de première instance à intervenir si l'office fédéral a agi de quelque façon contraire à la loi.

Jugement: la demande doit être rejetée.

1) La Cour peut, en vertu du pouvoir que l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale lui accorde de déclarer une décision "illégale", invalider une disposition d'une loi aux termes de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 . L'alinéa 18.1(4)f) permet à la Cour de se prononcer sur des arguments d'ordre constitutionnel même lorsque le tribunal administratif dont la décision fait l'objet d'un recours n'est pas habilité à trancher de telles questions.

2) Le demandeur fait valoir que l'article 44 l'empêchant de revendiquer le statut de réfugié au motif que la mesure de renvoi dont il est frappé n'a pas été exécutée, il s'ensuit que son droit de revendiquer à nouveau le statut de réfugié auprès de la SSR n'est pas reconnu. Le filtrage des demandes pour établir ce droit n'est pas contraire à l'article 7 de la Charte. Le Parlement a le droit de déclarer que certaines personnes ne seront pas admises à présenter une demande de statut de réfugié au Canada. L'article 7 de la Charte ne s'applique pas en l'instance.

3) Il ressort clairement du paragraphe 54(1) que l'autorisation du ministre est requise pour qu'une personne puisse "exécuter" volontairement une ordonnance d'expulsion et qu'à défaut, ladite mesure est réputée ne pas avoir été exécutée. Puisque le demandeur n'a pas sollicité l'autorisation du ministre, il n'a pas exécuté la mesure de renvoi en quittant volontairement le Canada.

Il n'y a eu aucune atteinte aux principes de justice naturelle ou fondamentale susceptible de fonder une plainte de la part du demandeur.

Les questions suivantes ont été certifiées pour détermination par la Cour d'appel: 1) L'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention? et 2) Si l'agent principal a compétence pour rouvrir l'audience, cette compétence est-elle restreinte aux instances ou la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 57 (mod., idem, art. 19).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 28(1).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 44 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 7), 46.01(1)c) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36), (5) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14), 54(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 44), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2, art. 33(2).

Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 56.

jurisprudence

décisions appliquées:

Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.); Crevier c. Procureur Général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541; Succession Woodward (Exécuteurs testamentaires) c. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120; (1972), 27 D.L.R. (3d) 608; [1972] 5 W.W.R. 581; [1972] C.T.C. 385; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198; (1997), 154 D.L.R. (4th) 344; [1998] 2 C.N.L.R. 212; 138 F.T.R. 275 (1re inst.); Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696; (1993), 100 D.L.R. (4th) 151; 14 C.R.R. (2d) 146; 18 Imm. L.R. (2d) 165; 151 N.R. 69 (C.A.); Mercier c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 14 F.T.R. 28; 3 Imm. L.R (2d) 316 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec:

Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581; (1991), 85 D.L.R. (4th) 166; 135 N.R. 310 (C.A.); Ramkissoon c. Ministre de la Main d'œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 290; (1977), 82 D.L.R. (3d) 406; 20 N.R. 361 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 226 N.R. 201; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 50 Admin. L.R. 1; 36 C.C.E.L. 117; 91 CLLC 14,023; 4 C.R.R. (2d) 12; 126 N.R. 1.

décisions examinées:

Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.); conf. par sub nom. Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 703 (C.A.) (QL); Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 43; (1998), 147 F.T.R. 246 (1re inst.); Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 612; (1994), 73 F.T.R. 279; 22 Imm. L.R. (2d) 105 (1re inst.); Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 125 F.T.R. 51; 37 Imm. L.R. (2d) 294 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233; (1989), 58 D.L.R. (4th) 475; 37 Admin. L.R. 59; 96 N.R. 34 (C.A.); Mobarakizadeh c. Canada (1993), 72 F.T.R. 30; 23 Imm. L.R. (2d) 93 (C.F. 1re inst.); Daher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 946 (1re inst.) (QL).

doctrine

Desjardins, Alice. "Review of Administrative Action in the Federal Court of Canada: The New Style in a Pluralist Setting", in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada . Toronto: Carswell, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration portant qu'en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'immigration, le demandeur ne pouvait voir sa demande de statut de réfugié renvoyée devant la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au motif qu'il était une personne frappée d'une mesure de renvoi non exécutée. Demande rejetée.

ont comparu:

David S. Orman pour le demandeur.

Kevin Lunney pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

David Orman, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Muldoon: Dans son avis de requête introductive d'instance, le demandeur sollicitait (et ultérieurement obtint) l'autorisation d'engager un recours en contrôle judiciaire contre:

[traduction] La décision de l'agent principal d'immigration [figurait ici le nom de l'agent] (l'agent) en date du 9 avril 1997, communiquée au demandeur le 10 avril 1997, et par laquelle l'agent a conclu que le demandeur ne répondait pas aux conditions qui lui auraient permis de voir sa demande de statut renvoyée devant la Section du statut de réfugié (la section du statut) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Cette décision était fondée sur le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire sur le fait que le demandeur était frappé d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée.

Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur se fondait sur les moyens suivants:

[traduction]

I. La décision en question est manifestement invalide car elle est fondée sur une disposition législative qui n'est pas compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés puisque le demandeur, en tant que demandeur de statut, court le risque immédiat d'être renvoyé dans un pays où sa vie, sa liberté et la sécurité de sa personne sont menacées, et ce sans qu'il ait eu la possibilité d'établir le bien-fondé de sa demande de statut dans le cadre d'une procédure prévue à cet effet et fonctionnant selon les principes de la justice naturelle.

