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Western Smallware & Stationery Company Lim ited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Catta- nach—Winnipeg (Manitoba), les 5, 6, 7 et 8 octobre 1971; Ottawa, le 12 janvier 1972.
Impôt sur le revenu—Plan de pension enregistré—Contri- butions pour services antérieurs—Montant recommandé par un actuaire compétent—Aucune obligation de verser des contributions pour services antérieurs—Les contributions non obligatoires ne sont pas déductibles—Loi de l'impôt sur le revenu, article 76(1).
Les dispositions d'un plan de pension enregistré en 1965 conformément à l'article 139(1)ahh) de la Loi de l'impôt sur le revenu autorisaient la compagnie appelante à verser des contributions pour services antérieurs de certains employés mais ne l'obligeaient pas. En 1965, 1966 et 1967, l'appe- lante versa plus de $151,000 au plan pour services anté- rieurs desdits employés, ce montant étant celui qu'avait recommandé un actuaire compétent conformément à l'arti- cle 76(1). Suivant les dispositions du plan, les fiduciaires du plan investirent $140,400 des contributions pour services antérieurs dans des actions privilégiées de la compagnie appelante. En établissant la cotisation de l'appelante pour 1965, 1966 et 1967, le Ministre refusa la déduction de la somme ainsi investie dans ces actions privilégiées.
Arrêt: confirmation de la cotisation du Ministre. Étant donné que les dispositions du plan n'obligeaient pas l'appe- lante à verser des contributions pour services antérieurs, on ne pouvait les déduire en invoquant l'article 76(1). Pour pouvoir ce faire, les paiements doivent être irrévocablement dévolus au plan de pension.
Arrêt suivi: M.R.N. c. Inland Industries Ltd. (1972) 23 D.L.R. (3e) 677.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
Allan J. Irving pour l'appelante.
J. A. Scollin, c.r. et G. J. Rip pour l'intimé.
LE JUGE CATTANACH—Par les présentes, il est fait appel de la cotisation d'impôt sur le revenu de l'appelante établie par le Ministre pour les années d'imposition 1964, 1966 et 1967, se terminant chacune le 31 décembre. Dans cette cotisation, le Ministre refusait à l'ap- pelante la déduction des sommes de $128,000, $6,300 et $6,100 pour les années d'imposition 1965, 1966 et 1967 ainsi que d'une perte com- merciale conséquente de $10,798.52 pour l'an- née 1964; l'appelante demandait la déduction de ces sommes à titre de contributions à des plans
de pension, communément appelés «régimes de pension de cadres» ou «super plans de pension» souscrits au profit de son président, de son vice-président et de son secrétaire.
L'appelante est une compagnie par actions, constituée en corporation en 1942 conformé- ment aux lois de la province du Manitoba; elle s'occupe avec succès d'un commerce de gros et distribue des articles ménagers, des jouets, des jeux et autres nouveautés, de Sault Ste-Marie (Ontario) à Vancouver (Colombie-Britannique). Ses principaux clients sont les centres commerciaux.
L'appelante envisageait depuis un certain temps de créer un plan de pension au profit de ses trois dirigeants. Elle avait étudié un certain nombre de possibilités auprès de différentes compagnies d'assurance, mais elle hésitait à épuiser son fonds de roulement pour faire face aux frais que cela entraînerait.
En 1965, sans doute après en avoir discuté avec un bureau d'experts en matière de pension, le vérificateur de l'appelante qui connaissait le système des pensions autonomes, a imaginé un régime de retraite qui convenait tout à fait à l'appelante et répondait à ses besoins. D'après ce plan, l'appelante devait passer trois accords de fiducie distincts en vertu desquels des fidu- ciaires administreraient un plan de pension au profit de son président, de son vice-président et de son secrétaire. Les contributions de l'appe- lante aux plans de pension seraient investies dans des polices d'assurance-vie au nom de chaque bénéficiaire et le solde le serait dans des actions (nouvellement créées) de catégorie «B» de l'appelante, non-cumulatives, sans droit de vote, rachetables, non-participantes et portant intérêt à 5%. La responsabilité initiale pour services antérieurs de ses trois dirigeants a été évaluée à la somme de $131,752. L'obligation annuelle future due aux contributions pour ser vices antérieurs qui seraient versées au profit de ces trois dirigeants a été évaluée à la somme de $5,491. Ces versements s'ajouteraient aux primes des polices d'assurance-vie.
Le vérificateur a informé l'appelante que le paiement d'une somme globale pour services antérieurs serait déductible aux fins de l'impôt
sur le revenu, tout comme les contributions annuelles aux plans de pension.
