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T-1373-97

Société canadienne des postes (demanderesse)

c.

André Barrette (défendeur)

et

La Commission canadienne des droits de la personne (intervenante)

T-1375-97

Société canadienne des postes (demanderesse)

c.

Murray Nolan (défendeur)

et

La Commission canadienne des droits de la personne (intervenante)

Répertorié: Société canadienne des postesc. Barrette(1re inst.)

Section de première instance, juge Evans"Toronto, 27 octobre et 16 décembre 1998.

Droit administratif Contrôle judiciaire Décision de la Commission canadienne des droits de la personne d'enquêter sur des plaintes de discriminationLa CCDP a rejeté la demande de l'employeur l'invitant à exercer son pouvoir discrétionnaire accordé par l'art. 41e) de la LCDP de déclarer la plainte irrecevable parce qu'elle a été déposée après l'expiration du délai prescritMalgré la réticence générale à l'égard d'une intervention avant que la procédure administrative ait suivi son cours, la Cour peut mettre fin à l'enquête ouverte par la Commission lorsque les avantages d'une décision à cette étape l'emportent sur les coûts qui accompagnent une intervention judiciaire hâtiveAinsi qu'il est prévu à l'art. 41 de la LCDP, la CCDP statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un ou plusieurs des cinq motifs énumérés dans cette dispositionLa Commission a, à première vue, l'obligation de statuer sur une plainte et elle a le pouvoir discrétionnaire d'instruire une plainte visée par l'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'art. 41 " Il appartient à la CCDP de décider si une plainte relève de l'un de ces motifs " Cela confirme que la Cour ne devrait pas scruter à la loupe la décision de la CCDP d'instruire une plainteComme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, la Cour hésite à conclure que la CCDP a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptionsUn examen judiciaire attentif est justifié lorsque la CCDP décide de ne pas examiner une plainte, puisqu'il s'agit normalement d'une décision définitive.

Droits de la personneContrôle judiciaire de la décision de la CCDP d'enquêter sur des plaintes de discrimination fondée sur la déficience bien qu'elles aient été déposées après l'expiration du délai prescritEn vertu de l'art. 41e) de la LCDP, la CCDP statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins que la plainte n'ait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstancesLe défendeur Nolan a déposé sa plainte dix mois après l'expiration du délai d'un an qui s'applique à moins que la CCDP n'exerce son pouvoir discrétionnaire d'accorder un délai supérieurLa Cour peut annuler une décision d'instruire une plainte en vertu de l'art. 41e) uniquement si elle est convaincue que la CCDP a visiblement refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire ou si l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire était manifestement déraisonnable1) (i) Le rapport d'enquête sur lequel la CCDP a fondé sa décision d'instruire la plainte malgré l'expiration du délai prescrit comportait des lacunes parce qu'il ne prenait pas en considération la question de l'intérêt que la plainte revêt pour le public, ainsi que l'exige le Guide de mise en œuvreToutefois, l'inobservation d'une condition formelle non législative ne constitue pas une erreur de droit(ii) Bien que ni le rapport relatif à l'art. 41 ni la lettre de décision de la CCDP n'expliquent pourquoi la CCDP a décidé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'art. 41e), la CCDP n'est pas tenue par la loi d'exposer les motifs pour lesquels elle donne suite à une plainte en dépit d'une objection fondée sur l'art. 41, et l'obligation d'équité qui lui incombe ne l'oblige pas à fournir un exposé détaillé des motifs pour lesquels elle a décidé de mener une enquêteLa CCDP n'a pas commis d'erreur de droit ni exercé abusivement son pouvoir discrétionnaire en décidant de proroger le délai de deux mois de façon à pouvoir statuer sur la plainte du défendeur Barrette2) On ne peut déduire du défaut de la CCDP de traiter la question de savoir si elle devrait enquêter sur une plainte apparemment entachée de mauvaise foi qu'elle ne l'a pas examinéeLa Cour ne devrait pas imposer à cette première étape des normes procédurales rigoureuses à la CCDP3) Comme le défendeur Nolan invoquait dans sa plainte un motif de distinction illicite prévu par la LCDP et comme les faits soumis à la CCDP étaient limités, la décision de la CCDP de mener une enquête n'était pas manifestement déraisonnable.

Fin de non-recevoirL'exception de chose jugée s'applique-t-elle de manière à empêcher la Commission canadienne des droits de la personne de mener une enquête sur des plaintes qui ont déjà été rejetées par des arbitres?Il ressort de l'art. 41a) (qui soustrait la CCDP à l'obligation de statuer sur une plainte si les procédures d'appel ou de règlement des griefs n'ont pas été épuisées) que le législateur a songé à la possibilité d'un chevauchement entre la procédure de la CCDP et la procédure de règlement des griefs, et qu'il a accordé à la CCDP le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête tant que ce mécanisme de recours n'a pas été épuiséS'il avait également voulu donner à la CCDP le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête une fois que ce mécanisme a été épuisé, il l'aurait dit expressémentMême en supposant que la décision d'un arbitre peut empêcher à jamais la CCDP de mener une enquête, c'est uniquement après un examen approfondi de toutes les circonstances qu'il sera possible de décider si l'exception de chose jugée devrait s'appliquerOn ne peut exiger de la CCDP qu'elle procède, à cette étape préliminaire, à l'enquête approfondie des faits et du droit afin de décider s'il convient d'appliquer l'exception de chose jugéeC'est une question qui devrait être examinée seulement après que la CCDP a enquêté sur la plainteLa CCDP ne peut pas refuser d'enquêter sur une plainte au motif que le plaignant a exercé un recours devant un arbitre en relations du travail, qui a rejeté son grief.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne d'enquêter sur les plaintes de discrimination fondée sur la déficience déposées par les défendeurs.

Pendant qu'il travaillait comme facteur, Nolan a été reconnu coupable d'exhibitionnisme en 1984 et en 1990 et d'exhibitionnisme dans un lieu public en 1995. Le 17 février 1995, Postes Canada l'a congédié au motif que sa conduite était inacceptable. Il a contesté son congédiement au moyen d'un grief qui reposait sur le fait qu'il avait été congédié en raison d'une inconduite en dehors des heures de travail qui était sans rapport avec sa capacité de fournir un bon rendement au travail. Un arbitre a rejeté son grief le 15 janvier 1996. Dans sa plainte déposée le 17 octobre 1996, Nolan a prétendu qu'en le congédiant, Postes Canada avait exercé contre lui une discrimination fondée sur la déficience; en particulier, il a invoqué un trouble psychologique qui se manifestait dans la compulsion à s'exposer et à se masturber en public lorsqu'il ressentait un stress.

Barrette ne pouvait pas remplir les fonctions de son poste de surveillant parce qu'il souffrait d'hypertension. Il a été muté mais a perdu son ancienneté à Postes Canada. En décembre 1993, il a contesté par voie de grief le refus de Postes Canada de le rétablir dans ses anciennes fonctions de surveillant. Notant que Barrette avait "pratiquement dicté" la lettre que son médecin a signée et dans laquelle il était mentionné que M. Barrette ne souffrait plus d'une incapacité permanente, un arbitre a rejeté son grief le 10 juin 1996. Barrette a signé une plainte à la Commission le 26 août 1996, soit quatorze mois après le dernier acte discriminatoire qui aurait été commis.

Dans chacun des litiges, la Commission a rejeté la demande par laquelle Postes Canada l'invitait à exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de déclarer la plainte irrecevable parce qu'elle a été déposée après l'expiration du délai prescrit. L'alinéa 41e) soustrait la Commission à l'obligation d'enquêter sur une plainte qui a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, "ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances".

Les questions litigieuses sont les suivantes: 1) Une intervention judiciaire, avant même l'ouverture d'une enquête par la Commission, dans la procédure administrative qui peut déboucher sur le prononcé d'une décision sur les droits des parties, est-elle opportune? 2) La Commission a-t-elle omis d'exercer en conformité avec la loi le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 41e) d'enquêter sur les plaintes, même si elles ont été déposées plus d'un an après la perpétration des derniers actes discriminatoires sur lesquels elles étaient fondées? 3) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant d'enquêter sur la plainte de M. Barrette, même si elle était entachée de mauvaise foi? 4) La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant d'enquêter sur la plainte de M. Nolan, qui était fondée sur un motif de distinction illicite que n'interdisait pas la Loi, soit une déclaration de culpabilité au criminel? 5) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si l'exception de chose jugée rendait les plaintes irrecevables du fait des sentences arbitrales?

Jugement: la demande doit être rejetée.

1) Malgré une réticence générale à l'égard d'une intervention avant que la procédure administrative ait suivi son cours, la Cour peut mettre fin à l'enquête ouverte par la Commission lorsque les avantages d'une décision à cette étape-ci de la procédure, notamment empêcher que l'objet de la plainte fasse l'objet d'une contestation inutile, l'emportent sur les coûts qui accompagnent habituellement une intervention judiciaire hâtive. La Commission a, à première vue, l'obligation de statuer sur une plainte, elle a le pouvoir discrétionnaire d'instruire une plainte visée par l'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, et il lui appartient de décider si une plainte relève de l'un de ces motifs. Cela confirme que la Cour ne devrait pas scruter à la loupe la décision de la Commission d'instruire une plainte.