II. Dans la manière dont il a interprété et appliqué la norme de preuve permettant d'établir si la demande de statut formulée par un demandeur doit ou non être renvoyée devant la Section du statut de réfugié, l'agent a commis une erreur de droit.

III. En décidant que la mesure de renvoi dont était frappé le demandeur n'avait pas été "exécutée" au sens du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration , l'agent a commis une erreur de droit car il a outrepassé sa compétence ou refusé d'exercer celle-ci, et tiré des conclusions de fait erronées, et ce de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait.

Le demandeur a donné avis d'une question constitutionnelle conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19)], mais aucun procureur général n'a répondu.

La décision du défendeur, celle-là même que conteste le demandeur et qui est reproduite aux cotes 2 et 3, soit aux pages 6 et 7 du dossier du demandeur, a été transmise à l'avocat du demandeur en les termes suivants:

DAVID: LA QUESTION DE SAVOIR SI UNE PERSONNE FRAPPÉE D'UNE MESURE D'EXCLUSION QUI QUITTE LE CANADA VOLONTAIREMENT, SANS EN INFORMER LES SERVICES DE L'IMMIGRATION, EXÉCUTE PAR LÀ MÊME LA MESURE EN QUESTION, A ÉTÉ TRANCHÉE PAR LA COUR FÉDÉRALE DANS LES AFFAIRES MERCIER ET BHANWAN ET, SELON LA COUR, LA PERSONNE FRAPPÉE PAR UNE MESURE D'EXPULSION OU D'EXCLUSION QUI QUITTE LE CANADA SANS AVOIR AU PRÉALABLE OBTENU L'AUTORISATION DU MINISTRE, AINSI QUE L'EXIGE LE PARAGRAPHE 52(1), N'A PAS EXÉCUTÉ LA MESURE DE RENVOI DANS LES CIRCONSTANCES QUI SONT CELLES DE M. RAZA. NOUS ESTIMONS ET NOUS FERONS VALOIR QUE LA MESURE DE RENVOI VISANT L'INTÉRESSÉ N'A PAS ÉTÉ EFFECTUÉE ET QUE SA DÉTENTION, SI ELLE SE POURSUIT, TENDRA À SON RENVOI.

NOUS VOUS DEMANDONS DONC, À CETTE FIN, DE BIEN VOULOIR REMETTRE DANS LES MEILLEURS DÉLAIS LE PASSEPORT EXPIRÉ DE M. RAZA AFIN DE NOUS AIDER À OBTENIR LA DÉLIVRANCE D'UN TITRE DE VOYAGE VALABLE.

Le demandeur est un musulman chiite originaire du Pakistan. Il est arrivé au Canada le 5 septembre 1988 et y a revendiqué le statut de réfugié. Le 7 janvier 1992, la section du statut de réfugié (SSR) a estimé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, en conséquence de quoi une mesure d'exclusion a été prise à l'encontre du demandeur, celui-ci étant remis en liberté après avoir consigné un cautionnement de 2 000 $.

Le contexte de l'affaire

À l'été de la même année, le demandeur apprend que son épouse, qui se trouvait encore au Pakistan, était tombée malade. En raison de la mesure d'exclusion prise à son encontre, le demandeur rentre au Pakistan en août 1992. Il n'a pas confirmé son départ auprès des services de l'immigration. Il prétend ne pas avoir su qu'il était tenu de le faire. Il croyait que dans la mesure où il quittait le Canada, il n'enfreindrait aucune de ses obligations envers le ministère de l'Immigration.

Une mesure de renvoi fut livrée, en mai 1993, à sa dernière adresse, mais il n'en a pas eu connaissance étant donné qu'il avait déjà quitté le pays. Le 13 août 1993, du Pakistan, le demandeur envoya une lettre au ministère de l'Immigration, confirmant son départ et demandant le remboursement des 2 000 $ qu'il avait versés en cautionnement. Le demandeur croyait avoir satisfait aux exigences de la mesure d'exclusion en restant au Pakistan pendant 12 mois et il estimait donc être à même de se voir rembourser la valeur nominale de son cautionnement.

Le demandeur prétend qu'au Pakistan il a été l'objet de persécutions. Il affirme que son bureau a été saccagé et qu'il a eu le nez cassé par des intégristes sunnites. Le 28 mai 1996, lors d'une grande réunion à Mohorum, une émeute éclata entre musulmans sunnites et musulmans chiites et on prétendit à l'époque que le demandeur avait tenté de tuer un musulman sunnite. Le demandeur affirme qu'à l'époque il ne se trouvait pas sur les lieux de l'émeute, mais à Lahore. Il apprit plus tard que la police le recherchait, et s'organisa pour quitter le pays.

Le 4 août 1996, le demandeur arrive au Canada muni d'un faux passeport, craignant, selon lui, d'être arrêté par la police s'il utilisait son vrai passeport. Selon le défendeur, cette manœuvre était destinée à éviter au demandeur d'être repéré par les services canadiens de l'immigration. Le 1er novembre 1996, le demandeur dépose une demande de statut, utilisant pour ce faire le programme prévoyant le dépôt par correspondance. Le 3 janvier 1997, le demandeur se présente au ministère de l'Immigration pour passer une entrevue, et c'est alors qu'il est arrêté.

Le 10 avril 1997, le demandeur est informé par un agent principal (AP) que sa demande ne pourra pas être portée devant la SSR étant donné qu'il est frappé d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, motif explicitement prévu à l'article 44 de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 7)].

L'article en question prévoit en effet que:

44. (1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel.

(2) Le cas échéant, l'agent d'immigration défère sans délai le cas à un agent principal.

