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[1997] 2 C.F. 845

T-868-95

First Green Park Pty. Ltd. (requérante)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : First Green Park Pty. Ltd. c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Richard— Toronto, 21 octobre 1996; Ottawa, 5 mars 1997.

Brevets Pratique Une demande internationale de brevet pour un système de conditionnement des viandes a été déposée à la section du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) du Bureau canadien des brevetsElle est réputée avoir été abandonnée parce que la date limite pour entrer dans la phase nationale du processus au Canada n’avait pas été respectéeLa requérante a demandé, conformément à la Règle 139 des Règles sur les brevets, la prolongation du délai pour entrer dans la phase nationaleLa requête a été rejetée au motif qu’il s’était écoulé plus de douze mois depuis que la demande était réputée abandonnéeL’art. 48.2)b) du PCT confère au commissaire aux brevets un pouvoir discrétionnaire considérable pour excuser un délaiLe commissaire n’était aucunement tenu de transmettre à la requérante un avis d’abandon lorsqu’elle était dans la phase internationaleLe pouvoir discrétionnaire du commissaire doit être exercé aux termes de l’art. 48.2)b) du PCTCelui-ci a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires.

Droit administratif Contrôle judiciaire Le commissaire aux brevets intérimaire a rejeté une requête visant à faire prolonger le délai de rétablissement d’une demande de brevet présentée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) au motif qu’il s’était écoulé plus de douze mois depuis que la demande était réputée abandonnéeLe commissaire a un pouvoir discrétionnaire considérable pour excuser un délaiLorsqu’il doit exercer un pouvoir discrétionnaire, un organisme public ne doit pas adopter des principes directeurs rigidesLe commissaire ne peut entraver son pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices ou principes directeurs pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaireL’art. 48.2)b) du PCT confère au commissaire le pouvoir discrétionnaire de rétablir une demande internationale de brevet au-delà du délai prévu à cette finLe commissaire aux brevets intérimaire a, à tort, entravé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 48.2)b) en refusant de l’exercer.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire aux brevets intérimaire qui confirmait une décision rendue antérieurement par la section du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) du Bureau canadien des brevets, laquelle avait rejeté la requête de la requérante visant à faire prolonger le délai de rétablissement de sa demande de brevet présentée en vertu du PCT. Le PCT facilite l’obtention de la protection des inventions lorsqu’une telle protection est demandée dans n’importe lequel des États qui ont adhéré au Traité. Essentiellement, la demande passe par deux phases avant la délivrance d’un brevet : la phase internationale et la phase nationale. La phase internationale comprend quatre étapes dont les trois premières sont automatiques et la dernière, facultative. Une fois la phase internationale terminée, la demande internationale entre dans sa phase nationale, c’est-à-dire l’examen et la délivrance de brevets nationaux. Pour engager le processus national dans chacun des États désignés, l’auteur de la demande ou son agent doit remplir certaines formalités. À défaut de le faire, la demande internationale finira par ne plus avoir d’effet dans chacun des États désignés.

Le 8 août 1991, la requérante a déposé, en vertu du PCT, une demande internationale de brevet en Australie, pour une invention intitulée [traduction] « système d’emballage ». La date limite que la requérante devait respecter pour entrer dans la phase nationale du processus au Canada était le 9 février 1993, soit 30 mois suivant la date de priorité du 9 août 1990. À défaut de respecter ce délai, la demande sera réputée avoir été abandonnée. La requérante avait jusqu’au 9 février 1994 pour demander le rétablissement de sa demande réputée abandonnée, soit un délai de douze mois après la date de l’abandon réputé de sa demande. Les agents de brevets de la requérante au Canada ont fait parvenir une lettre au commissaire aux brevets pour demander, conformément à la Règle 139 des Règles sur les brevets du Canada, la prolongation du délai pour entrer dans la phase nationale. Cette requête a été rejetée au motif qu’il s’était écoulé plus de douze mois depuis l’abandon de la demande. Les principales questions soulevées par la requérante étaient les suivantes : le commissaire aux brevets a-t-il commis une erreur de droit et a-t-il outrepassé sa compétence en omettant d’aviser la requérante de l’abandon réputé de sa demande de brevet? et a-t-il commis une erreur de droit ou autrement refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête de la requérante visant à obtenir le rétablissement de la demande internationale en question?

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le paragraphe 15(2) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets prévoit que, lorsque le demandeur ne répond pas aux exigences prévues audit Règlement, la demande internationale est réputée avoir été abandonnée. Toutefois, le commissaire peut la rétablir si, dans les douze mois qui suivent la date à laquelle elle était réputée abandonnée, le demandeur satisfait à toutes les exigences, acquitte la taxe de rétablissement et convainc le commissaire qu’il ne pouvait auparavant raisonnablement satisfaire à ces exigences. C’est dans le cadre de ces délais et de ces conditions que le commissaire a décidé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b) du PCT et la Règle 82bis.2 du Règlement d’exécution du PCT. L’article 48.2)b) confère au commissaire aux brevets un pouvoir discrétionnaire considérable pour excuser un délai. Si le législateur confie à un organisme public des pouvoirs et des fonctions discrétionnaires, expresses ou implicites, cet organisme ne peut y renoncer, mais il peut adopter des principes directeurs, des règles administratives ou des lignes directrices pour l’aider à exercer son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, lorsqu’il doit exercer un pouvoir discrétionnaire, un organisme public ne doit pas adopter des principes directeurs rigides. Les textes non réglementaires, comme les lignes directrices, constituent un outil administratif auquel l’organisme de réglementation peut faire appel pour l’aider à exercer les pouvoirs que lui confie la loi et remplir son mandat de réglementation d’une manière plus juste, plus ouverte et plus efficace. Ce genre de texte est cependant sans effet face à une disposition législative ou à un règlement qui le contredit. Les règlements l’emportent sur les énoncés de principe, qui ne peuvent obtenir le statut de lois. Un organisme ne peut s’autoriser d’un texte non réglementaire pour ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire dans un cas particulier ni pour entraver cet exercice en tenant les lignes directrices ou les politiques pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire.

Ni le PCT, ni les règlements n’imposaient au commissaire l’obligation de faire transmettre par écrit à la requérante un avis d’abandon lorsqu’elle était dans sa phase internationale. Cela répond aux arguments de la requérante selon lesquels ce défaut constitue un excès de compétence ou une violation des règles de justice naturelle et des règles d’équité.

La Règle 139 prise sous le régime de la Loi sur les brevets donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger certains délais. La requérante ne pouvait invoquer cette règle, car elle ne s’applique que dans le cadre de la phase nationale du système du PCT et la requérante n’est jamais entrée dans cette phase ou n’a jamais demandé le rétablissement de sa demande dans le délai de douze mois suivant la date de son abandon réputé. Toutefois, l’article 48.2)b) du PCT donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai pour le rétablissement des demandes de brevet internationales au-delà des douze mois prévus par le Règlement du PCT. Bien que la longueur d’un retard soit une considération pertinente, elle ne peut l’emporter à l’exclusion de toute autre considération pertinente, surtout lorsque l’objet même de l’attribution du pouvoir discrétionnaire est de permettre la prolongation des délais. Le commissaire intérimaire a, à tort, entravé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b) du PCT en refusant de l’exercer en toute circonstance où la demande de rétablissement est présentée après le délai de 12 mois qu’il s’est lui-même imposé. Le commissaire ne pouvait entraver son pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 12 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 3), 30, 40.

Règlement d’application du Traité de coopération en matière de brevets, DORS/89-453, art. 6, 7, 13, 14 (mod. par DORS/94-284, art. 3), 15(1)b), (2), (3) (mod. idem, art. 4).

Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22, Règle 82bis.

Règles sur les brevets, C.R.C., ch. 1250, art. 61(1), (2) (mod. par DORS/89-452, art. 24), 134, 138, 139, 140.

Règles sur les brevets, DORS/96-423.

Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22, art. 11.3), 48.2)a), b).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104; 121 D.L.R. (4th) 79; 28 Admin. L.R. (2d) 1; 6 C.C.L.S. 241; 77 O.A.C. 155; 18 O.S.C.B. 43 (C.A.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 46 B.C.A.C. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; 168 N.R. 321; 75 W.A.C. 1; Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500 (1980), 114 D.L.R. (3d) 634; 42 N.R. 312 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Celltech Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1993), 46 C.P.R. (3d) 424; 60 F.T.R. 128 (C.F. 1re inst.); conf. par (1994), 55 C.P.R. (3d) 59; 166 N.R. 69 (C.A.F.); Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; (1977), 81 D.L.R. (3d) 609; 36 C.P.R. (2d) 1; 18 N.R. 181.

DÉCISIONS CITÉES :

Parke, Davis & Co. v. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.É. 478; (1959), 32 C.P.R. 43; 19 Fox Pat. C. 115; Hercules Inc. c. Commissaire aux brevets, (1985), 4 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F); American Home Products Corporation c. Commissaire des brevets et autre (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.); American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (1985), 7 C.I.P.R. 174; 5 C.P.R. (3d) 1; 61 N.R. 141 (C.A.F.); Application des Gaz’s Application, [1987] R.P.C. 279 (Pat. Ct.); E’s Application, [1983] R.P.C. 231 (H.L.).

DOCTRINE

Commission de réforme du droit du Canada. Rapport sur les organismes administratifs autonomes : un cadre pour la prise de décisions. Rapport no 26. Ottawa : Commission de réforme du droit du Canada, 1985.

Craig, P. P. Administrative Law, 3rd ed. London : Sweet & Maxwell, 1994.

De Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 5th ed. London : Sweet & Maxwell, 1995.

Garant, Patrice. Droit administratif, vol. 2, 4e éd., Cowansville (Qué.) : Yvon Blais, 1996.

Gordon, Richard. Judicial Review : Law and Procedure, 2nd ed. London : Sweet & Maxwell, 1996.

Henderson, Gordon F. Patent Law of Canada, Scarborough, Ont. : Carswell, 1994.

Hughes, Roger T. et J. H. Woodley. Hughes and Woodley on Patents. Markham, Ont. : Butterworths, 1984.

Takach, G. F. Patents : A Canadian Compendium of Law and Practice, Edmonton : Juriliber, 1993.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire aux brevets intérimaire qui confirmait une décision rendue antérieurement par la section du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) du Bureau canadien des brevets, laquelle avait rejeté la requête de la requérante visant à faire prolonger le délai de rétablissement de sa demande de brevet présentée en vertu du PCT. Demande accueillie.

AVOCATS :

Peter F. Kappel pour la requérante.

E. Gail Sinclair pour l’intimé.

PROCUREURS :

Kappel, Ludlow, Toronto, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Richard : La requérante sollicite une ordonnance cassant ou annulant la décision du commissaire aux brevets intérimaire (le commissaire), en date du 19 janvier 1995, qui confirmait une décision rendue antérieurement par Mme C. R. Demers de la section du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) du Bureau canadien des brevets, laquelle avait rejeté la requête de la requérante visant à faire prolonger le délai de rétablissement de sa demande de brevet présentée en vertu du PCT et portant le numéro PCT/AU91/00350.

RAPPEL DES FAITS

Il est utile de commencer par établir la chronologie des événements pertinents qui ont donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

8 août 1991 : La requérante, First Green Park Pty. Ltd. dépose, en vertu du PCT, une demande internationale de brevet en Australie, pour une invention intitulée [traduction] « système d’emballage » (un système de conditionnement des viandes). La date de priorité est fixée au 9 août 1990, en raison de la présentation d’une demande nationale antérieure en Australie. La requérante désigne le Canada dans sa demande. Le Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (l’OMPI) transmet une copie de la « notification à l’office désigné » à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) le ou vers le 3 septembre 1991.

2 octobre 1991 : La requérante procède à la recherche facultative qui prend fin le 2 octobre 1991. Le Bureau international de l’OMPI transmet une copie du « rapport de recherche internationale » à l’OPIC.

3 mars 1992 : Le Canada devient un État élu par suite du dépôt d’une élection[1]. Le Bureau international de l’OMPI transmet une copie de la « notification d’élection » à l’OPIC le ou vers le 16 mars 1992.

10 septembre 1992 : Fin de la rédaction du « rapport d’examen préliminaire international » qui est transmis à l’OPIC par le Bureau international de l’OMPI le 6 octobre 1992.

9 février 1993 : La date limite que la requérante doit respecter pour entrer dans la phase nationale du processus au Canada est le 9 février 1993, soit 30 mois suivant la date de priorité du 9 août 1990. À défaut de respecter ce délai, la demande sera réputée avoir été abandonnée.

9 février 1994 : La requérante avait jusqu’au 9 février 1994 pour demander le rétablissement de sa demande réputée abandonnée, soit un délai de douze mois après la date de l’abandon réputé de sa demande[2].

30 juin 1994 : La requérante et son agent de brevets s’aperçoivent qu’aucune mesure n’a été prise pour faire entrer la demande déposée en vertu du PCT dans sa phase nationale au Canada.

Juillet 1994 : Un fonctionnaire de la section du PCT avise M. Warren Hall, agent de brevets enregistré travaillant pour le bureau Dennison & Associates, qu’il est impossible d’invoquer l’article 139 des Règles sur les brevets [C.R.C., ch. 1250] (ci-après appelé Règle 139), que la demande internationale est abandonnée et qu’elle ne peut être rétablie.

12 octobre 1994 : En sa qualité d’agent de brevets au Canada de la requérante, Dennison & Associates fait parvenir une lettre au commissaire aux brevets pour demander, conformément à la Règle 139 des Règles sur les brevets du Canada, la prolongation du délai pour entrer dans la phase nationale. Cette lettre est appuyée par une requête et par deux affidavits, l’un de l’inventeur[3] et l’autre de l’avocat australien de brevets[4] de la requérante.

21 novembre 1994 : Mme C. R. Demers, chef de la section PCT à l’OPIC, rejette la requête au motif qu’il s’est écoulé plus de douze mois depuis l’abandon de la demande. Selon l’OPIC, la requérante a présenté sa requête huit mois après l’échéance du délai de rétablissement de douze mois, soit au total vingt mois depuis la date prévue pour l’entrée dans la phase nationale.

28 novembre 1994 : Dennison & Associates soumet de nouveau sa requête en rétablissement et demande que le commissaire lui-même se prononce. Le commissaire répond le 19 janvier 1995; il refuse d’infirmer la décision de Mme Demers, rejetant la requête en prolongation du délai de rétablissement de la demande de la requérante.

20 janvier 1995 : Le commissaire intérimaire, A. McDonough, informe Dennison & Associates par courrier de sa décision de rejeter la requête « après examen de la preuve présentée »[5].

27 avril 1995 : La requérante demande le contrôle judiciaire de cette décision par voie d’avis de requête introductive d’instance déposée devant cette Cour.

Ces faits ne sont pas contestés.

LE SYSTÈME DU PCT

Le PCT a été fait à Washington le 19 juin 1970. Il a été modifié le 28 septembre 1979 et, une autre fois, le 3 février 1984. Le Canada l’a ratifié le 2 octobre 1989 et il est entré en vigueur au Canada le 2 janvier 1990. Avant son entrée en vigueur, l’article 12 de la Loi sur les brevets a été modifié [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 3] pour autoriser, à l’alinéa 12(1)i), le gouverneur en conseil à prendre des règles ou des règlements pour le rendre effectif.

Le PCT a instauré un système qui permet à l’auteur d’une demande d’engager un processus suivant lequel il réclame la protection conférée par brevet dans quatre-vingt-trois États du monde en ne déposant qu’une seule demande internationale, dans une seule langue et en ne payant qu’une seule taxe à un seul office régional ou national[6].