Les dirigeants de l'appelante étaient scepti- ques. Cela leur paraissait trop beau pour être vrai. En effet, ils profiteraient ainsi de tous les avantages sans avoir aucun des inconvénients. Les dirigeants de l'appelante bénéficieraient des pensions qu'ils désiraient, les contributions de l'appelante à ces plans seraient exemptes d'im- pôt et l'appelante ne serait pas privée de son fonds de roulement, ce qu'elle voulait éviter, car elle pourrait récupérer ses contributions en achetant ses propres actions de catégorie «B», privilégiées et rachetables.
Pour rassurer les dirigeants de l'appelante et leur enlever toute appréhension, le vérificateur se rendit au bureau principal du ministère du Revenu national à Ottawa, pour soumettre ces projets de plans de pension et d'accords fidu- ciaires (qui avaient été préparés mais n'étaient pas signés) à l'étude et à l'approbation des fonc- tionnaires du ministère et pour les informer que les fiduciaires en question avaient l'intention d'investir les contributions aux plans dans des actions privilégiées de l'appelante, qui devaient être créées à cet effet. Cette visite avait pour but de déterminer s'il s'avérerait nécessaire de modifier les projets de l'appelante, compte tenu de ses objectifs. Il est évident que les projets de l'appelante ont reçu une approbation verbale, sans changement, car les plans ont été ultérieu- rement approuvés par écrit quand elle en demanda l'approbation après signature.
M. Morley Leonard Bell était président de l'appelante, M. Dick Daniel Bell vice-président, et M. Alan Omson directeur général et secré- taire; ils étaient également propriétaires de la majorité des actions de la compagnie.
Par suite de l'approbation verbale des fonc- tionnaires du ministère, trois plans de pension distincts furent adoptés et trois accords de fidu- cie signés, chacun en date du 30 novembre 1965 et prenant effet à cette date.
Sauf que les trois bénéficiaires étaient diffé- rents, les avantages sur le plan financier étaient légèrement différents et les combinaisons de trois fiduciaires étaient aussi différentes (dans chaque cas le bénéficiaire était l'un des fiduciai- res, les deux autres étant, dans les trois accords
de fiducie et les trois plans de pension, le vérifi- cateur et l'avocat de l'appelante) les modalités des trois accords de fiducie et des trois plans étaient en tous points identiques.
D'après les accords de fiducie, les fiduciaires devaient essentiellement gérer les régimes de retraite et leurs tâches se limitaient à l'exécu- tion des clauses des accords et à l'administra- tion desdits régimes, en suivant les directives de l'appelante données conformément aux accords de fiducie. L'appelante se réservait le droit de modifier les dispositions des accords de fiducie, sous réserve des droits acquis. Au cas l'ap- pelante mettrait fin aux plans de pension, les fonds gérés par les fiduciaires seraient versés aux participants de la façon qu'approuverait l'appelante. Les accords de fiducie autorisaient les fiduciaires à investir dans toute valeur qui leur paraîtrait suffisamment sûre. L'appelante avait le droit de s'opposer à tout placement effectué par les fiduciaires, auquel cas ces der- niers se verraient alors obligés de vendre les valeurs en question.
En vertu de chacun des plans de pension, l'appelante devait verser des contributions pour services antérieurs à l'égard du participant à chacun des plans selon le système des «paie- ments éventuels», c'est-à-dire à mesure qu'elle disposerait des fonds nécessaires. A sa retraite, un membre avait droit à une pension annuelle pour services antérieurs dans la mesure l'ap- pelante avait acheté une telle pension.
Le 13 décembre 1965, les plans de pension et les accords de fiducie ont été officiellement soumis à l'approbation du Ministre, par voie de demande d'enregistrement accompagnée d'un rapport de l'actuaire daté du 6 décembre 1965; selon ce rapport, en admettant que chacune des pensions annuelles, à la date normale de la retraite fixée par les plans, ne dépasserait pas 70% du revenu annuel moyen de chacun des bénéficiaires durant les six dernières années ou $40,000, les fonds des plans de pension du président, du vice-président et du secrétaire devraient respectivement être augmentés de $46,726, $30,680 et $54,346, soit d'une somme totale de $131,752, afin d'assurer que toutes les obligations de chacun des trois fonds pour ser vices antérieurs puissent être pleinement acquittées.