(3) Lorsque la personne qui fait l'objet d'une enquête revendique le statut de réfugié au sens de la Convention conformément au paragraphe (1), l'arbitre détermine si elle doit être autorisée à entrer au Canada ou à y demeurer et prend à son égard la mesure indiquée prévue aux paragraphes 32(1), (3) ou (4) ou à l'article 32.1.

(4) Si la revendication est jugée irrecevable par l'agent principal avant la fin de l'enquête, l'arbitre prend contre l'intéressé la mesure indiquée prévue à l'article 32.

(5) Sous réserve des articles 46.3 et 46.4, si une personne présente plusieurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention, celles-ci sont réputées n'en former qu'une seule pour l'application de la présente loi.

Le paragraphe 44(1) doit être interprété à la lumière de l'alinéa 46.01(1)c) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36], selon lequel:

46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

[. . .]

c) depuis sa dernière venue au Canada, il a fait l'objet :

(i) soit d'une décision de la section du statut lui refusant le statut de réfugié au sens de la Convention ou établissant le désistement de sa revendication,

(ii) soit d'une décision d'irrecevabilité de sa revendication par un agent principal.

Le demandeur fait valoir que le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration est contraire à l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et devrait être rendu inopérant en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

Le demandeur fait également valoir que le défendeur a commis une erreur de droit en estimant que le demandeur, en quittant volontairement le Canada, n'avait pas exécuté la mesure de renvoi dont il faisait l'objet.

À titre préalable, l'avocat du défendeur a soulevé la question de la compétence de la Cour pour connaître de l'argument d'ordre constitutionnel invoqué par le demandeur. Selon le défendeur, la question de la constitutionnalité du paragraphe 44(1) ne peut être soulevée que par voie d'action et non pas par le biais d'un recours en contrôle judiciaire fondé sur l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale.

L'avocat du défendeur cite à l'appui de sa thèse le jugement Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.); confirmé sub nom. Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 703 (C.A.) (QL), et affirme que le demandeur doit effectivement soulever les arguments d'ordre constitutionnel par voie d'action et non pas par le biais d'une demande de contrôle judiciaire étant donné que l'AP n'avait lui-même pas compétence pour trancher des questions d'ordre constitutionnel. Le défendeur cite notamment le passage suivant de la décision de la Section de première instance dans laquelle Mme le juge Tremblay-Lamer a déclaré (aux paragraphes 5 à 9, pages 66 et 67):

Dans leurs déclarations respectives, les requérants cherchent à obtenir un jugement déclarant que la décision du ministre de les renvoyer au Sri Lanka va à l'encontre de la Charte. Ils soutiennent que la seule voie de droit qui leur soit ouverte est l'action puisque, en cas de contrôle judiciaire, la Cour ne pourrait pas juger l'affaire au regard de la Charte.

Je n'accepte pas cette assertion. Au contraire de ce qui se passait dans l'affaire Tétreault-Gadoury, le ministre n'a pas été appelé en l'espèce à juger inconstitutionnelle une disposition de la Loi. Cela eût-il été le cas, et si la loi organique n'habilitait pas l'office fédéral à se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions de la Loi, alors il serait vrai que la Cour n'aurait pas, en cas de contrôle judiciaire, compétence pour connaître d'un tel chef de demande, lequel ne pourrait être instruit que par voie d'action. Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.

Cela ne signifie cependant pas que le ministre peut aller à l'encontre de la Charte. Dans Slaight Communications c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 [. . .], à la p. 1078, la Cour suprême du Canada a expressément posé que les pouvoirs d'un tribunal administratif sont limités par la Charte:

"La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d'interpréter une disposition législative [attributive] de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte [. . .] En conséquence, un arbitre exerçant des pouvoirs délégués n'a pas le pouvoir de rendre une ordonnance entraînant une violation de la Charte et il excède sa juridiction s'il le fait".

Le ministre est tenu à l'obligation de toujours agir conformément à la Charte, et la cour, sous le régime des règles applicables en matière de contrôle judiciaire, doit veiller à ce que les offices fédéraux respectent les normes constitutionnelles. Les mesures inconstitutionnelles sont présumées interdites et, en conséquence, un office fédéral met la Charte en jeu dans l'exercice de ses fonctions. La cour a souvent, sous le régime des règles de contrôle judiciaire, examiné la constitutionnalité de décisions d'offices fédéraux au regard de la Charte. Dans Mobarakizadeh v. Canada, (1993) 72 F.T.R. 30 (1re inst.), la Cour fédérale, radiant une action en jugement déclaratoire fondée sur la Charte, a confirmé sa compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité d'une action fédérale par voie de contrôle judiciaire. Je partage cette conclusion tirée par le juge Nadon en page 33 de la décision Mobarakizadeh:

"Le paragraphe 18(3) indique clairement que les recours prévus aux paragraphes (1) et (2) ne peuvent être exercés que par présentation d'une demande de contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1. En conséquence, toute demande visant à obtenir un jugement déclaratoire ou un bref de mandamus contre un office fédéral doit être présentée conformément à l'art. 18.1".

Je conclus en conséquence que les requérants n'auraient pas dû intenter une action en jugement déclaratoire fondée sur la Charte. La voie de droit qui s'impose en l'espèce est la demande de contrôle judiciaire.

