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American Cyanamid Company (Appelante)
c.
Novopharm Limited (Intimée)
Cour d'appel; le juge en chef Jackett, les juges suppléants Bastin et Sweet—Toronto, le 11 mai 1972.
Brevets—Contrefaçon—Droit du titulaire d'un brevet non exclusif d'agir en contrefaçon—Obligation pour le breveté d'être partie à l'action—Ajournement des procédures—Loi sur les brevets, art. 57(1) et (2).
Le titulaire d'une licence non exclusive d'un brevet d'in- vention a intenté une action en dommages-intérêts contre l'auteur d'une prétendue contrefaçon de ce brevet. La défenderesse a demandé la radiation de la déclaration aux motifs (1) qu'elle ne révèle aucune cause d'action et (2) que le breveté n'était pas partie à l'action, comme l'exige l'arti- cle 57(2) de la Loi sur les brevets.
Arrêt (le juge en chef Jackett partiellement dissident): La décision du juge en chef adjoint Noël est infirmée et la requête rejetée.
La Cour: Quiconque détient la licence non exclusive d'un brevet est une personne se réclamant du breveté au sens de l'article 57(1) de la Loi sur les brevets.
Les juges suppléants Bastin et Sweet: Le titulaire d'une licence non exclusive a le droit d'obtenir du contrefacteur réparation pour les dommages que la contrefaçon lui a fait subir et ceux-ci ne peuvent être déterminés qu'à la suite d'un procès.
Le juge en chef Jackett: Puisqu'une licence non exclusive permet simplement à son titulaire d'utiliser l'invention bre- vetée, la contrefaçon ne porte pas atteinte à ce droit et ne lui fait subir aucun dommage. En conséquence, la déclara- tion ne révèle aucune cause d'action et devrait être rejetée avant l'instruction.
Arrêt (la Cour): Bien que la non-adjonction du breveté à l'action en qualité de partie, comme l'exige l'article 57(2), ne constitue pas un motif de radiation de la déclaration, il y a lieu d'ajourner les procédures jusqu'à ce que soit tranchée définitivement une requête visant à adjoindre le brèveté à l'action en qualité de partie.
Arrêt appliqué: Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. [1943] R.C.S. 547; (1946-47) 6 Fox Pat. C. 39. Arrêt examiné: Electric Chain Co. of Can. Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581.
APPEL d'une décision du juge en chef adjoint Noël, [1971] C.F. 534.
Donald F. Sim, c.r. et Roger T. Hughes pour l'appelante.
I. Goldsmith, c.r. pour l'intimée.
David Watson pour la Bristol-Myers Co.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Le présent appel porte sur une décision de la Division de première instance qui a rejeté avec dépens l'ac- tion de l'appelante à la suite d'une requête faite avant le dépôt d'une défense visant à radier la déclaration.
Par une déclaration déposée le 23 juin 1971, l'appelante a intenté une action contre l'intimée en vue d'obtenir un redressement à l'égard d'ac- tes qui, selon elle, constituaient une contrefaçon des lettres patentes canadiennes 726,675 qui [TRADUCTION] «ont été accordées à la Bristol- Myers Company et lui appartiennent».
L'appelante soutient qu'il s'agit d'«une licence non exclusive» en vertu de certaines revendications des lettres patentes 726,675.
Par un avis de requête déposé le 25 octobre 1971, l'intimée a donné avis d'une requête visant à obtenir une ordonnance radiant la déclaration aux motifs qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, que l'appelante, à titre de détentrice d'une licence non exclusive d'exploitation en vertu des lettres patentes appartenant à la Bristol-Myers Company, n'a pas qualité pour exercer son action sans consti- tuer le breveté partie à l'action comme l'exige l'article 57(2) de la Loi sur les brevets et qu'une action concernant une prétendue contrefaçon du brevet, intentée par la Bristol-Myers Com pany, est pendante devant cette Cour.
Conformément à une ordonnance de la Cour, avis de cette requête a été donné à la Bristol- Myers Company, ce qui a entraîné, une fois la signification faite, sa comparution, par l'inter- médiaire de son avocat, devant le juge en chef adjoint. L'avocat représentant la Bristol-Myers Company a également comparu et présenté ses prétentions au cours des débats du présent appel.
Lorsque le juge en chef adjoint a statué sur la requête, il a examiné le moyen fondé sur l'arti- cle 57(2) de la Loi sur les brevets, dont voici le texte:
57. (2) Sauf dispositions expressément contraires, le bre- veté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts en l'espèce.
Il a réfuté la prétention de l'appelante d'être «titulaire d'un brevet» au sens de cette disposi tion et déclaré que, puisqu'à son avis, omettre
de mettre en cause une partie ne doit pas provo- quer le rejet de l'action, «si c'était-là le seul obstacle à la présente action», il n'hésiterait pas à autoriser l'appelante à demander que la Bris- tol-Myers Company soit constituée partie. Il a cependant décidé qu'un détenteur de licence non exclusive ne peut réclamer de dommages- intérêts pour contrefaçon d'un brevet et que l'appelante n'ayant pas, en conséquence, qualité en l'espèce, l'action devait être rejetée.
Le présent appel porte sur le jugement consé- cutif rejetant l'action sans dépens.
L'appelante a joint à la déclaration une copie de la licence ainsi que certaines lettres y appor- tant des modifications. Selon ces documents, la Bristol-Myers Company lui [TRADUCTION] «accorde une licence et un droit non exclusifs», aux termes de certaines revendications du brevet 726,675, [TRADUCTION] «de fabriquer, faire fabriquer pour son compte, utiliser et vendre» certains produits fabriqués selon tout procédé appartenant à une catégorie détermi- née. La licence confère en`outre à l'appelante le droit d'accorder une «sous-licence» à un sous- détenteur lorsqu'elle ne fabrique pas elle-même les produits indiqués. La licence contient des dispositions relatives au versement de redevan- ces et d'autres dispositions qui n'ont pas de rapport avec le problème actuel. Elle contient de plus des dispositions détaillées sous le titre: [TRADUCTION] «Article V—CONTREFAÇON PAR LES TIERS ET ÉGALITÉ DE TRAITE- MENT». Voici le texte de ces dispositions:
[TRADUCTION] Si, pendant toute la durée de la présente licence, la CYANAMID croit qu'une contrefaçon réelle du brevet en cause est survenue à l'égard des droits qui lui sont accordés par les présentes, elle peut alors en avertir la BRISTOL et en même temps lui donner les renseignements sur lesquels elle se fonde ainsi que suffisamment de faits démontrant que les ventes de Tétracycline et de produits en contenant ou en dérivant que la CYANAMID ou le sous- détenteur ont réalisées au Canada, ont diminué ou diminue- ront de façon considérable. Dans cet avis, la CYANAMID peut exiger que la BRISTOL l'avertisse si elle prend des mesures visant à faire cesser cette prétendue contrefaçon.
Si, dans un délai de cent vingt (120) jours après la réception de cet avis et de cette requête, la Bristol omet d'avertir la CYANAMID qu'elle va prendre des mesures visant à faire cesser cette prétendue contrefaçon ou l'avertit qu'elle n'a pas l'intention de le faire, la CYANAMID sera, à l'expiration de cette période, libérée de l'obligation de
verser les redevances prévues aux présentes relativement aux lettres patentes qu'elle prétend contrefaites.
Si la BRISTOL, en agissant avec discernement, décide que les renseignements que la CYANAMID lui a fournis ou qu'elle détient d'autres sources, sont insuffisants pour indi- quer qu'il est raisonnablement possible qu'une telle contre- façon se produise, ou que les ventes de Tétracycline réali- sées par la CYANAMID ou par les titulaires de sous-licences n'ont pas diminué ou ne diminueront pas de façon considérable à la suite de cette contrefaçon et si elle le fait savoir à la CYANAMID dans le délai prévu, alors celle-ci ne sera pas libérée de son obligation.
Dans le cas où, après réception de l'avis susmentionné de la CYANAMID, la BRISTOL l'avertit qu'elle prendra les mesures pertinentes, la CYANAMID ne sera pas libérée de l'obligation de verser les redevances prévues aux présentes, sous réserve de ce qui suit.
La CYANAMID pourra se prévaloir de toute décision d'un tribunal compétent du Canada, dont on ne pourra faire appel ou dont on n'aura pas fait appel dans le délai imparti, portant que le brevet en cause est totalement ou partielle- ment invalide ou que ledit brevet, certaines revendications particulières ou toutes revendications de ce dernier ne sont pas violés par un produit donné. Si un tribunal compétent du Canada décidait que ledit brevet est totalement ou par- tiellement invalide ou que ledit brevet, certaines revendica- tions particulières ou toutes revendications de ce dernier ne sont pas violés par un produit donné, la CYANAMID pourra se prévaloir de cette décision à moins qu'elle ne soit renversée comme il est prévu ci-dessous. Dans la mesure les redevances ne seront pas payables par la suite en vertu de la présente licence si ladite décision est confirmée, le paiement de ces redevances sera suspendu. Dans le cas une telle décision est renversée par celle d'un tribunal compétent, dont on ne pourra faire appel ou dont on n'aura pas fait appel dans le délai imparti, et si, conformément à cette décision en appel, les redevances suspendues sont payables en vertu des présentes, elles seront alors payées par la suite conformément aux dispositions de la présente licence et, dans la mesure le paiement de ces redevances a été jusque-là suspendu, le montant en deviendra et payable à la BRISTOL.
Si la CYANAMID a présenté à la BRISTOL l'avis et la requête ainsi que les renseignements et les faits mentionnés ci-dessus, et si, pendant une période de trois (3) ans à compter de la date de cet avis, une contrefaçon réelle du brevet en cause signalée dans cet avis s'est poursuivie et a fait considérablement diminuer les ventes de Tétracycline réalisées au Canada par la CYANAMID, sa filiale ou le titulaire d'une sous-licence de celle-ci, la CYANAMID sera libérée du paiement des redevances prévues aux présentes relativement audit brevet aussi longtemps que cette préten- due contrefaçon se poursuivra.
