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T-1743-98

North Shore Health Region (demanderesse)

c.

Cosmos Shipping Lines S.A. et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur les navires Alpha Cosmos, Stellar Glory, Sky Moon, Sky Sun, Sunfalcon et White Manta (défendeurs)

Répertorié: North Shore Health Regionc. Alpha Cosmos (L')(1re  inst.)

Section de première instance, juge Evans"Vancouver, 9 et 17 novembre 1998.

Droit maritime Pratique SignificationAppel d'une ordonnance du protonotaire selon laquelle la remise d'une déclaration au cabinet d'avocats Campney & Murphy à Vancouver constituait une signification valide de document conformément à la règle 135 des Règles de la Cour fédérale (1998)Action en recouvrement des frais engagés pour l'hospitalisation d'un membre du personnel de la défenderesse qui a été blessé en montant à bord d'un navireLe cabinet d'avocats a payé les factures de l'hôpital jusqu'à ce qu'il fasse parvenir le 7 août 1998 un avis selon lequel le propriétaireclientn'assumait plus aucune responsabilité à l'égard des frais médicauxLa règle 135 permet, dans une instance découlant d'une opération commerciale, la signification de document à une personne résidant à l'étranger au moyen de la signification à personne du document à une personne résidant au Canada si la première personne, dans le cours normal des affaires, effectue des opérations commerciales au Canada dans le cadre desquelles elle utilise régulièrement les services de la personne résidant au Canada et a utilisé ces services relativement à cette opération commercialeLa règle 135 a été interprétée de façon stricte comme une exception à la règle générale selon laquelle les actes introductifs d'instance devraient être signifiés à personneLes dispositions prises pour acquitter une obligation légale relativement aux frais médicaux d'un membre du personnel constituaient des opérations commerciales effectuées au Canada dans le cours normal des affairesLe cabinet d'avocats a rendu des services relativement à une opération commerciale quand il a payé les factures d'hôpital dont la défenderesse était redevableQuatre paiements mensuels établissent unerégularitésuffisante aux fins de la règle 135Le cabinet d'avocats agissait à titre d'agents commerciauxMême s'il y avait une grande communauté d'intérêts entre la défenderesse et le P. & I. Club, le cabinet d'avocats représentait seulement ce dernier, de sorte que tous les services qu'il a rendus à la défenderesse ne l'ont pas été en sa qualité d'avocat de celle-ci dans la présente actionLa signification satisfaisait aux exigences de la règle 135Subsidiairement, la signification serait validée en vertu de la règle 147Il a été inféré que la défenderesse avait eu connaissance de la déclaration, soit par le biais de l'assureur soit par le fait que le cabinet d'avocats avait reçu instruction de comparaître dans la présente requête pour le compte de la défenderesse pour contester l'action de l'épouse de l'homme blessé.

AvocatsAppel d'une ordonnance du protonotaire selon laquelle la remise d'une déclaration à un cabinet d'avocats à Vancouver constituait une signification valide de document conformément à la règle 135La demanderesse a remis la déclaration au cabinet d'avocats qui payait les factures pour l'hospitalisation de l'employé blessé de la défenderesseLe cabinet d'avocats a également aidé les frères de l'homme blessé à obtenir des visas pour venir au CanadaLe cabinet d'avocats n'a ni accepté la signification ni déclaré que celle-ci n'était pas valideIl n'a contesté la validité de la signification que lorsque la demanderesse a entrepris d'obtenir un jugement par défautIl agissait à titre d'agents commerciaux de la défenderesse et non pas d'avocats de celle-ci, en dépit de la déclaration contraire faite dans la lettre selon laquelle lesclientsn'assumaient plus les frais d'hôpitalMême s'il y avait une grande communauté d'intérêts entre le P. & I. Club (assureur qui avait retenu les services du cabinet d'avocats) et la défenderesse, le cabinet d'avocats représentait celui-là seulement en sa qualité d'avocat dans la présente actionUne telle décision ne risquait pas d'entraîner des conséquences néfastes pour la pratique du droit maritime ou de compromettre tout secret professionnel légitime que le cabinet d'avocats peut désirer faire valoir subséquemment.

Il s'agissait de l'appel d'une ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave selon laquelle la demanderesse avait procédé à une signification valide de document à la défenderesse conformément à la règle 135 en remettant la déclaration au cabinet d'avocats Campney & Murphy à Vancouver. La règle 135 prévoit que, dans une instance découlant d'un contrat ou d'une opération commerciale, la signification à personne d'un document à une personne résidant au Canada vaut signification à la personne résidant à l'étranger si cette dernière, à la fois: a) dans le cours normal des affaires, conclut des contrats au Canada ou effectue des opérations commerciales au Canada dans le cadre desquelles elle utilise régulièrement les services de la personne résidant au Canada; b) a utilisé les services de la personne résidant au Canada relativement à ce contrat ou à cette opération commerciale. La règle 147 prévoit que, lorsqu'un document a été signifié d'une manière non autorisée par les présentes règles ou une ordonnance de la Cour, celle-ci peut considérer la signification comme valide si elle est convaincue que le destinataire en a pris connaissance ou qu'il en aurait pris connaissance s'il ne s'était pas soustrait à la signification.