Par trois lettres, respectivement datées du 23 décembre 1965, du 29 décembre 1965 et du 23 décembre 1965, l'appelante a été informée de l'acceptation des plans de pension pour enregis- trement, avec effet rétroactif au 30 novembre 1965, en vertu de l'article 139(1)ahh) de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elle pouvait déduire de son revenu imposable les contribu tions à ces plans de pension. Au sujet des paiements spéciaux effectués au plan pour ser vices antérieurs par des employés, l'appelante a été informée qu'on avait demandé l'avis du surintendant des assurances, conformément à l'article 76 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et que, dès réception de celui-ci, elle en serait avertie.
Par trois lettres datées du 15 février 1966, l'appelante a été informée que le surintendant des assurances avait avisé le Ministre qu'il pou- vait approuver les paiements spéciaux faits aux plans de pension pour services antérieurs en vertu de l'article 76 de la Loi, paiements s'éle- vant respectivement à $46,726, $30,680 et $54,346, au 30 novembre 1965, et que lesdits paiements pourraient être déduits en vertu de l'article 76 de la Loi.
En prévision des approbations susmention- nées, le conseil d'administration de l'appelante avait adopté les résolutions appropriées et, le 21 décembre 1965, elle avait déjà fait les paie- ments spéciaux s'élevant à la somme de $131,- 752 aux diverses fiducies, sous réserve de l'en- registrement des plans de pension.
Toujours en prévision de l'enregistrement desdits plans, l'appelante avait fait, le ler octo- bre 1965, une demande de lettres patentes sup- plémentaires sollicitant l'augmentation de son capital-actions autorisé par la création de 2,000 actions privilégiées de catégorie «B». Les let- tres patentes supplémentaires augmentant ainsi le capital-actions autorisé ont été émises le 24 novembre 1965.
Le 21 décembre 1965, l'appelante émettait, à l'ordre des fiducies, les chèques suivants:
Président $ 46,726.00
Secrétaire 54,346.00
Vice-président 30,680.00
Total $131,752.00
Ces chèques ont été négociés par les trois fiducies et leur produit déposé dans des comp- tes en banque au nom des trois fiducies respectives.
Lorsqu'ils ont pu disposer de ces fonds, les fiduciaires de chacune des fiducies précitées ont acheté une police d'assurance au nom de chaque bénéficiaire et ils ont souscrit à des actions privilégiées de catégorie «B» de l'appe- lante. Les fiduciaires des trois fiducies ont émis à l'ordre de l'appelante un chèque de $45,500 pour le compte de la fiducie du président, pour l'achat de 455 actions privilégiées de catégorie «B» de la compagnie d'une valeur nominale de $100 chacune, un chèque de $53,000 pour le compte de la fiducie du secrétaire, pour l'achat de 530 actions privilégiées semblables et un chèque de $29,500 pour le compte de la fiducie du vice-président, pour l'achat de 295 actions privilégiées.
Le 22 décembre 1965, l'appelante remettait ces actions à chaque fiducie conformément aux souscriptions.
En outre, les trois fiducies ont aussi acheté des polices d'assurance et payé les primes correspondantes.
Au cours de l'année d'imposition 1966, l'ap- pelante a versé aux trois fiducies de nouvelles contributions s'élevant à la somme de $9,991 et réparties comme suit:
Président $2,879.00
Secrétaire 4,253.00
Vice-président 2,859.00
Ces sommes ont été déposées dans les comp- tes en banque de chaque fiducie par les fiduciai- res, qui ont immédiatement souscrit et payé d'autres actions privilégiées de catégorie «B» de
l'appelante, pour un total de $6,300 réparti comme suit:
Président: 19 actions privilégiées, soit $1,900.00 Secrétaire: 24 actions privilégiées, soit 2,400.00 Vice-président: 20 actions privilégiées,
soit 2,000.00
L'appelante a émis les actions souscrites.
Pour l'année d'imposition 1967, l'appelante a utilisé à nouveau ce système. Elle a versé aux trois fiducies de nouvelles contributions s'éle- vant à la somme de $9,991, dont $6,100 ont été utilisés par les fiduciaires pour l'achat d'actions privilégiées de catégorie «B»: 19 actions, soit $1,900, pour la fiducie du Président, 22 actions, soit $2,200, pour celle du secrétaire et 20 actions, soit $2,000, pour celle du vice-prési- dent.
Dans chaque cas, l'appelante a émis ses chè- ques à l'ordre de chaque fiducie. Les fiduciaires les ont déposés dans le compte en banque de leur fiducie respective, puis ils ont émis leurs chèques à l'ordre de l'appelante en paiement des actions auxquelles ils souscrivaient.