Le défendeur en tire argument pour dire que le demandeur doit intenter pour cela une action, et ce pour deux motifs: le demandeur ne sollicite pas de la Cour un jugement déclaratoire et l'AP n'a pas, au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, compétence pour déclarer inopérantes des dispositions de la Loi sur l'immigration. Pour étayer encore davantage sa thèse, le défendeur invoque l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, dans lequel le juge La Forest a écrit, aux pages 37 et 38:

L'appelante soulève une question subsidiaire, savoir si la Cour d'appel fédérale pouvait examiner la question constitutionnelle dans l'hypothèse où le conseil arbitral n'avait pas lui-même compétence à cet égard. Comme je l'ai indiqué au début de mes motifs, la présente espèce a été soumise à la Cour d'appel fédérale en vertu du par. 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, sans passer par le juge-arbitre. L'alinéa 28(1)a) prévoit la possibilité de demander directement à la Cour d'appel l'annulation de la décision d'un office fédéral au motif que celui-ci a refusé d'exercer sa compétence.

Si l'intimée avait d'abord interjeté appel contre la décision du conseil arbitral auprès d'un juge-arbitre et, ensuite, à la Cour d'appel fédérale, le juge-arbitre aurait eu compétence pour trancher la question constitutionnelle. Cependant, l'intimée a choisi de passer outre au juge-arbitre et d'en appeler directement à la Cour d'appel fédérale.

Au moment où l'intimée a soulevé la question constitutionnelle devant le conseil arbitral, la question de la compétence du conseil d'entendre une contestation de ce genre n'était pas réglée. Il est donc compréhensible qu'elle ait été tentée de soulever cette question directement à la Cour d'appel. Il ne faut toutefois pas oublier la nature spéciale des pouvoirs de révision conférés à la Cour d'appel fédérale par l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Ces pouvoirs se limitent à surveiller et à contrôler la légalité des décisions des organismes administratifs et à leur demander de reconsidérer l'affaire en leur donnant, le cas échéant, les directives appropriées; voir Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, al. 52d); Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233, le juge Marceau, à la p. 247. Je suis donc d'avis que, bien que la question de la compétence ait été légitimement soumise à la Cour d'appel, celle-ci n'avait pas compétence pour trancher de façon définitive la question constitutionnelle.

Plus récemment, Mme le juge Tremblay-Lamer a estimé, au vu de l'arrêt Tétreault-Gadoury, que, s'agissant d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne saurait se prononcer sur une question d'ordre constitutionnel si l'organisme fédéral dont la décision fait l'objet d'un recours en contrôle judiciaire n'a pas lui-même la compétence nécessaire pour se prononcer sur la constitutionnalité de son texte d'habilitation. Dans l'affaire Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 43 (1re inst.), Mme le juge Tremblay-Lamer a estimé qu'un agent principal d'immigration n'a pas la compétence nécessaire pour juger de la validité constitutionnelle de la Loi sur l'immigration et elle a, par conséquent, décidé au paragraphe 22, pages 56 et 57 que, pour contester la constitutionnalité de certaines dispositions de la Loi sur l'immigration, un demandeur ne peut que procéder par voie d'action et non par le biais d'une demande. Aux paragraphes 23, pages 57 et suivants, le distingué juge parvenait, cependant, à une conclusion subsidiaire que la Cour fait respectueusement sienne en l'espèce.

On peut cependant dire, avec égards, que, comme le distingué juge paraissait elle-même s'en douter, l'affaire Gwala semble avoir été incorrectement tranchée en ce qui concerne la question de savoir si la Cour est compétente pour connaître, dans les circonstances présentes en l'espèce, d'une mise en cause de la constitutionnalité de certaines dispositions. Il y a pour cela deux raisons: d'abord, les dispositions plus larges de la Loi sur la Cour fédérale, qui n'étaient pas en vigueur aux dates où ont été tranchées les affaires Poirier [Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.)] et Tétreault-Gadoury (mais auxquelles s'est référé le juge Nadon dans l'affaire Mobarakizadeh, précitée [Mabarakizadeh c. Canada (1993), 72 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.)]); ensuite, parce qu'un tribunal qui fonde sa décision sur une disposition qui n'est constitutionnellement pas valable commet une erreur de compétence. Pour dire si un décideur a agi dans les limites de sa compétence, il faut donc implicitement évaluer la constitutionnalité de la disposition qui lui confère cette compétence.

Les modifications apportées à la Loi sur la Cour fédérale

Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10], dans la formulation en vigueur à l'époque où fut tranchée l'affaire Tétreault-Gadoury, fournissait à la Cour l'unique base de compétence lui permettant de se prononcer en cette affaire. Très rares sont ceux qui ont regretté l'abrogation de cette malencontreuse disposition.

Aux termes de l'ancien article 28, la Cour ne pouvait contrôler ou infirmer des décisions que pour les motifs qui étaient énoncés dans cet article.

Le 1er février 1992, l'article 18.1 de la Loi sur Cour fédérale entrait en vigueur. Cette nouvelle disposition avait pour effet d'élargir et le champ du contrôle judiciaire et l'éventail des redressements pouvant être accordés. L'alinéa 18.1(3)b), notamment, prévoit que, sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut:

18.1 (3) [. . .]

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral. [Non souligné dans l'original.]

En conséquence, la Cour peut rendre une déclaration d'invalidité, même au point de vue constitutionnel, lorsque les actes d'un décideur ont porté atteinte aux droits qu'une personne se voit garantir par la Charte (on se réfère ici à l'affaire Mobarakizadeh c. Canada (1993), 72 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.)). Rien ne s'oppose à ce qu'une disposition législative soit déclarée invalide au regard de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, étant donné que l'article 18.1 confère à la Cour le pouvoir de déclarer "illégale" une décision contraire à la Charte.