Cosmos Shipping Lines est la défenderesse dans une action en vue de recouvrer les frais engagés pour l'hospitalisation d'un membre de son personnel qui a été blessé à Vancouver en montant à bord du navire de la défenderesse. Le cabinet Campney & Murphy a acquitté en totalité les trois premières factures émises par l'hôpital, tandis qu'elle a acquitté la quatrième en partie seulement. Le nom du client figurant dans le livre comptable du cabinet d'avocats était "Gard P. & I. Club". L'hôpital a continué de présenter des factures, mais aucune n'a été acquittée à partir du 7 août 1998 lorsque le cabinet Campney & Murphy a fait parvenir à l'hôpital une lettre dans laquelle il disait que "notre client" n'assumait plus aucune responsabilité à l'égard des frais médicaux engagés pour l'homme blessé. La lettre indiquait que le cabinet Campney & Murphy agissait comme "avocats pour le compte du propriétaire de l'Alpha Cosmos". Le paragraphe suivant mentionnait: "Notre client a payé les frais d'hospitalisation continus" du membre du personnel qui a été blessé. Le cabinet Campney & Murphy avait également fait des démarches pour que des visas soient délivrés aux frères de l'homme blessé afin qu'ils puissent lui rendre visite à Vancouver. La lettre adressée au Haut-commissariat à New Delhi indiquait: "Nous agissons comme avocats pour le compte des propriétaires du navire". Une lettre similaire émanant des gestionnaires de l'Alpha Cosmos décrivait Campney & Murphy comme "nos représentants à Vancouver" et "les agents locaux de P&I à Vancouver". Lors de la remise de la déclaration, le cabinet Campney & Murphy n'a pas accepté la signification pour le compte de la défenderesse ni n'a déclaré que la signification n'était pas valide. C'est seulement lorsque la demanderesse a entrepris d'obtenir un jugement par défaut que la défenderesse, par l'intermédiaire de ses avocats, Campney & Murphy, a contesté la validité de la signification. Le protonotaire a jugé que la règle 135 s'appliquait en l'espèce.

Il s'agissait de savoir 1) si les défendeurs ont, dans le cours normal des affaires, effectué une opération commerciale au Canada; 2) si le paiement des factures d'hôpital par Campney & Murphy constituait un service rendu à la défenderesse "relativement à un contrat ou à une opération commerciale" aux fins de la règle 135; 3) si le paiement de quatre factures d'hôpital par le cabinet Campney & Murphy constituait un recours suffisamment régulier aux services de ce cabinet pour satisfaire à la règle 135; 4) si la signification a été faite à Campney & Murphy à titre d'agents commerciaux de la défenderesse et non pas d'avocats de celle-ci.

Jugement: l'appel doit être rejeté.

La règle 135 devrait être interprétée de façon stricte comme une exception à la règle générale selon laquelle les actes introductifs d'instance devraient être signifiés à personne. Cela vise principalement à permettre aux défendeurs de prendre réellement connaissance de la déclaration plutôt que de faire en sorte que la compétence de la Cour soit limitée aux demandes formées contre des personnes se trouvant au Canada.

1) Le paiement des salaires des membres du personnel étaient des opérations effectuées "dans le cours normal des affaires" d'un propriétaire de navire. Pour interpréter les mots "dans le cours normal des affaires" et "effectue des opérations commerciales au Canada", il faut se rappeler que l'un des éléments importants de l'exigence imposée est de garantir que le lien existant entre l'objet du litige et le Canada est suffisamment étroit pour que la Cour fédérale semble devoir être le forum approprié. Lorsque Cosmos Shipping est devenue redevable des frais médicaux du membre du personnel qui avait été blessé et que des dispositions ont été prises pour que des paiements soient effectués afin d'acquitter cette obligation, elle était en train d'effectuer des opérations commerciales au Canada "dans le cours normal des affaires". L'ensemble des faits à l'origine du litige était bien rattaché au Canada.

2) Le cabinet Campney & Murphy a rendu des services "relativement à une opération commerciale" quand il a payé les factures d'hôpital dont la défenderesse semble avoir été redevable. L'argument selon lequel le cabinet d'avocats Campney & Murphy n'a pas payé les factures d'hôpital pour le compte de la défenderesse parce que son client était le P. & I. Club (Gard) qui avait retenu les services du cabinet d'avocats le jour de l'accident pour protéger ses propres droits et ceux du propriétaire du navire n'était pas convaincant. Étant donné le lien étroit entre les droits de Gard et ceux du propriétaire du navire et le fait que les paiements ont été effectués en vue de l'acquittement d'une obligation légale de la défenderesse, il importait peu de savoir qui a donné instruction de payer les factures. Il était presque certain que, en remettant la déclaration à Campney & Murphy, la demanderesse pouvait être raisonnablement sûre que ce document serait porté à l'attention de la défenderesse, par l'intermédiaire du P. & I. Club ou directement par le cabinet d'avocats, qui représentait également la défenderesse dans l'action intentée contre elle par l'épouse de l'homme qui avait été blessé.

3) Quatre paiements mensuels, bien qu'ils aient été effectués relativement au traitement continu de la même personne, établissent une "régularité" suffisante aux fins de la règle 135 pour qu'il soit raisonnable de croire que le lien existant entre le cabinet Campney & Murphy et la défenderesse était tel que la remise de la déclaration à ce cabinet la porterait à l'attention de la défenderesse. De plus, la lettre indiquant le refus d'effectuer d'autres paiements constituait un service rendu relativement à une opération commerciale au sens de la règle 135.

4) Le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit en concluant que le cabinet Campney & Murphy agissait à titre d'agents commerciaux de la défenderesse et non pas d'avocats de celle-ci. En dépit de la déclaration faite dans la lettre du 7 août 1998, les services du cabinet Campney & Murphy n'avaient pas été retenus par Cosmos Shipping pour qu'il la représente en rapport avec l'action de la demanderesse, bien que les services de ce cabinet aient été retenus en rapport avec l'action de l'homme blessé. Et même s'il y avait manifestement une grande communauté d'intérêts entre le P. & I. Club et Cosmos Shipping, le cabinet Campney & Murphy représentait seulement celui-là en l'espèce, de sorte que tous les services qu'il a rendus à la défenderesse ne l'ont pas été en sa qualité d'avocat de celle-ci dans la présente action. Une telle décision ne risquait pas d'entraîner des conséquences néfastes pour la pratique du droit maritime ou de compromettre tout secret professionnel légitime que le cabinet Campney & Murphy peut désirer subséquemment faire valoir au nom de Cosmos Shipping. La signification à la défenderesse satisfaisait effectivement aux exigences de la règle 135.

Subsidiairement, la signification devrait être validée en vertu de la règle 147. Il a été inféré que la défenderesse avait eu connaissance de la déclaration, soit par l'intermédiaire de l'assureur qui payait les frais d'hôpital soit par le fait que le cabinet Campney & Murphy avait reçu instruction de comparaître dans la présente requête pour le compte de la défenderesse, déduction qui était étayée en outre par le fait que les services du cabinet Campney & Murphy ont été retenus par la défenderesse pour contester l'action de l'épouse de l'homme blessé.

