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     A-30-97

Philman Abu Raman (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juges Linden, Robertson et McDonald, J.C.A. Toronto, 1er et 4 juin 1999.

Citoyenneté et Immigration " Exclusion et renvoi " Processus d'enquête en matière d'immigration " Question certifiée: l'agent principal a-t-il compétence pour rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention? " Le principe du functus officio doit être plus souple lorsqu'il n'y a pas de droit d'appel " Lorsque la justice l'exige, les organismes administratifs devraient avoir le pouvoir de rouvrir les instances, mais la loi habilitante doit porter à croire qu'une décision peut être rouverte " En l'espèce, rien ne porte à croire que tel est le cas " L'art. 44 de la Loi sur l'immigration dispose que les revendications du statut de réfugié ne peuvent faire l'objet d'une décision si elles sont déposées après qu'une mesure de renvoi a été prise " Le législateur a déterminé que les revendications du statut de réfugié doivent être présentées avant qu'une mesure de renvoi soit prise " Les revendications ne peuvent être entendues dans une situation en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise " En faisant référence à un "appel" interjeté contre une mesure de renvoi, alors qu'en fait aucun "appel" n'est véritablement prévu, le législateur voulait que le mot "appel" utilisé à l'art. 44(1) de la Loi sur l'immigration englobe le contrôle judiciaire " Le contrôle judiciaire est la procédure appropriée pour contester une mesure de renvoi " Tout droit de common law prévoyant la réouverture de l'audience a été éteint par l'application à l'art. 44(1).

Droit constitutionnel " Charte des droits " Vie, liberté et sécurité " À son arrivée au Canada à titre de visiteur, l'appelant s'est vu offrir la possibilité d'avoir les services d'un interprète et de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, mais il a refusé " Les principes de justice fondamentale dictent des procédures différentes selon les circonstances " Les visiteurs n'ont aucun droit d'entrer ou de demeurer au Canada " Ils peuvent en être exclus moyennant le respect de droits procéduraux minimes.

En rejetant une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent principal, le juge de première instance a certifié la question suivante comme question grave de portée générale: 1) l'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention?

Au cours d'une entrevue avec un agent d'immigration, l'appelant a déclaré qu'il venait du Zimbabwe, alors qu'en fait il est entré au Canada en provenance du Nigéria, et qu'il demeurerait au Canada pendant une semaine. En réponse aux questions de l'agent d'immigration, l'appelant a indiqué qu'il ne souhaitait pas revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention et qu'il n'avait pas besoin d'un interprète. Le lendemain, une fois informé qu'il allait être renvoyé du Canada, l'appelant a informé l'agent principal qu'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. On l'a avisé qu'il était trop tard pour le faire, à cause de la mesure de renvoi qui avait été prise contre lui. Une agente principale a par la suite informé l'appelant qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir son enquête et l'appelant a été renvoyé au Nigéria.

Arrêt: l'appel est rejeté.

Le principe du functus officio doit être plus souple lorsqu'il n'y a pas de droit d'appel et, lorsque la justice l'exige, les organismes administratifs devraient avoir le pouvoir de rouvrir les instances. Toutefois, la loi habilitante doit porter à croire qu'une décision peut être rouverte. En l'espèce, rien ne porte à croire que tel est le cas; en fait, il y a une indication à l'effet contraire: le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration dispose que les revendications du statut de réfugié ne peuvent faire l'objet d'une décision si elles sont déposées après qu'une mesure de renvoi a été prise contre une personne. Le législateur a donc déterminé que la revendication du statut de réfugié doit être présentée avant qu'une mesure de renvoi soit prise contre une personne. Il a expressément indiqué que les revendications du statut de réfugié ne peuvent être entendues dans une circonstance en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise.

Le paragraphe 44(1) parle d'un "appel" interjeté contre une mesure de renvoi, alors qu'en fait aucun "appel" n'est véritablement prévu. Le législateur voulait donc que le mot "appel" englobe le contrôle judiciaire. La procédure appropriée pour contester une mesure de renvoi est de demander le contrôle judiciaire.

Pour ce qui a trait à la common law, tout droit de réouverture qui aurait pu exister a été éteint par le paragraphe 44(1) de la Loi.