La procédure suivie par le Ministre, en coti- sant l'appelante pour les années d'imposition en question, peut se résumer comme suit:
Montants de
la contribu- Déductions
tion de autorisées
l'appelante par le Montants
Années au fonds Ministre rejetés
1965 .... $131,752.00 $ 3,752.00 $128,000.00
1966 .. 9,991.00 3,691.00 6,300.00
1967 .... 9,991.00 3,891.00 6,100.00
$151,734.00 $11,334.00 $140,400.00
Les montants de $128,000, $6,300 et $6,100, dont le Ministre a refusé la déduction, représen- tent les sommes dépensées par les fiducies au cours des années d'imposition en cause pour l'achat des actions privilégiées de catégorie «B» de l'appelante.
Au cours des années d'imposition qui nous intéressent, il n'y avait aucune législation ou règlementation fédérale, ni aucun règlement ministériel ou directive administrative au niveau fédéral qui empêchaient les fiduciaires d'un plan de pension d'investir les fonds qu'ils géraient de la façon qu'ils estimaient appro- priée, y compris dans des actions de la compa- gnie contribuant au fonds et, en l'espèce, l'appe- lante a payé aux trois plans de pension à gestion fiduciaire les dividendes sur leurs actions privi- légiées de catégorie «B».
Si j'ai bien compris la thèse exposée au nom du Ministre, il allègue essentiellement que les contributions de l'appelante aux trois plans de pension ne sont pas déductibles lors du calcul de son revenu car les contributions en question n'étaient pas conformes aux exigences de l'arti- cle 76 de la Loi de l'impôt sur le revenu que voici:
76. (1) Lorsqu'un contribuable est un employeur et qu'il a effectué un paiement spécial dans une année d'imposition au titre d'un fonds ou plan de pension ou de retraite d'employés à l'égard de services antérieurs rendus par des employés, en conformité de la recommandation d'un actuaire compétent d'après qui les ressources du fonds ou plan devraient être augmentées d'un montant non inférieur à celui du paiement spécial afin d'assurer que toutes les obligations du fonds ou plan envers les employés puissent être pleinement acquittées, et a effectué le paiement de manière qu'il soit irrévocablement dévolu au fonds ou plan ou pour le fonds ou plan, et que le paiement a été approuvé par le Ministre, sur l'avis du surintendant des assurances, on peut déduire, dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition, le montant du paiement spécial.
Plus précisément, on a soutenu au nom du Ministre premièrement, qu'aucun des paiements spéciaux effectués par l'appelante n'était irrévo- cablement dévolu aux plans de pension.
Étant donné l'ensemble des opérations par lesquelles l'appelante a émis les chèques à l'or- dre des fiducies, les fiduciaires à celui de l'ap- pelante, d'un montant quasiment équivalent, et
l'appelante des actions privilégiées de catégorie «B» aux fiducies en échange de ces chèques, le tout conformément à un plan préétabli, on a soutenu au nom du Ministre qu'au fond, il ne s'agissait pas de paiements réels, que le but visé par les parties en procédant à cet échange de chèques n'était pas de transférer les sommes aux plans de pension, cet échange ne consti- tuant pas un véritable paiement. En fait c'é- taient des actions privilégiées de l'appelante que les plans de pension avaient véritablement reçues par suite de cet échange de chèques, actions qui n'avaient pas une valeur équivalente à leur valeur au pair, l'appelante étant une com- pagnie privée dont les actions ne peuvent être transmises qu'à certaines conditions et ne peu- vent être rachetées que par suite d'une décision du conseil d'administration. A cet égard, on a également soutenu au nom du Ministre que les fiduciaires étaient sous la direction et le con- trôle de l'appelante, si bien que l'appelante ne s'est pas départie des fonds; par conséquent, lesdits fonds n'ont pas été irrévocablement dévolus aux plans de pension.
Deuxièmement, on a soutenu au nom du Ministre que la validité de la recommandation de l'actuaire, telle qu'exprimée dans le certifi- cat, dépend de l'existence en droit de l'obliga- tion absolue pour l'appelante d'effectuer, con- formément aux plans, un paiement ou des paiements aux fiduciaires à l'égard des services antérieurs des bénéficiaires. S'il n'existe pas d'obligation semblable, l'actuaire n'a pas com- pétence pour formuler une recommandation quant aux montants dont il faut augmenter les ressources des fonds ou plans. Il a été aussi avancé que l'appelante est tout au plus autori- sée, mais qu'elle n'y est pas obligée, à faire des versements aux plans de pension afin de per- mettre aux fiduciaires d'acheter des pensions pour services antérieurs des bénéficiaires res- pectifs; puisque ces derniers ne pouvaient avoir droit à des pensions supérieures à celles que l'on pourrait acheter avec les fonds que l'appe- lante aurait versés aux plans de pension, il s'ensuit que les ressources des plans n'exi- geaient pas d'augmentation pour assurer que leurs obligations puissent être pleinement acquittées.
