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Peter Lee et Joyce Wendy Yung, travaillant sous la raison sociale Fashion Accessories (Requé- rants)
c.
Segal's (Michael) Inc. (Intimée)
Division de première instance. Le juge Heald— Ottawa, les 25 et 31 janvier 1972.
Marques de commerce—Radiation—Affidavits à l'appui de la demande—Prolongation du délai de dépôt—Fardeau de la preuve—Loi sur les marques de commerce, art. 17(2)— Règle de la Cour fédérale 3(1)c).
En décembre 1964, l'intimée était enregistrée comme propriétaire de la marque de commerce «Dorce. en liaison avec certaines marchandises. Le 17 juin 1969, les requé- rants ont demandé, par avis de motion introductif la radia tion de la marque de commerce au motif que les requérants avaient, depuis avril 1962, utilisé au Canada cette marque de commerce en liaison avec des marchandises semblables. Les requérants n'ont pas déposé les affidavits à l'appui de leur demande dans le délai prévu par la règle pertinente et ils ont, à la fin de 1971, demandé, en vertu de la Règle 3(1)c) de la Cour fédérale, la prolongation du délai de dépôt des affidavits. Les affidavits n'ont pas été déposés dans le délai alloué parce que des négociations sur le point en litige étaient en cours entre les parties jusqu'à fin 1971, date de leur rupture.
L'article 17(2) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que, lorsqu'une demande de radiation de marque de commerce est présentée plus de cinq ans après son enregis- trement pour le motif de l'utilisation antérieure, le requérant doit prouver que la personne qui a adopté la marque de commerce était au courant de son utilisation antérieure.
Arrêt: Les circonstances justifiaient une prolongation du délai de dépôt des affidavits, mais, vu les dispositions de l'article 17(2), les affidavits doivent être limités aux preuves en la possession des requérants avant l'expiration des cinq années à compter de la date de l'enregistrement de la marque de commerce.
DEMANDE.
J. C. Singlehurst et W. R. Meredith pour les requérants.
R. G. McClenahan pour l'intimée.
LE JUGE HEALD—.I1 s'agit d'une demande présentée par avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance, conformément aux Règles 3(1)c) et 704(3), afin de prolonger le délai accordé aux requérants en l'espèce pour dépo- ser et signifier, selon la Règle 704(3), les affida vits qu'ils ont l'intention de soumettre à la Cour à l'audition des présentes procédures.
Ces procédures ont été instituées conformé- ment aux dispositions des articles actuels 57 et 58 de la Loi sur les marques de commerce S.R.C. 1970, c. T-10, par avis de motion intro- ductif daté du 17 juin 1969 et déposé à cette date à la Cour. L'exposé des faits accompa- gnant cet avis de motion introductif précise que l'intimée est la propriétaire inscrite de la marque de commerce «Dorce», en vertu de l'enregistrement No 138,403 de la marque de commerce canadienne, daté du 11 décembre 1964, qui porte sur des «gilets de laine, com- plets, pantalons de sport, chemises, chemises de sport, imperméables, chapeaux de pluie, vestes, corsages, pantalons, manteaux, tricots, ensem bles deux-pièces tricotés, culottes.» Cet enregis- trement établit que, depuis le 2 janvier 1964, l'intimée employait au Canada la marque de commerce «Dorce». Les requérants allèguent qu'avant cette date, ils avaient vendu au Canada la marque de commerce «Dorce» en liaison avec des marchandises identiques ou sembla- bles, et plus précisément dès le 17 avril 1962 au moins. Les requérants allèguent également que l'intimée a employé et adopté cette marque de commerce alors qu'elle était tout à fait au cou- rant des droits antérieurs des requérants sur ladite marque de commerce.
Les requérants demandent donc la radiation de l'enregistrement de l'intimée en raison de leur utilisation antérieure de la marque de com merce au Canada; on présume que c'est proba- blement en vertu des dispositions des articles 16 et 18 de la Loi sur les marques de commerce.
La Règle 704(3) précise:
Règle 704. (3) Dans les 15 jours qui suivent le dépôt d'un avis introductif d'instance ou d'un avis d'appel, les affida vits que le requérant ou l'appelant a l'intention de soumettre à la Cour pour l'audition des procédures et la décision à leur sujet, doivent être déposés, et des copies doivent en être signifiées, dans les 15 jours qui suivent la signification de l'avis introductif d'instance ou de l'avis d'appel.