La rédaction de l'article 41 est telle que de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la Commission: cette faculté est incompatible avec l'idée qu'on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit aux employeurs et autres mis en cause de ne pas faire l'objet d'une enquête dans des circonstances précises. La Commission peut quand même instruire la plainte si elle le veut. Bien que les mis en cause soient sans aucun doute avantagés par l'existence des motifs énumérés à l'article 41, on peut également considérer que ces motifs ont été édictés pour permettre à la Commission de répartir efficacement ses ressources limitées. De plus, comme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, d'où sa qualification de texte quasi constitutionnel, une cour de justice devrait hésiter à conclure que la Commission a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptions à l'obligation que lui impose la loi d'instruire les plaintes de discrimination. Par contre, il est discutable qu'un examen judiciaire attentif soit justifié lorsque la Commission décide de ne pas examiner une plainte, puisqu'il s'agit normalement d'une décision définitive.

2) Comme l'objet de la Loi est de promouvoir l'égalité, la Cour devrait annuler une décision d'instruire une plainte en vertu de l'alinéa 41e) uniquement si elle est convaincue que la Commission a visiblement refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire ou si l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire était manifestement déraisonnable.

(i) Postes Canada a soutenu que le rapport d'enquête, sur lequel la Commission a fondé sa décision d'instruire la plainte de M. Nolan malgré l'expiration du délai d'un an, comportait des lacunes parce qu'il ne traitait pas les trois questions qui, d'après le Guide de mise en œuvre, document non législatif rendu public par la Commission en 1994, doivent être prises en considération lorsqu'est exercé le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti, à savoir le préjudice occasionné au mis en cause par le dépôt tardif, l'importance du retard et les explications avancées, et l'intérêt que la plainte elle-même revêt pour le public. Le rapport d'enquête était silencieux sur l'intérêt que la plainte elle-même revêt pour le public. Toutefois, cette lacune ne constitue pas une erreur de droit qui justifie l'intervention de la Cour. Même si le Guide avait été rendu public en vertu d'un pouvoir conféré par la loi, l'inobservation d'une condition formelle précisant les questions qui doivent être traitées dans un rapport d'enquête relatif à l'article 41 n'invaliderait pas forcément la décision subséquente de la Commission d'enquêter sur la plainte. Comme le rapport "porte" sur deux des trois facteurs mentionnés dans le Guide, c'est suffisant pour conclure à un respect en substance, surtout compte tenu de la nature préliminaire du rapport et du fait que l'employeur aura la possibilité de présenter d'autres observations à la Commission avant qu'elle ne se prononce sur l'opportunité de donner suite à la plainte. L'inobservation d'une condition formelle non législative de cette nature constitue encore moins une erreur de droit. Les observations que Postes Canada a soumises à la Commission après avoir reçu le rapport relatif à l'article 41 ne précisaient pas en quoi Postes Canada serait lésée par une prorogation de délai. Postes Canada ne peut pas contester maintenant cette décision au motif qu'elle a subi un préjudice dont elle n'a pas fait état à la Commission.

(ii) Bien que ni le rapport relatif à l'article 41 ni la lettre de décision de la Commission n'expliquent pourquoi, dans le cas de M. Nolan, la Commission a décidé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 41e), la Commission n'est pas tenue par la loi d'exposer les motifs pour lesquels elle donne suite à une plainte en dépit d'une objection fondée sur l'article 41, et l'obligation d'équité ne fait pas en sorte que la Commission doit fournir un exposé détaillé des motifs pour lesquels elle a simplement décidé de mener une enquête. La Cour a un rôle très limité dans le cadre du contrôle de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par la Commission, surtout à cette étape préliminaire. La Commission n'a pas tenu aucun compte de facteurs tellement importants que cette décision devrait être annulée au motif qu'elle est mal fondée en droit.

Pour les motifs qui précèdent, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ni exercé abusivement son pouvoir discrétionnaire en décidant de proroger le délai de deux mois de façon à pouvoir statuer sur la plainte de M. Barrette.

3) On ne pourrait déduire du défaut de la Commission de traiter la question de la mauvaise foi dans sa lettre que la Commission ne l'a pas examinée, surtout que celle-ci mentionne expressément dans cette lettre qu'elle a pris en considération la lettre dans laquelle Postes Canada exposait ses observations. Le fait pour la Cour d'imposer des normes procédurales rigoureuses à la Commission et d'examiner à la loupe ses décisions à l'étape prévue à l'article 41 ou à l'étape de la sélection aurait pour effet de nuire indûment à la capacité de la Commission de réaliser avec rapidité et efficacité son mandat d'origine législative.

4) La Commission n'a pas mené d'enquête sur les circonstances du congédiement de M. Nolan; prouver le motif du congédiement soulève des questions de fait et de droit sur lesquelles il serait tout à fait inopportun que la Cour se prononce à cette étape préliminaire de la procédure administrative. Comme M. Nolan invoquait dans sa plainte un motif de distinction illicite prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne et comme les faits soumis à la Commission étaient très limités, la décision de la Commission de mener une enquête n'était pas manifestement déraisonnable. De plus, le défaut de la Commission d'examiner l'observation de Postes Canada sur ce point n'invalide pas sa décision de statuer sur la plainte.

5) Le pouvoir de statuer sur des questions en matière de droits de la personne est accessoire à la compétence générale des arbitres en relations du travail à l'égard de différends régis par une convention collective, alors que la tenue d'une enquête sur une plainte de discrimination et le prononcé d'une décision à cet égard sont au cœur même du mandat des tribunaux des droits de la personne créés par la loi. En raison des responsabilités publiques conférées par les législatures aux décideurs nommés par la loi et du processus décisionnel axé sur l'objet, on hésite beaucoup à appliquer l'exception de chose jugée au règlement des plaintes en matière de droits de la personne par des tribunaux spécialisés. L'argument voulant qu'on applique l'exception de chose jugé à l'étape de l'article 41, avant l'ouverture de l'enquête, semble encore moins convaincant. Il ressort de l'alinéa 41a) que le législateur a songé à la possibilité d'un chevauchement entre la procédure de la Commission et la procédure de règlement des griefs ouverte au plaignant, et qu'il a accordé à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête si le plaignant n'a pas épuisé ce mécanisme de recours. S'il avait également voulu donner à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête une fois que ce mécanisme a été épuisé, il l'aurait dit, au lieu de laisser la Commission se prononcer sur cette question en vertu de la disposition relative à la compétence générale prévue à l'alinéa 41c). Deuxièmement, en ce qui concerne l'hypothèse selon laquelle la décision d'un arbitre peut empêcher à jamais la Commission ou le tribunal de mener une nouvelle enquête, c'est uniquement après un examen approfondi de toutes les circonstances qu'il sera possible de décider si l'exception de chose jugée devrait s'appliquer dans un cas donné. Parmi les questions à examiner, il y aurait la compétence de l'arbitre et les recours qui peuvent être exercés; la suffisance de l'enquête et la représentation par le syndicat et l'existence possible de considérations en matière de relations du travail qui sont étrangères à l'enquête prévue par la loi et au règlement des plaintes en matière de droits de la personne; et l'identité des questions en litige et des parties. L'article 41 vise à permettre à la Commission d'écarter les plaintes qui sont manifestement mal fondées quant aux faits ou en droit, ou sur lesquelles elle ne devrait normalement pas statuer à cette étape-là. Il serait à la fois indûment lourd et générateur de retards inutiles d'exiger de la Commission qu'elle procède à cette étape préliminaire de la procédure à l'enquête approfondie et à l'évaluation des questions de fait et de droit qui pourraient être nécessaires avant qu'elle soit en mesure de décider s'il convient d'appliquer l'exception de chose jugée. Cette question devrait être examinée seulement si la Commission a enquêté sur la plainte, lorsque, "compte tenu des circonstances relatives à la plainte", ainsi qu'il est prévu aux sous-alinéas 44(3)a )(i) et b)(i), elle peut décider soit de renvoyer la plainte au tribunal si ce renvoi est justifié, soit de rejeter la plainte.

Il serait particulièrement inapproprié d'exiger de la Commission qu'elle envisage d'appliquer l'exception de chose jugée à M. Nolan, qui n'a pas fait valoir devant l'arbitre qu'il avait été congédié pour un motif de distinction illicite, soit la déficience, parce que cela soulèverait encore une autre série de questions comme la raison pour laquelle il n'a pas invoqué la déficience devant l'arbitre et s'il était raisonnable de ne pas l'avoir fait.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 22(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56), (2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3(1), 7, 41 (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34), 44(3)a)(i) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64), b)(i) (mod., idem).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 31.