Dans le cas la CYANAMID est libérée de l'obligation de verser des redevances aux termes des dispositions précé- dentes, et la BRISTOL réussit par la suite à faire cesser la contrefaçon qui était à l'origine de la réclamation, l'obli- gation de la CYANAMID de payer des redevances renaîtra dès lors et, si la BRISTOL, en faisant cesser ladite contrefa- çon, a perçu des redevances (ou des dommages-intérêts) pour ladite contrefaçon passée, l'obligation de la CYANA-
MID de verser des redevances reprendra rétroactivement dans toute la mesure la BRISTOL aura réussi à perce- voir des redevances (ou des dommages-intérêts) à cet égard.
Il faut indiquer un autre fait significatif. Le 24 juin 1971, la Bristol-Myers Company a intenté une action en contrefaçon contre l'inti- mée devant cette Cour et le paragraphe 13 de la déclaration relative à cette action se lit comme suit:
[TRADUCTION] 13. La demanderesse est prête à accorder à la défenderesse, en vertu du brevet canadien 726,675 et moyennant une redevance de 3i%, une licence que son titulaire pourra annuler après un avis de 90 jours et qui contient d'autres dispositions conventionnelles.
Voici les questions qu'à mon avis, il faut examiner dans le présent appel':
1. Compte tenu, en particulier, du fait que l'appelante détient «une licence non exclusive» aux conditions que j'ai indiquées, les faits avan- cés dans la déclaration révèlent-ils une cause d'action?
2. Même si cette Cour conclut que la déclara- tion ne révèle aucune cause d'action, cette question ne devrait-elle pas néanmoins être ren- voyée et tranchée après l'audition de l'action?
3. Même si on permettait par ailleurs que l'action fasse l'objet d'un procès serait-elle entachée d'un vice pour non-conformité aux dispositions de l'article 57(2) de la Loi sur les brevets, et s'il en était ainsi, que devrait-être le jugement dans le présent appel?
Je propose d'examiner d'abord quel droit, le cas échéant, l'article 57 de la Loi sur les brevets confère au titulaire d'une licence non exclusive à l'encontre du contrefacteur.
Avant d'examiner ce problème, il est utile de citer les dispositions suivantes de la Loi sur les brevets 2 :
2. Dans la présente loi, ainsi que dans tout règlement ou règle établie, ou ordonnance rendue, sous son autorité, l'expression
d) «invention» signifie toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi qu'un perfectionnement quelconque de l'un des sus- dits, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité;
e) «représentants légaux» comprend les héritiers, exécu- teurs testamentaires, administrateurs, gardiens, curateurs, tuteurs, ayants droit, ainsi que toutes autres personnes
réclamant par l'intermédiaire ou à la faveur de deman- deurs et de titulaires de brevets d'invention;
g) «brevet» signifie les lettres patentes couvrant une invention;
h) «breveté» ou «titulaire d'un brevet» signifie le titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage d'un brevet d'invention;
12. (1) Sur recommandation du Ministre, le gouverneur en conseil peut établir, modifier ou abroger les règles et règlements qui peuvent être jugés utiles
c) en particulier, mais sans restreindre la généralité de ce qui précède, sur les matières suivantes:
(iii) l'enregistrement des cessions, transmissions, licen ces, renonciations, jugements ou autres documents rela- tifs à un brevet,
46. Tout brevet concédé en vertu de la présente loi doit contenir le titre ou nom de l'invention, avec renvoi au mémoire descriptif, et accorder, sous réserve des conditions prescrites dans la présente loi, au breveté et à ses représen- tants légaux, pour la durée y mentionnée, à partir de la date de la concession du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de ladite invention, sauf jugement en l'espèce par un tribunal de juridiction compétente.
48. Tout brevet accordé conformément à la présente loi doit être délivré sous la signature du commissaire et le sceau du Bureau des brevets. Le brevet doit porter à sa face la date à laquelle il a été accordé et délivré, et il est par la suite prima facie valide et acquis au titulaire et à ses représentants légaux pour la période y mentionnée, laquelle doit être déterminée par l'article 49 ainsi qu'il y est prévu.
53. (1) Tout brevet délivré pour une invention est cessi- ble en loi, soit pour la totalité, soit pour une partie de l'intérêt, au moyen d'un acte par écrit.
(2) Cet acte de cession, ainsi que tout acte de concession et que tout acte translatif du droit exclusif d'exécuter et d'exploiter, et de concéder à des tiers le droit d'exécuter et d'exploiter, l'invention brevetée, dans les limites et dans toute l'étendue ou dans quelque partie du Canada, doit être enregistré au Bureau des brevets, de la manière prescrite, à l'occasion, par le commissaire.
(4) Toute cession visant un brevet d'invention, que s'y applique le présent article ou l'article 52, est nulle et de nul effet à l'égard d'un cessionnaire subséquent, à moins que l'acte de cession n'ait été enregistré, ainsi qu'il est ci-dessus prescrit, avant l'enregistrement de l'acte sur lequel ce ces- sionnaire subséquent fonde sa réclamation.
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du
breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.
(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recou- vrement des dommages-intérêts en l'espèce.
59. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribunal, ou l'un de ses juges, peut sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l'ordonnance qu'il juge à propos de rendre
a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l'article qui fait l'objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance, ou
b) pour les fins et à l'égard d'inspection ou du règlement de comptes, et
c) généralement, quant aux procédures de l'action.
(Les italiques de l'article 12 sont de moi.)
L'examen de ces dispositions indique que les lettres patentes, concédées pour une «inven- tion» en vertu de la Loi sur les brevets, accor- dent au breveté (personne ayant pour le moment droit de se prévaloir du brevet) et à ses représentants légaux (expression qui comprend les «ayants droit, ainsi que toutes autres person- nes réclamant par l'intermédiaire ou à la faveur de . .. titulaires de brevets d'invention») pour une certaine période «le droit, la faculté et le privilège exclusifs» de fabriquer, construire et exploiter l'invention et de la «vendre» à d'au- tres pour qu'ils l'expoitent. (Article 46.)
Il est précisé qu'un tel brevet est cessible «soit pour la totalité, soit pour une partie de l'intérêt». (Article 53(1).)
Bien que la Loi n'autorise pas expressément la sous-concession de certains droits découlant du brevet, elle admet expressément qu'il peut y avoir un «acte de concession et ... un acte translatif» du «droit exclusif d'exécuter et d'ex- ploiter, et de concéder à des tiers le droit d'exé- cuter et d'exploiter, l'invention breveté,» dans toute l'étendue ou dans quelque partie du Canada. (Article 53(2).)
Enfin, il n'existe aucune disposition expresse en vertu de laquelle le breveté peut accorder une licence au sens ordinaire des mots [TRA- DUCTION] «liberté (de faire quelque chose), autorisation, permission», mais cette faculté doit être inhérente à la propriété du brevet ainsi qu'au droit accordé au titulaire du brevet de le
«vendre à d'autres pour qu'ils l'exploitent». Le fait que la Loi envisage des règles et des règle- ments prévoyant l'enregistrement des «licen- ces» (article 12(1)c)) et qu'elle envisage égale- ment des licences exclusives et non exclusives obligatoires dans certaines circonstances le con- firme. (Article 68.)
Avant de poursuivre, il est important de garder à l'esprit les deux principales sortes d'en- tentes aux termes desquelles un breveté peut accorder à un tiers l'autorisation d'exploiter l'in- vention brevetée, à savoir:
a) un «acte de concession ou ... un acte translatif» du «droit exclusif» d'exécuter et d'exploiter et de concéder à des tiers le droit d'exécuter et d'exploiter l'invention', et
b) une concession d'une simple licence d'exé- cuter et d'exploiter l'invention qui permet à son titulaire de faire légalement ce que, sans la licence, il n'aurait pas pu faire, sinon illégalement.
Des stipulations contractuelles particulières peuvent accompagner, et accompagnent généra- lement, ces ententes.
Je pense qu'il est incontesté en droit que, la loi mise à part, une simple licence d'exploiter des biens ne confère ni intérêt ni droit réel sur les biens, objets de la licence, et ne peut, en soi, conférer le droit de réclamer des dommages- intérêts au tiers qui exploite également ce bien, que le propriétaire lui ait accordé ou non une licence d'exploitation. Une licence est donc, certaines dispositions légales à l'effet contraire mises à part, différente en nature de la conces sion d'un «droit exclusif» d'exécuter et d'ex- ploiter un bien. Le bénéficiaire d'un tel droit à l'égard d'un bien dispose d'un droit exclusif sur celui-ci (prélevé sur le droit de pleine propriété du breveté); cependant, l'usager qui ne se con- forme à ce droit exclusif le contrefait et le droit, à mon avis, accorde un recours pour toute con- trefaçon semblable, que la loi l'ait ou non expressément prévu 4 .
La première question à trancher en exami- nant si les faits avancés dans la déclaration révèlent en l'espèce présente une cause d'ac- tion, est de savoir si l'article 57 rend celui qui contrefait un brevet responsable non seulement envers le bénéficiaire d'un «droit exclusif»
d'exploiter l'invention brevetée, mais également envers le titulaire d'une simple licence non exclusive, considéré comme une personne «se réclamant» du breveté, de tous «dommages- intérêts que (cette violation) a fait subir ... à cette autre personne».
