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Oy Nokia Ab (Demanderesse) c.
Le navire Martha Russ et E. Russ & Co., Schif- fahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft et le navire Korendyk et Nederlandsche-Ameri-Kaansche Stoomvaart Maatschappij, N.V. (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, le 19 décembre 1972; Ottawa, le 17 avril 1973.
Droit maritime—Compétence—Signification de «droit maritime canadien»—Cargaison transportée à bord d'un navire étranger entre des ports étrangers—Expédition ulté- rieure sur un autre navire au Canada—Cargaison endomma- gée à l'arrivée—Aucune compétence sur le navire lors de la première traversée—Loi sur la Cour fédérale, art. 2; Règles d'amirauté (anglaises), 20d).
La cargaison, destinée à la demanderesse à Vancouver, fut transportée à bord d'un navire allemand, le Martha Russ, de Finlande à Hambourg sous couvert d'un connaissement pour ce voyage. A Hambourg, la cargaison fut transbordée à bord d'un autre navire et transportée sous couvert d'un autre connaissement jusqu'à Vancouver où, lors du déchar- gement, on l'a trouvée endommagée. La demanderesse a intenté une action en dommages-intérêts contre les deux navires et leurs propriétaires et signifié les déclarations ex juris conformément à la Règle 307 de la Cour fédérale.
Arrêt: la signification des déclarations au navire allemand et à ses propriétaires est annulée. La Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de la réclamation contre ce navire et ses propriétaires.
Les articles 22(2)h), 22(3)a) ou 22(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale ne confèrent à la Cour compétence en de telles matières que si les défendeurs sont de son ressort, ce qui n'est pas le cas.
La définition de «droit maritime canadien» à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale se rapporte au droit positif anglais en matière d'amirauté et non à la procédure. En conséquence, les Règles d'amirauté anglaises (cf. Règle 20d)) ne peuvent être utilisées pour étendre la compétence conférée par l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale.
REQUÊTE. AVOCATS:
D. McEwen pour la demanderesse.
J. W. Walsh pour E. Russ & Co. et le Martha Russ.
V. R. Hill, c.r., pour le Korendyk.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody et Rey- nolds, Vancouver, pour la demanderesse.
Bull, Housser et Tupper, Vancouver, pour le Martha Russ et E. Russ &" Co., Schif- fahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft.
Macrae, Montgomery, Hill et Cunningham, Vancouver, pour le Korendyk et Nederlands- che-Ameri-Kaansche Stoomvaart Maatschap- pij, N.V.
LE JUGE COLLIER—La requête des défen- deurs, le navire Martha Russ et E. Russ & Co., Schiffahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft, vise à faire annuler la signification qui leur fut faite de la déclaration. Le 24 avril 1972, une ordon- nance de la Cour autorisait la signification de la déclaration aux défendeurs hors du ressort. Cette signification fut effectuée en Allemagne. En leurs noms, on a déposé un acte de comparu- tion conditionnelle.
Pour les fins de cette requête, la demande- resse et les défendeurs se sont accordés sur les faits suivants:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse, compagnie finlandaise, vend de l'équipement hydro-électrique au Canada.
2. La défenderesse, la compagnie allemande E. Russ & Co., ne fait pas affaires au Canada.
3. Le défendeur, le navire à moteur «MARTHA RUSS», immatriculé en Allemagne et d'un port en lourd de 4,149 tonnes, appartient à la défenderesse, E. Russ & Co.
4. La demanderesse Oy Nokia Ab avait vendu à la B. C. Hydro' 469 colis de groupes-condensateurs en série livra- bles à Vancouver (Colombie-Britannique) pour installation en Colombie-Britannique.
5. Le navire «MARTHA RUSS» avait pris à son bord les 469 colis de groupes-condensateurs en série à Mantyluoto en Finlande et avait délivré un connaissement en couvrant le transport de Mantyluoto en Finlande à Hambourg en Allemagne. Il ne s'agissait pas d'un connaissement direct car seul était couvert le transport de Mantyluoto à Hambourg.
6. Le l er mars 1971, à l'arrivée du «MARTHA RUSS» à Hambourg, la défenderesse E. Russ & Co. a avisé la Kiihne & Nagel, agents de la demanderesse, de l'arrivée de la cargaison.
7. La Kühne & Nagel ordonna le transbordement de la cargaison du «MARTHA RUSS» à bord de péniches apparte- nant à la Hamburg Sudamerikanische et exploitées par la Hanseatische Hafenbetriebs.
8. La Kühne & Nagel avait retenu ces péniches et payé leur location.
9. Après chargement, les péniches furent touées jusqu'au navire «KORENDYK» appartenant à la défenderesse Neder- landsche-Amerikaansche Stoomvaart Maatschappij, N.V.
10. Les marchandises quittèrent ensuite le port de Ham- bourg à bord du navire défendeur «KORENDYK» en par- tance pour Vancouver, sous connaissement Hambourg- Vancouver délivré par les propriétaires du navire «KOREN- DYK» ou par leurs mandataires.