Loi sur les normes d'emploi, L.R.O. 1980, ch. 137.

jurisprudence

décisions appliquées:

British Columbia v. Tozer, [1998] B.C.J. no 2594 (C.S.) (QL); Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1997), 130 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Boudreault c. Canada (Procureur général) (1995), 99 F.T.R. 293 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec:

Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; (1995), 125 D.L.R. (4th) 583; 30 Admin. L.R. (2d) 1; 12 C.C.E.L. (2d) 1; 24 C.C.L.T. (2d) 217; 95 CLLC 210-027; 30 C.R.R. (2d) 1; 183 N.R. 241; 82 O.A.C. 321; Rasanen v. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267; 112 D.L.R. (4th) 683; 1 C.C.E.L. (2d) 161; 94 CLLC 14,024; 68 O.A.C. 284 (C.A.).

décisions examinées:

Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 251; 36 C.C.E.L. 83; 91 CLLC 17,016; 43 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Charlebois c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Commission de transport régional d'Ottawa-Carleton), [1998] F.C.J. no 1335 (1re inst.) (QL).

décisions citées:

Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574; (1994), 73 F.T.R. 161 (1re inst.); Newfoundland Association of Public Employees c. Terre-Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 R.C.S. 3; (1996), 134 D.L.R. (4th) 1; 39 Admin. L.R. (2d) 1; 196 N.R. 212.

doctrine

Abramsky, R. H. "The Problem of Multiple Proceedings: An Arbitrator's Perspective" in Labour Arbitration Yearbook 1996-97, 45.

Adell, Bernard. "The Rights of Disabled Workers at Arbitration and under Human Rights Legislation" (1993), 1 Can. Lab. Law J. 46.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne d'enquêter sur deux plaintes de discrimination fondée sur la déficience bien que des arbitres les aient rejetées et qu'elles aient été déposées après l'expiration du délai prescrit. Demande rejetée.

ont comparu:

Paula M. Rusak pour la demanderesse.

Odette Lalumière pour l'intervenante.

André Barrette en son nom personnel.

Murray Nolan en son nom personnel.

avocats inscrits au dossier:

Matthews, Dinsdale & Clark, Toronto, pour la demanderesse.

Commission canadienne des droits de la personne, Avocate, Ottawa, pour l'intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans:

A. Introduction

La présente demande de contrôle judiciaire est présentée par la Société canadienne des postes (ci-après Postes Canada) en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5) et vise à obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après la Commission) d'enquêter sur les plaintes de discrimination déposées par M. André Barrette, un employé de Postes Canada, et M. Murray Nolan, un ancien employé (dossiers nos T-1373-97 et T-1375-97 respectivement). Les plaignants, qui sont les défendeurs à l'instance, soutiennent que Postes Canada a exercé contre eux une discrimination fondée sur la déficience en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (modifiée) (ci-après la LCDP).

Par une ordonnance rendue le 20 octobre 1997, Mme le juge Tremblay-Lamer a autorisé la Commission à intervenir dans les deux affaires afin d'expliquer quelle était sa compétence et quels étaient les documents en sa possession lorsqu'elle a pris les décisions.

Bien que les présentes demandes de contrôle judiciaire ne se rapportent pas aux mêmes événements et soient factuellement distinctes, elles soulèvent des questions juridiques similaires. Par conséquent, elles ont été réunies par une ordonnance rendue par le juge Richard (alors juge puîné) le 1er mai 1998.

B. Le contexte

(i) La plainte de Murray Nolan

M. Nolan a commencé à travailler comme facteur pour Postes Canada en 1976. Il a été reconnu coupable d'exhibitionnisme en 1984 et a obtenu une absolution inconditionnelle. Il a été reconnu coupable relativement à deux chefs d'exhibitionnisme en 1990, et il a été condamné à trois mois de prison et mis en probation pendant deux ans.

Postes Canada a avisé M. Nolan, après sa déclaration de culpabilité en 1990, qu'elle avait mis fin à son emploi de facteur le 10 avril 1990. La lettre de cessation d'emploi précisait:

[traduction] [. . .] le 10 avril 1990, vous avez été condamné à deux peines d'emprisonnement concurrentes de trois mois chacune. Ces sentences vous ont été imposées après que vous avez reconnu votre culpabilité à des infractions d'exhibitionnisme commises envers de très jeunes femmes dans la région de Saint-Jean les 15 et 18 février 1990. En conséquence de votre conduite criminelle, la Société a décidé de mettre fin à votre emploi le 10 avril 1990. Cette mesure est prise pour protéger la Société, ses employés et ses clients.

Le 12 novembre 1991, M. Nolan a été reconnu coupable d'avoir violé une condition de son ordonnance de probation en se trouvant seul dans une voiture, situation qui s'apparentait à de l'exhibitionnisme pour M. Nolan.

M. Nolan a contesté sa cessation d'emploi au moyen d'un grief déposé en vertu de la convention collective. Dans une décision en date du 14 janvier 1992, l'arbitre a remplacé la cessation d'emploi par une suspension sans traitement ni avantages sociaux pendant une période d'un an commençant le 9 juin 1990, et il a ordonné que M. Nolan soit rétabli dans ses fonctions de facteur le 10 juin 1991.

Le 6 février 1995, M. Nolan a de nouveau été reconnu coupable d'exhibitionnisme dans un lieu public. Par voie de lettre en date du 17 février 1995, Postes Canada a avisé M. Nolan qu'il était congédié au motif que sa conduite était inacceptable, même si l'infraction dont il s'était rendu coupable avait été commise ailleurs qu'au travail. Postes Canada a déclaré qu'elle se souciait de sa réputation au sein de la collectivité.

Le 15 mars 1995, le Syndicat des postiers du Canada (SPC), qui représentait M. Nolan, a déposé un grief dans lequel il était reproché à Postes Canada d'avoir congédié M. Nolan en violation de la convention collective. Dans une décision datée du 15 janvier 1996, un arbitre a conclu que même si M. Nolan avait commis l'infraction reprochée en dehors des heures de travail, sa conduite et la déclaration de culpabilité prononcée contre lui nuiraient aux intérêts légitimes de Postes Canada et à la capacité de M. Nolan de continuer de travailler. L'arbitre a également conclu qu'il n'avait été saisi d'aucun élément de preuve lui permettant de conclure qu'il y avait peu de chances que M. Nolan récidive. Par conséquent, l'arbitre a rejeté le grief et confirmé la décision de Postes Canada de congédier M. Nolan.

Sur réception de cette décision, M. Nolan s'est plaint auprès de la Commission qu'en le congédiant, Postes Canada avait exercé contre lui une discrimination fondée sur la déficience en violation de l'article 7 de la LCDP. En particulier, il a soutenu que la conduite à l'origine des déclarations de culpabilité était due à un trouble psychologique qui, dans son cas, se manifestait dans la compulsion à s'exposer et à se masturber en public lorsqu'il ressentait un grand stress. M. Nolan a signé son formulaire de plainte le 17 octobre 1996, soit une vingtaine de mois après son congédiement, qui constitue le dernier acte discriminatoire présumé.

Dans une lettre en date du 29 mai 1997, la Commission a rejeté la demande par laquelle Postes Canada l'invitait à exercer le pouvoir discrétionnaire accordé par plusieurs alinéas de l'article 41 de la LCDP de déclarer la plainte irrecevable sans mener d'enquête. Dans cette lettre, la Commission se référait à un seul des motifs invoqués par Postes Canada pour lui demander de déclarer la plainte irrecevable, soit le dépôt de la plainte après l'expiration du délai prescrit.

(ii) La plainte de André Barrette

M. Barrette est au service de Postes Canada à Sudbury (Ontario) depuis le mois de novembre 1970. Il a d'abord été commis des postes à temps plein, puis il est devenu surveillant intérimaire et membre de l'Association des officiers des postes du Canada (AOPC) en 1987. En février 1988, il a été nommé au poste à temps plein de surveillant du centre de traitement du courrier de Sudbury. M. Barrette a déclaré qu'en septembre 1992, il a commencé à avoir des problèmes de santé; un diagnostic d'hypertension a été posé. Son état a coïncidé avec la démécanisation du centre de Sudbury et le retour au tri manuel du courrier, de sorte que M. Barrette a été incapable de faire son travail correctement.

En septembre 1993, M. Barrette a rencontré une spécialiste de la réadaptation professionnelle au service de Postes Canada, Mme Thiessen, après que le médecin-conseil eut fourni un diagnostic à Postes Canada. Il était précisé dans le rapport de diagnostic que M. Barrette souffrait d'hypertension et que ce problème de santé permanent le rendait inapte à surveiller d'autres employés, ainsi que l'exigeaient les fonctions du poste qu'il occupait. Cette conclusion s'appuyait sur une discussion entre le médecin de Postes Canada et le psychiatre de M. Barrette.

Forte de ces renseignements, et après avoir rencontré M. Barrette et son représentant syndical, Mme Thiessen a cherché un poste que M. Barrette pourrait occuper, avec ou sans prise en considération de son état de santé. Au cours de la procédure d'arbitrage, Mme Thiessen a témoigné que, dans un cas semblable, elle essaie de trouver un poste dans l'une ou l'autre des unités de négociation qui comporte un traitement, des heures de travail et des avantages sociaux comparables. Elle a fini par trouver un autre poste pour M. Barrette et celui-ci a pu conserver son statut d'employé à temps plein; il travaille actuellement comme maître de poste intérimaire. Il a toutefois perdu son ancienneté à Postes Canada.