Le PCT facilite l’obtention de la protection des inventions lorsqu’une telle protection est demandée dans n’importe lequel des États qui ont adhéré au Traité. Essentiellement, la demande passe par deux phases avant la délivrance d’un brevet; d’où l’utilisation des expressions « phase internationale » et « phase nationale ».

La phase internationale se déroule suivant le cadre établi par le PCT lui-même et est administrée par le Bureau international de l’OMPI, à Genève, en Suisse. La phase nationale se déroule suivant le cadre établi par la Loi sur les brevets du Canada et est administrée par le Bureau canadien des brevets. Par conséquent, l’un des objets fondamentaux du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets est de tracer une ligne de démarcation précise entre ces deux cadres.

L’OMPI fournit une explication détaillée de ce processus dans une publication intitulée PCT Applicant’s Guide. Le premier volume (un fascicule relié) couvre la phase internationale. Le deuxième volume (trois fascicules reliés) traite de la phase nationale en général, mais contient également des chapitres consacrés à chaque office désigné dans lesquels sont précisés les démarches à entreprendre et les délais impartis. Chacun de ces chapitres a été rédigé en collaboration avec l’office concerné, lequel a approuvé les instructions données dans le chapitre qui lui est consacré.

Le Guide indique au demandeur qu’[traduction] « [i]l incombe au demandeur de décider de l’opportunité d’entrer dans la phase nationale devant chacun des offices désignés et du moment où le faire ». Au paragraphe 15 de la page 3 du premier volume de ce Guide, on peut lire :

[traduction] Il incombe au demandeur de décider de l’opportunité d’entrer dans la phase nationale devant chacun des offices désignés et du moment où le faire. La phase internationale se poursuit, pour toute désignation particulière, jusqu’à l’entrée de la demande dans la phase nationale devant l’office désigné en question ou jusqu’à l’expiration du délai applicable pour l’entrée de la demande dans la phase nationale devant cet office.

Le paragraphe 12 des pages 2 et 3 du deuxième volume est ainsi libellé :

[traduction] Comment commence la phase nationale? La phase nationale commence seulement après l’accomplissement par le demandeur de certains actes, soit avant l’expiration d’un délai donné, soit avec une requête expresse demandant qu’elle commence plus tôt. Le demandeur ne doit pas s’attendre à recevoir de notification l’invitant à accomplir ces actes. C’est à lui seul qu’incombe la responsabilité de les accomplir en temps utile. Son défaut d’agir à cet égard peut être fatal à sa demande dans la plupart des États désignés.

Plus loin, à la page 4, le paragraphe 18 est ainsi rédigé :

[traduction] Quelles sont les conséquences du défaut d’accomplir les actes requis pour entrer dans la phase nationale? L’inexécution des actes requis pour faire entrer la demande dans la phase nationale à l’expiration du délai applicable a pour conséquences de faire perdre à la demande internationale son effet de demande nationale et de mettre un terme à la procédure devant chaque office où ces formalités n’ont pas (toutes) été accomplies.

Dans son affidavit[7], Pierre Trépanier, sous-directeur de la Direction des brevets de l’OPIC, donne une description des phases internationale et nationale.

Comme l’a fait remarquer le juge MacKay dans l’arrêt Celltech Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets)[8],

Le fonctionnement du Traité est décrit dans la décision de M. le juge Aldous, The Queen v. Comptroller General, the Patent Office, Ex p. Celltech Ltd., (inédit, no de dossier CO/1003/91, R.-U., High Ct., (Q.B.D.) le 21 mai 1991) :

[traduction] Voici, essentiellement, comment fonctionne le PCT : celui qui veut un brevet en fait la demande à son bureau des brevets local et remplit un formulaire s’il souhaite faire une « demande internationale » qui lui permet de revendiquer la priorité dans les États désignés. En vertu d’une entente conclue avec l’OMPI, ce bureau local est désigné « office récepteur » aux fins des demandes internationales. L’office récepteur vérifie la demande afin de s’assurer qu’elle respecte les formalités exigées dans le PCT et ses règles et, si c’est le cas, il fixe une date de dépôt international relativement à la demande. Par la suite, l’office récepteur envoie une copie de la demande au Bureau international à Genève et une autre à l’Administration chargée de la recherche internationale qui vérifie s’il existe des inventions antérieures susceptibles de faire douter de la validité de l’invention. Le résultat de cette recherche est ensuite transmis à tous les bureaux de brevets des États que la requérante a désignés dans sa demande comme pays dans lesquels elle veut obtenir un brevet. Les bureaux de brevets de chaque pays prennent ensuite la demande en charge et, si celle-ci est conforme au droit du pays en cause, un brevet est accordé dans ce pays et la date de priorité de ce brevet correspond à la date de la demande internationale.

En 1995, la Direction des brevets de l’OPIC a reçu environ 26 000 demandes de brevet au Canada; de ce nombre, quarante pour cent provenaient du système du PCT s’appliquant au Canada en vertu de la Loi sur les brevets. On s’attend à ce que le nombre de ces demandes continue d’augmenter pour se stabiliser à cinquante pour cent.

PHASE INTERNATIONALE

La phase internationale comprend les quatre étapes suivantes; les trois premières sont automatiques et la dernière, facultative.

1) L’intéressé dépose une seule demande dans un office récepteur reconnu et désigne les États membres où il demande la protection. Le dépôt d’une demande internationale équivaut au dépôt d’une demande distincte dans chaque État membre désigné. Ainsi, l’auteur de la demande obtient une date de dépôt dans chaque État désigné en ne déposant qu’une seule demande internationale, à un seul endroit, en une seule langue et en versant une série de taxes initiales en une seule monnaie.

2) La deuxième étape consiste en la rédaction d’un « rapport de recherche internationale » par l’une des administrations chargées de la recherche internationale[9]. Le rapport de recherche fournit à l’auteur de la demande les renseignements lui permettant de décider de l’opportunité de donner suite à sa demande.

3) La troisième étape est la publication de la demande internationale accompagnée du « rapport de recherche internationale » et leur communication par le Bureau international de l’OMPI aux offices nationaux et régionaux que l’auteur de la demande a désignés.

4) La quatrième étape de la phase internationale, qui est facultative, consiste en la rédaction d’un « rapport d’examen préliminaire international » par l’une des administrations chargées de l’examen préliminaire international.

PHASE NATIONALE

Une fois la phase internationale terminée, la demande internationale entre dans sa phase nationale, c’est-à-dire l’examen et la délivrance de brevets nationaux.

Pour engager le processus national dans chacun des États désignés, l’auteur de la demande ou son agent doit remplir certaines formalités. À défaut de le faire, la demande internationale finira par ne plus avoir d’effet dans chacun des États désignés[10].

L’auteur de la demande, ou son agent, doit payer une taxe nationale dans chacun des États désignés. Il doit aussi déposer une traduction de la demande internationale lorsque l’original n’a pas été déposé dans une des langues officielles de l’État désigné. Exception faite de ces exigences, toutefois, aucun État ne peut imposer d’autres exigences qu’il faudrait satisfaire dans un délai de 20 mois (ou de 30 mois, si l’auteur de la demande a choisi de procéder selon le chapitre II).

Une fois ces formalités remplies, la demande est entrée dans sa phase nationale; elle est traitée et examinée dans chaque État désigné, ou élu, comme le serait toute demande nationale. À titre d’exemple, le « rapport d’examen préliminaire international » n’a pas force obligatoire dans un État élu, mais il peut permettre d’accélérer le processus interne. L’issue éventuelle de la phase nationale est que chaque État accorde ou non la protection d’un brevet national à la demande internationale.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions suivantes s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire[11].

Traité de coopération en matière de brevets

Article 48

1) Lorsqu’un délai, fixé dans le présent traité ou dans le règlement d’exécution, n’est pas observé pour cause d’interruption des services postaux, de perte ou de retard inévitables du courrier, ce délai est considéré comme observé dans les cas précisés au règlement d’exécution et sous réserve que soient remplies les conditions de preuve et autres conditions prescrites dans ledit règlement.