11. Les 469 colis ne furent pas ouverts ni leur contenu examiné afin de constater les dommages éventuels avant le déchargement du «KORENDYK» à Vancouver en Colombie-Britannique.
12. Après avoir reçu et exécuté l'ordre de la Kiihne & Nagel de transborder la cargaison du «MARTHA RUSS» à bord des péniches fournies par cette dernière, la défende- resse, E. Russ & Co. Schiffahrt-U., Assekuranzgesells- chaft n'a plus participé au transport ou à la manutention de la cargaison.
13. Ci-joint une copie du connaissement 19 couvrant le transport des marchandises à bord du «MARTHA RUSS» de Mantyluoto à Hambourg, ainsi qu'une copie du connaisse- ment 3 couvrant le transport des marchandises de Hambourg à Vancouver à bord du navire «KORENDYK».
J'ajoute encore un fait: l'action intentée n'a pas entraîné la saisie du Martha Russ.
Le fondement de la cause d'action opposable aux défendeurs est énoncé au paragraphe 8 de la déclaration:
[TRADUCTION] 8. En violation des termes du contrat figu- rant au connaissement, par négligence et par manquement au devoir du transporteur à titre onéreux ou pour toute combinaison de ces motifs, les défendeurs, leurs préposés ou agents, n'ont pas livré lesdits «469 colis de groupes- condensateurs en série» en bon état mais en vrac, bosse- lés et gravement endommagés.
Les avocats des défendeurs soutiennent que la cause d'action opposable à leurs clients est fondée sur un contrat de transport signé et exécuté hors du Canada; que, si leurs clients ont violé le contrat, cette violation s'est produite en dehors du Canada; que la faute ou la négligence qu'on pourrait éventuellement imputer aux défendeurs ont eu lieu hors du Canada. L'avo- cat avance, sur la base des faits acceptés d'un commun accord, que c'est une action in perso- nam qui est intentée contre ses clients et que la Cour n'est compétente que si le connaissement (le contrat) a été signé au Canada, ou si les défendeurs étaient tenus de livrer les marchan- dises dans ce pays. De même, il soutient que si cette action est fondée sur la négligence, la Cour ne peut avoir compétence que si le manquement aux obligations a eu lieu au Canada. Il ne suffit pas pour fonder la compétence in personam que les marchandises endommagées aient eu pour
destination finale le Canada, ou, pour s'expri- mer autrement, la destination finale de la cargai- son ne peut pas à elle seule créer le lien qui donne compétence à la Cour. On se base égale- ment sur une de mes décisions antérieures Anglophoto Ltd. c. The « Ferncliff» [1972] C.F. 1337, qui a annulé la signification d'une déclara- tion à un magasinier se trouvant aux États-Unis et à qui certaines marchandises avaient été con- fiées pour une courte période.
L'avocat de la demanderesse affirme que cette Cour est compétente en vertu de l'article 22(2)h) de la Loi sur la Cour fédérale. J'en cite ici des extraits, y compris le paragraphe en question:
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine mar- chande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandi- ses transportées à bord d'un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l'avarie des bagages ou effets personnels des passagers;
(3) Pour plus de certitude il est déclaré que la compétence conférée à la Cour par le présent article s'étend
a) à tous les navires, canadiens ou non, quel que puisse être le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires;
c) à toutes les demandes, que les faits y donnant lieu se soient produits en haute mer ou dans les limites des eaux territoriales, intérieures ou autres du Canada ou ailleurs et que ces eaux soient naturellement ou aient été rendues navigables, et notamment, sans restreindre la portée géné- rale de ce qui précède, dans les cas de sauvetage, aux demandes relatives aux cargaisons ou épaves trouvées sur les rives de ces eaux; et
Il soutient que cette demande porte sur les avaries subies par des marchandises transpor- tées à bord d'un navire (le Martha Russ) et que ce qui fonde la compétence de la Cour et crée le
lien juridique est le fait que les marchandises sont arrivées en Colombie-Britannique.
Il s'ensuit, disent les défendeurs, que si les prétentions de la demanderesse en l'espèce sont exactes, la Cour a compétence pour connaître de toute demande portant sur les dommages subis par une cargaison, quel que soit le lieu de délivrance du connaissement ou de son exécu- tion, quel que soit le lieu des dommages et quel que soit le domicile du défendeur, pourvu que la cargaison ait comme destination finale le Canada. Leurs avocats soutiennent que ce point de vue n'est pas conforme au droit existant'. Je partage cette opinion.
A mon sens, les faits de cette affaire ne nous permettent pas de nous appuyer sur l'article 22 de la loi pour fonder la compétence de la Cour. Comme on peut le remarquer, le paragraphe 22(1) donne à la Division de première instance de cette Cour compétence dans tous les cas «une demande de redressement» est faite en vertu du droit maritime canadien (tel que défini à l'article 2) ou de toute autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande. Le paragraphe 22(2) énonce encore plus explici- tement les chefs de compétence. Les mots utili- sés sont «... compétence relativement à toute demande ...» La rédaction de ce paragraphe ne nous permet pas de déduire que cette compé- tence s'étend aux personnes. A mon sens, l'in- terprétation de l'alinéa 22(2)h) qu'avance la demanderesse exige qu'on lui fasse dire que la Cour a compétence non seulement en ce qui concerne la demande mais également en ce qui concerne l'auteur du dommage ou de la perte, que cet auteur se trouve ou se soit trouvé ou non dans le ressort de la Cour.