M. Barrette a contesté par voie de grief le refus de Postes Canada de le rétablir dans ses anciennes fonctions de surveillant parce qu'elle n'était pas convaincue de la disparition du problème de santé ayant donné lieu au retrait de M. Barrette. Dans un grief déposé le 22 décembre 1993, M. Barrette a soutenu que Postes Canada avait exercé contre lui une discrimination fondée sur la déficience en refusant de tenir compte de sa situation et en lui refusant des possibilités d'emploi, acte discriminatoire visé à l'article 7 de la LCDP. Le syndicat a prétendu que l'hypertension dont souffrait M. Barrette était également liée à un trouble du sommeil. Toutefois, Postes Canada a produit une preuve médicale selon laquelle il était douteux que le traitement de ce trouble puisse soulager le principal problème de M. Barrette, l'hypertension, que la surveillance d'employés avait aggravé.

Dans une décision en date du 10 juin 1996, l'arbitre a conclu que M. Barrette n'avait pas prouvé qu'un changement s'était produit dans les faits ayant entraîné la perte de son poste de surveillant. L'arbitre a notamment fait référence au témoignage de M. Barrette selon lequel il avait dicté la note signée par son psychiatre mentionnant qu'il était apte à retourner au travail, ainsi qu'au fait que M. Barrette avait retiré son consentement en ce qui concerne la communication par son psychiatre de renseignements médicaux à Postes Canada.

L'arbitre a statué qu'une fois qu'il était prouvé que M. Barrette ne pouvait pas remplir les fonctions de son poste de surveillant à cause de sa déficience, Postes Canada n'était pas obligée de continuer de l'employer, mise à part son obligation de tenir compte dans la mesure du possible de sa situation, obligation dont elle s'était acquittée en le mutant à un poste comparable qu'il était apte à occuper.

Insatisfait de cette décision, M. Barrette a déposé une plainte auprès de la Commission le 3 juillet 1996, soit quatorze mois après le dernier acte discriminatoire qu'aurait commis Postes Canada en refusant de le rétablir dans ses fonctions de surveillant. M. Barrette a signé la plainte le 26 août 1996.

Invoquant plusieurs motifs d'irrecevabilité prévus à l'article 41 de la LCDP, Postes Canada a demandé à la Commission de ne pas enquêter sur la plainte. Le 29 mai 1997, la Commission a décidé de donner suite à la plainte, mais elle a fait référence à un seul des motifs invoqués par Postes Canada, soit le fait que la Commission ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d'enquêter sur une plainte déposée après l'expiration du délai imparti.

C. Le cadre législatif

Les dispositions de la LCDP qui sont pertinentes en l'espèce sont les suivantes [alinéa 41e) (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34)]:

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur [. . .] la déficience.

[. . .]

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

[. . .]

41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

La convention collective applicable à M. Nolan contenait la disposition suivante:

5.01. Il est convenu qu'il ne doit pas y avoir de discrimination, d'ingérence, de restriction, de coercition, de harcèlement, d'intimidation ni de sanction disciplinaire plus sévère à l'endroit d'une employée ou d'un employé du fait de son âge, de sa race, de ses croyances, de sa couleur, de son origine ethnique, de son appartenance politique ou religieuse, de son sexe, d'un handicap physique, de troubles affectifs, de son orientation sexuelle, de son état matrimonial, de sa situation de famille, de sa situation de personne graciée, de son adhésion au Syndicat ou de son activité au sein de celui-ci. [Soulignement ajouté.]

Les griefs de MM. Nolan et Barrette ont fait l'objet d'arbitrages en vertu de la partie I du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (modifié), dont les dispositions suivantes [le paragraphe 22(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56)] ont une incidence en l'espèce:

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action"décision, ordonnance ou procédure"du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure:

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto.

C. Les questions en litige

L'avocate de la demanderesse a déclaré que ces faits soulevaient les questions juridiques suivantes:

1. La Commission a-t-elle omis d'exercer en conformité avec la loi le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 41e) de la LCDP d'enquêter sur les plaintes, même si elles ont été déposées plus d'un an après la perpétration des derniers actes discriminatoires sur lesquels elles étaient fondées?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant d'enquêter sur la plainte de M. Barrette, même si elle était entachée de mauvaise foi?

3. La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant d'enquêter sur la plainte de M. Nolan, qui était fondée sur un motif de distinction illicite que n'interdisait pas la Loi, soit une déclaration de culpabilité au criminel?

4. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si l'exception de chose jugée (issue estoppel) rendait les plaintes irrecevables du fait des sentences arbitrales?

D. Analyse

La question prépondérante: le caractère prématuré

Avant d'examiner ces questions en détail, toutefois, il est important que j'aborde une question fondamentale que l'avocate de la Commission a fait ressortir dans ses observations. Il s'agit de l'opportunité d'une intervention judiciaire dès le début d'une procédure administrative qui peut déboucher sur le prononcé d'une décision sur les droits des parties par un tribunal. Je dois souligner que la demanderesse à l'instance demande à la Cour d'intervenir dans la procédure administrative avant même l'ouverture d'une enquête par la Commission.

Il est acquis que les cours de justice sont de plus en plus réticentes à intervenir même à l'étape ultérieure de la procédure où la Commission, après avoir examiné le rapport d'enquête et les questions juridiques soulevées par la plainte, décide de renvoyer la plainte à un tribunal, qui statuera sur les droits des parties. Pour un exemple récent, voir l'affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.). Cette attitude de réserve vise notamment à éviter la multiplication des recours auxquels la même affaire pourrait donner lieu; à empêcher les retards inutiles dans le traitement des plaintes et le gaspillage des ressources de l'organisme; et à faire en sorte que toute décision rendue dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire soit fondée sur un dossier factuel constitué au terme d'une audience et dans lequel le tribunal expose son point de vue sur les questions en litige. Enfin, la décision du tribunal peut rendre théorique la question sur laquelle le demandeur voulait que la cour se prononce.

Toutefois, malgré cette réticence générale à l'égard d'une intervention avant que la procédure administrative ait suivi son cours, la Cour peut mettre fin à l'enquête ouverte par la Commission lorsque les avantages d'une décision à cette étape-ci de la procédure, notamment empêcher que l'objet de la plainte fasse l'objet d'une contestation inutile, l'emportent sur le genre de coûts dont il vient d'être question qui accompagnent habituellement une intervention judiciaire hâtive. À mon avis, toutefois, une analyse coûts-avantages parviendra rarement à convaincre une cour de justice de l'opportunité d'une intervention avant le prononcé d'une décision par un tribunal spécialisé en conformité avec le texte législatif.

La formulation de l'article 41 confirme que la Cour ne devrait pas scruter à la loupe la décision de la Commission d'instruire une plainte. Ainsi qu'il est prévu à l'article 41 de la LCDP, sous réserve de l'article 40, qui n'est pas pertinent en l'espèce, "la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable" [soulignement ajouté] pour un ou plusieurs des cinq motifs énumérés dans cette disposition. De plus, comme nous le verrons, quelques-uns de ces motifs eux-mêmes sont formulés en des termes qui exigent de la Commission qu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire, soit explicitement soit implicitement, en tenant compte des faits qui lui ont été soumis.

Il est important de rappeler à ce stade-ci que la Commission a, à première vue, l'obligation de statuer sur une plainte, qu'elle a le pouvoir discrétionnaire d'instruire une plainte visée par l'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, et qu'il lui appartient de décider si une plainte relève de l'un de ces motifs.

L'avocate de Postes Canada, Me Rusak, a soutenu que ces motifs d'irrecevabilité devraient être tenus pour édictés dans l'intérêt des employeurs et d'autres mis en cause, et que la Cour devrait faire preuve de vigilance pour faire en sorte que la Commission n'affaiblisse pas ces droits d'origine législative. Ainsi, Me Rusak a affirmé que lorsque la Commission décide de statuer sur une plainte déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels cette plainte est fondée, elle prive le mis en cause d'une immunité que lui accorde, à première vue, la loi contre l'ouverture d'une enquête plus de douze mois après la perpétration du dernier acte discriminatoire présumé. La Commission a donc le fardeau de justifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de supprimer un droit reconnu par la loi.

Je suis incapable d'admettre qu'il s'agit d'une interprétation correcte de l'article 41. D'abord, comme je l'ai mentionné, la rédaction de cette disposition est telle que de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la Commission: cette faculté est incompatible avec l'idée qu'on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit de ne pas faire l'objet d'une enquête dans des circonstances précises. La Commission peut quand même instruire la plainte si elle le veut. Bien que les mis en cause soient sans aucun doute avantagés par l'existence des motifs énumérés à l'article 41, on peut également considérer que ces motifs ont été édictés pour permettre à la Commission de répartir efficacement ses ressources limitées.