2)a) Tout État contractant doit, pour ce qui le concerne, excuser pour des motifs admis par sa législation nationale tout retard dans l’observation d’un délai.

b) Tout État contractant peut, pour ce qui le concerne, excuser pour des motifs autres que ceux qui figurent au sous-alinéa a) tout retard dans l’observation d’un délai.

Règlement d’application du Traité de coopération en matière de brevets [article 14 mod. par DORS/94-284, art. 3]

6. Les dispositions du Traité et le Règlement d’exécution du Traité s’appliquent aux demandes suivantes :

a) une demande internationale déposée à l’office récepteur au Canada;

b) une demande internationale dans laquelle le Canada est désigné;

c) une demande internationale dans laquelle le Canada est désigné et élu.

7. Sous réserve du présent règlement, la Loi et les Règles s’appliquent à une demande internationale lorsque le demandeur a satisfait aux exigences prévues à l’article 13 et, s’il y a lieu, à l’article 14.

14. Lorsque le demandeur a désigné ou élu le Canada dans une demande internationale et qu’il satisfait aux exigences de l’article 13 après le deuxième anniversaire de la date de dépôt international, il doit, pour maintenir en état la demande, payer selon l’article 76.1 des Règles la taxe prévue à l’article 3 de l’annexe du présent règlement.

15. (1) Le demandeur doit satisfaire aux exigences de l’article 13 et, s’il y a lieu, de l’article 14 dans un délai maximal :

a) lorsque le Canada est désigné dans une demande internationale, sauf dans le cas prévu à l’alinéa b), de 20 mois suivant la date de priorité;

b) lorsque l’élection du Canada a été faite avant l’expiration du 19e mois suivant la date de priorité, de 30 mois suivant la date de priorité.

(2) Lorsque le demandeur ne répond pas aux exigences de l’article 13 et, s’il y a lieu, de l’article 14 dans le délai applicable prévu au paragraphe (1), la demande internationale est réputée avoir été abandonnée.

(3) A la requête du demandeur, le commissaire peut rétablir une demande internationale réputée avoir été abandonnée en application du paragraphe (2) si, dans les 12 mois suivant la date à laquelle la demande internationale a été réputée abandonnée, le demandeur :

a) satisfait aux exigences prévues à l’article 13 et, s’il y a lieu, à l’article 14;

b) acquitte la taxe de rétablissement prévue à l’annexe;

c) convainc le commissaire, par affidavit, qu’il ne pouvait auparavant raisonnablement satisfaire aux exigences prévues à l’article 13 et, s’il y a lieu, à l’article 14.

Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets [le 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22]

Règle 82bis

82bis.1 Signification de « délai » dans l’article 48.2)

La référence à « un délai » dans l’article 48.2) s’entend notamment d’une référence

i) à tout délai fixé dans le traité ou dans le présent règlement d’exécution;

ii) à tout délai fixé par l’office récepteur, par l’administration chargée de la recherche internationale, par l’administration chargée de l’examen préliminaire international ou par le Bureau international ou à tout délai applicable par l’office récepteur en vertu de sa législation nationale;

iii) à tout délai fixé par l’office désigné ou élu ou dans la législation nationale applicable par cet office pour tout acte devant être accompli par le déposant auprès dudit office.

82bis.2 Rétablissement des droits et autres dispositions auxquelles l’article 48.2) est applicable

Les dispositions de la législation nationale visée à l’article 48.2) qui permettent à l’État désigné ou élu d’excuser les retards dans l’observation des délais sont les dispositions qui prévoient le rétablissement des droits, la restauration, la restitutio in integrum ou la poursuite de la procédure malgré l’inobservation d’un délai, ainsi que toute autre disposition prévoyant la prorogation des délais ou permettant d’excuser des retards dans l’observation des délais.

Loi sur les brevets

12. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règle ou règlement :

h) rendre effectives les stipulations de tout traité, convention, accord ou entente qui subsiste entre le Canada et tout autre pays;

i) par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, rendre effectives les dispositions du Traité de coopération en matière de brevets fait à Washington le 19 juin 1970;

30. (1) Chaque demande de brevet doit être complétée dans un délai de douze mois à compter du dépôt de la demande, à défaut de quoi, ou sur manquement du demandeur de poursuivre sa demande dans les six mois qui suivent toute action que l’examinateur, nommé conformément à l’article 6, a prise concernant la demande et dont avis a été donné au demandeur, une telle demande est tenue pour avoir été abandonnée.

(2) Une demande peut être rétablie sur présentation d’une pétition au commissaire dans un délai de douze mois à compter de la date à laquelle cette demande a été tenue pour abandonnée, et contre paiement de la taxe réglementaire, si le pétitionnaire démontre à la satisfaction du commissaire que le défaut de compléter ou de poursuivre la demande dans le délai spécifié n’était pas raisonnablement évitable.

40. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il rejette la demande et, par courrier recommandé adressé au demandeur ou à son agent enregistré, notifie à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.

Règles sur les brevets [paragraphe 61(2) mod. par DORS/89-452, art. 24]

61. (1) Toute pétition demandant le rétablissement d’une demande abandonnée doit être attestée par affidavit et énoncer les faits qui ont causé cet abandon, la date de découverte de cet abandon, ainsi que les démarches faites en vue du rétablissement de la demande depuis cette date jusqu’à la présentation de ladite pétition.

(2) Aucune pétition pour le rétablissement d’une demande abandonnée ne sera agréée à moins que le commissaire ne soit convaincu que sa présentation n’a comporté aucun retard inutile, et que le demandeur n’ait fait, avant ou à la date de sa présentation, les démarches qu’il aurait dû faire dans le délai spécifié à l’article 30 de la Loi afin d’éviter l’abandon de la demande, ou qu’il n’explique à la satisfaction du commissaire qu’il est dans l’impossibilité de faire des démarches mais qu’il sera en mesure de les faire dans un délai que déterminera le commissaire.

134. Un affidavit souscrit en vertu des présentes règles peut contenir un mémoire des faits à la connaissance du déposant ou peut être fondé sur des renseignements et des opinions; mais un affidavit fondé sur des renseignements et des opinions doit exposer les raisons qui motivent ces opinions.

138. Le commissaire peut fixer un délai pour la prise de toute mesure à l’égard de laquelle un délai n’est pas prescrit par la Loi ou par les présentes règles, et une demande peut être considérée comme étant abandonnée si telle mesure n’est pas prise dans le délai ainsi déterminé.

139. Sous réserve des présentes règles, le commissaire, s’il est convaincu, à la suite d’un affidavit établissant les faits pertinents, qu’eu égard à toutes les circonstances, un délai quelconque prescrit par les présentes règles ou institué par le commissaire pour l’exécution d’un acte quelconque devrait être prolongé, pourra prolonger ce délai, soit avant, soit après son expiration.

140. Lorsqu’un délai prescrit par les présentes règles est prolongé conformément à l’article 139, le délai prolongé est censé être, aux fins des présentes règles, le délai prescrit par lesdites règles, mais aucune prolongation de délai ne doit porter préjudice à quelque mesure prise selon les formes par le Bureau avant que ledit délai ait été accordé par le commissaire.

QUESTIONS EN LITIGE

La requérante soulève les questions suivantes :

1. Y a-t-il lieu d’annuler la décision du commissaire aux brevets intérimaire parce que le commissaire aux brevets a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence en omettant de se conformer au principe et à l’usage établis d’aviser de l’abandon réputé de la demande de brevet?

2. Le défaut par le commissaire aux brevets d’aviser la requérante de l’abandon réputé constituait-il une violation des règles de justice naturelle et des règles d’équité?

3. Le commissaire aux brevets a-t-il commis une erreur de droit ou autrement refusé à tort de s’acquitter de ses fonctions et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant d’examiner la requête de la requérante visant à obtenir le rétablissement de la demande internationale en question?