Et subsidiairement, une prorogation de délai a été accordée pour permettre à la demanderesse de signifier la déclaration à Cosmos Shipping.

lois et règlements

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 285.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 91(4).

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 12.1 (édicté par DORS/93-44, art. 12).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 50, 63(1)a), 127, 134, 135, 147, 208.

Supreme Court Rules, 1943 (British Columbia), R. 8(a).

jurisprudence

distinction faite avec:

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Lex Tex Canada Limited c. Highland Mills Limited, [1978] 2 C.F. 185; (1977), 37 C.P.R. (2d) 1 (1re inst.); Mona Lisa Inc. c. Le Carola Reith, [1979] 2 C.F. 633; (1979), 100 D.L.R. (3d) 69 (1re inst.); Central Trust Co. of China v. Dolphin SS. Co., [1950] 2 W.W.R. 516 (C.A.C.-B.); Canada Life Assurance Co. v. Canadian Imperial Bank of Commerce; First National City Bank of New York, Third Party (1974), 3 O.R. (2d) 70; 44 D.L.R. (3d) 486 (C.A.); Price & Pierce International Inc. c. Antares (L'), [1982] A.C.F. no 1013 (C.A.) (QL); Portbec Forest Products Ltd. et al. c. Navire Bosporus et al. (1996), 108 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.).

APPEL d'une ordonnance du protonotaire selon laquelle la demanderesse avait procédé à une signification valide de document à la défenderesse conformément à la règle 135 en remettant la déclaration au cabinet d'avocats Campney & Murphy à Vancouver (North Shore Health Region c. L'Alpha Cosmos, [1999] 1 C.F. 243 (1re inst.)). Appel rejeté.

ont comparu:

Doug G. Morrison pour la demanderesse.

H. Peter Swanson pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour la demanderesse.

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans:

A.  L'introduction

Il s'agit d'une requête présentée par Cosmos Shipping Lines S.A. (ci-après Cosmos Shipping) en vertu de la règle 208 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 pour interjeter appel d'une ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave le 26 octobre 1998, dont les motifs ont été exposés le 28 octobre 1998 [[1999] 1 C.F. 243 (1re inst.)] et selon  laquelle la demanderesse avait procédé à une signification valide de document à la défenderesse conformément à la règle 135 en remettant la déclaration au cabinet d'avocats Campney & Murphy à Vancouver.

Cosmos Shipping est la défenderesse dans une action dans laquelle la demanderesse, North Shore Health Region, cherche à recouvrer les frais médicaux engagés pour l'hospitalisation de M. Terrance Dalgado, qui a été blessé à Vancouver pendant qu'il était membre du personnel affecté au navire de la défenderesse, l'Alpha Cosmos.

Dans la présente requête, Cosmos Shipping tente d'obtenir les ordonnances suivantes:

a) l'annulation de la décision dans laquelle le protonotaire a jugé que la remise de la déclaration à Campney & Murphy constituait une signification valide de document à la défenderesse conformément à la règle 135;

b) une ordonnance déclarant que la signification n'a pas été effectuée;

c) une ordonnance selon la règle 50 suspendant l'exécution de l'ordonnance du protonotaire Hargrave jusqu'à ce qu'il ait été disposé de la présente requête;

d) une ordonnance fixant les frais payables immédiatement aux défendeurs sous la forme d'une somme forfaitaire.

En l'absence de toute opposition de la part de la demanderesse, j'ai indiqué à la fin de l'audience que je suspendrais l'ordonnance du protonotaire jusqu'à ce que je rende une ordonnance relativement à la présente requête. Me Swanson, l'avocat de Cosmos Shipping, a signalé pour mémoire que, comme la défenderesse présentait une requête pour s'opposer à la signification de la déclaration, la règle 208 prévoit que sa comparution dans la présente requête pour le compte de la défenderesse ne signifiait pas que cette dernière reconnaissait ainsi la compétence de la Cour.

B.  Les faits

Le 30 mai 1998, M. Dalgado, quatrième mécanicien de l'Alpha Cosmos, a été grièvement blessé lors d'une chute survenue dans le port de Vancouver pendant qu'il montait à bord du navire par la passerelle d'embarquement. Celle-ci s'est détachée du navire et, en l'absence d'un filet de sécurité adéquat, lui et son épouse sont tombés à l'eau. M. Dalgado a été grièvement blessé et transporté à l'hôpital Lions Gate, qui est administré par la demanderesse dans la ville de North Vancouver. M. Dalgado y est hospitalisé depuis l'accident et dans le coma.

Les trois premières factures émises par l'hôpital pour le traitement de M. Dalgado ont été acquittées en totalité par Campney & Murphy, tandis que la quatrième l'a été en partie. Les factures n'étaient pas adressées à Campney & Murphy, mais elles portaient un papillon adhésif à l'attention de Tom Hawkins, l'avocat du cabinet qui s'occupait de l'affaire. Le nom du client figurant dans le livre comptable du cabinet d'avocats qui consigne ces paiements est "Gard P. & I. Club", et celui du dossier [traduction ] "lésions corporelles subies par le quatrième mécanicien de l'Alpha Cosmos".

L'hôpital a continué de présenter des factures, mais aucune n'a été acquittée puisque le cabinet Campney & Murphy a fait parvenir une lettre à l'hôpital Lions Gate le 7 août 1998 dans laquelle il disait: [traduction] "Notre client avise par les présentes l'hôpital Lions Gate qu'il n'assume aucune responsabilité à l'égard des frais médicaux engagés après le 28 juillet 1998 et que l'hôpital Lions Gate devrait s'adresser à Sheryl Dalgado et à ses avocats pour obtenir le paiement des frais médicaux continus". Les frais réclamés par l'hôpital s'élèvent à un peu plus de 1 000 $ par jour et, au 26 septembre 1998, il lui était dû 72 681 $ pour les soins médicaux fournis à M. Dalgado.