De plus, comme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, d'où sa qualification de texte quasi constitutionnel, une cour de justice devrait hésiter à conclure que la Commission a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptions à l'obligation que lui impose la loi d'instruire les plaintes de discrimination. Par contre, il est discutable qu'un examen judiciaire attentif soit justifié lorsque la Commission décide de ne pas examiner une plainte, puisqu'il s'agit normalement d'une décision définitive.

Ces observations préliminaires étant faites, j'en viens aux questions litigieuses particulières que soulèvent les présentes affaires.

Question 1: Le délai imparti pour déposer les plaintes

L'alinéa 41e) soustrait la Commission à l'obligation d'enquêter sur une plainte qui a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, "ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances" [soulignement ajouté]. Comme l'objet de la LCDP est de promouvoir l'égalité, la Cour devrait être disposée à annuler une décision d'instruire une plainte en vertu de cette disposition uniquement si elle est convaincue que la Commission a visiblement refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire ou si l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire était manifestement déraisonnable notamment parce qu'il était fondé sur des considérations qui n'avaient aucun lien logique avec les motifs de l'octroi de ce pouvoir discrétionnaire ou parce qu'il ne tenait aucun compte de questions qui auraient à l'évidence aussi dû être examinées, ou encore parce que la Commission a accordé trop peu de poids à certains facteurs et beaucoup trop de poids à d'autres.

M. Nolan

M. Nolan a été congédié en février 1995 et il a communiqué pour la première fois avec la Commission trois mois plus tard, soit en avril 1995. Un employé de la Commission lui a alors conseillé de recourir à la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective. En agissant ainsi, cet employé songeait sans doute au fait que l'alinéa 41a) soustrait la Commission à l'obligation de statuer sur une plainte si elle estime que le plaignant devrait épuiser "les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouvert[e]s".

Après avoir reçu la décision défavorable de l'arbitre en janvier 1996, M. Nolan a attendu jusqu'en avril pour communiquer à nouveau avec la Commission. Il a signé la plainte en octobre 1996 seulement, et c'est à ce moment-là que Postes Canada en a été avisée. Comme l'avocate de la demanderesse l'a fait remarquer, si M. Nolan avait déposé sa plainte dès la réception de la décision de l'arbitre, il aurait respecté le délai imparti. Il a plutôt déposé sa plainte dix mois après l'expiration du délai d'un an qui s'applique à moins que la Commission n'exerce son pouvoir discrétionnaire d'accorder un délai supérieur.

L'avocate a invoqué plusieurs moyens pour contester la légalité de la décision de la Commission.

(i)  Les lacunes du rapport d'enquête

Il est prévu au chapitre 4.2(4) du Guide de mise en œuvre, document non législatif rendu public par la Commission en 1994, que si un autre mécanisme de grief est ouvert au plaignant, sa plainte n'est pas signée tant que cet autre recours n'a pas été épuisé. Toutefois, si ce recours ne peut être exercé immédiatement, ou si la question des délais prescrits par la LCDP peut entrer en jeu avant la fin de la procédure, la plainte officielle est aussitôt signée et gardée en suspens jusqu'à l'issue de l'autre procédure de recours.

Bien que des demandes de contrôle judiciaire aient été rejetées parce que la Commission avait mis en œuvre sa propre procédure, l'avocate n'a invoqué aucune décision par laquelle on a fait droit à une demande pour la seule raison que la procédure n'avait pas été respectée. De fait, le défaut de mettre en œuvre des lignes directrices non législatives qui ont été formulées pour guider les fonctionnaires dans l'exercice de leurs pouvoirs d'origine législative ne constitue pas en soi une erreur justifiant un contrôle: Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. De plus, le libellé du passage pertinent du Guide montre que ce document a un caractère purement consultatif et non impératif.

Bien que le Guide ne soit pas tout à fait clair sur ce point, j'ai présumé que le mis en cause est avisé au moment du dépôt officiel de la plainte, même si cette plainte doit être "gardée en suspens" jusqu'à l'épuisement de l'autre voie de recours par le plaignant. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la Commission n'a pas suivi le Guide. Ainsi, il n'existe aucun élément de preuve au dossier sur la conversation qu'ont eue M. Nolan et le fonctionnaire de la Commission en avril 1995. Peut-être que ce fonctionnaire a conseillé à M. Nolan de déposer une plainte qui serait gardée en suspens jusqu'à l'issue du grief, mais celui-ci a refusé. Ni la LCDP ni le Guide ne précisent que, dans ces circonstances, une plainte déposée plus tard doit être rejetée.

L'avocate de Postes Canada a également soutenu que le rapport d'enquête, sur lequel la Commission a fondé sa décision d'instruire la plainte malgré l'expiration du délai d'un an, comportait des lacunes parce qu'il ne respectait pas le chapitre 4.2(6) du Guide. En particulier, ce rapport ne traitait pas les trois questions qui, d'après le Guide, doivent être prises en considération lorsqu'est exercé le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti, à savoir le préjudice occasionné au mis en cause par le dépôt tardif, l'importance du retard et les explications avancées, et l'intérêt que la plainte elle-même revêt pour le public.

Dans son rapport, l'enquêteur relate brièvement les faits qui sont à l'origine de la plainte et précise que le grief du plaignant a été rejeté. Il mentionne en outre que rien ne permet de conclure qu'une prorogation de délai serait préjudiciable à Postes Canada et il fait remarquer que Postes Canada a sans doute encore en sa possession les documents relatifs au congédiement puisqu'elle les a utilisés dans le cadre de la procédure d'arbitrage.

Cet énoncé des faits et la mention du fait que le plaignant a eu recours à la procédure d'arbitrage satisfont à l'exigence du Guide selon laquelle les rapports doivent "prendre en considération" l'importance du retard et sa cause.

En mentionnant le fait que Postes Canada avait sans doute encore en sa possession les documents voulus après l'arbitrage, le rapport abordait clairement la question du préjudice qu'une prorogation de délai occasionnerait à Postes Canada. L'avocate a toutefois contesté la conclusion relative à l'absence de préjudice en soutenant que si Postes Canada avait appris l'existence de la plainte plus tôt, elle aurait présenté sa cause différemment devant l'arbitre et aurait soulevé la question de la déficience. À mon avis, cette objection ne démontre pas que le rapport ne "prenait [pas] en considération" la question du préjudice, surtout compte tenu du fait que la lettre en date du 14 février 1997 que Postes Canada a envoyée à la Commission avant le dépôt du rapport d'enquête ne parlait pas d'un préjudice occasionné à l'employeur.

Par contre, comme le rapport est silencieux sur l'intérêt que la plainte elle-même revêt pour le public, on ne saurait affirmer que ce rapport "prenait en considération" cette question ainsi que l'exige le Guide. L'avocate a exprimé la chose différemment lorsqu'elle a dit qu'il n'y a rien dans le rapport qui fournit une justification positive à une prorogation de délai en vertu de l'alinéa 41e ).

Toutefois, je ne suis pas convaincu que cette lacune constitue une erreur de droit qui justifie l'intervention de la Cour. Même si le Guide avait été rendu public en vertu d'un pouvoir conféré par la loi, ce qui n'est pas le cas, l'inobservation d'une condition formelle précisant les questions qui doivent être traitées dans un rapport d'enquête relatif à l'article 41 n'invaliderait pas forcément la décision subséquente de la Commission d'enquêter sur la plainte. Comme le rapport "prend en considération" deux des trois facteurs mentionnés dans le Guide, c'est suffisant pour conclure à un respect en substance, surtout compte tenu de la nature préliminaire du rapport et du fait que l'employeur aura la possibilité de présenter d'autres observations à la Commission avant qu'elle ne se prononce sur l'opportunité de donner suite à la plainte. L'inobservation d'une condition formelle non législative de cette nature constitue encore moins une erreur de droit.

(ii)  La lettre dans laquelle la Commission annonce qu'elle proroge le délai

Lorsque le rapport relatif à l'article 41 a été communiqué aux parties, Postes Canada a présenté à la Commission des observations écrites détaillées sur un certain nombre de points. Sur la question du délai imparti, la principale observation de Postes Canada était que le rapport n'expliquait pas pourquoi la Commission avait décidé de statuer sur une plainte présentée hors délai. La lettre dans laquelle la Commission informait Postes Canada qu'elle avait exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 41e) de donner suite à la plainte n'était pas plus explicite que le rapport d'enquête. Il était également mentionné dans cette lettre que, avant de prendre leur décision, les membres de la Commission avaient pris en considération le rapport d'enquête relatif à l'article 41 et les observations de Postes Canada.

L'avocate de Postes Canada soutient qu'il est possible de déduire de cette lettre que la Commission n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 41e) en conformité avec la loi parce qu'elle n'explique pas pourquoi elle a décidé de donner suite à une plainte qui a été déposé après l'expiration du délai d'un an. Au soutien de cet argument, l'avocate a fait remarquer que le délai d'un an est un avantage d'origine législative dont le mis en cause dans une plainte en matière de droits de la personne ne devrait pas être privé sans raison valable.