4. Le refus d’examiner la requête visant le rétablissement de la demande de la requérante en application de la Règle 139 et de la Règle 82bis du Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets [ci-après appelé Règlement d’exécution du PCT] rend-il la décision nulle et constitue-t-il une erreur qui entache toute la procédure?

LES ARGUMENTS

La requérante

Selon la requérante, lorsque l’auteur d’une demande n’entre pas dans la phase nationale d’un État en temps utile et que la demande internationale est considérée comme retirée, l’équivalent des effets réguliers du dépôt national que prévoit l’article 11.3) du PCT cesse dans cet État, mais cette cessation doit avoir les mêmes conséquences que le retrait d’une demande nationale dans cet État. D’après la Règle 82bis du Règlement d’exécution du PCT, les offices désignés doivent appliquer aux demandes présentées en vertu du PCT les mêmes mesures correctrices en matière de délais que celles qu’ils appliquent aux demandes nationales ou internes. Par conséquent, un office désigné ne peut rejeter une demande internationale pour inobservation des exigences du PCT que s’il a d’abord donné à l’auteur de la demande l’occasion de corriger la situation comme il aurait été permis de le faire suivant sa procédure dans les situations identiques ou analogues concernant des demandes nationales. En d’autres termes, une demande internationale qui a satisfait aux exigences du dépôt international doit, à tous égards, être considérée comme une demande nationale.

La requérante ajoute que la plupart des grands offices de brevets dans le monde envoient au demandeur ou à son avocat un avis d’abandon de la demande nationale, parce qu’ils savent bien que certains délais commencent à courir à partir de la date de l’abandon. Il semble que ces avis signalent les mesures prises par inadvertance ou les malentendus susceptibles de s’être produits. On accorde alors au demandeur un délai appréciable pour rétablir sa demande. Même si le commissaire n’est pas tenu par la loi ou les règlements d’aviser l’auteur d’une demande de l’abandon de celle-ci, il y a longtemps qu’il a l’habitude de le faire pour les demandes nationales. Comme le veut la pratique de l’OPIC pour les demandes canadiennes, certains États étrangers envoient des avis à leurs demandeurs nationaux avant l’expiration de la phase nationale. De plus, comme les fonctionnaires nationaux connaissent l’identité des demandeurs et des agents qui les représentent dans leur demande internationale, ces communications sont généralement transmises à l’agent chargé du dossier de la demande internationale.

Selon la requérante, à l’heure actuelle, l’OPIC n’accorde pas aux demandes présentées sous le régime du PCT qui sont réputées avoir été abandonnées la même attention et le même traitement qu’à celles présentées sous le régime de la Loi sur les brevets qui sont dans le même cas. Ainsi celui qui présente une demande sous le régime du PCT peut être amené à croire, à tort, que sa demande internationale est en instance et en vigueur au Canada. Tandis qu’il prend bien soin d’avertir les demandeurs nationaux de l’abandon réputé de leur demande, l’OPIC n’a pas de pratique similaire pour les demandes internationales qui désignent le Canada.

À l’origine, le paragraphe 15(3) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets prévoyait un délai de deux mois pour le dépôt d’une pétition demandant le rétablissement d’une demande internationale réputée avoir été abandonnée pour défaut d’entrer dans la phase nationale dans le délai prescrit. Ce paragraphe a été modifié par la suite pour prévoir un délai de douze mois[12]. Plus de deux ans avant l’entrée en vigueur de cette modification, l’OPIC a adopté comme pratique d’accorder des prolongations de délai rétroactives. Selon la requérante, il appert de la preuve que l’OPIC a accordé à des demandes internationales des prolongations de délai rétroactives au-delà du délai de deux mois prévu pour le rétablissement de la demande par le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets et que, à au moins une reprise, il a accordé une prolongation de délai rétroactive au-delà du délai de douze mois. Pour obtenir le rétablissement de leur demande internationale, les demandeurs ont invoqué l’article 48.2) du PCT, la Règle 82bis.1 et 82bis.2 du Règlement d’exécution du PCT, le paragraphe 15(3) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets et la Règle 139 prise sous le régime de la Loi sur les brevets. Il semble aussi que, pour parvenir à établir que le demandeur ne pouvait raisonnablement satisfaire aux exigences prévues pour l’entrée dans la phase nationale, il n’ait fallu satisfaire qu’à des conditions minimales.

La requérante ajoute que la loi exige implicitement que soient respectées les exigences fondamentales de la justice et que les parties aient l’occasion d’être entendues. Le décideur doit aviser les parties du moment où il entend instruire l’affaire[13].

Selon la requérante, le commissaire a établi comme principe et pratique d’envoyer un avis, et a ainsi créé une attente raisonnable à cet égard.

La requérante soutient qu’un des aspects importants du régime législatif régissant les demandes internationales est d’excuser les délais survenant dans l’entrée en phase nationale au Canada afin d’éviter qu’une inattention ou une erreur n’entraînent des conséquences éventuellement graves comme la perte du droit de propriété ou de la protection conférée par un brevet. Le législateur a reconnu l’importance de ce droit en incluant une disposition qui permet à un demandeur de rétablir sa demande après avoir démontré qu’il ne pouvait raisonnablement satisfaire aux exigences de la loi. Le commissaire a rejeté la requête en rétablissement présentée par la requérante sans avoir suffisamment tenu compte de la preuve par affidavit qui lui était soumise, fondant plutôt sa décision uniquement sur le fait que la demande de rétablissement avait été déposée plus de douze mois après la date de l’abandon réputé de la demande internationale. De cette manière, le commissaire a commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de prolonger rétroactivement le délai pour l’entrée dans la phase nationale. Une interprétation juste et large de la Règle 139 des Règles sur les brevets, de l’article 48.2) du PCT et de la Règle 82bis.1 et 82bis.2 du Règlement d’exécution du PCT confirme que le commissaire jouit d’un tel pouvoir discrétionnaire.

L’intimé

L’intimé soutient que le pouvoir discrétionnaire du commissaire de rétablir une demande internationale au-delà du délai de douze mois est conféré par certaines dispositions du PCT et des règles prises sous le régime de celui-ci. Ce n’est pas la Loi sur les brevets et ses Règles qui confèrent ce pouvoir. En outre, l’auteur d’une demande internationale qui dépasse l’échéance prévue pour le rétablissement de sa demande afin de pouvoir entrer dans la phase nationale reste encore dans la phase internationale. Par conséquent, un demandeur ne peut invoquer les dispositions qui ne s’offrent à lui que lorsqu’il est dans la phase nationale. En fait, les phases [traduction] « s’excluent mutuellement dans le temps ». Le commissaire a décidé de limiter l’exercice de ce pouvoir de rétablissement d’une demande au délai de douze mois que prévoit actuellement le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets qui intègre le PCT au droit canadien. Ce sont les articles 48.2)a) et 48.2)b) du PCT et la Règle 82bis.2 prise sous son régime qui investissent le commissaire de ce pouvoir discrétionnaire.

De 1991 au 14 avril 1994, le commissaire a invoqué l’article 48.2)b) pour faire passer le délai de rétablissement de deux à douze mois. Depuis, il se conforme à l’article 48.2)a) en exerçant son pouvoir de manière à appliquer aux demandes internationales et aux demandes nationales le même délai de rétablissement, c’est-à-dire douze mois. L’intimé ne nie pas que l’article 48.2)b) du PCT accorde encore au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de rétablissement au-delà des douze mois prévus par le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets. Toutefois, le commissaire a constamment décidé d’exercer ce pouvoir uniquement à l’égard de demandes présentées dans le délai de douze mois.

Le système du PCT, auquel le Règlement du PCT[14] pris sous le régime de la Loi sur les brevets donne effet, se compose de deux phases. La phase internationale se déroule suivant un cadre établi par le PCT lui-même et est administrée par l’OMPI, à Genève. La phase nationale se déroule suivant le cadre établi par la Loi sur les brevets et est administrée par le Bureau canadien des brevets. Le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets établit une ligne de démarcation précise entre ces deux cadres[15].

