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Centennial Grocery Brokers Limited (Requé- rante)
c.
Le registraire des marques de commerce (Défendeur)
Division de première instance, le juge Heald— Toronto, le 28 février; Ottawa, le ler mars 1972.
Marques de commerce—Procédure—Délai de dépôt de la déclaration d'opposition à une demande d'enregistrement— Le registraire des marques de commerce—Compétence pour prolonger le délai—Appel de l'ordonnance—Loi sur les mar- ques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 46(2).
L'article 46(2) de la Loi sur les marques de commerce accorde compétence au registraire des marques de com merce pour proroger le délai de dépôt d'une déclaration d'opposition à une demande d'enregistrement d'une marque de commerce. A l'expiration du délai d'un mois prévu à l'art. 37(1) pour l'annonce de la demande, il peut accorder cette prorogation s'il est convaincu que le retard ne pouvait pas raisonnablement être évité et ce, sans en aviser qui que ce soit; la Cour ne doit pas intervenir dans l'exercice de la discrétion du registraire à moins qu'il n'ait commis une erreur manifeste.
Distinction à faire avec l'arrêt Berback Quilting Ltd. c. Le registraire des marques de commerce [1958] R.C.E. 309.
DEMANDE.
M. S. Johnston pour la requérante.
W. Caskie pour le défendeur.
LE JUGE HEALD—Par avis de requête intro- ductif d'instance la requérante sollicite:
(1) une ordonnance interdisant en l'espèce au registraire des marques de commerce de con- tinuer les procédures relevant de l'article 37 de la Loi sur les marques de commerce et d'annuler celles qui ont été prises;
(2) une ordonnance de mandamus enjoignant au registraire des marques de commerce d'ad- mettre et d'enregistrer la marque de com merce «Erin», objet de la demande 338,- 800, et de délivrer un certificat de son enregistrement.
Les faits pertinents sont simples. La requé- rante a sollicité l'enregistrement de la marque de commerce «Erin» dans une demande portant le de série 338,800. Conformément aux dis positions de l'article 36 de la Loi sur les mar- ques de commerce, le registraire a ordonné la
publication de ladite demande, ce qui a été fait le 25 août 1971. Le délai de publication a expiré le 25 septembre 1971, un samedi; par consé- quent, d'après l'article 37(1), le lundi 27 sep- tembre 1971 était le dernier jour pour produire une déclaration d'opposition.
Jusqu'à ce jour, aucune déclaration d'opposi- tion n'avait été produite au bureau du regis- traire. Le 8 octobre 1971, avant l'admission effective de l'enregistrement de la requérante, l'Ireland American Candy Corporation a déposé chez le registraire une requête demandant une prolongation du délai d'opposition à la demande de la requérante. Ladite demande a été présen- tée en vertu des dispositions de l'article 46(2) de la Loi sur les marques de commerce et le registraire a accordé une prolongation du délai jusqu'au 25 novembre 1971. Ladite Ireland American Candy Corporation a en fait produit sa déclaration d'opposition le 4 novembre 1971.
La requérante s'oppose à cette supposée pro- rogation de délai. Les articles pertinents de la Loi sur les marques de commerce sont les arti cles 38(1), 46(1) et (2):
38. (1) Lorsqu'une demande n'a pas été l'objet d'une opposition et que le délai prévu pour la production d'une déclaration d'opposition est expiré, ou lorsqu'une demande a fait l'objet d'une opposition et que celle-ci a été définitive- ment décidée en faveur du requérant, le registraire doit aussitôt l'admettre.
46. (1) Si, dans un cas quelconque, le registraire est convaincu que les circonstances justifient une prolongation du délai fixé par la présente loi ou prescrit par les règle- ments pour l'accomplissement d'un acte, il peut, sauf dispo sition contraire de la présente loi, prolonger le délai après l'avis aux autres personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner.
(2) Une prorogation demandée après l'expiration de pareil délai ou du délai prolongé par le registraire en vertu du paragraphe (I), ne doit être accordée que si le droit prescrit est acquitté et si le registraire est convaincu que l'omission d'accomplir l'acte ou de demander la prorogation dans ce délai ou au cours de cette prorogation n'était pas raisonnablement évitable.
La requérante soutient qu'en vertu dudit arti cle 38(1) le registraire avait le devoir d'admettre sa demande à l'expiration du délai de publica tion de 30 jours prévu à l'article 37, qu'il n'était donc pas compétent pour accorder une prolon gation du délai dans ces circonstances et que la
supposée prolongation du délai jusqu'au 25 novembre 1971 était nulle.
