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Alliance Tire & Rubber Company Limited (Demanderesse)
c.
Alliance Tire & Rubber Company of Canada Limited & M. Benjamin Merson (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald— Toronto, le 7 février; Ottawa, le 22 février 1972.
Marques de commerce—Parties—Violation d'une marque de commerce par une compagnie—Responsabilité person- nelle d'un signataire de la requête de constitution et adminis- trateur de la compagnie.
On ne peut intenter une action contre un administrateur et signataire de la requête de constitution d'une compagnie pour violation d'une marque de commerce par ladite compa- gnie en l'absence de preuve que cette dernière a été consti- tuée en corporation dans un but illégal ou que la personne visée a directement ou implicitement ordonné ou autorisé cette violation.
Arrêts mentionnés: Performing Right Society Ltd. c. Ciryl Theatrical Syndicate Ltd. [1924] 1 K.B. 1; Rain- ham Chemical Works Ltd. c. Belvedere Fish Guano Co. [1921] 2 A.C. 465; Omark Industries (1960) Ltd. c. Gouger Saw Chain Co. (1964) 45 C.P.R. 169; British Thomson-Houston Co. c. Sterling Accessories Ltd. [1924] 2 Ch. 33.
REQUÊTE.
I. Goldsmith pour la demanderesse.
K. H. E. Plumley pour M. Benjamin Merson.
N. Fyfe pour Alliance Tire & Rubber Co. of Canada Ltd.
LE JUGE HEALD—Par avis de requête daté du 10 janvier 1972, la demanderesse sollicite une ordonnance l'autorisant à déposer une déclara- tion amendée selon la formule jointe en annexe audit avis de requête et cotée «A».
Cette affaire a déjà été soumise à la Cour en 1970 lorsque le président Jackett a décidé, par ordonnance datée du 26 novembre, ce qui suit:
[TRADucTION] ... la demande de redressement contre le défendeur M. Merson est radiée de la déclaration et la demanderesse est autorisée à déposer une déclaration amen- dée (contenant une demande de redressement contre le défendeur M. Merson)
a) après avoir obtenu le consentement de chacun des défendeurs au dépôt de la déclaration amendée, ou
b) après avoir obtenu une ordonnance de la Cour autori- sant le dépôt de la déclaration amendée.
La demanderesse n'a pu obtenir le consente- ment de chacun des défendeurs, comme le pré- voyait l'alinéa a) précité de l'ordonnance du président Jackett. En conséquence, elle pré- sente maintenant cette requête à la Cour en vertu de l'alinéa b) précité de ladite ordonnance.
Dans la déclaration qu'elle cherche à déposer, la demanderesse prétend que le défendeur M. Merson est un des administrateurs et dirigeants de la compagnie défenderesse. L'action qu'elle intente est entre autres une action en violation de la marque de commerce «Alliance» de la demanderesse, utilisée en liaison avec la fabri cation et la vente de pneus de véhicules automobiles.
La nouvelle déclaration (comme l'ancienne que le président Jackett a radiée) a pour but d'obtenir des réparations du défendeur M. Merson en sa qualité d'administrateur de la compagnie défenderesse et de le déclarer per- sonnellement responsable des violations que l'on prétend commises par la compagnie défenderesse.
Le principe applicable en la matière est clai- rement établi dans Halsbury's Laws of England (2 e éd., vol. 24, par. 1226, pp. 652-653) comme suit:
[TRADUCTION] Normalement les administrateurs d'une compagnie ne sont pas personnellement responsables des actes délictuels de la compagnie, même s'ils en sont direc- teurs généraux ou seuls administrateurs et actionnaires. Pour engager leur responsabilité, on doit prouver soit (1) qu'ils ont constitué la compagnie dans un but illégal, soit (2) qu'ils ont directement ordonné ou autorisé les actes dont il est porté plainte, soit (3) qu'ils ont implicitement donné de tels ordres ou autorisations.
Le même principe a été établi par Lord Atkin dans l'arrêt Performing Right Society Ltd. c. Ciryl Theatrical Syndicate Ltd. [1924] 1 K.B. 1, à la p. 14, et par Lord Buckmaster dans l'arrêt Rainham Chemical Works Ltd. c. Belvedere Fish Guano Co. [1921] 2 A.C. 465. Le même principe a été cité par le juge Noël (maintenant juge en chef adjoint de cette Cour) dans l'arrêt Omark Industries (1960) Ltd. c. Gouger Saw Chain Co. (1964) 45 C.P.R. 169 la p. 176.
Une autre décision anglaise allant dans le même sens est l'arrêt British Thomson-Houston Co. c. Sterling Accessories Ltd. [1924] 2 Ch. 33.
A la page 38 de cet arrêt, le juge Tomlin déclarait:
[TRADUCTION] Il n'existe aucune preuve du fait que le lien de commettant à préposé a été établi entre les administra- teurs défendeurs et la compagnie, à moins que l'on puisse considérer que le fait pour les administrateurs défendeurs d'être les seuls administrateurs et actionnaires de la compa- gnie permet à bon droit de conclure à l'existence d'un tel lien.