La Charte n'exige pas la réouverture de la décision de l'agente principale. Les principes de justice fondamentale dictent des procédures différentes selon les circonstances. Une personne qui n'a pas de statut au Canada et qui refuse à la fois les services de traduction et la possibilité de revendiquer le statut de réfugié peut être renvoyée du Canada moyennant le respect de droits procéduraux minimes. Cette personne est un simple visiteur, et les visiteurs n'ont pas le droit d'entrer ou de demeurer au Canada. Il n'y a pas eu manquement aux principes de justice fondamentale.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

        Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37.

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 44(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 80.1(1) (édicté, idem, art. 70), (2) (édicté, idem), (3) (édicté, idem), (4) (édicté, idem), (5) (édicté, idem).

    jurisprudence

        décision appliquée:

        Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.

        distinction faite d'avec:

        Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 10 Imm. L.R. (2d) 1; 104 N.R. 50 (C.A.); R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652.

        décisions citées:

        Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514; (1999), 236 N.R. 143 (C.A.); Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 404; (1999), 157 F.T.R. 161 (C.A.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487; (1989), 61 D.L.R. (4th) 573; 47 C.R.R. 361; 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.).

APPEL de la décision Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 125 F.T.R. 50; 37 Imm. L.R. (2d) 294 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge de première instance a certifié la question suivante: l'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention. L'appel est rejeté, et une réponse négative est donnée à la question.

    ont comparu:

    Barbara L. Jackman et Kevin J. MacTavish pour l'appelant.

    Lori Hendriks et Martin Anderson pour l'intimé.

    avocats inscrits au dossier:

    Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour l'appelant.

    Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.: Les questions certifiées en l'espèce ont pour but de déterminer si un agent d'immigration principal a compétence pour rouvrir une audience à l'issue de laquelle une mesure de renvoi a été prise contre une personne qui, ayant déjà décliné la possibilité de revendiquer le statut de réfugié, souhaite maintenant réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention.

Les faits de la présente instance sont relativement simples à relater. L'appelant est entré au Canada en provenance du Nigéria le 12 juin 1995 et a été interrogé par un agent d'immigration. Au cours de cette entrevue, l'appelant a informé l'agent qu'il était venu du Zimbabwe pour visiter le Canada pendant une semaine. Les réponses de l'appelant aux questions subséquentes, de même que son passeport du Zimbabwe manifestement falsifié, ont suscité le doute dans l'esprit de l'agent d'immigration quant à la véracité de son récit. L'agent lui a donc demandé s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié, question à laquelle l'appelant a répondu par la négative. Il lui a aussi demandé s'il avait besoin d'un interprète, et de nouveau il a répondu par la négative. Rien n'indique que l'agent a demandé à l'appelant s'il souhaitait consulter un avocat.

Le 13 juin 1995, l'appelant a été convoqué en entrevue par l'agent principal qui l'a informé qu'il était exclu du Canada. Les notes au dossier indiquent que, pendant que la mesure d'exclusion était rédigée, l'agent principal a rencontré l'appelant et l'a informé qu'il allait être renvoyé du Canada. L'appelant a été informé de ses droits en vertu de la Convention de Vienne [Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37]. C'est à ce moment qu'il a décliné sa véritable identité et déclaré qu'il était entré au Canada muni d'un faux passeport, qu'il était originaire du Nigéria, et qu'il était capitaine d'aviation dans l'Armée de l'air nigériane. Il a depuis modifié son récit deux fois dans ses déclarations appuyant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Quand il a été informé qu'il allait être renvoyé du Canada, l'appelant a dit à l'agent principal qu'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. On l'a avisé qu'il était trop tard pour le faire, à cause de la mesure de renvoi qui avait été prise contre lui.

Dans une lettre en date du 26 juin 1995, son avocat a demandé la réouverture de l'audience devant l'agent principal. Il indiquait que l'appelant avait été mal conseillé concernant la période au cours de laquelle il pouvait revendiquer le statut de réfugié et donnait des détails sur la revendication de l'appelant.

Le 30 juin 1995, une agente principale a informé l'appelant qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir son enquête. On nous a informé que l'appelant avait ensuite été renvoyé au Nigéria, où il a passé plus d'un an et qu'il se trouve actuellement à Sainte-Lucie.