Au soutien de cette prétention, l'avocate a invoqué l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 251 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Muldoon a, pour annuler la décision de la Commission de donner suite à une plainte présentée hors délai, fait les remarques suivantes (aux pages 273 et 274):

En ne montrant pas, par sa résolution, l'exercice mûrement réfléchi de son pouvoir, la Commission n'exerce simplement pas le pouvoir que lui attribue l'al. 41e) [. . .]

Il va de soi que si l'employeur doit être privé de l'avantage accordé par le Parlement [à l'alinéa 41e) de la LCDP], la Commission doit donner une indication pertinente ou une explication des raisons pour lesquelles elle a jugé opportun d'en priver l'employeur. Mais la Commission est simplement moribonde sur ce chapitre. Elle n'a pas même pas mentionné ses propres lignes de conduite internes en matière de prorogation de délai.

J'estime toutefois qu'en l'espèce la Commission a expressément examiné des considérations ayant trait à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, y compris celles qui sont contenues dans le Guide, comme l'absence de preuve d'un préjudice occasionné à l'employeur et l'explication du retard du plaignant relativement à la signature d'une plainte officielle. Les observations que Postes Canada a soumises à la Commission après avoir reçu le rapport relatif à l'article 41 ne précisaient pas en quoi Postes Canada serait lésée par une prorogation de délai. Postes Canada ne peut pas contester maintenant cette décision au motif qu'elle a subi un préjudice dont elle n'a pas fait état à la Commission avant que celle-ci ne prenne sa décision.

Il est vrai que ni le rapport relatif à l'article 41 ni la lettre de décision de la Commission n'expliquent pourquoi la Commission a décidé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 41e). Toutefois, la Commission n'est pas tenue par la loi d'exposer les motifs pour lesquels elle donne suite à une plainte en dépit d'une objection fondée sur l'article 41, et je ne pense pas que l'obligation d'équité fait en sorte que la Commission doit fournir un exposé détaillé des motifs pour lesquels elle a simplement décidé de mener une enquête. En ce qui concerne l'argument voulant que la Commission ait le fardeau d'expliquer pourquoi elle a pris la décision d'enquêter sur une plainte déposée hors délai, j'ai déjà mentionné qu'à mon avis les dispositions de l'article 41 qui permettent à la Commission, dans certaines circonstances, de statuer sur une plainte ne devraient pas être tenues pour édictées uniquement dans l'intérêt du mis en cause.

Il ne faut pas oublier que la Cour a un rôle très limité dans le cadre du contrôle de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par la Commission, surtout à cette étape préliminaire de la procédure. Il aurait sans doute été utile d'avoir une explication plus complète de la décision de la Commission de proroger le délai accordé pour déposer la plainte, mais je ne saurais affirmer que la Commission n'a tenu aucun compte de facteurs tellement importants que cette décision devrait être annulée au motif qu'elle est mal fondée en droit.

M. Barrette

Dans l'ensemble, les faits qui se rapportent à la question du délai imparti dans le cas de M. Barrette sont très semblables à ceux qui ont été exposés dans le cas de M. Nolan, tout comme l'est l'objection de Postes Canada à la décision de la Commission d'instruire la plainte. Toutefois, comme M. Barrette a signé la plainte à peine deux mois après l'expiration du délai normal d'un an, l'avocate n'a évidemment pas fait valoir son argument sur ce point aussi vigoureusement que dans le cas de M. Nolan.

Pour les motifs que je viens d'exposer, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ni exercé abusivement son pouvoir discrétionnaire en décidant de proroger le délai de deux mois de façon à pouvoir statuer sur la plainte de M. Barrette.

Question 2: La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne rejetant pas la plainte de M. Barrette en vertu de l'alinéa 41e) au motif qu'elle était entachée de mauvaise foi?

La thèse de Postes Canada sur ce point est que l'arbitre qui a été saisi du grief déposé par M. Barrette en raison du refus de son employeur de le rétablir dans ses anciennes fonctions a conclu, sur la foi du propre témoignage de M. Barrette, qu'il avait [traduction] "pratiquement dicté" la lettre que son médecin a signée et dans laquelle il était mentionné que M. Barrette ne souffrait plus d'une incapacité permanente. De plus, M. Barrette avait retiré à son médecin la permission de discuter de son état de santé avec Postes Canada.

L'avocate a en outre soutenu que lorsque la Commission a pris sa décision, elle n'avait pas été saisie des observations faites par Postes Canada en réponse au rapport d'enquête relatif à l'article 41, auxquelles elle ne fait pas référence dans cette lettre. En effet, la lettre de décision porte uniquement sur la question du délai et n'aborde pas les autres points soulevés par Postes Canada, notamment l'allégation de mauvaise foi. En d'autres termes, l'avocate soutient que la Commission n'a tenu aucun compte de considérations pertinentes pour conclure que "celle-ci estime" que la plainte était entachée de mauvaise foi.

Contrairement à ce que prétend Postes Canada, la Commission mentionne explicitement dans sa lettre qu'elle a pris sa décision après avoir tenu compte, entre autres choses, des observations détaillées présentées par Postes Canada en réponse au rapport relatif à l'article 41. Toutefois, c'est un fait que la lettre de la Commission ne donne pas suite aux observations de Postes Canada sur la question de la mauvaise foi, qui était l'un des trois principaux points mentionnés dans ces observations.

L'avocate de la Commission, Me Lalumière, a déclaré que la Commission n'était pas obligée de traiter chaque aspect des objections formulées sous le régime de l'article 41; le délai était la principale pomme de discorde entre Postes Canada et la Commission, et il était suffisant que la lettre traite cette question. De fait, même après que la Commission a mené une enquête et décidé de ne pas renvoyer la plainte à un tribunal, décision qui est dans les faits définitive pour le plaignant, l'obligation d'équité n'impose pas une norme de rigueur qui oblige la Commission à traiter chaque question soulevée dans la plainte: Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.).

Je commence par la proposition que la Commission n'est nullement tenue par la loi d'exposer les motifs de sa décision de mener une enquête, bien qu'il soit souhaitable pour une saine gestion et par convenance de motiver une décision. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible de déduire du fait que la Commission a fourni des motifs relativement à l'une des observations faites par Postes Canada qu'elle n'a pas tenu compte des autres observations, notamment celles relatives à la mauvaise foi. L'assurance donnée par Me Lalumière que la Commission examinera cette question dans le cadre de son enquête ne dissipe pas la crainte suscitée par l'insuffisance perçue de la lettre de décision.

Malgré tout, je suis incapable de déduire du défaut de la Commission de traiter cette question dans sa lettre que la Commission ne l'a pas examinée, surtout que celle-ci mentionne expressément dans cette lettre qu'elle a pris en considération la lettre dans laquelle Postes Canada exposait ses observations. Une fois de plus, je tiens à souligner que la présente demande de contrôle judiciaire est déposée dès les premières étapes de la procédure administrative et que nous sommes encore très loin du prononcé d'une décision sur les droits de quiconque. En effet, même avant que l'affaire soit entendue, Postes Canada aura de nouveau la possibilité de présenter des observations sur le rapport d'enquête et des recommandations. Le fait pour la Cour d'imposer des normes procédurales rigoureuses à la Commission et d'examiner à la loupe ses décisions à l'étape prévue à l'article 41 ou à l'étape de la sélection aurait pour effet, selon moi, de nuire indûment à la capacité de la Commission de réaliser avec rapidité et efficacité son mandat d'origine législative.

Question 3: La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant d'enquêter sur la plainte de M. Nolan, qui est fondée sur un motif de distinction illicite que n'interdit pas la LCDP, soit une déclaration de culpabilité au criminel?

Postes Canada soutient que M. Nolan a été congédié parce qu'il a été reconnu coupable d'exhibitionnisme à plus d'une reprise. Personne n'a affirmé qu'il est incapable de faire son travail, comme c'est généralement le cas lorsque le véritable motif du congédiement d'un employé est la déficience. De fait, la déficience n'a pas été débattue pendant l'arbitrage du grief; cette question a été soulevée uniquement lorsque M. Nolan s'est adressé à la Commission. M. Nolan cherche dans les faits à contester de nouveau son congédiement fondé sur ses déclarations de culpabilité au criminel en affirmant qu'il a été congédié à cause d'une déficience, et la Commission aurait dû rejeter la plainte en vertu de l'alinéa 41d) étant donné qu'elle n'a pas compétence à l'égard des mesures défavorables prises par un employeur en raison du casier judiciaire d'un employé, sauf lorsqu'une réhabilitation a été accordée.

L'avocate a invoqué l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, dans lequel il a été statué que le tribunal avait outrepassé sa compétence en traitant ce qui était fondamentalement une plainte de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, qui n'était pas à ce moment-là un motif de distinction illicite, comme une plainte de discrimination fondée sur la situation de famille, qui était un motif illicite et l'est encore.