En ce qui concerne les motifs de contrôle judiciaire pouvant être invoqués dans le contexte du paragraphe 18.1(4), les modifications apportées à la Loi ont ajouté un nouveau motif de contrôle, à savoir:

18.1 (4) [. . .]

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

Il semble clair, vu les changements intervenus, que le champ du contrôle judiciaire s'est élargi depuis l'arrêt Tétreault-Gadoury. Il semble clair, notamment, que le paragraphe 18.1(4) permet à la Cour de se prononcer sur des arguments d'ordre constitutionnel même lorsque le tribunal administratif dont la décision fait l'objet d'un recours en contrôle judiciaire n'est pas lui-même habilité à trancher des questions d'ordre constitutionnel.

Dans un article intitulé "Review of Administrative Action in the Federal Court of Canada: The New Style in Pluralist Setting", publié dans les Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (Carswell, 1992, à la page 405), Mme le juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, notait que l'alinéa 18.1(4)f) avait été ajouté pour permettre à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'un recours en contrôle judiciaire, sur des questions d'ordre constitutionnel. Elle notait, en effet, aux pages 431 à 432:

[traduction] Il semble de surcroît que ce dernier motif de contrôle judiciaire permettrait à la Cour de décider si une décision donnée va à l'encontre de la Charte, en particulier lorsque le tribunal administratif concerné n'a pas compétence pour juger de telles questions. Cette possibilité mérite qu'on y réfléchisse à la lumière de la décision Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) de la Cour suprême du Canada, qui a jugé que, dans les cas où le tribunal administratif concerné n'a pas compétence pour se saisir d'une question de droit, la Cour d'appel fédérale n'a pas compétence non plus pour prononcer sur la question constitutionnelle [. . .]

Cependant, la décision Tétreault-Gadoury a été rendue au regard de l'ancien art. 28. Reste à savoir si l'al. 18.1(4)f) constitue un texte correctif qui changera la règle de droit telle qu'elle a été définie par cet arrêt. Dans l'affirmative, il y a lieu à production d'une preuve nouvelle relative aux questions touchant à la Charte.

En l'espèce, comme en l'affaire dont était saisie le juge Tremblay-Lamer, il s'agit de savoir si l'AP a la compétence voulue pour appliquer la disposition en cause étant donné la prétendue invalidité constitutionnelle de celle-ci. Dans son arrêt Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, la Cour suprême du Canada a estimé qu'un tribunal administratif ne peut pas être mis à l'abri du contrôle judiciaire pour d'éventuelles erreurs de compétence. Le juge en chef Laskin a cité, à la page 236, le juge Martland qui avait déclaré dans l'arrêt Succession Woodward (Exécuteur testamentaires) c. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120:

[. . .] si le tribunal a excédé sa compétence dans une décision, cette dernière n'est pas une décision du tout, selon la loi qui définit les pouvoirs du tribunal, parce que le Parlement ne pouvait pas avoir l'intention de conférer à pareil tribunal le pouvoir d'étendre sa compétence légale au moyen d'une décision erronée quant à l'étendue de ses propres pouvoirs.

Il en est allé de même dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson [[1989] 1 R.C.S. 1038], où la Cour suprême du Canada a expressément déclaré que les pouvoirs d'un tribunal administratif sont limités par la Charte, comme le rappelle Mme le juge Tremblay-Lamer dans l'extrait cité au paragraphe 15 ci-dessus.

Donc, si la décision d'un tribunal administratif ne peut pas être considérée comme une "décision" du fait qu'en la rendant le tribunal en question a outrepassé sa compétence, comment cette même décision pourrait-elle échapper au contrôle judiciaire au simple motif que les dispositions portant habilitation du tribunal administratif en question seraient contraires à la Charte?

Une démarche analogue a été suivie par le juge Rothstein dans l'affaire Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), lorsqu'il écrit, au paragraphe 40, page 221:

Puisqu'une décision rendue par un tribunal administratif au-delà des limites de sa compétence "n'est pas une décision du tout", il semble paradoxal de dire que cette même "décision" puisse être à l'abri d'un contrôle judiciaire si la question de compétence n'est jamais soulevée, et si la compétence du tribunal ou la constitutionnalité de la loi organique de ce tribunal est présumée . Cela équivaut à dire que les parties à une procédure administrative peuvent, par renonciation ou acquiescement, conférer à un tribunal une compétence qui n'a pas été, ou n'a pu être, conférée par le Parlement et que cette attribution de compétence par les parties échappe à tout contrôle judiciaire après que la décision est rendue.

La Cour est par conséquent compétente pour connaître de questions constitutionnelles évoquées devant elle, même si l'AP n'était pas lui-même compétent pour connaître de ces mêmes arguments; c'est le sens de la démarche subsidiaire évoquée dans le cadre de l'affaire Gwala, précitée.

Dans l'affaire Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 612 (1re inst.), le juge Rothstein a noté l'inconvénient qu'il y aurait à prétendre qu'en matière de contrôle judiciaire, la Cour n'est pas compétente pour connaître de questions relatives à la Charte lorsque le tribunal administratif dont la décision est mise en cause n'était lui-même pas compétent pour en connaître. Cela aurait effectivement le désavantage d'exiger l'engagement de deux procédures distinctes, avec les surcoûts que cela suppose en temps et en argent: une procédure afin d'attaquer la décision par un recours en contrôle judiciaire et une seconde, par voie d'action, afin de contester la validité d'une disposition législative. C'est ainsi qu'il note, à la page 623:

Si l'argument de l'avocat de l'intimé est correct, cela veut dire que celui qui conteste la décision d'un agent d'immigration aurait à choisir entre différentes procédures selon les moyens qu'il aura pris. Cela pourrait signifier deux procédures à engager simultanément dans un cas comme celui qui nous occupe en l'espèce: demande de contrôle judiciaire pour certains chefs de demande, et action pour certains autres. Cette multiplicité des procédures ne s'appliquerait que dans les cas où le tribunal administratif dont la décision est contestée n'a pas compétence pour prononcer sur les questions de droit. Je ne vois pas l'utilité de pareille multiplicité des procédures. Au contraire, la confusion et le surcroît de coût inévitables sont autant de désavantages manifestes. Je ne pense pas que le législateur ait voulu compliquer l'accès à la Cour fédérale par un impératif obscur, savoir l'obligation d'engager la procédure par voie d'action dans les cas comme celui qui nous occupe en l'espèce. Il n'a pas été démontré que la Cour ne pourrait remplir ses fonctions ou que l'une des parties serait lésée par le fait qu'il n'existe qu'une procédure, celle du contrôle judiciaire, pour contester devant cette Cour les décisions des agents d'immigration.

Compte tenu d'une différence d'opinion à cet égard, Mme le juge Tremblay-Lamer [dans Gwala] a certifié les deux questions suivantes, à la page 63 de son jugement:

Les agents d'immigration supérieurs sont-ils implicitement investis du pouvoir de se prononcer sur des questions de droit? Dans la négative, la Section de première instance a-t-elle compétence, sur recours en contrôle judiciaire exercé en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour entendre une contestation de la validité constitutionnelle d'un article de la Loi sur l'immigration?

Puisqu'il paraît évident que la Cour est compétente pour connaître de la question constitutionnelle soulevée en l'espèce, il y a lieu de décider si le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration est effectivement contraire à l'article 7 de la Charte.

L'avocat du demandeur fait valoir qu'en raison de cette disposition, son client ne peut pas revendiquer le statut de réfugié, du fait que la mesure de renvoi dont il est frappé n'a pas été exécutée. Cela a pour effet de lui refuser la possibilité de porter une nouvelle demande de statut devant la SSR.

Selon l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.), le filtrage des demandes en vue de décider qui peut ou ne peut pas revendiquer le statut de réfugié n'est pas contraire à l'article 7 de la Charte. Dans l'affaire en question, la Cour a estimé que le demandeur n'était pas en droit de formuler une demande car, comme le prévoient l'alinéa 46.01(1)c) et le paragraphe 46.01(5) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14] de la Loi, le demandeur s'était déjà vu refuser le statut de réfugié et n'avait pas séjourné à l'étranger plus de 90 jours après le rejet de sa première demande de statut. La Cour d'appel a conclu que le demandeur n'était pas en droit de revendiquer le statut de réfugié mais que le législateur était, lui, à même de déclarer que certaines personnes ne seraient pas admises à présenter une demande de statut au Canada. Le juge Marceau a ainsi déclaré aux pages 212 et 213:

Que le raisonnement de l'arbitre ne puisse tenir m'apparaît incontestable. Et pourtant, on ne peut qu'adhérer à plusieurs des propositions qu'il contient. Le problème, à mes yeux, vient de son point de départ, cette proposition initiale que l'arbitre accepte, on l'a vu, sans hésiter. La législation qui, en certaines circonstances, ne permet pas à un ressortissant étranger de revendiquer le statut de réfugié porte atteinte, dit l'arbitre, à sa vie et à sa sécurité, comme l'a considéré la Cour suprême dans le cas Singh. Cette affirmation qui conditionne son raisonnement du début à la fin me semble tout simplement erronée.

Je ne vois absolument pas comment on peut dire qu'en refusant le refuge à un ressortissant étranger, le Parlement porte atteinte à la vie ou à la sécurité de cette personne. L'article 7 de la Charte ne s'interprète pas dans l'abstrait; il définit des limites à l'action de l'autorité publique, mais ne force pas celle-ci à agir; il exige, pour entrer en jeu, un geste concret, une législation, non pas seulement une abstention. Il n'impose pas en lui-même à l'État d'assurer une protection à tous ceux dont la vie ou la liberté seraient en danger, encore moins de fournir un refuge à tous les habitants du globe qui auraient peur pour leur vie ou leur sécurité, et ce, au reste, quelle que soit la cause du danger appréhendé.

Si la Cour suprême a conclu comme elle l'a fait dans l'arrêt Singh, du moins à ce que je comprends, c'est que le Parlement avait, pour donner effet à des obligations internationales assumées préalablement, reconnu et accordé à un étranger le droit de revendiquer le statut de réfugié mais avait omis d'assortir en même temps l'exercice de ce droit"un droit qui se rattachait à la protection de la vie et de la sécurité"à une procédure conforme aux exigences de la justice fondamentale. C'est là, je pense, que se trouve la différence entre le cas Singh et le cas du revendicateur non-admissible: Singh se voyait dénier un statut que la loi lui donnait droit de réclamer sans qu'il ait eu toutes les chances de démontrer qu'il remplissait les conditions pour l'obtenir alors que le revendicateur non-admissible ne se voit dénier aucun statut qu'il a droit de réclamer.

On peut aisément imaginer dans la législation relative aux ressortissants étrangers en quête de refuge des conditions d'admissibilité qui enfreindraient des préceptes de la Charte. Il suffit de songer aux exigences de l'article 15, par exemple (qu'elles correspondent ou qu'elles dépassent les obligations découlant de l'article 3 de la Convention). Mais je ne vois pas comment on peut dire qu'en limitant le droit de réclamer le statut de réfugié de façon objective et nullement discriminatoire comme il l'a fait, le Parlement aurait violé les prescriptions de l'article 7. L'arbitre et le membre du statut ont donc eu raison, à mon avis, de conclure que l'argument constitutionnel avancé par le procureur du requérant n'était pas valide. Je rejetterais donc cette demande d'annulation portée à l'encontre de la décision qu'ils ont rendue.