L'appelant a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l'agente principale, contrôle qui a été rejeté par la Section de première instance de la présente Cour1. Le juge de première instance a certifié trois questions graves de portée générale pouvant être portées à l'attention de la présente Cour. Ces questions sont les suivantes [à la page 56]:

1. L'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention?

2. Si l'agent principal a compétence pour rouvrir l'audience, cette compétence est-elle restreinte aux instances où la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?

3. Le cas échéant, l'agent principal a-t-il violé les règles de justice naturelle ou les principes de justice fondamentale lorsqu'il a omis d'informer le requérant, avant la fin de l'audience qu'il présidait et au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat?

L'appelant a soulevé une quatrième question fondée sur la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] concernant la constitutionnalité du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35)] en déposant ultérieurement une requête demandant l'autorisation de déposer des plaidoiries supplémentaires, mais son avocat a choisi de ne pas débattre de cette question devant la présente Cour.

Je suis d'avis de rejeter l'appel.

Pour ce qui concerne la première question, l'avocat de l'appelant signale à bon droit que le principe du functus officio doit être plus souple lorsqu'il n'y a pas de droit d'appel et que, lorsque la justice l'exige, les organismes administratifs devraient avoir le pouvoir de rouvrir les instances. En fait, la présente Cour a récemment réaffirmé et suivi ce principe2. Toutefois, le juge Sopinka a fait la mise en garde suivante dans l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects: "la loi habilitante [doit porter] à croire qu'une décision peut être rouverte"3. En l'espèce, rien ne porte à croire que tel est le cas; en fait, il y a une indication à l'effet contraire. Le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration dispose que les revendications du statut de réfugié ne peuvent faire l'objet d'une décision si elles sont déposées après qu'une mesure de renvoi a été prise contre une personne. Le paragraphe 44(1) est rédigé dans les termes suivants:

44. (1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel.

Le juge de première instance a examiné cet article et a exprimé le raisonnement suivant [aux pages 55 et 56]:

À mon avis, l'art. 44(1) de la Loi empêche manifestement l'AP de rouvrir une décision visant l'exclusion de l'intéressé. Une fois cette décision rendue, le réfugié ne peut tenter d'obtenir la reconnaissance du statut de réfugié à moins que la mesure n'ait été annulée en appel. Les décisions qu'invoque le requérant se distinguent de la présente espèce en ce sens qu'elles n'émanaient pas d'un AP agissant sous le régime de l'art. 44(1) de la Loi. [Non souligné dans l'original.]

Je souscris à ce raisonnement. Le législateur a déterminé que les revendications du statut de réfugié doivent être présentées avant qu'une mesure de renvoi soit prise contre une personne. Il a expressément indiqué que les revendications du statut de réfugié ne peuvent être entendues dans une situation en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise. En adoptant ce paragraphe, le législateur avait manifestement l'intention d'empêcher certaines personnes, ayant été exclues du Canada sur la base d'un premier récit, de revendiquer le statut de réfugié en modifiant ce récit. Si la présente Cour autorisait la réouverture de mesures de renvoi afin de permettre l'examen de ces revendications, ce paragraphe perdrait tout son effet.

Je suis également d'avis que le législateur, en adoptant le paragraphe 44(1), avait l'intention de permettre le contrôle judiciaire des mesures de renvoi. Il convient de noter que le paragraphe 44(1) de la Loi parle d'un "appel" interjeté contre une mesure de renvoi, alors qu'en fait aucun "appel" n'est véritablement prévu. À mon avis, le législateur voulait que le mot "appel" utilisé au paragraphe 44(1) englobe le contrôle judiciaire. Il s'ensuit que la procédure appropriée pour contester une mesure de renvoi n'est pas d'en demander la réouverture, mais plutôt le contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la présente Cour.

Je tiens à mentionner brièvement l'un des arguments soulevés par l'avocat de l'appelant en faveur d'une interprétation restrictive du paragraphe 44(1). L'avocat prétend, en s'appuyant sur le libellé du paragraphe 44(1), qu'en l'espèce il n'y a pas de "revendication" du statut de réfugié, mais simplement une tentative de rouvrir une décision prise par l'agente principale. Je n'en suis pas convaincu. Comme l'indique la question certifiée, la réouverture est demandée dans le but de permettre à l'appelant de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. À mon avis, le paragraphe 44(1) ne peut être interprété de la manière proposée par l'avocat de l'appelant.