La règle correspondante de la Cour de l'Échi- quier, qui régissait cette situation en 1969, était la Règle 36(3) qui précisait:
Règle 36(3) Dans les quatorze jours qui suivent la produc tion d'un avis introductif d'instance ou d'un avis d'appel, ou dans tel délai supplémentaire que la Cour peut accorder (lequel délai supplémentaire peut être demandé en invo- quant, entre autres motifs, le fait qu'une requête doit être présentée pour obtenir que soit rendue une directive à l'effet que l'affaire soit entendue et décidée autrement que
d'une façon sommaire, fondée sur une preuve produite par affidavit), les affidavits que le demandeur ou l'appelant se propose de soumettre à la Cour en vue de l'audition des procédures et de la décision à rendre à leur égard doivent être produits et la signification des copies desdits affidavits doit se faire dans les quatorze jours qui suivent celle de l'avis introductif d'instance ou de l'avis d'appel, ou dans un tel délai supplémentaire que la Cour peut accorder.
Les requérants ne se sont pas conformés à la Règle 36(3) de la Cour de l'Échiquier, qui exige le dépôt des affidavits qu'ils désirent soumettre à la Cour dans les quatorze jours qui suivent celui de l'avis de motion introductif devant cette Cour. En fait, aucun affidavit de cette nature n'a jamais été déposé à la Cour, ni ne m'a jamais été soumis lors de la discussion de la motion.
Les requérants présentent cette requête de prolongation du délai de dépôt de ces affidavits conformément aux dispositions de la Règle 3c) de la Cour fédérale qui précise:
Règle 3. (1) .. .
c) la Cour peut augmenter ou réduire les délais prévus par les présentes Règles, ou fixés par une ordonnance, pour l'accomplissement d'un acte ou l'introduction d'une procédure aux conditions qui, le cas échéant, semblent justes, et une prolongation de ce genre peut être ordonnée même si la demande n'en est faite qu'après l'expiration du délai prévu ou fixé,...
Je conviens avec l'avocat des requérants que la Cour a le pouvoir d'augmenter les délais durant lesquels ceux-ci peuvent déposer leurs affidavits, à condition que les circonstances éta- blies justifient une telle prolongation. Il devient donc nécessaire d'examiner les faits et les circonstances.
Cette affaire a commencé le 2 janvier 1968, lorsque l'avocat des requérants a écrit à l'inti- mée et prétendu que l'enregistrement au Canada de la marque de commerce «Dorce» de l'inti- mée était invalide en raison de son utilisation antérieure au Canada par les requérants. La lettre soumettait ensuite quelques suggestions sur la manière dont on pourrait régler le conflit entre les parties, c'est-à-dire, par cession de l'enregistrement de l'intimée aux requérants, les requérants accordant ensuite une licence à l'in- timée. Le procureur de l'intimée a répondu le 23 janvier 1968 cette lettre et a en fait rejeté les prétentions des requérants, réaffirmé le droit de l'intimée à son enregistrement canadien et conclu en suggérant qu'on pourrait peut-être
parvenir à un accord, l'intimée pouvant accor- der une licence aux requérants en vertu de son enregistrement. Ces lettres marquent le début d'une série de quarante-deux lettres échangées entre les avocats des parties entre janvier 1968 et décembre 1971.
Les avocats des deux parties se sont abon- damment reportés à cette correspondance pour appuyer leurs prétentions. L'avocat des requé- rants a soutenu avec force que cette correspon- dance indiquait clairement que, pendant toute cette période, des négociations étaient en cours dans le but de parvenir à un règlement; qu'à plusieurs reprises pendant les négociations, il a semblé qu'on pourrait parvenir à un accord et qu'il ne s'était donc pas soucié de respecter la règle concernant le dépôt des affidavits; que ce n'est qu'après la rupture des négociations à la fin de 1971 qu'il a jugé nécessaire de présenter cette requête de prolongation des délais.
L'avocat de l'intimée soutient avec autant de force que la correspondance de son bureau, et auparavant du bureau d'avocat représentant antérieurement l'intimée, aurait faire com- prendre aux requérants et à leur avocat que l'intimée ne renonçait en aucune façon à son enregistrement et à son droit d'enregistrement et qu'aucun des avocats de l'intimée n'a fait de déclarations ni agi de manière à faire croire à l'avocat des requérants qu'il n'avait pas besoin de se conformer aux règles de la Cour, et que les difficultés actuelles de l'avocat des requé- rants ne sont dues qu'à lui-même.
J'ai lu avec attention la correspondance et, dans une certaine mesure, elle vient confirmer les prétentions des deux avocats. Toutefois, après avoir examiné la preuve dans son ensem ble, je suis convaincu que pendant la période en question, des négociations étaient en cours entre les parties, et que, s'il ne s'agissait pas de vraies négociations, il existait très certainement des communications importantes. L'avocat des requérants a pu se montrer trop optimiste en espérant que le conflit serait réglé sans avoir besoin de recourir à une action en radiation. Cependant, je suis convaincu qu'il a toujours agi de bonne foi.