A première vue, il me semble que les mots «personne se réclamant» du breveté renvoient à celle qui intente une action contre le contrefac- teur en vertu d'un droit réel transmis directe- ment ou indirectement par le breveté. Il est clair que cela s'appliquerait à une personne à laquelle le breveté a accordé un «droit exclusif» d'ex- ploiter l'invention brevetée et qui intente une action contre une personne qui a violé ce droit exclusif. Cependant, eu égard au fait qu'un bre- veté, en accordant la concession d'une simple licence, donne seulement la permission d'ex- ploiter l'invention et non un droit réel, il ne me semble pas, à première vue, que la concession d'une telle licence puisse servir de fondement à une action contre le contrefacteur. A vrai dire, il semble que c'était l'état du droit antérieur même s'il existait un contrat entre le breveté et le titulaire de la licence selon lequel cette der- nière était exclusive. Voir l'arrêt Heap c. Hart- ley (1889) 42 Ch. D. 461, que la Cour suprême du Canada a appliqué dans l'arrêt Electric Chain Company of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581, aux pp. 586 et 587. Toutefois, l'intimée soutient que la déci- sion de la Cour suprême du Canada [1943] R.C.S. 547, ainsi que celle du Conseil privé (1946-47) 6 Fox Pat. C. 39, dans l'affaire Fiber- glas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. ont établi que le titulaire d'une simple licence dis pose, en vertu de l'article 57, d'une cause d'ac- tion valable contre celui qui contrefait un brevet.
Le fait de savoir si l'article 57 confère une cause d'action au titulaire d'une simple licence dépend de la portée qu'il convient de donner à l'arrêt Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. Toutefois, avant d'étudier cette décision, il est important de déterminer ce que la Cour suprême a décidé dans l'arrêt Electric Chain Co. of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581.
Dans l'arrêt Electric Chain, la question s'est posée à la Cour d'une façon quelque peu inhabi-
tuelle. Une corporation du New Jersey avait intenté une action en contrefaçon relativement à un brevet canadien dont elle était titulaire. La défenderesse a reconnu les faits avancés dans la déclaration, mais a contesté la question des dommages-intérêts et celle des bénéfices. Il y a eu, en fait, jugement sur consentement déci- dant, entre autres, que les dommages-intérêts seraient fixés lors d'un renvoi. Lors du renvoi, il est apparu que la corporation du New Jersey n'exerçait pas elle-même d'activité au Canada, mais que, pour ce faire, elle possédait une filiale en propriété exclusive. Après avoir reçu le rap port de l'arbitre, le juge a donné l'autorisation d'adjoindre la filiale en qualité de demande- resse. Des dommages-intérêts importants ont été accordés en se fondant sur les dommages subis par la filiale. La Cour suprême du Canada a décidé qu'entre la corporation du New Jersey et sa filiale, il n'y avait pas eu d'«acte de concession et (d') ... acte translatif du droit exclusif» d'exploiter l'invention brevetée, mais qu'il existait simplement la «preuve d'une licence». La loi en question était la Loi sur les brevets de 1927, S.R.C. 1927, c. 150, selon laquelle le «breveté» signifiait «la personne ayant alors droit à l'avantage d'un brevet» (arti- cle 2e)); cette loi prévoyait qu'un contrefacteur était tenu envers «le breveté» ou ses représen- tants légaux lors d'une action en dommages- intérêts et définissait les «représentants légaux» comme comprenant «les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs, gardiens, cura- teurs, tuteurs, ayants droit ou autres représen- tants légaux». La Cour suprême la p. 487] s'est référée à l'arrêt Heap c. Hartley (1889) 42 Ch. D. 461 dans lequel on a soutenu vainement que [TRADUCTION] «puisque le breveté était ... «la personne ayant alors droit à l'avantage d'un brevet», le détenteur d'une licence exclusive dans un domaine particulier se trouvait, en ce qui concerne ce domaine, ... dans la situation d'une personne à laquelle le breveté avait donné son monopole .. . et qui était fondée à soutenir une action en contrefaçon de ses droits dans ce domaine, en son propre nom et sans adjoindre le breveté». La Cour suprême du Canada, citant un passage des motifs du jugement de l'arrêt Heap c. Hartley, a déclaré: [TRADUCTION] «.. . la licence pure et simple ne confère jamais, en elle-même, un intérêt sur des biens. Elle permet
seulement à une personne de faire légalement ce qu'elle n'aurait pu faire autrement, sinon illégalement». En appliquant cet arrêt, la Cour suprême a décidé que la filiale de la compagnie détentrice du brevet dans l'affaire Electric Chain n'était pas «le breveté» ou «le représen- tant légal du breveté» et n'avait pas le droit d'être partie à l'action en contrefaçon. Finale- ment, la corporation du New Jersey a obtenu des dommages-intérêts pour la contrefaçon, mais non pour les dommages subis par la titu- laire de sa licence.
Entre l'affaire Electric Chain et l'affaire Fiberglas, la disposition de la Loi sur les brevets relative à la responsabilité du contrefacteur a été modifiée. Comme je l'ai déjà souligné, le nouvel article, qui est entré en vigueur en 1935 et qui est l'actuel article 57(1), dispose que le contrefacteur est responsable envers «le bre- veté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages que cette violation aura fait subir au breveté ou à cette autre personne».
Dans l'affaire Spun Rock, un brevet canadien avait été délivré à une compagnie étrangère qui a accordé des licences exclusives à des compa- gnies intermédiaires, qui ont, à leur tour, accordé des licences exclusives à la Fiberglas Canada Ltd. La compagnie étrangère devint ennemie et, en conséquence, ses droits sur le brevet furent remis au séquestre en vertu des Règlements sur le commerce avec l'ennemi. Dans ces circonstances, lorsque la Fiberglas a intenté son action en contrefaçon de brevet devant la Cour de l'Échiquier du Canada contre la Spun Rock, elle a adjoint le séquestre en qualité de défendeur. (Voir le jugement du juge Kerwin à la page 558 et celui du juge Rand aux pages 565 et 566.) Le juge de première instance a permis d'adjoindre l'une des compagnies intermédiaires en qualité de demanderesse et a rendu un jugement en faveur des demanderes- ses. La Cour suprême du Canada, le juge Rand étant dissident, a infirmé ce jugement au motif qu'il n'y avait aucune invention dans la revendi- cation objet du litige. Dans ce cas-là, bien que ce ne fût pas nécessaire à la décision, on a examiné la situation des parties demanderesses à l'action. Le juge Davis, qui a rendu le juge- ment en son nom et pour le juge Taschereau, a
déclaré que la disposition applicable était l'arti- cle 55 (l'actuel article 57). Il a ajouté que [TRA- DUCTION] «le recours légal prévu consiste en une action «pour tous dommages (que cette contrefaçon) aura fait subir» ...» et a formulé l'opinion qu'« ... un détenteur de licence est, aux fins de l'article, une personne se réclamant du breveté ...» (page 557). Il a cependant fait remarquer que [TRADUCTION] «la responsabilité légale concerne» tous dommages «que cette contrefaçon» aura fait subir «à cette personne» (page 557). Il a également formulé l'opinion que la compagnie intermédiaire ne constituait ni une partie nécessaire ni une partie appropriée. Le juge Kerwin a déclaré: [TRADUCTION] «... l'ap- pelante admettant la contrefaçon s'il était décidé que la revendication objet du litige est valide, la Fiberglas Canada Limited, en qualité de détentrice d'une licence exclusive, serait alors fondée dans ce cas à obtenir l'ordonnance prohibitive habituelle contre l'appelante» (pages 558 et 559). Se référant ensuite à la décision de l'affaire Electric Chain ainsi qu'aux modifica tions consécutives de la Loi, il a déclaré: [TRA- DUCTION] «Donc, lorsqu'il s'agit d'une réclama- tion en dommages-intérêts, le détenteur d'une licence exclusive se réclame du breveté au sens de cet article et la présence du séquestre, en qualité de défendeur à ce litige, aurait été, selon moi, suffisante si la demanderesse avait exploité l'invention au Canada» (page 559). Le juge Hudson a déclaré,:, [TRADUCTION] «Puisque le breveté et les titulaires originaires de licences sont présents devant la Cour, je pense que je n'ai pas à formuler d'opinion sur la qualité qu'a la demanderesse d'intenter l'action» (page 560). Le juge Rand a traité la question aux pages 565 et 566 de la manière suivante:
[TRADUCTION] On a soulevé un autre moyen de défense relatif au droit des intimées d'intenter l'action. La demande- resse initiale prétendait être sous-détentrice d'une licence exclusive de l'Owens-Corning Fiberglas Corporation, demanderesse adjointe, en vertu des pièces nds 3, 4 et 5: mais on a sérieusement contesté le fait que ces documents aient transféré de tels droits. Par contre, on a prétendu que la partie adjointe comme demanderesse avait les pouvoirs de celui qui détient une licence exclusive d'un breveté. Il ne semble pas y avoir de doute sur ce fait et l'adjonction de la corporation à l'action corrige tout défaut des parties ayant un intérêt en l'espèce. Le breveté était une corporation hollandaise et, en vertu des dispositions des Règlements sur le commerce avec l'ennemi (1939), le titre légal du brevet avait été remis au séquestre défendeur. Toutes les parties concernées sont, en conséquence, présentes devant la Cour
et qu'elles le soient à titre de demanderesse ou de défende- resse ne semble pas important dans les circonstances.
Devant le Conseil privé, Lord Simonds a traité cette question en rendant son jugement qui a été rapporté aux pages 46 et 47 du (1946-47) 6 Fox's Patent Cases, dont voici un extrait:
[TRADUCTION] Leurs seigneuries ne pensent pas qu'il soit nécessaire dans les circonstances de réexaminer en détail les différents documents. Avec l'aide des avocats, elles l'ont fait à l'audience et ont été convaincues que les appelantes avaient prouvé leur droit de poursuivre en qualité de titulai- res de licences, et il est manifeste que les savants juges de la Cour suprême ont adopté le même point de vue.