Troisièmement, le Ministre a soutenu que les déductions de $128,000, $6,300 et $6,100 récla- mées par l'appelante pour ses années d'imposi- tion 1965, 1966 et 1967 étaient interdites par l'article 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu que voici:
137. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un déboursé fait ou d'une dépense contractée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.
L'avocat de l'appelante a soutenu de son côté que les opérations par lesquelles elle avait émis ses chèques à l'ordre des plans de pension et reçu de ces derniers des chèques en paiement des actions privilégiées de catégorie «B» qu'elle avait émises au profit des plans de pension étaient de véritables opérations effectuées con- formément à la réalité commerciale, ce qui fai- sait de ses paiements de véritables versements irrévocablement dévolus aux fonds de pension en gestion fiduciaire et que, s'il n'en était pas ainsi, il s'agissait alors du paiement des actions de catégorie «B» de l'appelante et que ce paie- ment équivalait en droit à la valeur au pair des actions émises.
Quant à l'argument exposé au nom du Minis- tre selon lequel les débours ou les dépenses contractés par l'appelante au cours de ces opé- rations, si leur déduction était autorisée, «rédui- raient indûment ou de façon factice le revenu» de l'appelante, au sens de l'article 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'appelante a répondu que ces dépenses avaient été engagées de bonne foi à des fins commerciales tout à fait légitimes et que tout avantage fiscal était accessoire.
Il m'a semblé que l'argumentation présentée au nom de l'appelante s'appuyait sur le fait que les plans de pension avaient été soumis au Ministre qui avait accordé le droit de les enre- gistrer. En vertu de l'article 139(1)ahh), un plan enregistré de pension signifie un plan accepté par le Ministre pour l'enregistrement pour l'an- née d'imposition considérée. Le Ministre a enregistré ces plans et il n'a pas, au cours des années d'imposition postérieures, révoqué cet enregistrement. L'appelante a envoyé son véri- ficateur à Ottawa pour qu'il discute des plans avec les fonctionnaires du ministère, en révé-
lant l'ensemble du projet et l'intention des fidu- ciaires des plans d'investir les fonds dans des actions privilégiées de l'appelante. Si le Ministre a ultérieurement jugé que les plans ne devraient pas investir dans les actions de l'appelante, on n'a pas laissé à l'appelante l'occasion de trans former ces investissements en des placements qui auraient été acceptables, comme il était possible de le faire en vertu de chacun des accords de fiducie. En résumé, l'appelante déclare que le Ministre a modifié les règles au beau milieu du jeu à son détriment, en ce sens qu'elle est maintenant obligée de payer un mon- tant plus élevé d'impôts ainsi que des intérêts pour retard de paiement. Par conséquent, l'ap- pelante soutient qu'étant donné son attitude, le Ministre ne peut refuser les déductions qu'elle réclame.
A mon avis, cette argumentation revient à invoquer la doctrine de la fin de non-recevoir'. Pour qu'il y ait fin de non-recevoir, il faut (1) une démarche tendant à faire adopter une atti tude donnée à la personne auprès de qui l'on fait cette démarche, (2) un acte résultant de cette démarche, accompli par la personne auprès de qui on l'a faite, et (3) un préjudice causé à cette personne et résultant de l'acte. (Voir Greenwood c. Martins Bank [1933] A.C. 51.)
Dans son ouvrage, On evidence, 8 e édition, p. 667, Phipson déclare que:
[TRADUCTION] Les fins de non-recevoir, quelles qu'elles soient, restent cependant soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale. Ainsi, lorsqu'une loi impose des mesures particu- lières, aucune fin de non-recevoir ne pourra valider son inobservation.
Lorsque la loi impose l'obligation de faire, l'appelante ne peut pas invoquer une fin de non-recevoir pour empêcher la Couronne de faire la preuve que l'obligation n'a pas été rem- plie. (Voir Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd. [1937] A.C. 610.)
En l'espèce, l'article 76(1) de la Loi de l'im- pôt sur le revenu exige expressément la recom- mandation d'un actuaire compétent d'après qui il faut augmenter les ressources du fonds ou plan d'un montant au moins équivalent à celui du paiement spécial «afin d'assurer que toutes les obligations du fonds ou plan envers les
employés puissent être pleinement acquittées». Il s'ensuit que l'existence d'une telle obligation incombant au fonds ou au plan à l'égard des employés est une condition suspensive, imposée par la loi, au droit de l'appelante de réclamer en déduction le montant versé au plan. Empêcher le Ministre de prétendre et démontrer qu'il n'e- xistait pas d'obligation semblable du plan à l'é- gard des employés enlèverait tout effet aux dispositions de l'article 76(1) de la Loi; l'appe- lante ne peut donc pas invoquer cet argument.