Dans le même sens, le juge Marceau a déclaré, dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.), à la page 704 du recueil:

Un étranger n'a aucun droit absolu d'être reconnu comme étant un réfugié politique, soit en vertu de la common law, soit en vertu de toute convention internationale à laquelle a adhéré le Canada. Il s'ensuit que les dispositions législatives qui prétendent définir les conditions nécessaires à la revendication du statut de réfugié ne peuvent porter atteinte à la Charte que si ces conditions ont pour effet de faire preuve, à l'égard d'un groupe de demandeurs de statut, de discrimination au sens de l'article 15. Refuser à des criminels dangereux le droit, généralement accordé aux immigrants qui fuient la persécution, de chercher refuge au Canada ne saurait certes pas être considéré comme une forme illégitime de discrimination. Seul l'article 15 de la Charte est en cause car, contrairement à la première décision qui traitait de l'expulsion forcée et par conséquent de la perte de liberté, une déclaration d'irrecevabilité n'implique ni n'entraîne, en elle-même, aucun acte qui puisse porter atteinte à la vie, la liberté ou la sécurité de la personne.

L'article 7 de la Charte ne me paraît pas en cause en l'espèce et il n'y a donc pas lieu de poursuivre l'analyse du dossier au regard de cette disposition. La question de savoir si le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration est contraire à l'article 7 de la Charte n'a pas été soulevée devant le décideur, l'agent principal d'immigration, ni par le demandeur, ni par son avocat. Mais, pourquoi l'aurait-elle été puisque l'AP n'était pas compétent pour la trancher? La décision rendue par la Cour dans l'affaire Sivaraj, rappelée et citée plus haut, porte à conclure à la nécessité de solliciter, par voie d'action, un jugement déclaratoire et non de procéder par le biais d'une demande de contrôle judiciaire afin d'obtenir les résultats visés en l'occurrence par le demandeur. Cette décision a été confirmée à l'unanimité par la Cour d'appel dans un bref paragraphe, ainsi que nous l'avons noté. À l'audience, l'avocat du demandeur a déclaré (transcription, à la page 129), mais sans produire de documentation, que:

[traduction] [. . .] la possibilité de soulever une exception constitutionnelle fut évoquée devant l'agent d'immigration. Elle fut évoquée devant lui en janvier. Il est vrai que cette possibilité fut évoquée [. . .] Je reconnais qu'elle a été évoquée tardivement, mais elle a été évoquée devant lui et il n'a guère répondu sur ce point.

En réponse, l'avocat du demandeur a cité la décision que le juge Linden, J.C.A. a rendue au nom de la Cour d'appel dans l'affaire Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581, mais les circonstances de cette autre affaire ne sauraient être transposées au dossier dont la Cour est saisie en l'espèce.

Le demandeur fait, en second lieu, valoir que c'est à tort que l'AP a décidé qu'en quittant volontairement le Canada, le demandeur n'avait pas exécuté la mesure de renvoi dont il était frappé. Le demandeur cite à l'appui de sa thèse l'affaire Ramkissoon c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 290, la Cour d'appel ayant estimé que la personne qui quitte volontairement le Canada après avoir fait l'objet d'une mesure d'expulsion ne peut pas faire appel de cette mesure d'expulsion devant la Commission de l'appel de l'immigration étant donné que ladite mesure a été "exécutée". À la page 294, le juge Heald se prononce en ce sens:

Avec tout le respect voulu, je ne crois pas que le sens ordinaire du mot "removal" donné par les dictionnaires de langue anglaise soit étroit au point d'empêcher une personne de "se transporter" elle-même du Canada "à l'endroit d'où elle est venue au Canada" ce qui s'est exactement produit en l'espèce. "Remove" est notamment défini dans The Shorter Oxford English Dictionary comme [traduction] "s'en aller ou partir d'un endroit" et [traduction ] "changer son lieu de résidence". Ces deux définitions peuvent inclure un acte positif volontaire de la part de la personne concernée. Donc, à mon avis, d'après les faits de l'espèce, le "transport" du Canada à Trinidad par le requérant s'est effectué le 16 mars 1975 et l'effet de ce "transport" a été d'"exécuter" la première ordonnance d'expulsion. En conséquence, il me semble que son départ volontaire du Canada a eu comme effet juridique de le priver de son droit d'interjeter appel contre la première ordonnance d'expulsion en vertu de la compétence d'équité de la Commission prévue à l'article 15.

En réponse, le défendeur cite deux décisions de la Section de première instance où, dans le deux cas, le juge a décidé que le départ volontaire du demandeur ne peut pas être considéré comme une "exécution" de la mesure d'expulsion. Le défendeur cite notamment la décision du juge Joyal dans l'affaire Mercier c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 14 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.), où la Cour a décidé que la personne visée par une mesure d'expulsion en raison de ses activités criminelles n'a pas, en quittant volontairement le Canada pour une brève période, exécuté la mesure d'expulsion dont elle était frappée. Dans cette affaire, le demandeur prétendait revendiquer le statut de réfugié dès son retour au Canada, mais il n'a pas été admis à le faire en raison de la mesure d'expulsion dont il faisait encore l'objet. À la page 30 du jugement, le juge Joyal s'est exprimé en ces termes:

À mon avis, le tout relève de l'art. 54 de la Loi dans le contexte des dispositions des autres articles de la Loi sous le titre "Exécution des ordonnances". Au paragraphe 54(1) on parle de départ volontaire. En voici le texte:

"54(1) Sauf instructions contraires du Ministre, la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de renvoi peut être autorisée à quitter le Canada de son plein gré et à choisir le pays où elle veut se rendre." [Le souligné est le mien.]