Il reste alors une question de portée générale, celle de savoir quels sont, en droit canadien, les droits du titulaire de la licence d'un brevet.
L'intimée soutient que le titulaire d'une licence n'a pas le droit de poursuivre en dommages-intérêts et que, même s'il avait un tel droit, il ne serait nullement fondé à bénéficier d'une injonction visant à interdire la contrefaçon.
La première disposition applicable est l'article 55 de la Loi sur les brevets de 1935 qui prévoit ce qui suit:
55. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages que cette violation aura fait subir au breveté ou à cette autre personne.
(2) A moins qu'il n'y soit expressément pourvu à l'effet contraire, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts en l'espèce.
La question en l'espèce est de savoir si le titulaire d'une licence est une personne se réclamant du breveté. En ce qui concerne cette question, même si on l'a plaidée devant lui, le savant juge de première instance n'a pu avoir de doutes, car il n'y fait pas allusion dans son jugement. A la Cour suprême, le juge Davis l'opinion duquel le juge Tasche- reau a souscrit) a décidé que le titulaire d'une licence est, aux fins de l'article, une personne se réclamant du breveté. Le juge Kerwin est parvenu à la même conclusion et a fait remarquer que, dans la Loi de 1935, la disposition applica ble avait été modifiée, l'expression «le breveté et ... toute personne se réclamant du breveté» remplaçant les mots «le breveté ou ... ses représentants légaux» qui se trouvaient dans la Loi sur les brevets antérieure, datant de 1932, et qui ne pouvaient pas englober le titulaire d'une licence. Ni le juge Hudson ni le juge Rand n'ont formulé d'opinion à cet égard; toutefois ce dernier qui préconisait le rejet de l'appel, n'a pu avoir de doutes à ce sujet.
Face à ce consensus sur la Loi canadienne, leurs seigneu- ries hésiteraient en tout état de cause à formuler une opi nion contraire. Il leur semble cependant que la modification apportée à la Loi en 1935 par suite de l'arrêt Electric Chain Co. of Canada c. Art Metal Works Inc., (1933) R.C.S. 581, les oblige à conclure que les détenteurs de licence sont des personnes se réclamant du breveté au sens de cet article. Par définition, le breveté est la personne qui bénéficie actuellement d'un brevet. L'art. 55(1) accorde un droit d'action non seulement à la personne qui bénéficie actuelle- ment d'un brevet, mais aussi à toute personne se réclamant
de cette personne. Au sens courant des termes de cet article, un détenteur de licence répond à cette définition.
Avant d'essayer de conclure sur la question de la portée de l'article 57, je dois examiner plus avant les motifs qui ont permis au juge en chef adjoint de conclure comme il l'a fait dans cette affaire.
Après avoir examiné les procédures et les décisions des affaires Electric Chain et Spun Rock Wools et après avoir réglé la controverse découlant de l'article 57(2), le juge en chef adjoint a, en ce qui concerne la question pré- sente, déclaré que, malgré l'affaire Spun Rock il a été décidé «que le détenteur d'une licence exclusive peut poursuivre», il doutait sérieusement qu'un détenteur de licence non exclusive puisse intenter une action en contre- façon, car il ne peut a) «se réclamer du bre- veté», ni b) réclamer des dommages-intérêts pour contrefaçon en vertu du brevet. Il a for- mulé l'opinion que l'article 57(1) doit faire l'ob- jet d'une interprétation stricte et, après avoir cité les stipulations de la licence détenue par la demanderesse en l'espèce ainsi que l'opinion du Lord chancelier Buckmaster dans l'arrêt King c. David Allen & Sons [1916] 2 A.C. 54 la p. 59, il a conclu qu'il n'existait qu'une obligation per- sonnelle entre le titulaire de la licence et la demanderesse. Il a conclu, en conséquence, que la demanderesse n'avait pas qualité en l'espèce et que l'action devait être rejetée avec dépens.
En l'absence de toute autre jurisprudence, je dois me contenter d'exprimer mon accord avec les principes généraux énoncés par le juge en chef adjoint. Je dois également ajouter que, la décision dans l'affaire Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. se limitant aux faits soumis aux tribunaux en l'espèce, je conviens que cette décision ne fait jurisprudence que relativement au fait que le titulaire d'une licence exclusive est une personne «se réclamant du» breveté au sens de l'actuel article 57 de la Loi sur les brevets. A mon avis, le stare decisis, même s'il est applicable, n'oblige donc pas les tribunaux inférieurs à décider que dans cette affaire, la décision portait que le titulaire d'une licence non exclusive est visé par les mots en question.'
Pour ce motif, si je pensais qu'il me soit possible de le faire, je conclurais, comme je l'ai déjà proposé dans ces motifs, qu'une personne «se réclame» du breveté dans une action contre le contrefacteur si sa réclamation porte sur la contrefaçon de quelque droit réel reçu directe- ment ou indirectement du breveté par un acte de concession ou un acte translatif, et étant donné que je me considérerais lié par la déci- sion de l'affaire Spun Rock, j'y inclurais le titulaire d'une licence exclusive en qualité de personne à laquelle un «droit exclusif» a, en fait, été accordé. Je ne considérerais pas, dans de telles circonstances, le titulaire d'une licence non exclusive comme une personne «se récla- mant» du breveté.
Toutefois, peut-être en raison de mes con- naissances en comimon law, je relève dans les motifs de l'affaire Spun Rock certains détails que, de toute évidence, mon collègue le juge Noël n'a pas décelés. A mon avis, ces motifs contiennent des déclarations importantes que je dois considérer comme faisant autorité, même si je ne peux leur trouver de fondement logique. Deux des juges de la Cour suprême du Canada (les juges Davis et Taschereau), ayant indiqué clairement qu'ils avaient rédigé des observa tions sur ce point parce que la question avait été longuement plaidée et était de «portée géné- rale», ont déclaré qu'en général «... un déten- teur de licence est, aux fins de l'article, une personne se réclamant du breveté ...». Devant le Conseil privé, après avoir fait précédé la partie pertinente de son jugement des mots: «il reste alors une question de portée générale, celle de savoir quels sont, en droit canadien, les droits du titulaire de la licence d'un brevet», Lord Simonds, en rendant le jugement du comité judiciaire, a cité l'article 55(1) (dans sa rédaction d'alors) et a ajouté que la question «en l'espèce» était de savoir si le titulaire d'une licence est une personne se réclamant du bre- veté; il y a répondu en déclarant: «Au sens courant des termes de cet article, un détenteur de licence répond à cette définition». J'ai été séduit par l'idée que ces juges n'avaient l'inten- tion de formuler d'opinion qu'en fonction des faits qui leur ont été présentés et aussi par l'idée, déjà indiquée, que, lorsqu'ils parlaient du «titulaire d'une licence», ils envisageaient en réalité le titulaire d'une licence exclusive. Il me
semble toutefois impensable que Lord Simonds ou le juge Davis, compte tenu de leurs connais- sances respectives de comhnon law, aient utilisé, sans le dire, le concept très connu de «licence» pour qualifier uniquement une catégorie très étroite de licence 6 .
Je suis donc contraint d'adopter le point de vue que la personne titulaire d'une licence en vertu d'un brevet est une personne se réclamant du breveté au sens qu'ont ces mots dans l'arti- cle 57(1) de la Loi sur les brevets.
Toutefois, la question n'en est pas réglée pour autant. Avant que l'article 57(1) ne fasse men tion des personnes se réclamant du breveté, les décisions avaient pour effet de ne pas rendre le contrefacteur responsable envers le titulaire d'une licence. Depuis cette adjonction, le con- trefacteur est responsable envers le titulaire d'une licence dans la mesure énoncée à l'article 57(1) révisé. La modification de cette disposi tion a eu pour effet de créer une cause d'action statutaire qui n'existait pas auparavant. Nous avons donc maintenant à déterminer en quoi consiste cette cause d'action.
En premier lieu, le titulaire d'une licence peut réclamer des dommages-intérêts en vertu de l'article 57(1), pour les dommages subis par lui-même et non pas toute autre personne. Lord Simonds l'a très bien fait ressortir à la page 47 de l'arrêt Spun Rock, lorsqu'il a déclaré: [TRA- DUCTION] «... puisque l'action est essentielle- ment une action de la Fiberglas (dernière déten- trice de la licence), dont les droits et intérêts en qualité de titulaire d'une licence ont pris nais- sance le 29 décembre 1939, il faut indiquer clairement dans l'ordonnance que les domma- ges-intérêts attribuables se limitent aux domma- ges subis après cette date par la Fiberglas en qualité de bénéficiaire ou par l'Owens-Corning (détentrice intermédiaire de la licence) en qua- lité de fiduciaire pour le compte de la Fiber- glas». (Voir également l'opinion du juge Davis, citée à la p. 557 du [1943] R.C.S.)
En conséquence, la question suivante à exa miner en l'espèce présente est celle-ci: quels sont les «dommages» subis par le titulaire d'une licence au sens de l'article 57(1)?
Dans la mesure le titulaire d'une licence est en cause, l'article 57(1) dispose que le con-
trefacteur d'un brevet est responsable envers lui, en tant que personne se réclamant du bre- veté, de tous dommages que cette contrefaçon lui aura fait subir. Ayant à l'esprit que le contre- facteur n'est responsable envers le titulaire d'une licence aux termes de l'article 57(1) que parce que ce dernier est une personne «se récla- mant» du breveté, ce qui doit signifier, selon moi, une personne revendiquant un droit donné en vertu d'une concession accordée par le bre- veté ou de tout autre arrangement avec celui-ci, il s'ensuit, à mon avis, que l'article 57(1) rend le contrefacteur responsable envers le titulaire d'une licence des dommages subis par ce der- nier par suite de la contrefaçon qui a porté atteinte au droit revendiqué par le titulaire de la licence se réclamant du breveté.