Lorsque l'affaire m'a été présentée, les avo- cats n'avaient pas encore eu l'occasion de lire le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire M.R.N. c. Inland Industries Limited, prononcé le 20 décembre 1971, 23 D.L.R. (3 e ) 677.
En l'espèce, le seul point en litige portait sur une somme dont l'intimé réclamait la déduction en vertu de l'article 76 de la Loi de l'impôt sur le revenu à titre de paiements spéciaux versés aux fiduciaires de son plan de pension à l'égard des services antérieurs de son président.
Dans sa réponse à l'avis d'appel, le Ministre a longuement expliqué son rejet de la déduction réclamée. Ce sont, au fond, les mêmes principes qui ont été invoqués et plaidés dans le présent appel.
En rendant le jugement unanime de la Cour suprême, le juge Pigeon déclare:
... On a soulevé à nouveau les mêmes moyens en cette Cour, mais je ne crois pas nécessaire ni souhaitable d'expri- mer un avis sur aucun de ces motifs sauf sur le suivant qui, à mon sens, est décisif, savoir que la déduction demandée ne peut être accordée parce qu'il n'y a pas d'«obligations» du fonds ou du plan envers M. Lloyd Parker exigeant un paiement spécial afin qu'elles puissent être pleinement acquittées ...
M. Lloyd Parker était président de la compa- gnie et l'unique membre de la catégorie «A» du plan.
Il poursuit:
Le fait qu'il n'y a pas «d'obligations» du fonds de pension envers M. Parker exigeant des paiements spéciaux ressort clairement des termes du plan. Les seules obligations envers un participant sont d'utiliser de la façon prescrite les fonds qui deviennent disponibles. De fait, on n'a pas prétendu à
l'audition qu'avait été créée, à la charge du fonds ou de la compagnie, une obligation d'assurer à M. Parker les presta- tions que devaient couvrir les paiements spéciaux.
On a soutenu que le mot «obligation» devait s'entendre comme l'entendait l'actuaire faisant une recommandation. Il faut d'abord observer que dans sa note, le département des assurances ne dit pas, comme il est énoncé dans le certificat de l'actuaire, que le fonds doit être augmenté [TRADUCTION] «afin que toutes les obligations du fonds à l'égard de servi ces antérieurs puissent être pleinement acquittées» mais [TRADUCTION] «que le fonds devrait être augmenté d'un montant au moins égal à celui ci-dessus mentionné afin que le maximum des prestations possibles en vertu du plan puisse être versé». Cette phrase suit celle l'on dit que [TRADUCTION] «le plan ne prévoit pas un montant de pension précis, mais se borne à fixer le maximum de la pension totale». La différence entre les termes de cette note et ceux du certificat de l'actuaire est assez importante et il est pour le moins surprenant que, malgré cet avis, le ministère ait approuvé les paiements, au nom du ministre. Toutefois, il me paraît qu'une approbation donnée sans que les condi tions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.
On a soutenu à l'audition que, dans l'article 76, le mot «obligation» est utilisé dans le contexte d'une disposition concernant un certificat d'actuaire, et qu'il ne faut pas lui donner son sens ordinaire, mais le sens spécial que lui donnerait un actuaire. A supposer que cela soit vrai, on n'a pas fait la preuve de l'existence d'un tel sens spécial. Le certificat et le témoignage de son auteur lors de l'audition en Cour de l'Échiquier ne démontrent pas que les actuaires donnent généralement au mot «obligation» le sens qu'on prétend qu'il a ici. En réalité, la note du département des assurances est une preuve convaincante du contraire. De plus, le paragraphe (2) de l'article 76 indique clairement que «les obligations du fonds ou plan envers les employés» signifie les «prestations de pension de retraite ou de pen sions payables». Il est évident que la situation à laquelle on a voulu faire face au moyen des paiements spéciaux est celle qui se présente quand un plan de pension contient un barème des prestations à verser.