Cette lettre faisait suite immédiatement au rejet par Mme Dalgado d'une proposition visant à transférer son mari de l'hôpital Lions Gate à Bombay, leur lieu de résidence. Le transfert projeté avait apparemment été autorisé par les médecins qui soignaient M. Dalgado à l'hôpital Lions Gate. Cosmos Shipping est d'avis que, quelle que soit l'obligation qu'elle ait pu avoir d'acquitter les frais d'hospitalisation de M. Dalgado, celle-ci a pris fin parce qu'il n'est plus "membre du personnel" en vertu de certaines dispositions définitionnelles de l'article 12.1 du Règlement sur l'immigration de 1978 , DORS/78-172 (édicté par DORS/93-44, art. 12).

La lettre du 7 août 1998 revêt une importance particulière dans la présente requête en raison des énoncés qu'elle contient au sujet du lien existant entre Campney & Murphy et Cosmos Shipping. La lettre débute ainsi: [traduction] "Nous agissons comme avocats pour le compte du propriétaire de l'Alpha Cosmos". Quant au paragraphe suivant, il commence par ces mots: "Notre client a payé les frais d'hospitalisation continus" de M. Dalgado. Et, comme il a déjà été mentionné, la lettre indique que "notre client" avise par les présentes qu'il n'assume plus aucune responsabilité à l'égard des frais médicaux de M. Dalgado.

Il faudrait noter également que, au début de juin 1998, Me Hawkins, l'avocat du cabinet Campney & Murphy qui était chargé du dossier, a écrit au Haut-commissariat canadien à New Delhi pour demander que des visas soient délivrés aux frères de M. Dalgado afin qu'ils puissent lui rendre visite à Vancouver et élaborer avec Mme Dalgado des plans pour l'avenir en ce qui a trait à son mari. La lettre adressée au Haut-commissariat indiquait: [traduction] "Nous agissons comme avocats pour le compte des propriétaires du navire, employeurs de M. Terrance Dalgado". Une lettre similaire a été adressée au consulat canadien à New Delhi par United Ocean Ship Management Pte. Ltd., qui gère l'Alpha Cosmos ; on y décrivait Campney & Murphy comme [traduction] "nos représentants à Vancouver" et "les agents locaux de P&I à Vancouver".

L'avocat de la demanderesse a eu du mal à trouver une adresse relative à Cosmos Shipping. Les sources habituelles de référence n'indiquaient pas où elle est située. Cependant, comme les gérants actuels de l'Alpha Cosmos sont basés à Singapour, la demanderesse croit maintenant que le propriétaire du navire peut également s'y trouver. Pour une part en raison de la difficulté à localiser la défenderesse, le cabinet d'avocats représentant la demanderesse a décidé de ne pas essayer de faire signifier les documents à Cosmos Shipping à l'étranger, mais, à la place, il a avisé Campney & Murphy qu'il se proposait de remettre une déclaration comme moyen de procéder à la signification à la défenderesse.

Le cabinet Campney & Murphy n'a pas accepté la signification pour le compte de la défenderesse ni n'a déclaré que, à son avis, la signification n'était pas valide. La défenderesse n'a produit aucune défense relativement à la déclaration. C'est seulement lorsque la demanderesse a entrepris d'obtenir un jugement par défaut que la défenderesse, par l'intermédiaire de ses avocats, Campney & Murphy, a répondu en contestant la validité de la signification.

C.  Le cadre législatif

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (et ses modifications), paragraphe 91(4)

91. [. . .]

(4) Le transporteur est responsable des frais engagés pour le traitement et l'hospitalisation du responsable ou des membres du personnel affecté à son véhicule ainsi que des frais occasionnés par leur départ du Canada.

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, article 285

285. Le propriétaire d'un navire qui n'est pas un navire canadien est redevable du coût de tous les soins médicaux, chirurgicaux et hospitaliers fournis au Canada à une personne employée par lui sur ce navire.

Règles de la Cour fédérale (1998)

135. Dans une instance découlant d'un contrat ou d'une opération commerciale, la signification à personne d'un document à une personne résidant au Canada vaut signification à la personne résidant à l'étranger si cette dernière, à la fois:

a) dans le cours normal des affaires, conclut des contrats au Canada ou effectue des opérations commerciales au Canada dans le cadre desquelles elle utilise régulièrement les services de la personne résidant au Canada;

b) a utilisé les services de la personne résidant au Canada relativement à ce contrat ou à cette opération commerciale.

[. . .]

147. Lorsqu'un document a été signifié d'une manière non autorisée par les présentes règles ou une ordonnance de la Cour, celle-ci peut considérer la signification comme valide si elle est convaincue que le destinataire en a pris connaissance ou qu'il en aurait pris connaissance s'il ne s'était pas soustrait à la signification.

D.  La décision du protonotaire Hargrave

Dans des motifs exhaustifs, le protonotaire Hargrave a traité les questions suivantes qui se posaient relativement à l'application de la règle 135 aux faits de l'espèce.

Premièrement, il a conclu que la défenderesse était une "personne [. . .] résidant à l'étranger", bien qu'il existât certains doutes au sujet de la principale place d'affaires de Cosmos Shipping. Deuxièmement, il s'est demandé si la défenderesse, "dans le cours normal des affaires, conclut des contrats au Canada ou effectue des opérations commerciales au Canada". Il a soutenu que, même si aucun contrat n'avait été conclu entre l'hôpital Lions Gate et Cosmos Shipping, l'acquittement des frais médicaux de membres du personnel affectés au navire qui ont été blessés dans le cadre de leur emploi était nécessairement accessoire aux affaires du propriétaire d'un navire. Par conséquent, la défenderesse avait "dans le cours normal des affaires" effectué une opération commerciale au Canada.