Si mon analyse de l'article 57(1) est correcte, lorsque la personne se réclamant du breveté en vertu de l'article 57(1) détient une licence com- portant un droit exclusif d'exploitation que la partie défenderesse a violé, ce qui était le cas de la demanderesse Fiberglas dans l'affaire de 1943, selon moi, il est évident que les domma- ges subis correspondent à ceux imputables à la contrefaçon, qui a porté atteinte au droit d'ex- ploitation exclusive qu'il détenait «du» breveté.
Il en résulte que, lorsque le breveté a conféré au détenteur d'une licence un droit absolu d'ex- ploitation exclusive de l'invention, toute exploi tation de cette invention par un contrefacteur porte atteinte aux droits que le titulaire de la licence détient du breveté. Par conséquent, lors- qu'une déclaration énonce que la demanderesse bénéficie de tels droits et signale l'existence d'une contrefaçon elle révèle prima facie une cause d'action en vertu de l'article 57(1).
Je vais maintenant appliquer les conclusions que j'ai formulées à la première question soule- vée dans cet appel, ainsi que je l'ai énoncée précédemment dans ces motifs, à savoir:
1. Compte tenu, en particulier, du fait que l'appelante détient «une licence non exclu sive» aux conditions que j'ai indiquées, les faits avancés dans la déclaration révèlent-ils une cause d'action?
En l'espèce présente, la déclaration soutient que la demanderesse détient «une licence non
exclusive» en vertu de certaines revendications du brevet objet de la poursuite. En soi', cela signifie seulement que la demanderesse a conclu avec le titulaire du brevet un accord en vertu duquel elle peut exploiter l'invention sans commettre de contrefaçon. Un tel accord ne lui conférait aucun droit garantissant qu'il y ait quelque limite à l'exploitation de l'invention par des tiers. L'exploitation de l'invention par un tiers, qu'il ait commis ou non une contrefaçon, n'enlèverait donc, en aucune façon, au titulaire d'une licence une partie de ce à quoi il a droit en raison de l'accord conclu avec le breveté. Il s'ensuit que la déclaration en l'espèce présente ne révèle, à mon avis, aucune cause d'action.
Lorsque la personne se réclamant du breveté est titulaire d'une licence non exclusive, il est difficile, sinon impossible, d'imaginer une situa tion de fait lui permettant de prétendre qu'elle a subi des dommages à la suite d'une contrefaçon du brevet qui l'a privée des droits qu'elle déte- nait du breveté. Dans un cas semblable, on dit qu'une personne est un contrefacteur parce qu'elle n'a pas obtenu elle-même de licence du breveté. Le breveté, en conséquence, a un recours légal pour cette contrefaçon. Il est tou- tefois difficile de déterminer le recours qu'a le titulaire d'une simple licence non exclusive lors- que le contrefacteur n'en aurait pas été un s'il avait obtenu une licence dont la concession n'a pas de relation avec l'intérêt légal ou les droits d'un tel titulaire de licence.'
Puisqu'à mon avis, la simple licence concédée en vertu d'un brevet correspond uniquement à une permission accordée par le breveté de faire quelque chose qu'autrement il aurait été illégal de faire, celui qui contrefait le brevet ne porte pas préjudice au titulaire de la licence et ne le prive pas de quelque chose auquel il avait droit en vertu de l'accord passé entre lui et le bre- veté. En d'autres termes, le titulaire d'une licence n'est pas fondé à se plaindre de la contrefaçon du brevet, soit en raison de droits qu'il détiendrait et qui seraient opposables à l'auteur d'un acte précis de contrefaçon, soit en vertu d'un contrat avec le breveté dont les droits sont violés par un tel acte. Un titulaire de simple licence qui exploite un brevet dans un but lucratif peut évidemment subir une diminu tion des bénéfices qu'il retire de la vente du
produit inventé par suite de la concurrence de tiers qui exploitent également les droits décou- lant du brevet, que ces tiers le fassent en vertu d'une licence accordée par le breveté ou en commettant une contrefaçon. Toutefois, cette diminution des bénéfices, me semble-t-il, ne constitue pas une perte qui peut faire l'objet d'un recours en justice. Comparer avec l'arrêt Bradford c. Pickles [1895] A.C. 587.
L'appelante n'accepte pas la thèse selon laquelle l'article 57 ne fait que conférer à la personne se réclamant d'un breveté un droit à la réparation des dommages que la contrefaçon lui fait subir, en la privant d'une certaine partie de ce qu'elle est fondée à recevoir en vertu des droits qu'elle détient du breveté. Elle déclare que cette thèse restreint sans raison la portée de l'article 57(1) par rapport à la façon dont le comité judiciaire l'avait appliqué dans l'arrêt Spun Rock. Selon l'appelante, pour accorder à celui qui détient la licence d'un brevet un droit d'action en vertu de l'article 57(1), il faut sim- plement qu'il y ait eu contrefaçon du brevet et que le titulaire de la licence ait en conséquence perdu quelque chose qu'autrement il aurait eu. En d'autres termes, même si on n'a en aucune façon porté atteinte au droit appartenant au titulaire de la licence, qu'il soit d'origine con- tractuelle ou autre, du moment qu'il y a eu violation des droits du breveté et que le titulaire de la licence a en conséquence été privé de certains bénéfices qu'il aurait sans cela réalisés, l'appelante déclare que l'article 57(1) rend le contrefacteur responsable envers elle des «dommages de fait».
D'après le point de vue de l'appelante sur cette question, l'article 57(1) ne crée pas sim- plement un recours permettant au titulaire d'une licence exclusive, ou à tout autre personne se réclamant du breveté, d'obtenir directement des dommages-intérêts pour atteinte aux droits qu'il détient du breveté, mais confère aussi au titu- laire d'une telle licence une cause d'action en «dommages-intérêts», même si ses droits n'ont été nullement atteints.
Je ne vois rien dans l'article 57(1) qui indique quelque intention de créer une obligation statu- taire découlant de la contrefaçon envers celui dont les droits n'ont pas été atteints par cette dernière et, dans les motifs de l'arrêt Spun
Rock, je ne vois rien qui laisse entrevoir un tel résultat. En l'absence de quelque chose de bien précis indiquant l'intention de conférer un tel privilège à titre gratuit, je ne crois pas qu'il convienne d'attribuer une intention semblable au législateur.'
Je conclus donc, comme je l'ai déjà indiqué, qu'une déclaration dans laquelle le titulaire d'une licence non exclusive réclame des dom- mages-intérêts pour contrefaçon d'un brevet, ne révèle aucune cause d'action défendable, sauf si l'on invoque des faits permettant au moins de soutenir que la prétendue contrefaçon du brevet par la défenderesse a porté, dans une certaine mesure, atteinte aux droits que la demanderesse tient du breveté.
En l'espèce présente, il est vrai que la décla- ration fait valoir qu'à la suite des agissements de la défenderesse, [TRADUCTION] «la demande- resse a subi des pertes et des dommages» en raison de la prétendue contrefaçon; c'est nor- malement tout ce qu'une réclamation présentée par un breveté ou le titulaire d'une licence exclusive contient sur la question des domma- ges-intérêts. Toutefois, les situations sont diffé- rentes. En cas de violation d'un droit réel, comme celui que le brevet confère au breveté ou celui qu'une licence exclusive confère à son titulaire, il peut suffire d'alléguer que la viola tion du droit a entraîné pour son titulaire des pertes ou des dommages. On peut ne rien exiger d'autre pour faire connaître au défendeur et à la Cour le fond de la cause du demandeur, même si c'est techniquement insuffisant, en ce sens qu'on invoque la conclusion résultant de l'appli- cation du droit aux faits au lieu d'invoquer les faits eux-mêmes.
Toutefois, lorsqu'on invoque uniquement la violation des droits réels d'un breveté, il n'est pas évident que le titulaire d'une simple licence a subi des dommages au sens de l'article 57(1) et il devint nécessaire d'invoquer des faits étayant une action valable pour pertes ou dom- mages subis par le titulaire de la licence qui serait admise en droit. En l'espèce présente, l'avocat n'a pas avancé, lorsque la question s'est posée, qu'on pourrait, à l'occasion, invo- quer des faits prouvant que la violation avait, d'une certaine façon porté atteinte aux droits que l'appelante tenait du breveté.
Cela me mène à la seconde question, que j'ai formulée précédemment dans ces motifs de la façon suivante:
2. Même si cette Cour conclut que la déclaration ne révèle aucune cause d'action, cette question ne devait-elle pas néanmoins être renvoyée et tranchée après l'audition de l'action?