Selon moi, cet argument est sans intérêt. La Commission n'a pas mené d'enquête sur les circonstances du congédiement de M. Nolan; prouver le motif du congédiement soulève des questions de fait et de droit sur lesquelles il serait tout à fait inopportun que je me prononce à cette étape préliminaire de la procédure administrative. Comme M. Nolan invoquait dans sa plainte un motif de distinction illicite prévu par la LCDP et comme les faits soumis à la Commission étaient très limités, on ne saurait affirmer que la décision de la Commission de mener une enquête était manifestement déraisonnable. De plus, pour les motifs que j'ai déjà exposés, je ne considère pas que le défaut de la Commission d'examiner l'observation de Postes Canada sur ce point invalide sa décision de statuer sur la plainte.

Question 4: La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si l'exception de chose jugée (issue estoppel) rendait les plaintes irrecevables du fait des sentences arbitrales?

Il ne s'agit aucunement de la première affaire dans laquelle des difficultés sont perçues comme étant attribuables au fait que des questions relatives aux droits de la personne peuvent être contestées devant plus d'un tribunal administratif. Les organismes de création législative qui sont investis d'une responsabilité générale dans ce domaine, à savoir les commissions des droits de la personne et les tribunaux spécialisés auxquels elles peuvent renvoyer les plaintes sur lesquelles elles ont mené une enquête, ne possèdent pas une compétence exclusive à l'égard des allégations de distinction illicite. Ainsi, les arbitres en relations du travail ont en règle générale compétence pour statuer sur un grief dans lequel il est reproché à l'employeur d'avoir contrevenu à la convention collective en commettant un acte discriminatoire interdit par la législation sur les droits de la personne.

De fait, en accordant à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas enquêter sur une plainte avant que le plaignant ait épuisé "les procédures d'appel ou de règlement des griefs", l'alinéa 41a ) de la LCDP reconnaît que la Commission est dépourvue d'une compétence exclusive à l'égard des plaintes de discrimination déposées en vertu de la Loi et qu'il peut être plus approprié pour le plaignant d'avoir recours à d'autres procédures.

L'avocate de Postes Canada a ensuite soutenu qu'une fois que la Commission a décidé de ne pas enquêter sur une plainte pour le motif prévu à l'alinéa 41a), le plaignant dont le grief a été rejeté ne peut pas retourner devant la Commission. Le pouvoir discrétionnaire accordé par cette disposition ne peut être exercé qu'une fois. En d'autres termes, une fois que la Commission a décidé d'exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas statuer sur une plainte pour le motif prévu à l'alinéa 41a), le prononcé d'une décision par l'arbitre fait perdre à celle-ci sa compétence à l'égard de la plainte.

Pour appuyer cette interprétation de l'alinéa 41a), l'avocate a fait un parallèle entre le libellé de cette disposition et celui de l'alinéa 41b), qui porte également sur la concomitance de compétence et dispense la Commission de l'obligation de statuer sur une plainte qui pourrait avantageusement être instruite "dans un premier temps ou à toutes les étapes" [soulignement ajouté] selon des procédures prévues par une autre loi fédérale. Selon l'avocate, comme le législateur n'a pas employé l'expression "dans un premier temps" à l'alinéa 41a ), c'est qu'il ne voulait pas que la Commission statue sur la plainte une fois celle-ci instruite au moyen de la procédure de règlement des griefs. À son avis, cette différence tient au fait que les tribunaux font preuve de réserve envers les sentences arbitrales et qu'il serait contraire à la politique législative consistant à garantir le règlement rapide des conflits de travail par voie d'arbitrage de permettre à la Commission de réexaminer des questions qui ont déjà été tranchées par un arbitre.

Comme aucune plainte officielle n'avait été déposée par les défendeurs dans les affaires dont je suis saisi avant que les arbitres ne rejettent leurs griefs, l'alinéa 41a) ne s'applique pas en l'espèce et, partant, il est inutile que j'examine cette question.

L'aspect du rapport que les présentes affaires établissent entre une procédure d'arbitrage et des plaintes déposées en vertu d'une loi sur les droits de la personne concerne la question de savoir si l'exception de chose jugée (issue estoppel) s'applique de manière à empêcher la Commission de mener une enquête sur des plaintes qui ont déjà été rejetées par des arbitres.

Les faits à l'origine des présentes affaires ont beaucoup en commun, mais il convient de faire état à ce stade-ci d'un élément qui les distingue. L'arbitre qui a statué sur le grief de M. Nolan n'a pas examiné la question de savoir si celui-ci avait été congédié à cause d'une déficience ni, évidemment, la question de savoir si Postes Canada s'était acquittée de son obligation de tenir compte de la situation d'une personne ayant sa déficience. M. Nolan n'a pas invoqué la disposition 5.01 de la convention collective entre Postes Canada et le SPC, qui dispose qu'il est convenu qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur les motifs qui y sont énumérés, notamment "un handicap physique [ou des] troubles affectifs". Son grief reposait sur le fait qu'il avait été congédié en raison d'une inconduite en dehors des heures de travail qui était sans rapport avec sa capacité de fournir un bon rendement au travail. Postes Canada a soutenu que M. Nolan avait fait preuve de mauvaise foi en ne soulevant pas la question de la déficience devant l'arbitre, surtout que lorsque M. Nolan a communiqué avec la Commission pour la première fois, on lui avait conseillé de donner suite à sa plainte en ayant recours à la procédure de règlement des griefs.

En revanche, M. Barrette a contesté dans son grief le refus de Postes Canada de le rétablir dans ses anciennes fonctions et de lui redonner les droits que lui conférait son ancienneté; l'arbitre a soutenu que Postes Canada s'était acquittée de son obligation de tenir compte de l'état de santé de M. Barrette.

L'avocate de Postes Canada n'a pas affirmé que les plaintes des défendeurs ne pouvaient pas faire l'objet d'une enquête à cause de l'exception de chose jugée, parce que la question de savoir si cette exception s'appliquait dépendait d'un examen approfondi de toutes les circonstances. Me Rusak a plutôt fait valoir que la Commission avait adopté le point de vue que l'exception de chose jugée n'était pas pertinente pour l'application de l'article 41. Selon elle, la Commission a outrepassé sa compétence en décidant d'enquêter sur ces plaintes sans être d'abord convaincue que M. Barrette ne cherchait pas tout simplement à avoir de nouveau la possibilité de plaider une question à l'égard de laquelle un arbitre avait déjà rendu une décision défavorable, et que M. Nolan ne cherchait pas à soulever devant la Commission une question qu'il aurait pu et aurait dû soulever devant l'arbitre.

Des questions importantes et difficiles sont soulevées par la question de savoir si et dans quelles circonstances une personne devrait être empêchée de plaider à nouveau essentiellement la même question devant des tribunaux qui ont une compétence commune, dont les mandats et les points de vue sont différents, qui exercent des pouvoirs légaux différents, dont la procédure n'est pas la même et dans des instances qui ne mettent pas en cause les mêmes parties. Dans le contexte de la législation sur les droits de la personne, la principale difficulté consiste à considérer la réduction des coûts entraînés par des procédures administratives qui font double emploi en fonction de la nécessité de s'assurer que les organismes d'origine législative qui sont responsables au premier chef de l'atteinte de l'objectif d'intérêt public consistant à réduire la discrimination, en l'espèce la Commission et le Tribunal, ne sont pas empêchés d'accomplir leur mandat.

Comme l'avocate l'a fait remarquer, les cours de justice se sont récemment montrées soucieuses de réduire la possibilité de demandes multiples dans des affaires dans lesquelles une question paraît relever de la compétence des cours de justice et d'un organisme administratif. Par exemple, dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, il a été statué qu'une cour de justice n'avait aucune compétence exclusive en première instance à l'égard d'une action fondée sur la violation par le défendeur (l'employeur) des droits que la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] garantissait au demandeur parce que cette allégation, si elle était vraie, constituait une violation des dispositions d'une convention collective et devait être débattue dans le cadre d'un arbitrage. Si le demandeur était mécontent de la sentence arbitrale, son recours consisterait à demander un contrôle judiciaire, et non à intenter une action en justice. Pour tirer cette conclusion, la Cour s'est appuyée sur les dispositions d'une loi sur les relations du travail accordant une compétence exclusive aux arbitres et rendant leurs sentences définitives et exécutoires.

De même, dans l'arrêt Rasanen v. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267 (C.A.), il a été statué que le demandeur était empêché par l'exception de chose jugée d'intenter une action en dommages-intérêts pour congédiement injuste parce qu'un fonctionnaire en matière de normes d'emploi avait, dans une décision prise sous le régime de la Loi sur les normes d'emploi [L.R.O. 1980, ch. 137] rejeté une demande fondée sur les mêmes faits. Dans cette affaire, contrairement à l'affaire Weber, les tribunaux et le fonctionnaire concerné avaient une compétence concurrente, de sorte que le demandeur aurait pu décider d'intenter une action contractuelle au lieu d'exercer le recours prévu par la loi. Toutefois, comme il a choisi cette dernière voie et qu'il a obtenu une décision défavorable, il était dans l'impossibilité d'intenter une action contre son employeur pour rupture de contrat; son seul recours consistait à demander le contrôle judiciaire de la décision du fonctionnaire.