Troisièmement, il s'est demandé si les paiements faits à l'hôpital par Campney & Murphy signifiaient que Cosmos Shipping avait "utilisé les services d['une] personne résidant au Canada relativement à [un] contrat ou à [une] opération commerciale". À cause des déclarations des avocats du cabinet Campney & Murphy dans la lettre du 7 août 1998 selon lesquelles ils "agiss[aient] comme avocats pour le compte de l'Alpha Cosmos" et "notre client a payé les frais d'hospitalisation continus", le protonotaire Hargrave a dit qu'il était difficile pour les avocats du cabinet Campney & Murphy de nier que leurs services ont été utilisés "relativement à une opération commerciale". Il a fait une distinction avec des décisions rendues antérieurement en vertu des règles de pratique tant de la Colombie-Britannique que de l'Ontario, pour le motif que ces règles étaient plus strictes que la règle 135 en ce sens qu'elles exigeaient que la personne résidant dans le ressort de la cour dirige l'entreprise de la personne résidant hors du ressort de la cour ou le fasse en son nom. Il a considéré le paiement des factures, qui constituait un acquittement de l'obligation légale du propriétaire du navire de payer les frais médicaux du membre du personnel affecté au navire qui était blessé, comme une "opération commerciale".

Quatrièmement, le protonotaire s'est demandé si, compte tenu des faits, on pouvait dire que Cosmos Shipping "utilise régulièrement les services de" Campney & Murphy. Il était convaincu que le paiement par Campney & Murphy de quatre factures durant une période d'environ trois mois respectait l'obligation que la règle 135 impose quant à la régularité.

Cinquièmement, il a jugé que la déclaration de la demanderesse constituait "une instance découlant d'un contrat ou d'une opération commerciale" en ce sens qu'elle découlait de l'obligation présumée de Cosmos Shipping de payer à la demanderesse les frais médicaux engagés par M. Dalgado.

E.  L'analyse

Comme l'ordonnance du protonotaire se rapportait à la validité de la signification de la déclaration de la demanderesse à la défenderesse, ce n'était pas une "ordonnance discrétionnaire" à laquelle s'appliquent les principes de la norme de révision établis dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. , [1993] 2 C.F. 425 (C.A.). Toutefois, dans la mesure où le raisonnement du protonotaire Hargrave repose sur l'application des dispositions de la règle 135 aux conclusions de fait qu'il a tirées, l'appel ne devrait être accueilli que si je suis convaincu qu'il a commis une erreur.

Je dois faire une autre remarque préliminaire au sujet des questions soulevées dans la présente affaire. L'avocat de la défenderesse, Me Swanson, a souligné dans sa plaidoirie que je ne devrais pas aborder l'interprétation de la règle 135 en me demandant seulement si la demanderesse avait agi d'une manière visant à porter la déclaration à l'attention de la défenderesse. La règle 135, a-t-il soutenu, concerne également la compétence de la Cour à l'égard des non-résidents: en l'espèce, une compagnie qui serait située à Singapour. Comme la compétence de la Cour ne s'étend pas habituellement à ceux qui résident à l'extérieur du Canada, a dit Me Swanson, il est important de se demander, lorsqu'on interprète la règle 135, si le lien entre le cabinet d'avocats Campney & Murphy et la défenderesse était tel qu'on pourrait dire que la défenderesse était présente au Canada par l'intermédiaire de son agent et qu'elle était ainsi soumise à la compétence de la Cour.

Cet argument se trouve sûrement dans certaines décisions anciennes invoquées par l'avocat, comme Central Trust Co. of China v. Dolphin SS. Co., [1950] 2 W.W.R. 516 (C.A.C.-B.). Cependant, dans le monde moderne, qui a beaucoup rapetissé par suite de la globalisation de l'économie, des progrès technologiques dans les télécommunications et des transports rapides et assez peu coûteux, la notion selon laquelle c'est seulement dans des circonstances exceptionnelles que notre Cour devrait se déclarer compétente en matière de demandes présentées contre des compagnies étrangères semble décidément anachronique.

Le principe de la "présence physique" comme fondement de la compétence s'est affaibli considérablement au cours des ans. Cette évolution du droit est illustrée notamment par la suppression dans les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] en 1994 de l'obligation d'obtenir une autorisation avant que la signification puisse être effectuée à l'étranger. Cette évolution est illustrée également par l'importance accrue de la notion de forum approprié comme fondement de l'exercice de la compétence dans une affaire comportant des éléments étrangers, même lorsque la défenderesse se trouve dans le ressort de la Cour.

À mon avis, la règle 135 devrait donc continuer d'être interprétée de façon stricte comme une exception à la règle générale selon laquelle les actes introductifs d'instance devraient être signifiés à personne. Toutefois, cela vise principalement à permettre aux défendeurs de prendre réellement connaissance de la déclaration plutôt que de faire en sorte que la compétence de la Cour soit surtout limitée aux demandes formées contre des personnes se trouvant au Canada.

La règle 208 permet à la personne à qui est signifié un document à l'extérieur du Canada, et qui désire éviter d'avoir à invoquer le motif que la Cour fédérale n'est pas un forum approprié, de comparaître par l'intermédiaire d'un avocat à cette fin sans reconnaître ainsi la compétence de la Cour. Je dois faire observer que, à mon avis, la défenderesse ne pouvait pas soulever en l'espèce une défense fondée sur le forum non approprié. L'obligation de payer les frais médicaux de M. Dalgado découlait de la loi canadienne; la demanderesse est un organisme de la Colombie-Britannique; les services dont la demanderesse tente d'obtenir le paiement ont été fournis en Colombie-Britannique; et l'accident à l'origine de l'hospitalisation de M. Dalgado est survenu en Colombie-Britannique.

Question no 1: Les défendeurs ont-ils, dans le cours normal des affaires, effectué une opération commerciale au Canada?

Le protonotaire a conclu sur cette question que les affaires d'un propriétaire de navire devraient être interprétées de façon libérale afin de comprendre les activités qui sont plutôt accessoires à l'activité principale de la compagnie, en l'espèce, le transport de marchandises. Prendre des dispositions nécessaires au bien-être d'un membre du personnel affecté au navire entrait donc dans le cours normal des affaires de la défenderesse.