Décider si une action comportant une ques tion de droit doit être tranchée totalement ou partiellement avant le procès est laissé à la discrétion du juge. A mon avis, dans l'espèce présente, il faut trancher la question de droit à ce stade, c'est-à-dire, avant de poursuivre les plaidoiries, l'interrogatoire ou l'audition. D'un côté, si la question est tranchée dès le début et si, selon la décision finale, les plaidoiries ne révèlent aucune cause d'action, les dépens et les délais relatifs à cette décision se limiteront à ceux d'un débat sur la question de droit devant la Division de première instance, d'un appel sur la question de droit devant la présente Cour et d'un appel sur la même question à la Cour suprême du Canada; si la question est tranchée dès le début et si, selon la décision finale, les plaidoiries révèlent une cause d'action, dans une large mesure, ces dépens et ces délais n'au- ront probablement servi à rien. Par ailleurs, si la question de droit est renvoyée après l'audition et si, selon la décision finale, la déclaration ne révèle aucune cause d'action, les parties auront été contraintes de dépenser des sommes très nettement supérieures pour les plaidoiries, l'in- terrogatoire, la préparation des procédures et l'action en contrefaçon de brevet, affaire qui fréquemment implique plusieurs milliers de dol lars. Pour cette seule raison, me semble-t-il, il est plus avantageux, dans la présente espèce, de rendre une décision dès le début. Le seul motif qu'on a invoqué contre cette conclusion et qui, à mon avis, avait quelque force, était qu'un procès était nécessaire pour découvrir les faits justificatifs. Je crois cependant qu'il est devenu évident au cours des débats que, s'il y avait des faits à vérifier pour déterminer le droit applica ble, on aurait les invoquer et l'avocat de l'appelante n'était pas en mesure d'alléguer des faits qui auraient pu être invoqués. Enfin, dans l'affaire Decorite Igav (Canada) Limited c. Ciba Corporation, la présente Cour a, plus tôt cette
année, confirmé une décision de la Division de première instance reportant à l'issue du procès une question semblable concernant l'article 57. Toute analogie avec cet arrêt cesse lorsqu'on s'aperçoit que, dans ce cas-là, le breveté et le titulaire de la licence, ayant un représentant commun pour l'affaire, souhaitaient simplement adjoindre le titulaire de la licence à l'action en contrefaçon du breveté, qui, de toute façon, aurait fait l'objet d'un procès tandis qu'en l'es- pèce, le breveté et le titulaire de la licence sont représentés séparément et ne fournissent aucun indice d'une coopération éventuelle pour réunir les actions ou pour tenir un procès commun; la Cour ne peut donc imposer l'un ou l'autre parti à des demanderesses qui ne coopèrent pas.
Je conclus qu'il y a lieu de rejeter l'appel avec dépens.
Toutefois, puisque les autres membres de la Cour ont conclu que la déclaration révèle en fait une cause d'action, il faut examiner la troisième question que j'ai formulée précédemment dans ces procédures de la façon suivante:
3. Même si on permettait par ailleurs que l'action fasse l'objet d'un procès, serait-elle entachée d'un vice pour non-conformité aux dispositions de l'article 57(2) de la Loi sur les brevets et, s'il en était ainsi, quel devrait-être le jugement dans le présent appel?
Je rappelle ici pour des raisons de commodité l'article 57 de la Loi sur les brevets:
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.
(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recou- vrement des dommages-intérêts en l'espèce.
L'avocat de l'appelante a admis que la pré- sente Cour était obligée en vertu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Electric Chain Com pany of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. (précité) de décider que l'appelante n'est pas le «breveté» au sens qu'a ce mot dans l'article 57, bien qu'il ait réservé sa position sur ce point afin de pouvoir être en mesure de soutenir devant la Cour suprême du Canada que l'appe- lante est le «breveté» et que l'action ainsi pré- sentée se conforme à l'article 57(2).
Comme le juge en chef adjoint, j'estime que l'article 57(2) ne rend pas nulle au départ une action qu'on a intentée sans se conformer à cette disposition et que, si la requête en radia tion se fondait uniquement sur le défaut de s'y conformer, il aurait été possible d'en reporter l'audition si l'appelante le désirait, afin de lui permettre de demander que le breveté soit cons- titué partie à l'action. Toutefois, il y a l'autre motif sur lequel la Division de première ins tance a fondé son jugement et, devant la pré- sente Cour, il convient de trancher l'appel de ce jugement d'après les documents soumis à la Division de première instance, la présente Cour n'ayant reçu aucune demande visant à recueillir un supplément de preuve conformément à la Règle 1102.
Bien que le défaut de constituer le breveté partie, comme l'exige l'article 57, ne doive pas, selon moi, constituer un motif de radiation de la déclaration sans avoir donné à la demanderesse l'occasion d'y remédier. Je suis d'avis qu'une fois la question soulevée, on ne doit pas permet- tre à la demanderesse d'intenter une action qui n'est pas conforme à l'article 57.
En conséquence, si je partageais l'avis de la majorité sur la question de savoir si la déclara- tion révèle une cause d'action, je devrais déci- der qu'il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué et de rendre un jugement ajournant toutes les procédures de l'action autres que la demande d'adjonction du breveté en qualité de partie jusqu'à ce qu'on ait statué définitivement sur cette demande et que le breveté soit devenu partie à l'action et prévoyant que,
a) à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter du jugement de la présente Cour si aucune demande en vue de constituer le bre- veté partie à l'action n'a été faite, ou
b) après le règlement final d'une telle demande si le breveté n'est pas devenu partie à l'action,
il y a lieu de rejeter l'action avec dépens.
Suivant la même hypothèse, je suis d'avis que le jugement de la présente Cour dispose que
l'appelante doit, en tous cas, verser à l'intimée les dépens de la requête présentée devant la Division de première instance et que l'intimée doit verser à l'appelante la moitié des dépens du présent appel. Cette répartition se fonde sur l'idée que l'appel a été tranché à 75% en faveur de l'appelante et à 25% en faveur de l'intimée.
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN—Le juge en chef a exposé dans ses motifs de jugement la nature du présent appel, aussi je me limiterai à l'étude du motif du rejet de l'action en première instance. A mon avis, la citation suivante du jugement donne le raisonnement suivi:
Le droit de poursuite qu'a un détenteur de licence est purement statutaire et, en ce qui concerne la Loi sur les brevets, ce droit est énoncé à l'article 57(1) de cette der- nière. Cet article, à mon sens, fait l'objet d'une interpréta- tion stricte et ne doit pas avoir une portée plus grande que celle que lui confèrent ses termes. A mon avis, pour confé- rer un droit d'action, il ne suffit pas de dire que l'auteur d'une violation est redevable envers toute personne se réclamant du breveté. La personne qui intente la poursuite doit également avoir un droit précis de ce faire et doit pouvoir exercer ce droit contre les personnes qui portent atteinte à son droit. Bien qu'il soit possible, dans une certaine mesure d'autoriser un détenteur d'une licence exclusive à poursuivre en qualité de personne se réclamant du breveté, je ne vois pas comment un détenteur de licence non exclusive puisse le faire. En effet, ce dernier n'a pas de droit précis. [Page 537.]
La quéstion en litige dans le présent appel est de savoir si le titulaire d'une licence non exclu sive a le droit de poursuivre le contrefacteur pour recouvrer des dommages-intérêts pour les pertes attribuables à cette contrefaçon. La réponse dépend de l'interprétation donnée à l'article 57(1) de la Loi sur les brevets. La nouvelle rédaction de cet article a été introduite dans la Loi en 1935 la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Elec tric Chain Company of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581. Dans cet arrêt, la Cour suprême a appliqué le principe énoncé dans l'arrêt Heap c. Hartley (1889) 42 Ch. D. 461. Voici un extrait du jugement de Lord Fry:
[TRADUCTION] Une licence peut être, et est souvent, accom- pagnée d'une concession et cette concession transfère un droit réel, tandis que la licence pure et simple, par elle- même, ne transfère jamais le droit réel. Elle permet seule- ment à une personne de faire légalement ce qu'elle n'aurait
pu faire autrement, sinon illégalement. Je pense donc que le titulaire d'une licence exclusive n'a pas la moindre qualité pour poursuivre.
Il est raisonnable de supposer que le législa- teur en adoptant cette modification, maintenant insérée dans l'article 57, avait l'intention de changer le droit, et tant la Cour suprême du Canada que le Conseil privé ont décidé dans l'affaire Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. (1946-47) 6 Fox Pat. C. 39, que ce changement avait eu lieu. Dans cette affaire, il s'agissait d'un titulaire de licence exclusive, mais, en décidant qu'étant donné la modifica tion apportée à la Loi, le titulaire d'une licence exclusive avait le droit de réclamer des domma- ges-intérêts au contrefacteur, ni les juges de la Cour suprême ni les membres du Conseil privé qui rendirent l'arrêt du Conseil, n'ont établi de distinction entre le titulaire d'une licence exclu sive et celui d'une simple licence. A mon avis, cette attitude est très significative. Il est égale- ment significatif que le législateur, en modifiant la Loi, ait utilisé des mots ayant un sens général et large. C'est un principe fondamental d'inter- prétation que de s'en tenir au sens ordinaire et grammatical des mots à moins que cela ne con- duise à une absurdité manifeste. Le législateur n'aurait pu utiliser des mots ayant un sens plus large que ceux qui figurent à cet article:
... toute personne se réclamant du breveté, de tous domma- ges-intérêts que cette violation a fait subir ... à cette autre personne.
Comme le juge en chef adjoint l'a déclaré dans son jugement, «le droit de poursuite qu'a un détenteur de licence est purement statutaire». Il s'ensuit qu'on doit établir l'intention du législa- teur d'après les termes employés dans la Loi. La Cour n'est pas fondée à tirer du sens clair de cet article des restrictions que le législateur aurait pu formuler expressément si telle avait été son intention.
On ne peut pas soutenir que le titulaire d'une licence non exclusive n'est pas une personne se réclamant du breveté. Que l'autorisation qu'il reçoit du breveté s'appelle un droit, un privilège ou un avantage, elle provient du breveté, et, en conséquence, c'est une personne se réclamant du breveté. Il reste à examiner s'il peut subir des dommages en raison d'une contrefaçon. Les dommages-intérêts servent normalement à com- penser un préjudice. Voici ce qu'Halsbury, 3e
éd., vol. 29, page 110 déclare au sujet des dommages-intérêts pour contrefaçon:
[TRADUCTION] Lorsque le demandeur est un fabricant, les dommages-intérêts correspondent habituellement aux béné- fices que le demandeur aurait réalisés si la contrefaçon n'avait pas fait diminuer ses ventes; on présume, en l'ab- sence de preuve contraire, que les ventes réalisées par le contrefacteur correspondent à celles qu'a perdues le demandeur.