L'avocate a soutenu que si la Cour dans l'arrêt Weber était disposée à statuer que le demandeur n'avait pas le droit de présenter une demande fondée sur la Charte dans deux instances successives et distinctes devant l'arbitre puis devant une cour de justice, à plus forte raison la Commission ne devrait pas pouvoir mener une enquête sur une plainte relative à une violation de la LCDP sans examiner la question de savoir si l'arbitre avait déjà statué correctement sur cette plainte. Si M. Nolan était mécontent de la sentence arbitrale, son seul recours consistait à déposer une demande de contrôle judiciaire. Cette conclusion est appuyée par l'attitude générale de réserve envers les sentences arbitrales, en reconnaissance de l'objectif législatif selon lequel les griefs devraient être réglés d'une manière simple, rapide et peu coûteuse par des arbitres spécialisés dans le domaine des relations du travail.

Ces décisions ne me paraissent pas utiles pour trancher la question dont je suis saisi. Bien qu'elles reflètent indéniablement le souci des cours de justice d'éviter les écueils d'un chevauchement des compétences et de poursuites successives, elles se rapportent à un chevauchement possible entre la compétence d'une cour de justice et celle d'un organisme administratif, tandis que l'espèce concerne deux organismes administratifs. L'arrêt Weber n'a évidemment pas pour effet d'empêcher une cour de justice de se prononcer sur une question relative à la Charte, mais seulement de faire en sorte que l'accès à cette cour se fasse en passant par l'arbitre, en l'occurrence au moyen du contrôle de la décision de ce dernier selon la norme de la décision correcte. Toutefois, l'application de l'arrêt Weber par analogie aux présentes affaires aurait pour effet d'empêcher à jamais la Commission d'enquêter sur une plainte ayant été décidée par un arbitre et de renvoyer cette plainte à un tribunal pour qu'il statue sur celle-ci. Un tel résultat semblerait aller à l'encontre du texte législatif, notamment parce que la Commission possède des pouvoirs d'enquête et une expérience dans le domaine des droits de la personne que les arbitres n'ont pas, de même que le mandat quasi constitutionnel d'origine législative de promouvoir l'intérêt public dans sa lutte contre la discrimination.

Dans l'affaire British Columbia v. Tozer, [1998] B.C.J. no 2594 (C.S.) (QL), le juge MacKenzie a longuement analysé les décisions pertinentes et a conclu que, suivant les dispositions législatives applicables de la Colombie-Britannique, la compétence exclusive d'un arbitre en relations du travail à l'égard des différends découlant d'une convention collective ne s'étend pas aux allégations de discrimination faites en vertu de la législation provinciale sur les droits de la personne, qui relèvent donc aussi de la compétence des organismes d'origine législative constitués par celle-ci.

Pour parvenir à cette conclusion, le juge a fait remarquer que le pouvoir de statuer sur des questions en matière de droits de la personne est accessoire à la compétence générale des arbitres en relations du travail à l'égard de différends régis par une convention collective, alors que la tenue d'une enquête sur une plainte de discrimination et le prononcé d'une décision à cet égard sont au cœur même du mandat des organismes de création législative. Je souscris à ce raisonnement. De plus, les cours de justice n'ont pas fait preuve de la réserve normalement exercée envers l'interprétation d'une convention collective lorsque l'arbitre interprète les dispositions d'une loi sur les droits de la personne qui sont incorporées dans la convention: Newfoundland Association of Public Employees c. Terre-Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 R.C.S. 3, à la page 12.

En raison des responsabilités publiques conférées par les législatures aux décideurs nommés par la loi et du processus décisionnel axé sur l'objet, on hésite beaucoup à appliquer l'exception de chose jugée au règlement des plaintes en matière de droits de la personne par des tribunaux spécialisés: voir, par exemple, R. H. Abramsky, "The Problem of Multiple Proceedings: An Arbitrator's Perspective", Labour Arbitration Yearbook 1996-97, 45, aux pages 46 à 54; Bernard Adell, "The Rights of Disabled Workers at Arbitration and under Human Rights Legislation" (1993) 1 Can. Lab. Law J. 46, aux pages 56 à 67.

L'argument voulant qu'on applique l'exception de chose jugée à l'étape de l'article 41, avant même l'ouverture de l'enquête, me semble encore moins convaincant. Premièrement, il ressort de l'alinéa 41a) que le législateur a songé à la possibilité d'un chevauchement entre la procédure de la Commission et la procédure de règlement des griefs ouverte au plaignant, et qu'il a accordé à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête si le plaignant n'a pas épuisé ce mécanisme de recours. Si le législateur avait également voulu donner à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas mener d'enquête une fois que ce mécanisme a été épuisé, il l'aurait sûrement dit, au lieu de laisser la Commission se prononcer sur cette question en vertu de la disposition relative à la compétence générale prévue à l'alinéa 41c).

Deuxièmement, en ce qui concerne l'hypothèse selon laquelle la décision d'un arbitre peut empêcher à jamais la Commission ou le tribunal de mener une nouvelle enquête ou de statuer sur une plainte ou sur une question particulière, c'est uniquement après un examen approfondi de toutes les circonstances qu'il sera possible de décider si l'exception de chose jugée devrait s'appliquer dans un cas donné. Parmi les questions à examiner, il y aurait la compétence de l'arbitre et les recours qui peuvent être exercés; la suffisance de l'enquête et la représentation par le syndicat et l'existence possible de considérations en matière de relations du travail qui sont étrangères à l'enquête prévue par la loi et au règlement des plaintes en matière de droits de la personne; et l'identité des questions en litige et des parties.

Selon moi, il ne s'agit pas du genre de question que le législateur voulait que la Commission tranche avant d'ouvrir une enquête sur le bien-fondé d'une plainte. L'article 41 vise assurément à permettre à la Commission d'écarter les plaintes qui sont manifestement mal fondées quant aux faits ou en droit, ou sur lesquelles elle ne devrait normalement pas statuer à cette étape-là. Il serait à la fois indûment lourd et générateur de retards inutiles d'exiger de la Commission qu'elle procède à cette étape préliminaire de la procédure à l'enquête approfondie et à l'évaluation des questions de fait et de droit qui pourraient être nécessaires avant qu'elle soit en mesure de décider s'il convient d'appliquer l'exception de chose jugée. C'est une question qui devrait être examinée, et encore, seulement après que la Commission a enquêté sur la plainte, lorsque, "compte tenu des circonstances relatives à la plainte", ainsi qu'il est prévu aux sousalinéas 44(3)a )(i) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64] et b)(i) [mod., idem] de la LCDP, elle peut décider soit de renvoyer la plainte au tribunal si ce renvoi est justifié, soit de rejeter la plainte.

Je partage les sentiments exprimés par le juge Rothstein dans l'affaire Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1997), 130 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.). Il a fait les remarques suivantes [à la page 243] dans le cadre d'une contestation fondée sur l'article 41:

Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l'enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte.

Enfin, il serait particulièrement inapproprié d'exiger de la Commission qu'elle envisage d'appliquer l'exception de chose jugée à M. Nolan, qui n'a pas fait valoir devant l'arbitre qu'il avait été congédié pour un motif de distinction illicite, soit la déficience, parce que cela soulèverait encore une autre série de questions comme la raison pour laquelle il n'a pas invoqué la déficience devant l'arbitre et s'il était raisonnable de ne pas l'avoir fait.

À mon avis, donc, la Commission ne peut pas refuser d'enquêter sur une plainte au motif que le plaignant a exercé un recours devant un arbitre en relations du travail et que son grief a été rejeté. Je suis conforté dans ma décision par l'affaire Boudreault c. Canada (Procureur général) (1995), 99 F.T.R. 293 (C.F. 1re inst.), dans laquelle Mme le juge Tremblay-Lamer a statué que la Commission avait eu tort de refuser de statuer sur une plainte après avoir fait reposer sa décision non pas sur une évaluation de la plainte mais sur le fait que la plainte avait déjà fait l'objet d'une décision par un comité d'appel mis sur pied en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (modifiée).

L'alinéa 41d) de la LCDP permet à la Commission de refuser de statuer sur une plainte qui a fait l'objet d'un arbitrage si cette plainte semble futile, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. De plus, si elle l'estime opportun, la Commission peut s'appuyer sur les conclusions de l'arbitre et sur la preuve sur laquelle reposent ces conclusions, sans reprendre l'enquête sur chaque question depuis le début. Ainsi, dans l'affaire Charlebois c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Commission de transport régional d'Ottawa-Carleton), [1998] F.C.J. no 1335 (1re inst.) (QL), le juge Campbell a statué que la Commission n'avait pas manqué à son obligation de mener une enquête approfondie sur la plainte parce que l'enquêteur avait décidé de s'appuyer sur des déclarations faites par des témoins dans le cadre d'une instance devant le Conseil canadien des relations du travail.

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Postes Canada est rejetée.

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