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La Commission de la Capitale nationale (Demanderesse)
c.
Gertrude Lapointe et The Guaranty Trust Com pany of Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Noël—Ottawa, les 5 et 9 juin 1972.
Expropriation—Droits de l'individu—L'expropriation a- t-elle été opérée par «l'application régulière de la Loi»— Déclaration canadienne des droits, art. la).
L'article 12 de la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1952, c. 106, accorde nettement le droit d'exproprier un terrain sans qu'on puisse mettre en doute la bonne foi de l'expropriant et, en conséquence, la dépossession de l'exproprié se fait par l'application régulière de la Loi, ainsi que l'exige l'article la) de la Déclaration canadienne des droits. L'expression «l'application régulière de la Loi» signifie l'application de la Loi en vigueur régissant les droits du propriétaire et inclut la tenue d'une audition selon les principes de justice fonda- mentale. En l'espèce, une action en expropriation devant cette Cour y pourvoira.
Arrêt mentionné: Le Roi c. Toronto [1946] R.C.É. 424.
REQUÊTE.
E. M. Thomas, c.r. et J. P. Fortin pour la demanderesse.
A. Roy pour les défendeurs.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOEL—La défen- deresse, dame Gertrude Lapointe, dans son plaidoyer de défense, allègue que l'expropria- tion faite par la Commission de la Capitale nationale n'est pas valide parce qu'elle serait basée sur une loi qui enfreint la Déclaration canadienne des droits. Son procureur, au début de l'audition de cette cause, soumit en effet que la demanderesse, en vertu de l'article 13 de la Loi sur la Capitale nationale, S.R.C. 1970, c. N-3, pouvait, avec l'approbation du Gouverneur en conseil, acquérir les immeubles par expro priation en vertu de la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1952, c. 106, soit ce qu'il appelle l'an- cienne loi, sans le consentement du propriétaire et même sans lui donner avis de cette acquisi tion. Sous cette Loi, il suffit, en effet, de dépo- ser un plan et une description des immeubles expropriés au bureau d'enregistrement et à partir de ce dépôt, l'expropriant devient pro- priétaire et toute réclamation ou charge sur le terrain ou bien est convertie à l'égard de l'ex- propriant en une réclamation contre l'indemnité
pécuniaire ou une partie proportionnelle de cette indemnité. Le propriétaire dit-il, ne peut contester le droit de la Couronne à prendre ou à acquérir le terrain ou le bien et de plus, ajoute- t-il, la partie expropriée peut rester dans l'incer- titude puisqu'on n'a pas fixé de temps pour le paiement de l'indemnité. Il déclare que les par ties de l'ancienne loi qui sont contraires à la Déclaration canadienne des droits sont d'abord que (1) aucun avis d'expropriation n'est prévu; (2) le propriétaire ou locataire ne peut légale- ment s'objecter à la prise de sa propriété et doit même y consentir avant de recevoir compensa tion; (3) que l'expropriant peut, d'une façon arbitraire, signifier par écrit, après la prise de la propriété, à l'exproprié, que son terrain ou bien n'est plus requis et l'enregistrement d'un docu ment d'abandon retourne cette propriété à son propriétaire; (4) il n'existe pas de procédure de négociation fixée pour faciliter le règlement des disputes sur le montant de la compensation et, enfin (5) l'intérêt sur le montant non payé de la compensation n'est fixé qu'à 5 pour cent seulement.
Le procureur de la défenderesse prétend que tous ces points violent certains articles de la Déclaration canadienne des droits soit l'article 1 a), qui traite du droit de l'individu ... à la jouissance de ses biens et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la Loi (due process of law) et l'article 2e) qui traite de la privation . .. du droit à une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale pour la définition de ses droits et obligations.
Il soumet de plus que cette loi sur la Déclara- tion canadienne des droits s'applique à la Loi sur l'expropriation parce que l'article 5(2) de la Déclaration canadienne des droits dit bien que l'expression «loi du Canada», à la Partie I, désigne «une loi du Parlement du Canada, édic- tée avant ou après la mise en vigueur de la présente loi» et, ajoute-t-il, il n'y a rien dans la Loi sur l'expropriation qui dit qu'elle s'appli- quera nonobstant la Déclaration canadienne des droits. Cette dernière loi, soumet le procureur de la défenderesse, protège l'individu dans la jouissance de ses biens, lui assure qu'on ne pourrait le priver de ses biens sans l'application
régulière de la Loi et qu'il aurait toujours droit à une audition impartiale de sa cause.