On peut difficilement contester que la dimi nution du volume des ventes imputable à celles qu'a réalisées le contrefacteur puisse causer un préjudice au titulaire d'une licence non exclu sive. On pourrait soutenir que le législateur n'a jamais envisagé d'obliger un contrefacteur à indemniser le titulaire d'une licence non exclu sive pour de tels dommages de fait, mais qu'il a eu l'intention de limiter les dommages dont le contrefacteur est responsable à ceux subis par une personne dont les droits ont été directement violés par la contrefaçon même. D'après ce raisonnement, le titulaire d'une simple licence a seulement l'autorisation d'exploiter le brevet et il ne peut présenter de réclamation que si l'on porte atteinte à sa liberté d'user de cette autori- sation. Par ailleurs, le titulaire d'une licence exclusive a reçu un monopole et toute contrefa- çon du brevet influe directement sur ce droit. Cela peut sembler être un argument logique, mais on y répond en disant que le droit qu'a tout titulaire de licence de recouvrer des dom- mages-intérêts est purement statutaire et que, si le législateur avait eu l'intention d'établir une distinction entre le titulaire d'une licence exclu sive et celui d'une licence non exclusive, il l'aurait dit clairement. Puisque le législateur n'a pas fait de distinction semblable, il s'ensuit que tous les titulaires de licence doivent être traités de la même façon.
Dans l'état actuel du droit, seul le véritable préjudice attribuable à une contrefaçon permet au titulaire d'une licence d'intenter une pour- suite. Les dommages-intérêts constituent le fon- dement essentiel de l'action et ne peuvent être fixés qu'au procès. Aux fins d'une demande en radiation de la déclaration pour défaut de cause d'action, les allégations de la déclaration sont présumées être vraies. La demanderesse a pré- tendu avoir subi un préjudice et détenir ainsi une cause d'action, toutefois elle a omis de donner des précisions sur ce préjudice alors
qu'elle aurait le faire puisque sa réclamation se limitait à des dommages-intérêts spéciaux. Il s'agit cependant d'un vice auquel on peut remé- dier en donnant des détails.
L'avocat a laissé entendre que le fait d'accor- der au titulaire d'une simple licence le droit de recouvrer des dommages-intérêts du contrefac- teur accroîtrait considérablement le nombre de litiges. Toutefois, toutes ces réclamations relati ves à une contrefaçon précise seraient sembla- bles de sorte qu'en ce qui concerne une contre- façon, tous les réclamants pourraient intenter une seule action ou leurs dommages-intérêts pourraient être évalués au cours du même procès. En tout cas, le législateur a envisager cette éventualité lorsque, à l'article 68, il a accordé au titulaire d'une licence non exclusive, celui-ci la détenant du commissaire des brevets, le droit d'intenter des procédures contre le con- trefacteur du brevet si le breveté a négligé d'agir après qu'il en a été requis.
Dans les circonstances, j'approuve la proposi tion du juge en chef quant au jugement à rendre relativement au présent appel.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET—J'ai eu l'avan- tage de lire les motifs du jugement de Monsieur le juge en chef. Il y indique le redressement recherché, la nature de la demande ayant entraîné l'ordonnance rendue par Monsieur le juge en chef adjoint dont il est interjeté appel ainsi que l'historique des procédures sur cette question; il examine et analyse aussi la jurispru dence applicable, dont les arrêts Heap c. Hart- ley (1889) 42 Ch. D. 461, Electric Chain Com pany of Canada, Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581, et Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. [1943] R.C.S. 547; (1946-47) 6 Fox Pat. C. 39.
La licence en cause dans cette affaire dispose notamment que:
[TRADUCTION] La BRISTOL concède par les présentes à la CYANAMID une licence et un droit non exclusifs, ainsi que le droit de concéder des sous-licences, comme il est expressément énoncé ci-dessous, aux termes de toutes les revendications valides concernant la Tétracycline, de fabri- quer, de faire fabriquer pour son compte, d'exploiter et de vendre la Tétracycline fabriquée dans le cadre d'une activité normale.
Quant aux parties à la licence, une telle dispo sition n'aurait, en elle-même, pas d'autre effet que de permettre au titulaire d'une licence de faire ce qu'il n'aurait pu faire autrement sans violer les droits du breveté. En outre, il semble ressortir de l'arrêt Heap c. Hartley (précité), cité à l'arrêt Electric Chain Company of Canada, Ltd. c. Art Metal Works Inc. (précité), que, compte tenu de la législation en vigueur à l'époque ces deux arrêts ont été rendus, les seuls droits qu'aurait eus le titulaire d'une licence, qu'il faut distinguer d'un cessionnaire, seraient tous les droits contractuels qu'il aurait pu opposer au concédant. Il n'aurait aucun droit contre les tiers auteurs d'une contrefaçon.
La question à trancher en l'espèce est de savoir si l'article 57(1) de la Loi sur les brevets a créé un droit permettant au titulaire d'une licence non exclusive de se faire indemniser par un contrefacteur du brevet des pertes imputa- bles à cette contrefaçon.
La rédaction de la Loi qui crée de nouveaux droits et de nouvelles obligations doit être claire et précise.
Voici le texte de l'article 57(1) de la Loi sur les brevets:
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.
Finalement, je me rallie avec respect à la conclusion de Monsieur le juge en chef selon laquelle quiconque est titulaire d'une licence en vertu d'un brevet se réclame du breveté au sens qu'ont ces mots dans l'article 57(1) de la Loi sur les brevets.
A mon avis, il ressort clairement de l'arrêt Fiberglas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. (précité) que l'expression «personne se réclamant» d'un breveté au sens de l'article 57(1) vise à la fois les titulaires d'une licence exclusive et ceux d'une licence non exclusive.
On pourrait ajouter que le paragraphe parle de «toute personne se réclamant du breveté». Le mot «toute» doit comprendre quiconque pourrait se réclamer du breveté, ce qui inclurait nécessairement chaque classe ou chaque caté- gorie de titulaires de licence, qu'elle soit exclu-
sive ou non. Aucun mot ne peut avoir un sens plus large que le mot «toute».
Toutefois, comme le dit Monsieur le juge en chef, la question n'est pas réglée pour autant.
Même si, avant la promulgation de l'article 57(1), le titulaire d'une licence non exclusive n'avait pas de recours contre le contrefacteur du brevet, on ne peut dire que le titulaire d'une telle licence était complètement dépourvu de droits. En vertu de sa licence, il avait le droit, non exclusif toutefois, de se prévaloir du brevet dans une certaine mesure. Le contrefacteur n'a- vait pas de droit semblable. Il était et demeure l'auteur d'un délit. Il est des circonstances le titulaire d'une licence pourrait subir des dom- mages par suite de la contrefaçon ou du délit du contrefacteur. La contrefaçon pourrait diminuer ou même anéantir les privilèges appartenant de droit au titulaire de la licence en raison de la convention passée avec le breveté.
Naturellement, ce sont aussi les clauses de la licence qui régissent la mesure dans laquelle le titulaire d'une licence peut être habilité légale- ment à exploiter un brevet ou son objet ou à s'en prévaloir. Entre le breveté et le titulaire d'une simple licence non exclusive, il n'existe évidemment aucun élément d'exclusivité. Néan- moins, du fait même que le titulaire de la licence a une licence et que le contrefacteur n'en a pas, il s'établit un élément d'exclusivité, qui intervient entre le titulaire de la licence et le contrefacteur et demeure jusqu'à ce que le bre- veté le fasse disparaître en accordant également une licence au contrefacteur. L'atteinte que porte l'auteur de la contrefaçon à cette exclusi- vité peut entraîner des dommages graves pour le titulaire de la licence et lui causer des pertes.
Il semblait logique que le législateur décide de corriger cette situation le titulaire d'une licence, dans de telles circonstances, n'était pas protégé et n'avait aucun recours contre le con- trefacteur, et crée, par voie légale, en promul- guant l'article 57(1) dans sa forme actuelle, un droit au profit du titulaire d'une licence contre le contrefacteur en lui fournissant les moyens de faire valoir ce droit. Ce changement n'était certes pas nécessaire pour protéger le breveté ou le cessionnaire du brevet. Ils l'étaient déjà.
L'analyse de l'article 57(1) de la Loi sur les brevets révèle, selon moi, l'intention du législa- teur de créer un tel droit et de fournir le recours accessoire; elle révèle également qu'il a mis en oeuvre cette intention et qu'il a atteint son but. A cet égard, on remarque ce qui suit:
1. La responsabilité formelle de l'auteur d'une contrefaçon, à la fois envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, est exposée dans le même paragra- phe et dans les mêmes termes.
2. L'expression «quiconque viole un brevet est responsable» concerne à la fois le breveté et la personne se réclamant de lui.
3. L'expression «de tous dommages-inté- rêts (que cette contrefaçon) a fait subir» con- cerne à la fois le breveté et toute personne se réclamant de lui.
4. Il n'existe aucune différence entre la responsabilité du contrefacteur envers le bre- veté et celle qu'il a envers les personnes se réclamant du breveté, pas plus qu'il n'en existe entre la nature des droits du breveté et celle des droits de personnes s'en réclamant à l'encontre du contrefacteur.
La Loi indique clairement, me semble-t-il, que le breveté ainsi que les personnes se récla- mant de lui ont des droits fondamentalement identiques, à savoir, «tous dommages-intérêts» que cette contrefaçon leur «a fait subir» respec- tivement. Il serait évidemment inconcevable que le breveté, possédant un brevet valide, ne soit pas habilité à recouvrer de l'auteur de la contrefaçon, des dommages-intérêts en com pensation de la perte imputable à cette contrefa- çon. Compte tenu de la rédaction de l'article 57(1), je suis d'avis que toute personne se récla- mant du breveté, y compris les titulaires d'une licence non exclusive, dispose désormais du même droit fondamental que le breveté, à savoir, celui de recouvrer de l'auteur d'une con- trefaçon les dommages-intérêts en compensa tion des pertes imputables à la contrefaçon.