Suivant l’article 7 du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets, la Loi sur les brevets et ses Règles s’appliquent à une demande internationale une fois que le demandeur a satisfait aux exigences prévues aux articles 13 et 14 du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets, soit de fournir une traduction, si nécessaire, de payer la taxe nationale de base et, s’il y a lieu, la taxe prévue pour maintenir la demande en vigueur. Tant que ces formalités ne sont pas remplies, une demande n’entre pas dans la phase nationale.

Les délais prévus pour remplir ces formalités sont fixés par l’article 15 du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets. Ils sont de 20 mois suivant la date de priorité lorsque le Canada est désigné et de 30 mois suivant la date de priorité lorsque l’élection du Canada a été faite avant l’expiration du 19e mois suivant la date de priorité. Le paragraphe 15(2) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets prévoit que, lorsque le demandeur ne répond pas à ces exigences, la demande internationale est réputée avoir été abandonnée.

Une fois qu’une demande internationale est réputée avoir été abandonnée, le commissaire peut la rétablir si, dans les douze mois qui suivent la date à laquelle elle était réputée abandonnée, le demandeur satisfait à toutes les exigences, acquitte la taxe de rétablissement et convainc le commissaire qu’il ne pouvait auparavant raisonnablement satisfaire à ces exigences[16]. C’est dans le cadre de ces délais et de ces conditions que le commissaire a décidé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b) du PCT et la Règle 82bis.2 du Règlement d’exécution du PCT.

Le paragraphe 30(2) de la Loi sur les brevets prévoit un délai de douze mois et des exigences analogues pour le rétablissement des demandes de brevet réputées abandonnées dans le système national, et les paragraphes 61(1) et (2) des Règles prises sous le régime de la Loi sur les brevets énoncent les modalités de présentation de la pétition visant le rétablissement d’une demande, ainsi que les conditions de son agrément. La Règle 139 prise sous le régime de la Loi sur les brevets donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger certains délais si, eu égard à toutes les circonstances, il est convaincu, par un affidavit, qu’un délai quelconque devrait être prolongé.

L’intimé prétend que la requérante ne peut invoquer cette Règle pour deux raisons. Premièrement, cette Règle ne peut s’appliquer que dans le cadre de la phase nationale du système du PCT et la requérante n’est jamais entrée dans cette phase parce qu’elle n’a pas obtenu le rétablissement de sa demande dans le délai de douze mois suivant la date de son abandon. Deuxièmement, par son libellé même[17], la Règle 139 ne peut s’appliquer à un délai fixé par une loi, c’est-à-dire au délai de douze mois fixé par le paragraphe 30(2) de la Loi sur les brevets.

L’intimé prétend qu’il est bien établi qu’un tribunal ne doit intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire que dans les cas où il est convaincu que ce pouvoir a été mal exercé, soit parce que le commissaire a agi sur la foi d’un principe de droit erroné, soit parce que rien dans la preuve ne le justifiait d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme il l’a fait[18].

En ce qui concerne les avis d’abandon, l’intimé soutient que, bien que la loi ne l’y oblige pas, l’OPIC envoie effectivement des lettres d’avertissement aux auteurs d’une demande de brevet nationale. Il n’a jamais fait parvenir de tels avertissements à des auteurs de demandes internationales qui étaient encore dans la phase internationale. En fait, l’OMPI prévient très clairement les auteurs de demandes internationales que les offices nationaux n’envoient pas de tels avertissements[19]. À vrai dire, il serait irréaliste et très coûteux pour l’OPIC d’envoyer de telles lettres. Un grand nombre d’auteurs de demande internationale commencent par désigner le Canada, pour décider, des années après, de ne pas entrer dans la phase nationale pour diverses raisons.

L’intimé soutient qu’il y a lieu pour le commissaire d’examiner les causes du défaut du demandeur d’entrer dans la phase nationale avant de décider s’il doit ou non exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b) du PCT. Selon la preuve fournie par la requérante dans sa requête en rétablissement de sa demande, il ressort clairement que son défaut d’entrer dans la phase nationale est attribuable à un oubli de la part de ses représentants. Cet oubli n’implique pas que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement satisfaire aux exigences prévues. Il découle probablement d’un système de conservation des dossiers mal adapté. Il y a lieu également pour le commissaire, en décidant d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 48.2)b) du PCT, de tenir compte du laps de temps qui s’est écoulé entre la découverte de l’oubli et l’envoi par le demandeur d’une requête en rétablissement.

Le commissaire n’a pas reçu beaucoup de requêtes en rétablissement de demandes internationales après le délai de douze mois suivant la date de leur abandon réputé. Les quelques requêtes qu’il a reçues jusqu’à présent ont été rejetées et l’intimé prétend que l’affaire invoquée par la requérante n’est pas une exception, mais plutôt une anomalie[20] qui présentait des circonstances très spéciales[21].

Finalement, l’intimé soutient qu’on peut imposer des limites acceptables aux droits d’un demandeur à une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale, et que fixer à douze mois le délai au cours duquel un demandeur peut solliciter une telle audition constitue une limite acceptable[22].

EXERCICE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

L’article 48.2)b) confère manifestement au commissaire un pouvoir discrétionnaire considérable pour excuser un délai.

Selon un principe bien établi en droit, si le législateur confie à un organisme public des pouvoirs et des fonctions discrétionnaires, expresses ou implicites, cet organisme ne peut y renoncer; par contre, il peut adopter des principes directeurs, des règles administratives ou des lignes directrices pour l’aider à exercer son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, lorsqu’il doit exercer un pouvoir discrétionnaire, un organisme public ne doit pas adopter des principes directeurs rigides[23].

Dans l’arrêt Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission[24], le juge Doherty, de la Cour d’appel, écrit :

[traduction] La commission s’acquitte de ses fonctions et exerce son pouvoir discrétionnaire dans le cadre établi par les dispositions législatives et les règlements applicables. Ces textes réglementaires, toutefois, ne prévoient pas toute la réglementation. La commission a mis au point différentes techniques, notamment des énoncés de politique, destinées à informer sa clientèle et à favoriser les objectifs décrits précédemment. Ces textes non réglementaires se sont multipliés et ont pris de l’importance avec la complexité croissante de la réglementation des valeurs mobilières et la diversification des problèmes soumis à la commission. Aujourd’hui, la réglementation en matière de valeurs mobilières comprend un mélange de dispositions réglementaires et non réglementaires et elle cherche à réglementer le domaine au moyen d’énoncés de politique et de principes rétroactifs, ponctuels, axés sur la prise de décision adaptée à la spécificité des faits et prospectifs, qui sont destinés à guider la conduite des administrés.

Au Canada, il est bien établi qu’un organisme de réglementation, comme la commission, a le pouvoir d’adopter des énoncés de politique et des lignes directrices non obligatoires dans le but d’informer et de guider les administrés. La jurisprudence reconnaît clairement que les organismes de réglementation peuvent, à titre de pratique administrative valable et en dépit de l’absence d’un pouvoir législatif précis pour ce faire, adopter des lignes directrices et d’autres textes non obligatoires : voir Hopedale Developments Ltd. v. Oakville (Town), [1965] 1 O.R. 259, à la p. 263, 47 D.L.R. (2d) 482 (C.A.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux p. 6 et 7, 137 D.L.R. (3d) 558; Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1978] 2 R.C.S. 141, à la p. 170, 81 D.L.R. (3d) 609, à la p. 629; Friends of Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la p. 35, 88 D.L.R. (4th) 1; Pezim, supra, à la p. 596; Commission de réforme du droit du Canada, Rapport no 26, Rapport sur les organismes administratifs autonomes : Un cadre pour la prise de décisions (1985), aux p. 29 à 31.