Me Swanson a soutenu, cependant, que cette conclusion était en contradiction avec un énoncé de l'arrêt Central Trust Co. of China v. Dolphin SS. Co., précité, où le juge d'appel Sidney Smith a dit (à la page 526):

[traduction] Lorsqu'un navire étranger arrive à Vancouver et prend des dispositions pour son approvisionnement en charbon, pour des réparations, pour son ravitaillement, etc., il me semble parfaitement clair qu'il n'est pas alors en train de faire des affaires; toutes ces activités ne visent qu'à lui permettre de faire ses affaires (le transport de marchandises ou de passagers ou les deux) et ne constituent pas les affaires elles-mêmes.

Je dois signaler que la Règle 8a) des règles de pratique en vigueur en Colombie-Britannique à cette époque [Supreme Court Rules, 1943] ne comprenait pas l'obligation pour le défendeur résidant hors de la province d'être "en train de faire des affaires" dans la province, mais l'obligation que la personne résidant dans la province qui faisait ou dirigeait elle-même ou au nom de la compagnie étrangère une partie des affaires de cette compagnie devait être considérée comme l'agent de la compagnie aux fins de la signification. Autrement dit, contrairement à la règle 135, la règle examinée dans Central Trust n'exigeait pas que la compagnie résidant hors de la province dirige elle-même des affaires dans la province ou s'y adonne à des affaires. Par conséquent, ce passage tiré du jugement rendu par le juge Sidney Smith constitue simplement une remarque incidente.

En outre, j'estime que l'expression "dans le cours normal des affaires" utilisée dans la règle 135 a une portée plus large que la notion dite de "la conduite des affaires" à laquelle le juge Sidney Smith semble s'être intéressé. On dirait sûrement de nos jours que le paiement des salaires des membres du personnel étaient des opérations effectuées "dans le cours normal des affaires" d'un propriétaire de navire. Pour interpréter les mots "dans le cours normal des affaires" et "effectue des opérations commerciales au Canada", j'ai tenu compte de ce que l'un des éléments importants de l'exigence imposée est de garantir que le lien existant entre l'objet du litige et le Canada est suffisamment étroit pour que la Cour fédérale semble devoir être le forum approprié.

Par conséquent, je conclus que, lorsque Cosmos Shipping est devenue redevable des frais médicaux de M. Dalgado et que des dispositions ont été prises pour que des paiements soient effectués afin d'acquitter cette obligation, elle était en train d'effectuer des opérations commerciales au Canada "dans le cours normal des affaires". Contrairement à l'arrêt Lex Tex Canada Limited c. Highland Mills Limited , [1978] 2 C.F. 185 (1re inst.), et à la décision Mona Lisa Inc. c. Le Carola Reith, [1979] 2 C.F. 633 (1re inst.), où n'avait pas été prouvée l'existence de contrats conclus au Canada ou d'opérations effectuées au Canada, l'ensemble des faits à l'origine du litige est bien rattaché au Canada.

Question no 2: Le paiement des factures d'hôpital par Campney & Murphy constituait-il un service rendu à la défenderesse "relativement à [un] contrat ou à [une] opération commerciale" aux fins de la règle 135?

Après avoir conclu que le fait pour Cosmos Shipping d'assumer une obligation légale à l'égard des frais médicaux de M. Dalgado et les dispositions prises pour l'acquitter constituaient des "opérations commerciales", je dois maintenant me demander si le paiement des factures par Campney & Murphy peut être considéré comme un service "relativement à [une] opération commerciale".

Je n'ai pas trouvé utiles des décisions comme Canada Life Assurance Co. v. Canadian Imperial Bank of Commerce; First National City Bank of New York, Third Party (1974), 3 O.R. (2d) 70 (C.A.), et Central Trust Co. of China v. Dolphin SS. Co., précitée, parce qu'elles ont été rendues en vertu de règles qui prévoyaient que la personne se trouvant dans le ressort de la cour [traduction] "fait ou dirige elle-même ou au nom [d'une compagnie résidant hors de la province] une partie des affaires [de cette compagnie]". Par contraste, la règle 135 exige simplement que la personne se trouvant au Canada fournisse des "services [. . .] relativement à [un] contrat [conclu] ou à [une] opération commerciale [effectuée]" par la personne qui est à l'étranger.

En outre, on peut facilement faire une distinction avec Price & Pierce International Inc. c. L'Antares, [1982] A.C.F. no 1013 (C.A.) (QL) pour le motif que la personne à laquelle la déclaration avait été remise "n'était pas à Montréal pour conclure des affaires au nom de l'appelante". Et dans Portbec Forest Products Ltd. et al. c. Navire Bosporus et al. (1996), 108 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.), où il a été jugé que la signification au propriétaire du navire n'était pas valide, on a conclu que la compagnie à laquelle la signification avait été faite était l'agent de l'affréteur et non pas du propriétaire du navire et qu'elle avait signé les connaissements au Canada avec l'autorisation de l'affréteur.

Me Swanson a soutenu que le cabinet d'avocats Campney & Murphy n'a pas payé les factures d'hôpital pour le compte de la défenderesse: son client était le P. & I. Club (Gard) qui avait retenu les services du cabinet d'avocats le jour de l'accident pour protéger ses propres droits et ceux du propriétaire du navire. C'est Gard, et non pas la défenderesse, qui a remboursé le cabinet d'avocats pour ces paiements. Me Swanson a maintenu que, si le simple paiement des factures suffisait à assujettir le cabinet d'avocats à la règle 135, alors la signification à la défenderesse pouvait être faite tout aussi validement par la remise d'une déclaration au messager qui a apporté les chèques à l'hôpital.

Cet argument ne me convainc pas. Étant donné le lien étroit entre les droits de Gard et ceux du propriétaire du navire et le fait que les paiements ont été effectués en vue de l'acquittement d'une obligation légale de la défenderesse, il importe peu de savoir qui a donné instruction de payer les factures.

Quant à l'argument par analogie, il était presque certain que, en remettant la déclaration à Campney & Murphy, la demanderesse pouvait être raisonnablement sûre que ce document serait porté à l'attention de la défenderesse, par l'intermédiaire du P. & I. Club ou directement par le cabinet d'avocats, qui représentait également la défenderesse dans l'action intentée contre elle par Sheryl Dalgado à titre personnel et à titre de curatrice à l'instance de son mari. Il est beaucoup moins probable, naturellement, qu'un messager agisse ainsi.