Il est sans doute vrai que l'article 12 de la Loi sur l'expropriation ne permet pas à l'exproprié de mettre en doute la bonne foi du Ministre ou de la personne qui a décidé de l'expropriation d'un bien pour les fins d'un ouvrage public. Cf. The King v. City of Toronto [1946] R.C.E. 424 l'on déclare au sommaire, à la page 431, que:
[TRADUCTION] L'article 12 prévoit que le dépôt des plan et description est réputé et censé avoir été opéré par l'ordre et sous l'autorité du Ministre et indiquer qu'à son avis, le terrain y désigné est nécessaire pour les fins ,de l'ouvrage public et que ces plan et description ne peuvent être contes tés que par le Ministre.
Et à la page 432, il est dit que:
[TRADUCTION] Ayant fait ce que le Parlement l'autorisait expressément à faire, on ne peut pas dire qu'il (le Ministre) n'a pas agi de bonne foi. Ceci étant, l'article 12 ne permet pas de faire examiner son avis par la Cour.
Bien qu'il s'agisse d'un pouvoir que l'on pourrait qualifier d'arbitraire, le législateur a clairement donné au Ministre, ou à la personne autorisée à décider d'une expropriation, le droit d'agir ainsi et c'est par l'application régulière de la Loi (due process of law) dont parle l'article l a) de la Déclaration canadienne des droits que ce pouvoir est exercé. Il n'est pas, par consé- quent, exact de dire que l'impossibilité par l'ex- proprié de contester la bonne foi de celui qui a décidé de l'expropriation pour fins de travaux publics, va à l'encontre de la Déclaration cana- dienne des droits.
D'ailleurs, il me paraît ici que bien que la Commission de la Capitale nationale n'ait pas encore, depuis la date de l'expropriation de la propriété de la défenderesse, effectué les tra- vaux de construction d'un chemin le long de la rivière Ottawa, en prolongeant le chemin exis- tant, soit «the Ottawa River Parkway», comme le déclare l'arrêté ministériel du 12 février 1963, il est clair qu'il s'agit' d'un ouvrage public bien que la lenteur à exécuter ces tra- vaux ait pu donner aux expropriés l'impression que ces travaux ne s'exécuteraient que dans un avenir assez éloigné, ou peut-être jamais.
L'ancienne Loi sur l'expropriation donne sans doute à l'expropriant certains droits qui peuvent
être considérés comme arbitraires et la nouvelle Loi sur l'expropriation (18-19 Eliz. II, c. 41) a voulu remédier à certains aspects de cette Loi. Il n'en demeure pas moins, cependant, que la Loi sur l'expropriation autorise, comme nous l'avons vu, la demanderesse à agir comme elle l'a fait et ne va pas à l'encontre de la Déclara- tion canadienne des droits. En effet, le droit que possède l'individu «à la jouissance de ses biens et le droit de ne s'en voir privé» que par l'appli- cation régulière de la Loi (due process of law) veut, je crois, dire que ce droit ne peut lui être retiré que par la loi existante ou en vigueur. L'expropriation de biens doit, cependant, se faire par une procédure raisonnable dans un but qui soit considéré d'intérêt public et le proprié- taire doit recouvrer une compensation dont le montant doit être fixé d'une façon impartiale et après audition. L'expression «application régu- lière de la loi» ou, en anglais, «due process of law», dans le présent cas du moins veut, en effet, dire la loi en vigueur régissant les droits de tout propriétaire de biens expropriés mais doit aussi comprendre la tenue d'un procès l'on appliquerait les droits fondamentaux de justice reconnus par notre système judiciaire. Le vocable «loi» ici, en effet, n'est pas seule- ment la loi que l'on rencontre dans les «statuts» mais il est utilisé ici dans le sens abstrait ou général du mot «loi» et comprend ce que l'on appelle les principes du droit naturel.
Il me paraît donc que la Loi sur l'expropria- tion en vertu de laquelle la Commission de la Capitale nationale a acquis le terrain et la pro- priété de la défenderesse est une loi adoptée par le Parlement du Canada, que le but de cette acquisition est pour des fins de travaux publics, et que bien que la procédure fixée puisse, à certains égards, être considérée comme arbi- traire, il n'en demeure pas moins qu'elle consti- tue non seulement pour la défenderesse, mais pour tous ceux qui ont été dépossédés de leurs terrains et biens, la loi régulière applicable, soit le «due process of law». De plus la procédure à suivre en l'occurrence, soit l'action qui est pré- sentement devant cette Cour, constitue égale- ment pour la défenderesse, une audition impar- tiale de sa réclamation et doit être, et sera poursuivie s'il n'en tient qu'à cette Cour, selon les principes de justice requis pour définir les droits et obligations des parties. La procédure
d'expropriation entreprise par la Commission, qui ne comporte aucune discrimination, est par conséquent valide. La Loi sur la Capitale natio- nale, S.R.C. 1970, c. N-3 et par référence la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1952, c. 106, ne vio lent en aucune façon la Déclaration canadienne des droits. Il me faut, par conséquent, rejeter la motion de la défenderesse et l'on devra procé- der à terminer l'enquête pour déterminer la compensation due aux défendeurs, frais à suivre.
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