La requérante se fonde principalement sur l'arrêt Berback Quilting Ltd. c. Le registraire des marques de commerce [1958] R.C.É. 309, le juge Fournier déclarait à la page 312:
[TRADUCTION] ... Il est vrai que, selon l'article 37(1) de la Loi, toute personne peut produire une déclaration d'opposi- tion dans le délai d'un mois à compter de l'annonce de la demande. Mais, si aucune déclaration d'opposition n'est produite ou si aucune demande de prolongation du délai de production d'une telle déclaration n'est présentée dans ce délai d'un mois à compter de l'annonce, le registraire a le devoir de se conformer aux directives de l'article 38(1) de la Loi.
Les derniers mots de cet article—«le registraire doit aus- sitôt l'admettre» sont impératifs. Il n'a pas le choix. Quand il n'y a pas eu d'opposition à la demande et que le délai prévu pour produire une déclaration d'opposition est expiré, il doit admettre l'enregistrement.
Ceci étant, la prolongation du délai prévu à l'article 46(1) doit être demandée avant l'expiration du délai fixé par la Loi. A mon avis, on ne peut interpréter autrement cet article, car dès que le délai de production de la déclaration d'opposition est expiré le requérant a droit à l'enregistre- ment et le registraire doit aussitôt l'admettre.
Toute personne, avant l'expiration du délai fixé pour le dépôt d'une déclaration d'opposition, peut demander une prorogation du délai. Après l'expiration du délai fixé et jusqu'à la date d'admission d'un enregistrement, le regis- traire peut, à sa discrétion, accorder une prolongation du délai s'il est convaincu que les circonstances la justifient.
La requérante en l'espèce soutient en effet que la combinaison des paragraphes (1) et (2) de l'article 38 a pour effet d'enjoindre au regis- traire d'admettre aussitôt une demande après l'expiration du délai d'opposition, à moins qu'une opposition ou une requête demandant la prorogation du délai n'ait été produite pendant ce même délai.
Je ne peux, en toute déférence, dire que cet argument est juste. Tout d'abord, je ne pense pas que l'arrêt Berback (précité) ait tranché cette question. Les idées exprimées par le juge Fournier constituaient plus un obiter dictum qu'autre chose. En' outre, les commentaires du juge Fournier sur lesquels se fonde la requé- rante traitaient d'une demande relevant de l'arti- cle 46(1), c'est-à-dire une demande qui doit être déposée dans le délai de 30 jours. Dans l'affaire qui nous est soumise, la demande a été présen- tée après l'expiration du délai de 30 jours et, à
ce titre, elle relève certainement des disposi tions de l'article 46(2). Le juge Fournier semble admettre ce point de vue lorsqu'il déclare à la page 313:
[TRADUCTION] ... Après l'expiration du délai fixé et jusqu'à la date d'admission d'un enregistrement, le registraire peut, à sa discrétion, accorder une prolongation du délai s'il est convaincu que les circonstances la justifient.
Le Dr Fox a étudié cette question dans la seconde édition de son volume I, à la page 367:
[TRADUCTION] La signification du terme «aussitôt» con- tenu aux articles 38(1) et 39(1) n'implique pas nécessaire- ment que le registraire doive procéder immédiatement à l'enregistrement.
Le Dr Fox s'est fondé, pour affirmer cela, sur l'arrêt Continental Oil Co. c. Le Commissaire
des brevets [1934] R.C.É. 244, la p. 255, l'on discutait la signification du terme «immé- diatement» de l'article 39 de la Loi sur la con currence déloyale. Le juge Maclean déclarait à la page 255:
[TRADUCTION] ... A mon sens, on ne peut interpréter la loi comme signifiant que les demandes doivent nécessairement être admises immédiatement ou que, dans un tel cas, la première demande a droit à l'enregistrement simplement parce qu'elle a été la première à être présentée. Le fait que l'index des demandes est mis à la disposition du public et que des copies certifiées conformes doivent être remises aux requérants à leur demande signifie qu'on avait prévu la possibilité d'un certain délai entre la date du dépôt des demandes et celle de leur admission et que, si quelqu'un, après examen d'un index ou d'une demande, trouvait des motifs d'opposition, il pourrait selon la procédure prescrite soumettre son objection au registraire; s'il apportait des preuves suffisantes, de l'avis du registraire, je crains qu'il ne faille donner effet à l'opposition.