Les textes non réglementaires, comme les lignes directrices, ne sont pas nécessairement établis en vertu d’une disposition législative accordant le pouvoir de les adopter. Il s’agit plutôt d’un outil administratif auquel l’organisme de réglementation peut faire appel pour l’aider à exercer les pouvoirs que lui confie la loi et remplir son mandat de réglementation d’une manière plus juste, plus ouverte et plus efficace.

Après avoir convenu que la commission avait le droit de faire appel à des textes non réglementaires pour remplir son mandat, il faut aussi reconnaître que le recours à ceux-ci a des limites. Ce genre de texte est sans effet face à une disposition législative ou à un règlement qui le contredit : voir Capital Cities Communications Inc., supra, à la p. 629; H. Janish, Reregulating the Regulator : Administrative Structure of Securities Commissions and Ministerial Responsibility dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada : Securities Law in the Modern Financial Marketplace (1989), à la p. 107. De même, un texte non réglementaire ne peut empêcher l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’organisme de réglementation dans un cas particulier : Hopedale Developments Ltd., supra, à la p. 263.

Dans son rapport intitulé Rapport sur les organismes administratifs autonomes : un cadre pour la prise de décisions[25], la Commission de réforme du droit du Canada donne l’explication suivante :

La publication d’énoncés de politique encourage les intéressés à s’y conformer volontairement, assure une plus grande cohérence dans la prise de décisions et favorise le respect de l’obligation de rendre compte. Selon la Cour suprême du Canada, la formulation de principes directeurs est non seulement acceptable mais tout à fait convenable au regard du droit actuel, à condition que l’organisme ne se sente pas lié par ceux-ci, ce qui limiterait illégalement l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires (voir les affaires Capital Cities, [1978] 2 R.C.S. 141, et Maple Lodge Farms, [1982] 2 R.C.S. 2). Par conséquent, point n’est besoin d’un texte de loi pour permettre aux organismes d’adopter cette pratique.

Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada[26], le juge McIntyre écrit :

Il est donc manifeste, à mon avis, que l’art. 8 de la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire au Ministre. Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l’avis aux importateurs les mots : « Si le produit canadien n’est pas offert au prix du marché, une licence est émise … » n’entrave pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. C’est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l’adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le Ministre chargé d’appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d’importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l’appelante allègue qu’elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le judge [sic] Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513 :

Le Ministre est libre d’indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).

À l’égard de la compétence hautement spécialisée dont sont investis les offices, commissions ou tribunaux administratifs, la Cour suprême a statué[27] :

La question se pose donc de savoir si le Conseil ou son comité de direction, agissant en vertu de son pouvoir d’attribuer des licences, a le droit d’exercer ce pouvoir en se fondant sur des énoncés de politique ou si son champ d’action, lorsqu’il traite de demandes de licences ou de modifications de licences, se restreint à l’application de règlements. Je suis certain que s’il existait des règlements en vigueur relatifs au pouvoir d’accorder des licences, ces règlements devraient être suivis même si des énoncés de principe les contredisaient. Les règlements prévaudraient sur tout énoncé de principe…

À mon avis, compte tenu de la grande portée des matières confiées au Conseil par l’art. 15 de la Loi, qui comprennent la surveillance de « tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en œuvre la politique de radiodiffusion énoncée dans l’art. 3 de la présente loi », il était tout à fait approprié d’énoncer des principes directeurs comme le Conseil l’a fait à l’égard de la télévision par câble. Les principes en cause ont été établis après de longues auditions auxquelles les parties intéressées étaient présentes et ont pu faire des observations. Sous le régime de réglementation établi par la Loi sur la radiodiffusion, il est dans l’intérêt des titulaires éventuels de licences et du public d’avoir une politique d’ensemble.

Dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)[28], le juge Iacobucci écrit :

C. Rôle de la Commission

En l’espèce, la Commission a pour rôle principal d’appliquer la Loi. Elle participe aussi à l’établissement de politiques. C’est donc un autre motif de faire preuve de retenue à l’égard de ses décisions. Cependant, il importe de faire remarquer que la Commission n’a qu’un rôle limité en matière d’établissement de politiques. Je veux dire que ses politiques ne peuvent obtenir le statut de lois ni être considérées comme telles en l’absence d’un pouvoir à cet effet prévu dans la loi.

Bien qu’il soit en son pouvoir de formuler des lignes directrices ou des énoncés de principe, un organisme de réglementation ne peut, selon la jurisprudence, s’autoriser de ce genre de textes non réglementaires pour ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire dans un cas particulier, et il ne peut entraver cet exercice en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire. Ces lignes directrices et ces énoncés de politique ne peuvent obtenir le statut de lois.

CONCLUSION

La requérante prétend que le commissaire avait l’obligation de lui faire transmettre par écrit un avis d’abandon alors qu’elle était dans sa phase internationale. Rien dans le PCT ou dans les règlements, ni dans la conduite du commissaire n’étaye cette thèse et je la rejette. Voilà qui règle les questions 1 et 2.

Passons maintenant à la requête en rétablissement de la requérante, exposée dans les questions 3 et 4.

À l’époque, le paragraphe 15(3) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets accordait à la requérante un délai de deux mois pour demander le rétablissement de sa demande à la suite d’un abandon réputé; à ce délai s’ajoutait un délai supplémentaire de dix mois qu’accordait le commissaire aux brevets conformément au pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 48.2)b) du Traité. Ainsi, la date d’échéance était le 9 février 1994, soit douze mois suivant la date à laquelle la demande est réputée avoir été abandonnée.

Ce n’est qu’en juin 1994 que la requérante s’est aperçue de son oubli. Elle a alors fait enquête. Le 12 octobre 1994, en sa qualité d’agent canadien de brevets de la requérante, Dennison & Associates a écrit une lettre au commissaire aux brevets, invoquant la Règle 139 pour demander une prolongation du délai pour entrer dans la phase nationale. Cette lettre a été envoyée 20 mois environ après l’abandon de la demande, 8 mois après la date à laquelle elle a été réputée abandonnée et presque 3 » mois après la découverte de l’oubli.

La Règle 139 prise sous le régime de la Loi sur les brevets donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger certains délais. La requérante ne pouvait invoquer cette règle, car elle ne s’applique que dans le cadre de la phase nationale du système du PCT et la requérante n’est jamais entrée dans cette phase ou n’a jamais demandé le rétablissement de sa demande dans le délai de douze mois suivant la date de son abandon réputé.

En l’espèce, comme la demande de brevet n’était pas entrée dans sa phase nationale, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire relevait de l’article 48.2)b) et non de l’article 139 des Règles sur les brevets.

Malgré le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets, le commissaire aux brevets est investi du pouvoir discrétionnaire de remettre en vigueur une demande internationale de brevet passé le délai de douze mois prévu pour son rétablissement. Il a ce pouvoir en vertu de l’article 48.2)b) du PCT et de sa Règle 82bis.1. Dans l’affaire Application des Gaz’s Application[29], le juge Falconer renvoie à la décision rendue par lord Diplock dans l’affaire E’s Applications[30] relativement à l’objet de l’article 48.2)a) du PCT. En ce qui concerne les prolongations de délai, les offices chargés des examens et les offices de brevets des États désignés ne doivent pas accorder aux demandes internationales un traitement moins favorable qu’aux demandes nationales, tout en étant libres de leur accorder un traitement plus favorable. Par conséquent, il est clair que l’article 48.2)b) du PCT accorde un pouvoir discrétionnaire supplémentaire au commissaire en ce qui concerne la prolongation de délais à l’égard des demandes internationales.

Le commissaire aux brevets a décidé, cependant, de limiter l’exercice de ce pouvoir au délai de douze mois que prévoit actuellement pour le rétablissement d’une demande le règlement d’application qui intègre le PCT au droit canadien. À l’origine, le Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets fixait à deux mois suivant la date à laquelle elles étaient réputées abandonnées le délai pour le rétablissement des demandes internationales de brevet. On s’est vite aperçu que ce délai était trop court. Une modification du Règlement a été apportée afin de faire passer ce délai à douze mois, c’est-à-dire le même délai que celui qui était prévu pour le rétablissement des demandes abandonnées relevant de la Loi sur les brevets du Canada et ses Règles.

