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Roosevelt Douglas (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra- tion (Intime)
Cour d'appel; le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Cameron — Ottawa, le 4 août 1972.
Examen judiciaire—Prohibition—Immigration—Immi-
grant déclaré coupable d'avoir commis un crime—Tenue d'une enquête spéciale ordonnée aux termes de la Loi sur l'immigration—Refus de délivrer un bref de prohibition visant à interrompre l'enquête—Loi sur 'l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, articles 18 et 25.
L'appelant, un immigrant reçu, a été déclaré coupable d'avoir commis un acte criminel aux termes du Code crimi- nel et il a interjeté appel de sa condamnation. Avant que la Cour d'appel ne rende son jugement, la tenue d'une enquête spéciale fondée sur sa condamnation a été ordonnée aux termes de l'article 25 de la Loi sur l'immigration. L'appelant a demandé à la Cour de délivrer un bref de prohibition aux fins d'interrompre l'enquête jusqu'à ce qu'un jugement défi- nitif soit rendu relativement à son appel.
Arrêt: Même si, comme l'allègue l'appelant, le fait d'être déclaré coupable d'avoir commis un acte criminel aux termes du Code criminel ne constitue pas, tant que la Cour n'a pas statué sur son appel, un motif d'expulsion (question sur laquelle la Cour n'exprime aucune opinion), ce seul motif ne justifie pas la délivrance d'un bref de prohibition visant à mettre fin à une enquête tenue aux termes de l'article 25 de la Loi sur l'immigration.
APPEL d'un jugement du juge Gibson.
Voici les faits.
Le 30 avril 1971, la Cour du Banc de la Reine du Québec a déclaré l'appelant coupable de méfait aux termes du Code criminel, relativement à la destruction du centre d'informati- que de l'Université Sir George Williams à Montréal, et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans et au paiement d'une amende de $5,000. Il a interjeté appel de ce jugement et, le 5 mai 1971, il a obtenu l'autorisation d'inter- jeter appel devant la Cour d'appel du Québec et a été remis en liberté sous caution personnelle.
L'appel a été entendu et la Cour a pris l'affaire en délibéré. La tenue d'une enquête spéciale aux termes de la Loi sur l'immigration a ensuite été ordonnée, fondée sur la condamnation en vertu du Code criminel. L'appelant a demandé à la Division de première instance de cette Cour de délivrer un bref de prohibition interrompant l'enquête jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel. Le 12 juin 1972, le juge Gibson a rejeté la requête, avec dépens, l'avocat de l'intimé ayant déposé une déclaration faisant état d'un enga-
gement de surseoir à l'exécution de toute ordonnance éven- tuelle d'expulsion.
L'appelant a interjeté appel du jugement du juge Gibson aux motifs suivants:
1. Il est admis que, dans la présente affaire, l'enquête spéciale a été commencée selon la procédure habituelle et que, mis à part le fait qu'un appel est pendant en Cour d'appel du Québec, l'enquêteur spécial avait le pouvoir de procéder à l'enquête spéciale relativement à Roosevelt Douglas.
2. Il est plaidé que la Déclaration canadienne des droits et les principes de la justice naturelle exigent que l'appelant ait l'occasion d'en appeler de sa condamnation selon la procédure ordinaire devant les tribunaux canadiens, et que l'intervention de l'enquêteur spécial ne doit pas l'obliger à renoncer à ces droits ou à ne pas respecter les conditions de sa remise en liberté sous caution.
3. Sous ce rapport, il est utile d'examiner les pouvoirs que le Code criminel confère à la Cour d'appel. Voir le Code criminel, art. 613(2).
4. En ce qui concerne l'engagement joint à l'ordonnance dont il est fait appel et portant que l'ordonnance d'expulsion ne serait pas exécutée, il est plaidé d'abord que cet engage ment est illégal et, deuxièmement, qu'il constitue en réalité un aveu du fait qu'en droit, les procédures que l'on cherche à interrompre auraient pour effet de nuire à l'administration régulière de la justice criminelle dans la province de Québec. Il est plaidé en outre que, puisqu'il n'est pas «autrement prévu» dans la Loi sur l'immigration, l'ordon- nance doit, en droit, être exécutée le plus tôt possible. Voir la Loi sur l'immigration, art. 34(1) et 34(2).