De plus, Me Morrison, l'avocat de la demanderesse, a soutenu qu'il faudrait également examiner les activités de Campney & Murphy dans le contexte plus large des liens commerciaux existant entre le cabinet d'avocats et Cosmos Shipping. Par exemple, a-t-il signalé, le cabinet Campney & Murphy n'a pas seulement payé les factures d'hôpital, mais il a également aidé les gérants de l'Alpha Cosmos à obtenir des visas pour permettre aux frères de M. Dalgado d'aller le voir à Vancouver.

Par conséquent, je ne pense pas que le protonotaire ait commis une erreur de droit en concluant que, selon les faits, le cabinet Campney & Murphy a rendu des services "relativement à [une] opération commerciale" quand il a tiré des chèques afin de payer les factures d'hôpital dont la défenderesse semble avoir été redevable.

Question no 3: Le paiement de quatre factures d'hôpital par le cabinet Campney & Murphy constitue-t-il un recours suffisamment régulier aux services de ce cabinet pour satisfaire à la règle 135?

Le protonotaire Hargrave a conclu que le paiement de chaque facture constituait une opération commerciale distincte et que quatre opérations commerciales suffisaient pour satisfaire à cet aspect de la règle 135. Me Swanson a allégué que quatre paiements effectués relativement à une seule obligation, si elle était itérative, ne constituait pas un usage régulier. Subsidiairement, il a soutenu que, si ces quatre paiements étaient suffisants, la règle 135 s'applique seulement à une "instance découlant d'un contrat ou d'une opération commerciale" et que l'instance en l'espèce découle du refus de Cosmos Shipping de faire d'autres paiements à l'hôpital. Par définition, l'instance ne découle pas du versement de paiements relativement auxquels le cabinet Campney & Murphy a pu rendre des services à la défenderesse, mais du défaut de paiement relativement auquel le cabinet Campney & Murphy n'a pas rendu de services.

Encore une fois, je ne trouve pas cet argument convaincant. Quatre paiements mensuels, bien qu'ils aient été effectués relativement au traitement continu de la même personne, me semblent établir une "régularité" suffisante aux fins de la règle 135 pour qu'il soit raisonnable de croire que le lien existant entre le cabinet Campney & Murphy et la défenderesse était tel que la remise de la déclaration à ce cabinet la porterait à l'attention de la défenderesse. Quant à l'argument selon lequel, si les paiements concernaient des opérations distinctes, l'instance découle du non-paiement des factures subséquentes, je signalerai que le cabinet Campney & Murphy a écrit une lettre à l'hôpital Lions Gate pour le compte de Cosmos Shipping, dans laquelle il déclarait que Cosmos Shipping n'avait pas l'intention d'effectuer d'autres paiements. Cela me semble un service rendu relativement à une opération commerciale au sens de la règle 135, à savoir le refus de payer une facture.

Question no 4: Le protonotaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que la signification a été faite à Campney & Murphy à titre d'agents commerciaux de la défenderesse et non pas d'avocats de celle-ci?

Il est bien établi que, si la signification a été faite à Campney & Murphy à titre d'avocats de la défenderesse, elle est sans effet. La raison en est que la règle 134 prévoit que la signification à une partie "peut être effectuée auprès de son avocat si celui-ci en accepte la signification" et il est clair que le cabinet d'avocats Campney & Murphy n'a pas accepté la signification. Me  Swanson a soutenu que, bien que le cabinet d'avocats n'ait pas non plus refusé la signification, il avait le droit de ne rien faire lorsqu'il a reçu la déclaration; il n'était pas tenu d'aviser les avocats de la demanderesse que leur tentative de faire signifier le document à la défenderesse n'était pas valide.

Me Morrison a allégué, toutefois, qu'il s'agit d'un cas très inhabituel. Le jour où sont survenues les lésions corporelles de M. Dalgado, les services du cabinet d'avocats Campney & Murphy ont été retenus par le P. & I. Club pour représenter ses droits et, incidemment et inévitablement, ceux du propriétaire du navire également, en s'occupant des conséquences juridiques de l'accident. Il a observé en outre que les services du cabinet d'avocats ont été retenus ensuite par le propriétaire du navire pour contester la déclaration de M. Dalgado. De plus, il a soutenu que, en payant les factures d'hôpital et en aidant à régler la question des visas destinés aux frères de M. Dalgado, le cabinet Campney & Murphy a également rendu à la défenderesse des services qui sortaient du cadre normal des services professionnels rendus par des avocats à leurs clients. Relativement à ces services, par conséquent, le cabinet Campney & Murphy devrait être considéré non pas comme les avocats de la défenderesse mais comme ses agents commerciaux à Vancouver, et le protonotaire n'a donc pas commis d'erreur de droit dans sa conclusion.

Me Swanson a fondé sa contestation de cet aspect du raisonnement du protonotaire Hargrave sur deux points. Premièrement, le protonotaire avait, a-t-il dit, examiné hors de leur contexte les paiements des factures effectués par Campney & Murphy. En particulier, a-t-il maintenu, les services de Campney & Murphy avaient été retenus à titre d'avocats par le P. & I. Club depuis le début; ces avocats devaient le représenter, protéger aussi les droits du propriétaire du navire et s'occuper des diverses conséquences juridiques résultant de l'accident. Bien que les droits de l'assureur et ceux du propriétaire du navire puissent ne pas être identiques, ils se chevauchaient certainement dans une très grande mesure, de sorte que le fait que les services du cabinet Campney & Murphy n'avaient pas été retenus de façon formelle par la défenderesse dans la présente instance constituait un simple détail technique. Me Swanson a également signalé que, dans la lettre du 7 août 1998, par laquelle le cabinet Campney & Murphy avisait l'hôpital Lions Gate qu'il n'y aurait plus d'autres paiements relativement aux frais médicaux de M. Dalgado, le cabinet déclarait qu'il représentait Cosmos Shipping et que "notre client" avait payé les factures d'hôpital de M. Dalgado jusque-là.