Je suis d'accord avec le principe qu'expose le président Jackett (maintenant juge en chef)
dans l'arrêt Smith, Kline & French Inter -Ameri- can Corp. c. Micro Chemicals Ltd., 62 C.P.R. 245 il a déclaré à la page 256:
[TRADUCTION] ... Je pense que les temps sont presque révolus les tribunaux déclaraient sans pitié qu'une partie a «le droit» de profiter des erreurs de l'autre.
A mon sens, la présente espèce est semblable à l'affaire Smith, Kline and French (précitée), dans la mesure où, ici aussi, les parties n'ont jamais abandonné leurs positions. Ici comme dans l'autre affaire, il semble que l'une des parties, en l'espèce les requérants, ait choisi une stratégie particulière qui, rétrospectivement, semble maintenant ne pas avoir été sage.
A la page 259 de ce jugement, le président Jackett déclarait:
[TRADUCTION] ... A une certaine époque, les tribunaux se seraient montrés très sévères et n'auraient pas autorisé les parties à revenir sur de telles décisions. A mon avis, on accepte toutefois plus facilement aujourd'hui d'autoriser de corriger de telles erreurs, si elles peuvent être corrigées sans créer d'injustice pour les autres parties et sans violer la règle d'ordre public qui exige de mettre un terme au litige.
Je suis d'accord avec la façon générale dont il faut envisager une telle situation et je serais prêt à accueillir la requête des requérants en sa forme et teneur si je pouvais me convaincre qu'elle n'a pas pour effet de causer un préjudice à l'intimée ni d'aboutir à une injustice à son égard. Toutefois, l'avocat de l'intimée soutient qu'il y a préjudice, au motif que l'enregistre- ment de la marque de commerce de l'intimée est daté du 11 décembre 1964. Le paragraphe (2) de l'article 17 de la Loi sur les marques de commerce I établit une différence dans la nature de la preuve exigée dans les actions en radia tion, selon que l'action est ouverte avant ou après l'expiration des cinq ans à compter de la date d'enregistrement d'une marque de commerce.
Dans des actions ouvertes plus de cinq ans après l'enregistrement, en plus de tous les autres éléments de preuve que la Loi exige du requérant, celui-ci doit prouver en outre que le détenteur de l'enregistrement de la marque de commerce, en l'espèce l'intimée, a adopté au Canada la marque de commerce déposée alors qu'elle était au courant de cette utilisation anté- rieure par les requérants.
En d'autres termes, dans des actions ouvertes plus de cinq ans après l'enregistrement, la requérante a une charge plus lourde de preuve à rencontrer que dans les actions ouvertes avant l'expiration de la période de cinq ans, à cause de l'élément de preuve supplémentaire men- tionné plus haut.
En l'espèce, le délai de cinq ans a expiré le 11 décembre 1969. L'avis introductif d'instance et l'exposé des faits ont été déposés le 17 juin 1969, mais les affidavits à leur appui n'ont pas été déposés et ne le sont pas encore à ce jour. L'avocat de l'intimée déclare que les requérants ont en effet essayé de jouer sur deux tableaux. D'une part ils veulent poursuivre leur action, qui a été ouverte avant la limite des cinq ans, pour continuer à bénéficier de la charge moins lourde de la preuve, tandis que d'autre part ils veulent bénéficier de l'avantage supplémentaire d'une période additionnelle de deux ans et demi leur permettant de découvrir et de déposer d'é- ventuelles preuves nouvelles à l'appui de leur action en radiation.
Je pense que l'argument de l'avocat de l'inti- mée a beaucoup de valeur. Les procédures de ce genre doivent revêtir un caractère sommaire et être jugées sur affidavit, sauf dans des affai- res particulières il peut être souhaitable de trancher certaines questions spéciales en se fon dant sur une preuve orale. L'intimée était en droit de connaître les prétentions qui devaient lui être opposées et ceci ne pouvait être fait qu'après que les requérants aient déposé et signifié leurs affidavits.