Dans l'affaire qui nous est soumise, la lettre de la firme Smart & Biggar adressée au registraire le 8 octobre 1971 explique le retard de la décla- ration d'opposition à l'enregistrement. Voici le second paragraphe de ladite lettre:
[TRADUCTION] Notre cliente a toujours eu l'intention de faire opposition à l'enregistrement de cette marque; en fait, le 20 juillet, notre firme a entrepris des recherches au Bureau des marques de commerce sur le mot ERIN et a pris connaissance de la demande ERIN no 338,800 ici en cause. L'auteur de cette lettre, M. Kokonis, a téléphoné aux avo- cats de la cliente, à New York, au sujet de cette demande; c'est alors que cette dernière a eu connaissance de la publication de ladite demande dans le Journal des Marques de Commerce du 25 août 1971. Malheureusement, cette date n'a pas été enregistrée dans nos dossiers et, par consé- quent, lorsqu'est arrivée la date d'expiration du délai pour
intenter des procédures d'opposition, elle n'a pas été portée à l'attention de l'auteur. L'avocat de la cliente a téléphoné aujourd'hui à l'auteur pour s'enquérir de la situation et a donné des directives pour faire opposition à ladite demande et obtenir, si nécessaire, une prorogation du délai à cet effet.
Il est clair, d'après cette lettre, que quelqu'un a oublié de prendre bonne note de cette affaire et c'est le véritable motif pour lequel l'oppo- sition n'a pas été déposée dans le délai de 30 jours.
Lorsque le registraire a décidé d'accorder une prolongation du délai, il disposait de tous les documents lui permettant de conclure que l'er- reur ou l'oubli «n'était pas raisonnablement évi- table» aux termes de l'article 46(2).
Je ne peux m'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire sauf s'il a commis une erreur manifeste et, compte tenu des faits de l'espèce, je ne peux juger qu'il a commis une telle erreur.
Comme second moyen, la requérante invoque que l'article 46(1) exige que la prolongation du délai prescrit ne peut être accordée «qu'après l'avis aux autres personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner». La requérante déclare que ces termes de l'article 46(1) préci- sent qu'il faut aviser la requérante avant d'ac- corder la prolongation du délai; or elle soutient n'avoir reçu aucun avis semblable en l'espèce.
A mon avis, on peut répondre de deux façons à ces prétentions. En premier lieu, la prolonga tion du délai accordée par le registraire en l'es- pèce ne relevait pas de l'article 46(1) appa- raissent les termes en question, mais plutôt de l'article 46(2) l'on ne• retrouve pas ces mots. En d'autres termes, l'article 46(2) ne porte pas qu'il faille aviser qui que ce soit.
En second lieu, même si on lie en corrélation les paragraphes (1) et (2) de l'article 46, de sorte que les dispositions du paragraphe (1) de cet article portant sur l'avis s'appliquent aux demandes relevant du paragraphe (2) de ce der- nier, une lecture attentive des dispositions sur l'avis nous indique clairement que le registraire dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu quant au choix des personnes à aviser. L'article déclare qu'il peut «prolonger le délai après
l'avis aux autres personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner». A mon avis, il est clair que le registraire peut décider, comme il l'a fait ici, qu'il n'était pas nécessaire d'aviser qui que ce soit. Il a exercé son pouvoir discré- tionnaire après avoir étudié les faits pertinents et, à mon avis, a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés à cet effet.
Comme dernier argument contre la décision du registraire, la requérante invoquait qu'il n'a- vait pas été établi que l'opposante en l'espèce, l'Ireland American Candy Corporation, était une «personne» au sens de l'article 37(1) de la Loi. Ce point a été étudié dans l'arrêt anglais portant sur la demande de Bodrero (1938) 55 R.P.C. 185, aux pp. 188 et 189, l'on a décidé que l'on a toujours considéré que l'expression «toute personne» dans la Loi sur les marques de commerce devait être prise dans son sens litté- ral. On a décidé en outre que les questions de marques de commerce doivent être étudiées non seulement du point de vue de la requérante et de l'opposante, mais de celui du public. Dans l'arrêt In Re Havana Commercial Co. (1916) 33 R.P.C. 399, on a jugé qu'une personne tout à fait extérieure à la cause pouvait faire opposi tion. Je souscris à ces décisions et j'estime que l'expression «toute personne» de l'article 37(1) de notre Loi est certainement assez large pour inclure l'opposante en l'espèce.
Pour ces motifs, j'estime qu'il faut rejeter avec dépens la requête de la requérante en l'espèce.
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