En vertu de l'article 57(1), le titulaire d'une licence non exclusive possède plus de droits ou de privilèges qu'il ne pouvait en avoir vis-à-vis du breveté en raison des relations contractuelles existant entre eux. A mon avis, le contrefacteur
est maintenant, responsable envers le titulaire d'une licence non exclusive de tous les domma- ges imputables à cette contrefaçon dans la mesure elle porte atteinte à cet élément d'exclusivité déjà mentionné qui intervient entre le titulaire de la licence et le contrefacteur.
La situation du titulaire d'une licence non exclusive peut changer à l'occasion, car le bre- veté a le droit d'accorder d'autres licences non exclusives qui peuvent affaiblir et diminuer les privilèges du titulaire de la licence. Quoi qu'il en soit, le titulaire d'une licence non exclusive a encore en vertu de cette licence des droits que le contrefacteur n'a pas sauf s'il obtenait égale- ment une licence. Même si le contrefacteur devait obtenir plus tard une licence, il faudrait tout de même prendre la question de la priorité en considération. En tout cas, lorsqu'une situa tion de ce genre se présente, il faut prendre en considération les faits tels qu'ils existent à l'é- poque en cause et non tels qu'ils pourraient éventuellement exister plus tard.
Je suis d'avis que, grâce à l'article 57(1), dont la rédaction est juste et appropriée, le législa- teur a mis en oeuvre et concrétisé son intention de créer au profit du titulaire d'une licence non exclusive et relativement à tout ce qui concerne sa licence, le droit de recouvrer de celui qui contrefait le brevet, des dommages-intérêts en compensation des pertes imputables à cette contrefaçon.
En conséquence, dans ces circonstances, la déclaration révèle, à mon avis, une cause d'ac- tion et l'affaire peut être jugée.
Je m'associe au point de vue de Monsieur le juge en chef sur la portée de l'article 57(2) de la Loi sur les brevets.
J'estime qu'il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué et que, comme M. le juge en chef l'a exposé dans ses motifs de jugement, il convient dans ce cas-là, de rendre un jugement ajournant toutes les procédures de l'action autres que la demande d'adjonction du breveté en qualité de partie jusqu'à ce qu'on ait statué définitivement sur cette demande et que le breveté soit devenu partie à l'action et prévoyant que,
a) à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter du jugement de la présente Cour si aucune demande en vue de constituer le bre- veté partie à l'action n'a été faite, ou
b) après le règlement final d'une telle demande si le breveté n'est pas devenu partie à l'action,
il y a lieu de rejeter l'action avec dépens.
Au cas l'action ne serait pas rejetée avec dépens, en raison de ce qui précède, je souscris quant aux dépens, à l'opinion de Monsieur le juge en chef telle qu'il l'a exposée au dernier paragraphe de ses motifs de jugement.
Aucune plaidoirie n'a été faite devant cette Cour pour appuyer la requête en radiation, dans la mesure elle se fondait sur l'existence de l'action en contrefaçon intentée par la Bristol-Myers, titulaire du brevet, contre l'intimée.
2 Comme les droits fondamentaux en cause sont nés avant le 15 juillet 1971, date de l'entrée en vigueur des Statuts révisés du Canada de 1970, je me reporte au chapitre 203 modifié des Statuts révisés de 1952. Voir l'article 9(2) de la Loi concernant les Statuts révisés du Canada, au chapitre 48 des Statuts de 1965.
3 De nos jours, je suis porté à inclure une licence exclu sive dans cette catégorie sans tenir compte de sa rédaction à l'origine. Auparavant, on aurait, sans aucun doute, distingué la concession d'un droit exclusif d'exploiter de celle d'une licence exclusive. Eu égard à la façon imprécise dont on utilise maintenant les mots, cette distinction n'est probable- ment plus réaliste.
4 [TRADucTioN] «On a souligné que tout titulaire d'un droit doit «avoir les moyens de le revendiquer et de le défendre ainsi qu'un recours s'il est lésé dans l'exercice et la jouis- sance de celui-ci; il est en effet vain d'imaginer un droit sans recours, car l'absence de droit a pour réciproque l'absence de recours».» Voir l'ouvrage de Broom «Legal Maxims», 8e éd. (1911), aux pages 153 et 154 il cite le célèbre obiter dictum du juge en chef Holt dans l'arrêt Ashby c. White, 2 Ld. Raym. 953. Selon Broom, la maxime «Ubi jus ibi remedium» signifie que, chaque fois que le droit commun accorde un droit ou interdit un préjudice, il con- fère également un recours. Il me semble que, de même, lorsque le Parlement crée un droit, cela implique nécessaire- ment qu'il est accompagné d'un recours.
5 Quand on parle du stare decisis, il est banal de dire en droit qu'il faut lire les principes énoncés dans une décision en fonction des faits qui y sont examinés, car, si l'on avait porté à l'attention du tribunal d'autres faits qui n'ont pas été examinés, il aurait été possible de modifier l'exposé des principes pour les en exclure.
6 Lorsque la cour d'appel en dernière instance (c'est-à- dire la Cour suprême du Canada ou, à l'époque, le Conseil privé) s'est prononcée tout à fait délibérément et explicite- ment, à une époque récente, sur une question de «portée
générale» relative à l'interprétation d'une loi canadienne, je ne pense pas qu'en tant que juge d'un tribunal inférieur, je puisse adopter une position contraire parce que je ne suis pas d'accord avec cette décision, même si je ne suis pas, à proprement parler, obligé de l'appliquer. A mon avis, le fait que les tribunaux inférieurs ignorent délibérément les décla- rations de la cour d'appel en dernière instance sur la portée d'un texte législatif ne peut, que discréditer l'administration de la justice. S'il y a lieu de procéder à un nouvel examen de l'affaire, c'est, selon moi, la tâche du tribunal de dernière instance. Il peut en être autrement lorsque le temps écoulé a rendu la décision du tribunal de dernière instance inapplica ble parce que les circonstances ont changé ou lorsque les obiter dicta se rapportent à des principes de la common law.
7 Comme je l'ai déjà souligné la déclaration contient en annexe une copie de la licence qui indique que son titulaire n'avait pas de droits particuliers relatifs à l'exploitation de la licence par d'autres personnes, à l'exception du droit, dans certaines circonstances, d'être libéré de l'obligation de verser des redevances au breveté pendant la durée de la contrefaçon du brevet. Voir l'article V de la licence cité précédemment. Bien que les faits, sur lesquels la demande- resse s'appuie pour montrer quels dommages elle a subis, ne soient pas invoqués, ce qui m'a paru ressortir de la plaidoi- rie de l'avocat, l'appelante a l'intention de prouver qu'elle a subi un dommage parce que la contrefaçon a fait diminuer le nombre des ventes du produit visé par le brevet. Il me paraît ressortir de l'accord conclu entre la demanderesse et le breveté que celle-là n'était pas fondée à formuler une plainte pour une telle diminution des ventes, mais qu'elle avait seulement le droit, dans certaines circonstances, d'être libérée de l'obligation de verser au breveté des redevances sur ses propres ventes, s'il y a eu contrefaçon.
e J'ai admis, je ne l'oublie pas, que même le titulaire d'une licence non exclusive est une «personne se réclamant» du breveté et qu'en vertu de la définition des «représentants légaux», modifiée depuis l'affaire Electric Chain, le titulaire d'une licence non exclusive est désormais visé par la dispo sition de l'article 48 selon laquelle un brevet «est ... acquis au titulaire et à ses représentants légaux». Compte tenu toutefois de la décision du Conseil privé dans l'affaire Spun Rock, cela doit vouloir dire qu'il est acquis à toute personne se réclamant du breveté dans la limite des droits que celui-ci lui a conférés ainsi qu'au breveté ou aux autres représen- tants légaux dans la limite des droits découlant du brevet qui n'ont pas été cédés à ces personnes «se réclamant» de lui.
Deux cas me viennent à l'esprit il serait éventuelle- ment possible de soutenir qu'une contrefaçon porterait atteinte aux droits du détenteur d'une licence non exclusive, à savoir: a) lorsque le breveté a accepté de ne pas accorder à d'autres personnes de licence prévoyant le versement de redevances inférieures à celles que le titulaire de la licence réclamant des dommages-intérêts acquitte, et b) lorsque le breveté a accepté de limiter la production à un niveau fixé d'un commun accord avec les titulaires de licence autres que celui qui réclame des dommages-intérêts et que le contrefacteur a fait passer la production au-dessus de ce plafond par l'intermédiaire de personnes autres que le titu- laire de la licence qui réclame des dommages-intérêts.
9 . Lorsqu'un breveté a l'habitude d'accorder des licences, ce qui semble être le cas en l'espèce, il est fondé à recou-
vrer d'un contrefacteur le montant des redevances qu'il aurait reçues si le contrefacteur avait pris une licence (Canadian Patent Law de Fox, 4e éd., page 496). Il peut choisir par ailleurs de prélever les bénéfices que la contrefa- çon a procurés à son auteur après acquiescement présumé (idem, aux pages 503 et suivantes). Aucun de ces recours ne conviendrait dans le cas d'une licence exclusive, mais une licence non exclusive n'y ferait pas obstacle. Néanmoins, si le point de vue de l'appelante est exact, outre la réparation complète de la contrefaçon à laquelle le breveté a droit, tout titulaire d'une licence non exclusive peut intenter une action pour tout préjudice consécutif à la venue sur le marché de ce nouveau concurrent. Il semblerait y avoir un certain dédoublement de la responsabilité relative à ce genre de contrefaçon si l'on adopte une telle vision du droit.
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