Comme je l'ai déjà dit, aucun des affidavits à l'appui de la demande des requérants, que ces derniers veulent déposer, n'a été soumis à la Cour à l'audition de la présente requête. Toute- fois, les documents qui m'ont été présentés établissent qu'il existe apparemment trois affi davits de Joyce Wendy Yung, l'un daté du 8 mai 1969, un autre daté du l er octobre 1969 et un dernier daté du 13 mars 1971. Des copies de ces trois affidavits n'ont été envoyées à l'avocat de l'intimée que le 23 avril 1971. Les requé- rants demandent l'autorisation de déposer ces trois affidavits et peut-être un autre tout à fait nouveau, qui n'existe pas encore, mais qui, selon l'avocat des requérants, sera nécessaire pour prouver les nouvelles prétentions conte-
nues dans la déclaration amendée des requé- rants (amendée sans autorisation le 20 janvier 1972, conformément à la Règle 421(1), parce que l'intimée n'avait pas encore répondu à la première déclaration.)
Si les requérants souhaitent profiter de la charge moins lourde de la preuve que prévoit l'article 17(2), ils doivent, à mon sens, intenter un procès fondé sur les preuves qu'ils possé- daient avant l'expiration du délai de cinq ans, c'est-à-dire avant le 11 décembre 1969. Cela signifie qu'ils ne peuvent prétendre déposer que les affidavits de Joyce Wendy Yung datés du 8 mai 1969 et du l er octobre 1969.
Le président Jackett de la Cour de l'Échiquier (maintenant juge en chef de la Cour fédérale) a, à mon sens, fait une saine application de la Règle 36 qui précédait la Règle actuelle 704, dans l'arrêt Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée, 52 C.P.R. 175. A la page 178, le savant président a déclaré:
[TRADUCTION] , Ce que la Règle 36 envisage, c'est le dépôt, avant l'audition, des affidavits que les parties respec- tives «se proposent» de «soumettre à la Cour» en vue de l'audition. Dans une situation normale, chacune des parties respectives, après avoir rempli cette condition préalable à l'utilisation des affidavits comme preuve, devrait, à mon sens, présenter à l'audience les affidavits qu'elle a déposés auparavant et qu'elle avait auparavant décidé de joindre à son dossier à l'audience. A ce moment-là, la partie adverse peut présenter toutes les objections appropriées à leur admission et la Cour peut, après avoir entendu tout ce que les parties peuvent avoir à dire, admettre chaque affidavit, en tout ou en partie, ou le rejeter.
En l'espèce, pour les motifs mentionnés plus haut, je pense qu'on devrait autoriser les requé- rants à déposer seulement les affidavits de Joyce Wendy Yung en date du 8 mai 1969 et du l er octobre 1969. Comme je n'ai pas vu ces affidavits, je ne peux pas me prononcer sur leur pertinence ou leur admissibilité. L'intimée aura donc toute possibilité de présenter toutes les objections appropriées qu'on pourra lui conseil- ler, au cas les requérants désireraient les soumettre à la Cour lors du procès, et le juge du fond pourra statuer sur leur admissibilité.
En disposant ainsi de cette affaire, j'ai essayé de me conformer au principe énoncé dans l'ar- rêt Smith (précité), tout en m'assurant en même temps que l'intimée ne subit pas de préjudice du
fait que les requérants ne se sont pas conformés aux règles pendant une longue période de temps.
Les requérants devront décider s'ils poursui- vent le procès en se fondant sur les preuves contenues dans les deux premiers affidavits de Joyce Yung ou s'ils intentent une nouvelle action et assument ainsi la charge d'une preuve plus lourde, imposée par l'article 17(2) de la Loi sur les marques de commerce.
Il sera rendu une ordonnance augmentant les délais jusqu'au 15 février 1972, pour que les requérants en l'espèce puissent déposer l'affida- vit de Joyce Wendy Yung daté du 8 mai 1969 ainsi que l'autre affidavit de Joyce Wendy Yung daté du ler octobre 1969. Il est en outre ordonné que des copies de ces affidavits soient signifiées à l'intimée au plus tard le ler mars 1972. Il sera rendu une autre ordonnance autorisant le dépôt de réponses, en vertu du paragraphe (2) de l'article 58 de la Loi sur les marques de com merce, avant le 15 mars 1972, et une autre ordonnance autorisant l'intimée à déposer, avant le ler avril 1972, tous les affidavits qu'elle a l'intention de soumettre à la Cour pour l'audi- tion des procédures et la décision les concer- nant. Il sera également rendu une autre ordon- nance accordant à l'intimée les dépens de la présente requête, quelle que soit l'issue de la cause. Je fixe ces dépens à cent dollars.
1 17. (2) Dans des procédures ouvertes après l'expiration de cinq ans à compter de la date d'enregistrement d'une marque de commerce ou à compter du ler juillet 1954, en prenant celle des deux dates qui est postérieure à l'autre, aucun enregistrement ne doit être rayé, modifié ou jugé invalide pour le motif de l'utilisation ou révélation anté- rieure que mentionne le paragraphe (1), à moins qu'il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l'a fait alors qu'elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.
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