Deuxièmement, Me Swanson a avancé que, si la décision du protonotaire Hargrave était maintenue, cela engendrerait des difficultés importantes pour les avocats s'occupant de droit maritime, particulièrement lorsqu'ils représenteraient des associations de protection et d'indemnisation, en plus de changer inévitablement leur façon d'exercer le droit. En particulier, les avocats devraient se demander très sérieusement si tout service qu'ils ont rendu dans l'exercice de leur profession était de nature juridique. S'il ne l'était pas, cela pourrait exposer leurs clients étrangers au risque d'une signification substitutive en vertu de la règle 135 et ainsi leur imposer des frais et l'inconvénient de devoir déposer une défense ou retenir les services d'un avocat afin de comparaître pour s'opposer à la procédure présentée devant un tribunal au Canada. De plus, il pourrait être nécessaire de produire des documents qui mettent en cause le secret professionnel afin de déterminer si les avocats agissaient à ce titre ou à titre d'agents commerciaux.

En outre, a allégué Me Swanson, une décision selon laquelle le cabinet Campney & Murphy agissait à titre d'agent commercial, et non pas à titre d'avocat, lorsqu'il a payé les factures d'hôpital et a aidé à l'obtention des visas l'exposerait à devoir peut-être produire une partie de ses dossiers. Il serait difficile, selon lui, d'invoquer le secret professionnel au vu d'une décision de la Cour selon laquelle le lien qui existait entre Campney & Murphy et la défenderesse n'était pas en l'espèce celui existant entre un avocat et son client.

Tout en reconnaissant le poids de ces arguments, je n'ai pas été convaincu en fin de compte que le protonotaire Hargrave a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que le cabinet Campney & Murphy était allé au-delà de son rôle d'avocat. En dépit de la déclaration faite dans la lettre du 7 août 1998, les services du cabinet Campney & Murphy n'avaient pas été retenus par Cosmos Shipping pour qu'il la représente en rapport avec l'action de la demanderesse, bien que les services de ce cabinet aient été retenus en rapport avec l'action de M. Dalgado. Et même s'il y a manifestement une grande communauté d'intérêts entre le P. & I. Club et Cosmos Shipping, le cabinet Campney & Murphy représentait seulement celui-là en l'espèce, de sorte que tous les services qu'il a rendus à la défenderesse ne l'ont pas été en sa qualité d'avocat de celle-ci dans la présente action.

Quant à l'argument selon lequel il y aurait des conséquences néfastes pour la pratique du droit maritime si le cabinet Campney & Murphy n'était pas considéré comme ayant agi à titre d'avocat de la défenderesse, je remarque que le protonotaire Hargrave possède une grande expérience dans ce domaine du droit et son exercice à Vancouver et qu'il n'était pas d'avis que sa décision entraînerait des répercussions néfastes du genre de celles auxquelles Me Swanson a fait allusion.

En dernier lieu, je suis sceptique en ce qui concerne la prétention selon laquelle le fait de considérer le cabinet Campney & Murphy comme un agent commercial en raison du paiement des factures d'hôpital risque de compromettre tout secret professionnel légitime qu'il peut désirer subséquemment faire valoir au nom de Cosmos Shipping. De telles prétentions peuvent être présentées et jugées quant au fond au moment opportun, et je suis disposé à noter, pour mémoire, que la conclusion que je tire en l'espèce n'engage en rien quant à toute demande relative au secret professionnel que le cabinet Campney & Murphy pourrait présenter subséquemment au nom de Cosmos Shipping. Je ne pense pas non plus que des clients devront choisir de renoncer au secret professionnel afin de prouver que l'avocat a participé à une opération à titre d'avocat du client, plutôt qu'à titre d'agent commercial. Habituellement, il ressortira clairement de la nature du service ou de l'opération en question dans quelle catégorie il ou elle entre.

Si je me trompais en concluant que la signification de la défenderesse satisfaisait aux exigences de la règle 135, je validerais la signification en vertu de la règle 147, qui prévoit:

147. Lorsqu'un document a été signifié d'une manière non autorisée par les présentes règles [. . .] celle-ci peut considérer la signification comme valide si elle est convaincue que le destinataire en a pris connaissance ou qu'il en aurait pris connaissance s'il ne s'était pas soustrait à la signification.

Me Swanson a soutenu que la règle 147 ne s'applique pas à la signification d'un acte introductif d'instance parce que la règle 127 exige que cet acte "[soit] signifié à personne conformément aux règles 128 à 133". L'alinéa 63(1)a ) des Règles définit l'"acte introductif d'instance" comme comprennant la déclaration. Cependant, la règle 127 n'interdit pas la signification d'un acte introductif d'instance en vertu de la règle 135, qui est une "signification présumée", et je ne vois aucune raison pour laquelle la règle 147 ne validerait pas une tentative de signification en vertu de la règle 135 qui ne satisfait pas à ses exigences. La règle 147 est une nouvelle disposition, est rédigée en termes généraux et ne devrait pas être assujettie à des limites artificielles qui ne figurent pas dans son libellé.

Il n'a pas été prouvé directement à la Cour que la déclaration de la demanderesse avait été portée à l'attention de la défenderesse. Toutefois, je suis prêt à inférer de la preuve circonstancielle que la défenderesse en a effectivement eu connaissance. Premièrement, bien que Me Swanson ait dit que le document avait été envoyé au P. & I. Club, il me semble très vraisemblable que l'assureur, qui payait les frais d'hôpital, l'ait porté à l'attention du propriétaire du navire. Deuxièmement, le fait que Me Swanson ait reçu instruction de comparaître dans la présente requête pour le compte de la défenderesse porte également à croire que la défenderesse a eu connaissance de la déclaration, déduction qui est étayée en outre par le fait que les services du cabinet d'avocats de Me Swanson, Campney & Murphy, ont été retenus pour contester l'action de Mme Dalgado.

Subsidiairement, une prorogation de délai est accordée pour permettre à la demanderesse de signifer la déclaration à Cosmos Shipping à son adresse de Singapour ou à quelque autre endroit où elle serait située.

Pour ces motifs, je rejette la requête avec dépens en faveur de la demanderesse.

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