L'avocat de la compagnie a souligné que dans quelques autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, notam- ment dans l'article 11(1)c) qui a trait à la déduction d'inté- rêts, on a utilisé l'expression «obligation juridique». Il a soutenu que l'absence de l'adjectif «juridique» à l'art. 76 reflète l'intention de ne pas exiger d'obligation juridique. Malgré cela, la conclusion que l'article 76 doit s'appliquer quand il n'y a aucune obligation, juridique ou autre, ne se justifie pas. En outre, je dois signaler que dans la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, l'art. 5(1)b) qui portait sur la déduction de l'intérêt, parlait de «l'intérêt payable». On ne peut guère avoir eu l'intention, en remplaçant cette expres sion par «aux termes d'une obligation juridique de payer» dans la Loi de l'impôt sur le revenu, de modifier totalement les exigences relatives aux paiements spéciaux à des plans de pension à l'égard d'obligations pour services antérieurs, quand ces exigences sont demeurées sensiblement les mêmes (voir l'article 5(1)m) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu édicté en 1942 par 6 Geo. VI, c. 28, art. 5(5)).
Quant à la portée du certificat de l'actuaire, dont on a dit qu'elle constitue un »critère subjectif», même en admettant qu'il en soit ainsi, ce ne peut être vrai qu'en ce qui concerne l'étendue des obligations. On ne peut avoir voulu que ce certificat soit décisif de l'existence de ces obligations. Il est évident que l'auteur de la note du département des assuran ces avait cette distinction présente à l'esprit. Il a clairement indiqué que son avis ne visait que les calculs et les hypothè- ses actuariels, et il s'est abstenu de toute opinion sur l'exis- tence d'une obligation. A mon avis, le certificat de l'actuaire n'était pas, plus que l'approbation donnée au nom du minis- tre, décisif de l'existence d'une obligation du fonds envers l'employé à l'égard de services antérieurs. L'existence d'une telle obligation est une condition statutaire du droit à la déduction et, en son absence, le droit de déduire un paie- ment spécial n'existe pas. On ne peut pas dire qu'en décla- rant au ministère, dans la demande d'enregistrement du plan, l'intention de faire à une date ultérieure des paiements s'élevant au montant réclamé, on a créé l'obligation de faire ces paiements. Au contraire, les termes du plan indiquent de façon parfaitement claire qu'il ne naît d'obligation envers M. Parker, quant à ces sommes, que si la compagnie choisit d'effectuer et effectue les paiements prévus au fonds, et pas avant.
J'ai soigneusement comparé les plans de pen sion et les accords de pension à gestion fidu- ciaire en cause dans le présent appel à ceux dont il est question dans l'affaire M.R.N. c. Inland Industries Ltd. A l'exception de quel- ques différences dues au fait que les partici pants et les circonstances sont légèrement diffé- rents, leur contenu et leur rédaction sont semblables.
Le paragraphe 7 de l'accord de pension à gestion fiduciaire prévoit que:
[TRADUCTION] Les fiduciaires ne sont pas tenus d'assurer que le fonds de fiducie pourra s'acquitter du paiement des pensions et des autres obligations du fonds.
Manifestement, c'est la responsabilité de l'appe- lante qui est engagée.
Le présent plan de pension prévoit, au para- graphe 2.2(c):
[TRADUCTION] Paiement des pensions
Lorsqu'un participant atteint l'âge normal de la retraite, ou, lorsqu'un participant choisit de différer la date de sa retraite, lorsqu'un tel participant la prend effectivement, toutes les sommes versées par la compagnie au fonds de fiducie ainsi que les intérêts qu'elles ont produits, seront utilisés pour constituer une pension conforme à l'un des systèmes prévus au paragraphe 2.5 des présentes.
Le paragraphe 2.3 fixe le montant de la pen sion de la manière suivante:
[TRADUCTION] Montant de la pension
Le montant de la pension annuelle de chaque participant est déterminé comme suit:
a) Pour toute année de service postérieure à sa date d'adhésion au plan, chaque participant recevra une pension annuelle égale à 2% de la moyenne de son revenu des six meilleures années passées au service de la compagnie, moins toute pension achetée par la com- pagnie pour lesdits services en vertu de tout autre plan de pension enregistré de la compagnie.
b) En fonction des fonds disponibles, la compagnie prévoit acheter pour chaque participant une pension annuelle égale à 2% de la moyenne de son revenu des six meilleures années pour chaque année de service continu auprès de la compagnie jusqu'à la date d'entrée en vigueur du plan, moins toute pension achetée pour lesdits services par l'employeur en vertu de tout autre plan enregistré de pension de la compagnie.
c) Nonobstant les dispositions des alinéas a) et b), la pension totale achetée en faveur d'un participant ne devra pas dépasser le moindre des deux montants sui- vants, soit $40,000.00, soit 70% de la moyenne de son revenu des six meilleures années passées au service de la compagnie. Au cas la pension totale achetée selon la formule définie aux alinéas a) et b) serait supérieure au maximum défini ci-dessus, la pension déterminée en vertu des alinéas a) et b) serait réduite de façon à ce que le nombre d'années de service en fonction duquel sont calculées les pensions d'après les alinéas a) et b) correspondent au service total que définit l'article 1.2(1) des présentes.