Au vu du paragraphe en question, le juge Joyal a estimé (à la page 30):

J'en conclus que le texte de l'art. 54 est clair sur ce point. Le départ volontaire d'une personne qui fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion ne peut s'effectuer suivant la Loi qu'avec autorisation. Il n'est pas contredit que cette autorisation ne fut jamais accordée au requérant [. . .]

En l'absence de cette autorisation, le requérant ne peut prétendre avoir lui-même exécuté l'ordonnance de renvoi. Son séjour à Haïti, ou à tout autre pays, ne compte pour rien et l'ordonnance demeure en pleine vigueur.

Toute autre conclusion, à mon avis, serait incompatible avec le texte de l'art. 54 de la Loi et inconciliable avec le sens et la portée de ses autres dispositions. De plus, toute autre conclusion serait susceptible de déconsidérer l'administration de la Loi sur l'immigration et du système équitable et généreux qu'elle préconise.

La Cour a interprété "peut être autorisée" comme voulant dire "peut recevoir l'autorisation du ministre".

Il n'a, cependant, pas fait appel à ce qui était alors l'article 56 de la Loi [Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52] (l'actuel paragraphe 54(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 44]) qui prévoyait que:

56. Une ordonnance de renvoi est réputée n'avoir pas été exécutée au cas où la personne qui en fait l'objet a été renvoyée ou a quitté le Canada mais n'a pu obtenir la permission de séjourner dans aucun autre pays. Ladite personne peut, par dérogation à l'article 57 [l'actuel paragraphe 55(1)], revenir au Canada sans l'autorisation du Ministre.

Il ressort clairement de cette disposition que l'"exécution" volontaire de la mesure d'expulsion exige que l'intéressé obtienne l'autorisation du ministre et qu'à défaut la mesure de renvoi est réputée ne pas avoir été exécutée. À l'époque où fut rendu le jugement Ramkissoon , la Loi ne renfermait pas de telle disposition. À l'époque, la Loi prévoyait [Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2] au contraire que:

33. [. . .]

(2) Sauf instructions contraires du Ministre ou d'un fonctionnaire supérieur de l'immigration, on peut demander ou permettre à une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été rendue de quitter volontairement le Canada.

Par conséquent, il convient d'interpréter la décision du juge Heald, qui a estimé qu'un départ volontaire équivaut à l'exécution d'une mesure de renvoi, dans le contexte de la manière dont les dispositions étaient formulées à l'époque. Dans sa formulation actuelle, la Loi prévoit clairement la nécessité d'obtenir l'autorisation du ministre. Le demandeur n'ayant pas sollicité l'autorisation du ministre, on ne saurait dire que c'est à tort que l'AP a estimé qu'en quittant volontairement le Canada le demandeur n'avait pas exécuté la mesure de renvoi dont il était frappé. Il y a donc lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

Il appert également que l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, à la page 1222, ne s'applique pas en l'espèce en raison des différences touchant non seulement les circonstances de l'affaire mais également le droit applicable.

Il faut se rappeler que le demandeur a déposé une demande de statut en 1988. Celle-ci fut rejetée comme non fondée. Si le demandeur avait quitté le Canada conformément aux dispositions de la Loi, il aurait pu à nouveau revendiquer le statut de réfugié dès son retour au Canada en août 1996 étant donné que plus de 90 jours se seraient écoulés après son arrivée précédente au Canada. En tout temps alors qu'il se trouvait au Canada, il aurait pu déposer une demande de droit d'établissement et de résidence permanente en vertu du paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 44] de la Loi sur l'immigration, mais il a choisi de n'en faire qu'à sa tête sans tenir compte des dispositions applicables.

La Cour ne relève, dans toute cette affaire, aucune atteinte aux principes de justice naturelle ou fondamentale, susceptible de fonder une plainte de la part du demandeur. Pour ce motif, parmi de nombreux autres, il y a lieu de rejeter la demande. Voir l'affaire Daher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 946 (1re inst.) (QL) jugement du juge MacKay.

Le point de savoir s'il y avait lieu de certifier une ou des questions a été soulevé en fin d'audience. Les avocats des deux parties ont convenu qu'il y aurait lieu de retenir en l'espèce les deux premières questions certifiées par le juge Dubé dans l'affaire Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 125 F.T.R. 51 (C.F. 1re inst.), à la page 56, paragraphe 27, étant donné qu'elles n'avaient pas été portées devant la Cour d'appel. Ces deux questions étaient formulées en ces termes:

"1. L'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention?

"2. Si l'agent principal a compétence pour rouvrir l'audience, cette compétence est-elle restreinte aux instances où la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?

L'avocat du demandeur a proposé la certification d'une autre question portant sur le point de savoir si un agent principal d'immigration est compétent pour se prononcer sur une exception constitutionnelle tendant à permettre le renvoi d'un individu devant la section du statut de réfugié, même si cet individu fait l'objet d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée. Étant donné l'analyse et les conclusions exposées plus haut, la Cour décline cette demande de certification.

La Cour certifie les deux questions de l'affaire Raman citées ci-dessus au paragraphe 46. Il s'agit de questions graves de portée générale susceptibles d'influencer l'issue de tout nouvel appel interjeté en cette affaire.

Il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.