Je ne pense pas que l'on puisse ou doive tirer cette conclusion. La chambre des Lords a déclaré clairement que pour établir la responsabilité contractuelle il n'est pas possi ble, même dans le cas de compagnies dites à dirigeant unique, de percer l'entité juridique de la compagnie et de traiter la personne qui a créé et qui contrôle cette compa- gnie comme le contractant réel simplement parce qu'il l'a créée et la contrôle. Si l'on doit lui attribuer une responsabi- lité de commettant, la représentation de la compagnie doit être établie quant au fond et ne peut être déduite du simple fait qu'il occupe un poste d'administrateur et qu'il contrôle seul les actions: Voir l'arrêt Salomon c. Salomon Sc Co. [18971 A.C. 22. Toute autre conclusion irait à l'encontre du but dans lequel le législateur a autorisé la création de compagnies à responsabilité limitée. La question ne se pose pas non plus différemment en ce qui concerne la responsa- bilité délictuelle. La chambre des Lords a également clarifié cette question dans l'arrêt Rainham Chemical Works c. Belvedere Fish Guano Co. [19211 2 A.C. 465, à la p. 475, Lord Buckmaster, critiquant l'opinion de l'un des juges de la Cour d'instance inférieure, selon laquelle il était possible de déchirer le voile de la compagnie, énonce le droit comme suit: «Il arrive assez fréquemment dans le cadre de procé- dures judiciaires que les parties, découvrant qu'elles ont comme débiteur une compagnie à responsabilité limitée dont tout le capital versé est sous forme d'actions entière- ment libérées et qui n'a pas de fonds de roulement, suggè- rent que la compagnie n'est rien d'autre qu'un double des personnes qui l'ont constituée en corporation et qui la contrôlent en fait. Mais justement, les lois sur les compa- gnies prévoient expressément qu'on peut substituer la res- ponsabilité limitée d'une compagnie à la responsabilité illi- mitée d'un particulier, dans le but d'encourager l'entreprise et l'initiative. Par conséquent, on ne peut pas refuser de tenir compte d'une compagnie dûment constituée en corpo ration au motif que c'est une façade, bien qu'on puisse prouver que, dans le cadre de ses opérations, elle n'agit pas pour son propre compte comme une unité commerciale indépendante, mais simplement au nom et pour le compte de personnes qui l'ont créée.
Abordons maintenant les faits de l'espèce présente et les prétentions opposées au défen- deur M. Merson dans le projet de déclaration amendée. Ces prétentions peuvent être résu- mées de la façon suivante:
(1) A toutes les époques en cause, M. Merson était un des administrateurs et diri- geants de la compagnie défenderesse, l'Al- liance, compagnie constituée en corporation en vertu des lois du Canada.
(2) Le défendeur, M. Merson, a signé la demande de charte pour la constitution en corporation de la défenderesse, l'Alliance. On prétend que M. Merson savait que la marque de commerce «Alliance» appartenait à la demanderesse et que la demanderesse n'avait pas consenti à la constitution en corporation de la défenderesse. Cette prétendue connais- sance de M. Merson est imputée à la compa- gnie défenderesse en raison du fait que M. Merson a participé à sa création et qu'il est l'un de ses administrateurs.
(3) On prétend que le défendeur, M. Merson, savait qu'à l'époque la corporation défen- deresse, l'Alliance, a demandé l'enregistre- ment au Canada d'une marque de commerce «Alliance», que cette marque appartenait à la demanderesse et, en outre, on soutient que M. Merson savait que ces demandes de mar- ques de commerce étaient faites sans le con- sentement de la demanderesse. Ici encore, la prétendue connaissance de M. Merson est imputée à la corporation défenderesse en raison de sa qualité d'administrateur.
(4) Le défendeur, M. Merson, a à tort con- seillé, incité et induit la corporation défende- resse à accomplir les actes que l'on prétend illégaux. Les détails de ces actes illégaux sont simplement que le défendeur M. Merson savait que la demanderesse possédait cette marque de commerce et qu'elle n'avait pas consenti à son utilisation par la défenderesse et que, bien qu'il le sût, il «avait activement participé» à la demande d'enregistrement pré- sentée par la compagnie défenderesse ainsi qu'à la publicité des pneus de la compagnie défenderesse qui, prétend-t-on, violent la marque de commerce de la demanderesse.
Tout d'abord, la déclaration proposée n'invo- que aucun fait dont on puisse conclure que le défendeur, M. Merson, contrôle la compagnie défenderesse. Elle ne contient rien portant sur le nombre d'actionnaires, le nombre d'adminis- trateurs, ou le nombre d'actions détenues par M. Merson ou par quelqu'autre personne.
D'après le critère de Halsbury (précité), on n'a pas invoqué assez de faits pour me permet- tre de conclure que la corporation défenderesse a été incorporée dans un but illégal ou que le défendeur, M. Merson, a ordonné ou autorisé,
directement ou implicitement, les prétendues violations. En fait, aucun fait n'a été invoqué qui me permettrait de conclure que le défen- deur, M. Merson occupait, dans la compagnie défenderesse, une situation lui permettant de donner de tels ordres ou autorisations.
Pour autant que je sache, le défendeur, M. Merson, peut n'être qu'un actionnaire parmi beaucoup d'autres, il peut n'être qu'un des nom- breux administrateurs et n'avoir que peu de pouvoir réel sur les destinées de la compagnie défenderesse et sur la prise des décisions.
Par conséquent, je conclus que la demande- resse n'a pas réussi à entrer dans le cadre des quelques exceptions à la règle générale; elle n'est donc pas en droit d'intenter son action contre le défendeur, M. Merson, en personne.
En outre, j'ai comparé la déclaration radiée par le président Jackett avec la déclaration qu'on m'a présentée. La nouvelle déclaration compte dix-neuf paragraphes. Huit paragraphes sont identiques. La plupart des autres sont pres- que semblables, ils ont simplement été revus et résumés (la première déclaration comptait vingt-trois paragraphes).
Je n'ai pu trouver aucune prétention de faits nouvelle dans la déclaration proposée. Je con- viens avec l'avocat de M. Mers on que la deman- deresse essaie en fait de représenter la requête qu'elle n'a pu faire accueillir par le président Jackett.
La requête est donc rejetée.
Les deux défendeurs ont droit aux dépens de cette requête, quelle que soit l'issue de la cause.
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