Le paragraphe 2.4b) fixe les contributions de l'appelante de la manière suivante:
[TRADUCTION] b) Par la compagnie
(i) La compagnie versera au profit de chaque partici pant et à l'égard des services rendus postérieurement à la date d'entrée en vigueur du plan un montant annuel de $1,500.00, moins les contributions que la compagnie pourra faire en faveur du participant à tout autre plan enregistré de pension de la compagnie. La somme sus- mentionnée, soit $1,500.00, sera censée inclure tout autre maximum que la Loi de l'impôt sur le revenu peut autoriser à l'occasion.
(ii) Sous réserve des recommandations d'un actuaire compétent et en fonction des fonds disponibles à cet effet, la compagnie versera également chaque année au jour anniversaire de l'entrée en vigueur du plan et en faveur de chaque participant, toute somme requise pour combler la différence existant entre la pension achetée en vertu de l'article 2.3a) du plan moins la pension achetée grâce aux contributions de la compagnie en vertu de l'article 2.4b)i).
Le bénéficiaire ne fait pas de contribution.
Habituellement, la pension prend la forme d'une rente annuelle versée mensuellement durant la vie du participant, mais jamais pour moins de dix années. C'est ce que prévoit le paragraphe 2.5. Le paragraphe 3.3a) précise:
[TRADUCTION] Paiements des prestations et obligations
a) Le montant des rentes annuelles en vertu des présen- tes sera seulement dans la mesure l'actif du fonds de fiducie en permettra le paiement et il n'incombera à la compagnie, ses agents, administrateurs ou actionnai- res aucune responsabilité ou obligation de verser des contributions autres que celles énoncées aux présentes.
Il ressort manifestement des dispositions pré- cédentes que l'appelante n'était nullement tenue de contribuer de quelque façon que ce soit au fonds de fiducie pour l'achat de pensions à l'égard des services antérieurs des participants. Tout au plus, elle «espérait» pouvoir le faire si ses fonds étaient suffisants.
Il est également clair que les fiduciaires des plans de pension avaient pour seule obligation l'achat de rentes annuelles, dans la mesure les fonds disponibles des plans le permettaient.
Comme le juge Pigeon le mentionnait en con clusion de ses remarques (précitées), mais dont je cite à nouveau un extrait pour en souligner l'importance:
... On ne peut pas dire qu'en déclarant au ministère, dans la demande d'enregistrement du plan, l'intention de faire à une date ultérieure des paiements s'élevant au montant réclamé, on a créé l'obligation de faire ces paiements. Au contraire, les termes du plan indiquent de façon parfaitement claire qu'il ne naît d'obligation envers M. Parker, quant à ces sommes, que si la compagnie choisit d'effectuer et effectue les paiements prévus au fonds, et pas avant.
Le certificat de l'actuaire apparaît aux pages
142 144 du livre A.1 des pièces produites. Après avoir pris en considération l'âge des trois participants, leurs années de service, la moyenne prévisible de leurs salaires et un cer tain nombre de données pertinentes, il conclut en certifiant, à la page 144, que le coût global des pensions pour services antérieurs s'élève respectivement pour chacun des trois partici pants à $30,680, $54,346 et $46,726 soit un total de $131,752. J'interprète ce certificat comme énonçant ce qu'il estime être la somme requise pour assurer le quantum des pensions désirées, mais, comme l'a souligné le juge Pigeon, cela ne prouve absolument pas l'exis- tence d'une obligation du plan à l'égard de l'em- ployé pour les services antérieurs.
Je dois également ajouter que le juge Pigeon exclut la fin de non-recevoir comme moyen quand il déclare:
... Toutefois, il me paraît qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.
J'estime qu'il convient de souligner que les obligations énoncées par l'article 76(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont des obligations du fonds ou du plan à l'égard des employés. Il est clair que les paiements spéciaux prévus à l'arti- cle 76 de la Loi ont pour but de faire face à la situation créée lorsque le plan de pension pré- voit le paiement de certaines prestations et que les ressources du plan sont insuffisantes à cet égard. En pareil cas, on peut faire des paie- ments spéciaux pour combler le déficit et de tels paiements sont déductibles; ce n'est pas le cas dans le présent appel.
Pour les motifs précités, les appels sont reje- tés avec dépens.
Il faut comprendre que l'on emploie dans ce jugement le terme «fin de non-recevoir» pour rendre le mot «estoppel» de la doctrine du common law.
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