La première question certifiée demande également si la common law ou la Charte donne à un agent principal compétence pour examiner la possibilité de rouvrir une décision qu'il a prise. À mon avis, ni la common law ni la Charte n'aide l'appelant. Pour ce qui a trait à la common law, tout droit de réouverture qui aurait pu exister a été éteint par l'application du paragraphe 44(1) de la Loi.

Bien que l'application de la Charte à une décision de l'agente principale soit plus complexe, je suis d'avis que la Charte n'exige pas la réouverture de cette décision. Les principes enchâssés dans la Charte ont sur les décideurs un effet différent selon les circonstances dans lesquelles ils sont invoqués. En l'espèce, un non-citoyen a demandé à être admis au Canada. On lui a offert des services de traduction qu'il a refusés. On lui a offert la possibilité de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, qu'il a refusée. On ne peut dire qu'il y a eu en l'espèce manquement au principe de justice fondamentale.

L'avocat de l'appelant cite l'arrêt Kaur4 à l'appui d'un argument selon lequel l'article 7 de la Charte opère de façon à conférer la compétence de rouvrir cette décision. Je ne crois pas que l'arrêt Kaur, qui traite des pouvoirs d'un arbitre en matière d'immigration, soit applicable dans le contexte de l'espèce. Il y a trois raisons à cela. Tout d'abord, la loi confère aux arbitres en matière d'immigration des pouvoirs très étendus, que ne possèdent pas les agents d'immigration principaux, notamment la "compétence exclusive pour connaître et décider des questions de droit et de fait, y compris les questions de compétence" qui sont soulevées dans les procédures instruites devant eux5 . Par contraste, les agents d'immigration principaux n'ont pas compétence pour répondre à des questions juridiques ou constitutionnelles6 et la Loi dispose expressément qu'ils n'ont pas compétence pour rouvrir une décision de renvoyer une personne du Canada. En l'espèce, l'appelant demande que l'agente principale réexamine la décision au motif que certains droits juridiques, comme le déni de justice naturelle, justifient d'infirmer cette décision afin de l'autoriser à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. C'est précisément le genre de considération juridique qui échappe à la compétence d'un agent d'immigration. Les agents principaux ne peuvent réentendre et réexaminer une décision que si la Cour le leur ordonne par suite d'un contrôle judiciaire. Deuxièmement, dans l'affaire Kaur, le jugement majoritaire et les décisions concordantes mettent l'accent sur la contrainte qui a été exercée sur la requérante au cours de l'enquête, dans un contexte où un pouvoir de réouverture était expressément prévu. En l'espèce, le dossier ne révèle aucune contrainte et aucun pouvoir de réouverture de la part de M. Raman. Finalement, dans l'arrêt Kaur, la Cour a statué que la requérante avait été "effectivement privée de la possibilité de prendre une décision libre et éclairée relativement à la revendication de statut de réfugiée"7. En l'espèce, le dossier n'indique pas qu'on a exercé une contrainte sur l'appelant, l'empêchant ainsi de prendre une décision libre et indépendante concernant la possibilité de revendiquer le statut de réfugié. Bien que l'on puisse soutenir que l'appelant a été mal informé concernant le moment le plus approprié pour revendiquer le statut de réfugié, je ne vois pas comment cela peut le décharger de son obligation de dire la vérité quand il se présente à la frontière d'un pays. Un agent principal n'a aucunement l'obligation de reconsidérer les déclarations de personnes qui refusent de se prévaloir de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié.

Comme je l'ai déjà dit, les exigences des principes prévus à l'article 7 de la Charte dans les circonstances sont limitées. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs précisé quelles étaient ces limites dans l'arrêt R. c. Monney8. Dans cette affaire, à son arrivée à l'Aéroport international Pearson, l'intimé Monney s'était présenté aux agents des douanes, qui ont eu des doutes sur la véracité de son récit et qui l'ont détenu jusqu'à ce qu'il consente à donner un échantillon d'urine, qui a révélé qu'il avait ingéré de l'héroïne pour la faire entrer clandestinement au Canada. La Cour suprême a unanimement et sans équivoque noté les normes très peu élevées que la Charte impose dans les cas des fouilles à la frontière9. En outre, le juge Iacobucci a expressément rejeté l'argument selon lequel l'article 7 de la Charte était contesté dans ce cas, malgré le fait que M. Monney courait un certain risque médical (après avoir ingéré 84 boulettes d'héroïne). Il écrit ceci [aux pages 685 et 686]:

L'intimé prétend que, en négligeant de faire en sorte qu'il soit détenu sous surveillance médicale constante, les agents des douanes ont mis sa vie en danger dans des conditions incompatibles avec les droits constitutionnels que lui garantit l'art. 7 de la Charte. Dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, notre Cour a statué que les actes de l'État qui auront probablement pour effet de détériorer la santé d'une personne entraînent l'application du droit à la sécurité de la personne garanti par l'art. 7. Toutefois, dans le présent pourvoi, l'intimé prétend que cette garantie constitutionnelle comportait l'obligation pour l'État de le mettre sous surveillance médicale en raison des risques qu'il avait lui-même créés pour sa santé, et ce malgré le fait qu'il avait lui-même refusé les soins médicaux qu'on lui offrait.

Comme l'a souligné le juge Weiler, bien que l'intimé ait été privé de sa liberté durant la période de détention, il n'a pas été privé de la liberté de prendre ses propres décisions à l'égard de sa santé, que ces décisions aient été dans son intérêt ou non. Les agents des douanes lui ont expressément demandé s'il se sentait bien et lui ont indiqué clairement qu'il pouvait obtenir de l'aide médicale en tout temps et sans conditions. Bien qu'il eût été préférable que les agents des douanes suivent la politique officielle des douanes, comme l'a indiqué l'expert dans son témoignage, ils ont pris des mesures raisonnables pour veiller à la sécurité de l'intimé en surveillant son état et en lui offrant expressément l'accès à des soins médicaux. La protection constitutionnelle du droit à la vie et à la sécurité de la personne prévu par l'art. 7 de la Charte n'oblige pas à assurer la surveillance médicale d'un suspect en détention durant une "veille au haricot" passive, lorsque ce dernier refuse l'aide médicale qui lui est offerte [Citation omise, soulignement ajouté.]

En l'espèce, on a demandé à l'appelant s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, et il a décliné cette offre. Si le refus d'attention médicale est suffisant pour relever les agents des douanes de l'obligation de protéger une personne, alors le refus conscient et volontaire de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention doit être suffisant pour décharger l'agent principal de ses obligations au niveau constitutionnel. Il est de droit constant que les principes de justice fondamentale dictent des procédures différentes selon les circonstances. Lorsqu'une personne qui n'a pas de statut au Canada refuse à la fois les services de traduction et la possibilité de revendiquer le statut de réfugié, elle peut être renvoyée du Canada moyennant le respect de droits procéduraux minimes. Cette personne est un simple visiteur, et il existe un principe fondamental en droit de l'immigration selon lequel les visiteurs n'ont pas le droit d'entrer ou de demeurer au Canada. Toute personne autre qu'un citoyen canadien, toutefois, doit avoir le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Si une personne revendique à bon droit un tel statut au moment opportun, la Charte lui offre des protections procédurales importantes, mais, en l'espèce, cette revendication n'a pas été faite.

Par conséquent, je suis d'avis de répondre à la première question par la négative. Comme c'est le cas, il n'est pas nécessaire de se pencher sur les deuxième et troisième questions certifiées. Je suis donc d'avis de rejeter l'appel.

Le juge Robertson, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 Les motifs de la Section de première instance sont publiés à (1996), 125 F.T.R. 50, (C.F. 1re inst.).

2 ;Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514 (C.A.), aux par. 56 à 58, p. 536 et 537.

3 [1989] 2 R.C.S. 848, à la p. 862.

4 ;Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.). Voir également Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.), C.A.I., où il était question de délai.

5 Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 80.1(1) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 70]. Voir également art. 80.1(2) [édicté, idem], 80.1(3) [édicté, idem], 80.1(4) [édicté, idem], et 80.1(5) [édicté, idem].

6 ;Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.).

7 Kaur, précité, note 4, à la p. 218.

8 [1999] 1 R.C.S. 652.

9 Id., aux par. 34, 36 et 38, p. 673 à 675.

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