5. Il est plaidé que si l'enquêteur spécial rend une ordon- nance d'expulsion, l'appelant n'aura aucun droit absolu de revenir au Canada pour purger sa peine; si la Cour d'appel infirme la condamnation, l'appelant ne pourra pas, sans s'engager dans un appel long et coûteux devant la Commis sion d'appel de l'immigration, sauvegarder le droit qu'il a déjà, savoir un droit absolu de revenir au Canada. Il est possible que le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion ne lui accorde pas un permis et il ne pourrait être contraint de le faire. Voir la Loi sur l'immigration, art. 18e)(ix) et art. 39.
6. Il est plaidé qu'il serait contraire à la Déclaration canadienne des droits, art. 2e), d'obliger une personne à interjeter appel d'une décision alors qu'elle ne sait pas encore s'il est fondé parce que la- condamnation qui étaye cette décision n'a pas fait l'objet d'un jugement définitif. Il est plaidé, en outre, que les dépenses que l'appelant devrait engager pour interjeter appel et mener celui-ci à terme équivaudraient à l'imposition d'une peine ou d'un traitement inusité, contrairement à la Déclaration canadienne des droits. Voir: Déclaration canadienne des droits, art. 2b) et 2e); Loi sur l'immigration, art. 35.
7. Il est plaidé que l'appel et le cautionnement devant la Cour d'appel emportent suspension de toute procédure d'e- xécution d'une mesure de la nature d'une sanction, comme l'expulsion. Simington c. Colbourne, 4 C.C.C. 367; Steen c. Lebansky [1923] 1 W.W.R. 72; voir R. c. Kotyk, 2 C.R. (N.S.) 181.
8. Il est plaidé qu'aux fins de l'article 18(1)e)(ii) [de la Loi sur l'immigration] les termes «déclaré coupable» d'une infraction visée par le Code criminel signifie «déclaré cou- pable d'une manière irrévocable, après épuisement des recours». Il est plaidé qu'il est possible de tirer certaines conclusions quant à la procédure à suivre du fait que dans les articles qui se rapportent à l'acquisition et à la perte de domicile, le Parlement s'est demandé quels motifs empê- chent une personne d'acquérir un domicile et il a inclus dans ces motifs le fait d'être détenu dans une geôle mais il n'a pas inclus le simple fait d'être sous le coup d'une déclara- tion de culpabilité, surtout si un appel est pendant. Voir la Loi sur l'immigration, art. 4(2)a), 4 et 5.
C. C. Ruby pour l'appelant.
N. A. Chalmers, c.r. pour l'intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—I! ne sera pas nécessaire de vous entendre, Mon sieur Chalmers.
Les arguments avancés à l'appui de cet appel emportent tous la conclusion qu'une condamna- tion pour une infraction en vertu du Code crimi- nel n'est pas, tant qu'un appel est possible, un motif d'expulsion.
Nous sommes unanimes à penser que, même si cette conclusion est juste, ce sur quoi nous n'exprimons aucune opinion, il ne s'ensuit pas qu'il faille accorder un bref de prohibition qui interrompe l'enquête que l'on projette de tenir en vertu de l'article 25 de la Loi sur l'immigration.
L'article 25 prévoit la tenue d'une enquête au sujet d'une personne visée par un rapport fait en vertu de l'article 18. En l'espèce, un rapport en vertu de l'article 18 a été fait et l'on n'a invoqué aucun moyen qui justifie l'interruption de l'enquête.
Conformément à la procédure prévue par la Loi sur l'immigration et par la Loi sur la Com mission d'appel de l'immigration, et sous réserve que l'enquête ait été commencée devant un enquêteur spécial conformément aux dispo sitions de la loi, la procédure appropriée est de présenter à l'enquêteur spécial les arguments que l'on a avancés ce matin et, le cas échéant, de procéder par voie d'appel de sa décision.
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