La modification prolongeant le délai a d’abord été rédigée en 1991, mais elle n’est entrée en vigueur que le 14 avril 1994. Dans l’intervalle, le commissaire aux brevets a exercé le pouvoir que lui conféraient les dispositions du PCT et de ses règles pour rétablir toutes les demandes internationales de brevet qui étaient réputées avoir été abandonnées après le délai de deux mois, mais à l’intérieur du délai de douze mois. Depuis 1991, le commissaire aux brevets a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rétablir des demandes de brevet internationales seulement lorsque la demande de rétablissement est formulée dans les douze mois suivant la date de l’abandon réputé de la demande.

Le commissaire aux brevets s’est appuyé sur le pouvoir que lui accordait l’article 48.2)b) pour faire passer le délai de rétablissement d’une demande de deux à douze mois, pour la période de 1991 au 18 avril 1994. Depuis lors, il s’est conformé à la disposition impérative de l’article 48.2)a) et a exercé son pouvoir de rétablir les demandes de brevet internationales et nationales dans le même délai, c’est-à-dire douze mois.

Toutefois, l’article 48.2)b) donne au commissaire le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai pour le rétablissement des demandes de brevet internationales au-delà des douze mois prévus par le Règlement du PCT. Aucune directive législative ne vise l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire sous le régime de l’article 48.2)b). Quoi qu’il en soit, le commissaire a décidé d’exercer ce pouvoir seulement à l’égard des demandes de rétablissement présentées dans le délai de douze mois.

Bien que la longueur d’un retard soit une considération pertinente, elle ne peut l’emporter à l’exclusion de toute autre considération pertinente, surtout lorsque l’objet même de l’attribution du pouvoir discrétionnaire est de permettre la prolongation des délais.

J’estime que le commissaire intérimaire a, à tort, entravé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b) du PCT en refusant de l’exercer en toute circonstance où la demande de rétablissement est présentée après le délai de 12 mois qu’il s’est lui-même imposé. Pour reprendre les propos tenus par le juge Le Dain dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. R.[31], le commissaire « ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire. »

Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du commissaire est annulée et il lui est enjoint d’exercer conformément à la loi le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 48.2)b).



[1] Voir l’art. 15(1)b) du Règlement d’application du Traité de coopération en matière de brevets [DORS/89-453] (Règlement du PCT) pris sous le régime de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4].

[2] Ce délai de douze mois se composait des deux mois que prévoyait alors l’art. 15(3) [mod. par DORS/94-284, art. 4] du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets et d’un délai supplémentaire de dix mois accordé par le commissaire en vertu du pouvoir discrétionnaire de rétablir une demande que lui confère l’article 48.2)b) du PCT [Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22]. L’art. 15(3) a été modifié le 14 avril 1994.

[3] Peter Johnstone, affidavit de Pierre Trépanier souscrit le 1er février 1996, pièce « N ».

[4] Lawrence John Dyson, affidavit de Pierre Trépanier, pièce « O ».

[5] Le dernier paragraphe de cette lettre est ainsi libellé :

[traduction] Dans une lettre datée du 21 novembre 1994, Mme C. R. Demers de la section du PCT a rejeté la requête en prolongation du délai de rétablissement. Après examen de la preuve présentée, je ne vois aucun motif d’infirmer cette décision. Par conséquent, je maintiens le refus de prolonger le délai de rétablissement.

Rien n’indique quelle a été la preuve examinée.

[6] Pour une description du processus prévu par le Traité de coopération en matière de brevets, voir : Hughes and Woodley on Patents, Butterworths, 1984, aux p. 915 et suivantes; Henderson, Gordon F. Patent Law of Canada, Carswell, Scarborough, 1994, aux p. 83 à 99; Takach, George Francis. Patents : A Canadian Compendium of Law and Practice, Juriliber, Edmonton, 1993, aux p. 192 à 205.

[7] Au début de l’audience, j’ai radié, sur requête à cet effet présentée par la requérante, certaines parties de cet affidavit en date du 1er février 1996.

[8] (1993), 46 C.P.R. (3d) 424 (C.F. 1re inst.), aux p. 427 et 428, confirmé par (1994), 55 C.P.R. (3d) 59 (C.A.F.).

[9] Pour le Canada, l’autorité chargée de la recherche internationale est l’Office européen des brevets (l’OEB).

[10] Voir l’art. 15(3) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets.

[11] Les Règles sur les brevets et le Règlement du PCT ont été abrogés et sont maintenant fusionnés dans les nouvelles Règles sur les brevets, DORS/96-423, 28 août 1996.

[12] La modification est entrée en vigueur le 14 avril 1994.

[13] Parke, Davis & Co. v. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.É. 478, aux p. 483 à 485.

[14] Par Règlement pris le 21 septembre 1989, le PCT a pris effet en droit canadien le 2 janvier 1990. Auparavant, une modification avait été apportée à la Loi sur les brevets autorisant le gouverneur en conseil à prendre des règles ou des règlements « par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, [pour] rendre effectives les dispositions du Traité de coopération en matière de brevets » (Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 12(1)i)).

[15] Celltech Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1993), 46 C.P.R. (3d) 424 (C.F. 1re inst.), à la p. 438, confirmé par la C.A.F. en (1994), 55 C.P.R. (3d) 59.

[16] Art. 15(3) du Règlement du PCT pris sous le régime de la Loi sur les brevets.

[17] 139. Sous réserve des présentes règles, le commissaire, s’il est convaincu, à la suite d’un affidavit établissant les faits pertinents, qu’eu égard à toutes les circonstances, un délai quelconque prescrit par les présentes règles ou institué par le commissaire pour l’exécution d’un acte quelconque devrait être prolongé, pourra prolonger ce délai, soit avant, soit après son expiration. [Soulignement ajouté.]

[18] Hercules Inc. c. Commissaire aux brevets (1985), 4 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la p. 297.

[19] Voir l’affidavit de Pierre Trépanier aux par. 58 à 66 et aux p. 2 et 3 de la pièce « C », le par. 12 de la pièce « D », le par. 3 de l’annexe et le par. 5 de la pièce « E ».

[20] La [traduction] « Demande de Thesus Research Inc. »

[21] Voir le dossier de la demande de l’intimé, aux p. 184 et 185.

[22] American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (1985), 7 C.I.P.R. 174 (C.A.F.); American Home Products Corporation c. Commissaire des brevets et autre (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.) 177; aux p. 9 et 10.

[23] Voir : Garant, Patrice. Droit administratif, 4e éd., 1996, Yvon Blais, vol. 2, Le contentieux, aux p. 386 et s.; Craig, P. P. Administrative Law, 3e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 1994, aux p. 391 à 400; Gordon, Richard. Judicial Review : Law and Procedure. Londres : Sweet & Maxwell, 1996, aux p. 210 à 216; De Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 5e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 1995, aux p. 505 à 519.

[24] (1994), 21 O.R. (3d) 104 (C.A.), aux p. 108 et 109.

[25] Commission de réforme du droit du Canada, rapport no 26, 1985, à la p. 34.

[26] [1982] 2 R.C.S. 2, aux p. 6 et 7.

[27] Capital Cities Communications Inc. et autres c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, aux p. 170 et 171.

[28] [1994] 2 R.C.S. 557, à la p. 596.

[29] [1987[ R.P.C. 279 (Pat. Ct.).

[30] [1983] R.P.C. 231 (H.L.), à la p. 251.

[31] [1981] 1 C.F. 500 (C.A.), à la p. 514. Le juge McIntyre a cité l’opinion du juge Le Dain à la p. 7 de [1982] 2 R.C.S. 2.

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