Il doit y avoir dans cette affaire, hormis la destination finale des marchandises, un ou plu- sieurs faits permettant à la Cour d'asseoir sa compétence relativement à ces défendeurs étrangers. A la clôture des débats, j'ai demandé aux avocats de m'indiquer si, parmi les déci- sions des tribunaux d'amirauté canadiens ou anglais, on pouvait en trouver dans lesquels, à l'occasion d'une affaire semblable, le tribunal s'était déclaré compétent. L'avocat de la deman- deresse a présenté une liste qui, à son avis, illustrait des cas les tribunaux d'amirauté
s'étaient déclarés compétents pour juger des ressortissants étrangers impliqués dans des inci dents en haute mer ou dans les eaux territoriales d'un pays étranger. Je ne compte pas traiter chaque cas séparément. J'ai constaté que dans les affaires citées la demande se fondait sur un incident survenu en haute mer ou dans les eaux territoriales d'un pays étranger, le tribunal s'est déclaré compétent pour juger un étranger en se basant sur des principes bien établis. On peut citer, par exemple, la violation d'une charte-partie dans le ressort du tribunal, la rési- dence des propriétaires du navire dans le ressort du tribunal, l'entrée dans le ressort du tribunal d'un navire et sa saisie. Cette liste d'exemples n'est pas exhaustive et ne sert qu'à illustrer ce qui constitue, selon moi, un principe fondamen- tal à suivre quand on doit trancher la question de la compétence du tribunal relativement à des étrangers: il faut qu'il existe un lien juridique entre les défendeurs étrangers et la juridiction territoriale de la Cour. Ce lien doit provenir d'une action, d'une ligne de conduite, ou d'un accord signé par le défendeur étranger qui soit ou qui puisse être rattaché in personam au res- sort du tribunal.
La Règle 307(1) des règles de la Cour stipule qu'un avis de déclaration peut être signifié à un défendeur qui se trouve hors de la juridiction de la Cour et, à mon avis, on entend par le ressort géographique. Contrairement à ce qui est prévu dans les règles de bon nombre de cours supérieures des provinces ainsi que dans celles de la Supreme Court of Judicature en Angleter- re 2 , on ne trouve dans la Règle 307 de la Cour fédérale aucune disposition énumérant les cas la Cour peut autoriser la signification d'une action hors de son ressort. D'une manière géné- rale, ce sont les dispositions de l'Order 11, r. 1 qui régissent les cas on peut signifier en dehors du ressort de la Cour un bref in perso- nam décerné par la Admiralty Court en Angle- terre'. L'alinéa g) de cette règle autorise la signi fication hors du ressort dans le cas de violation, dans le ressort de la Cour, des dispositions d'un contrat quel que soit le lieu de sa passation. De même, l'alinéa h) autorise la signification ex juris lorsqu'une action en justice est fondée sur un délit commis dans le ressort.
Je me propose d'examiner brièvement les règles relatives à la signification ex juris devant l'ancienne Cour de l'Échiquier, en particulier en sa juridiction d'amirauté. L'article 18 de la Loi sur l'Amirauté, S.R.C. 1970, c. A-1, délimitait la juridiction de la Cour. Le paragraphe (3) stipu- lait notamment que la Cour était compétente pour entendre et décider des réclamations relati ves au transport de marchandises dans un navire, ou des demandes de dommages relative- ment à des marchandises transportées dans un navire. L'article 20 de la loi énumérait les gref- fes auprès desquels les actions pouvaient être intentées. Je ne citerai que les alinéas (1)a), e) et
fl:
20. (1) Une action peut être intentée dans un greffe quand
a) le navire ou les biens qui font l'objet du litige se trouvent, au moment l'action est intentée, dans le district ou dans la division ce greffe est établi;
e) l'action est in personam et fondée sur une violation ou une prétendue violation, dans les limites du district ou de la division de ce greffe, d'un contrat, quel que soit le lieu de sa passation, qui relève de la juridiction de la Cour et qui, d'après les termes dudit contrat, aurait être exé- cuté dans les limites de ce district ou de cette division; ou
f) l'action est in personam et a pour objet un dommage relativement à des marchandises transportées sur un navire à l'intérieur d'un port dans les limites du district ou de la division de ce greffe.
Il est important de souligner qu'aux termes de la Loi sur l'Amirauté, la compétence de la Cour était même limitée quant au district pouvait être intentée une action.
L'alinéa 31(1)a) de la loi donnait aux juges de la Cour de l'Échiquier le pouvoir d'édicter des règles et des ordonnances règlementant la prati- que et la procédure y compris, notamment, «.. . la signification d'un bref d'assignation ou d'au- tres brefs hors du ressort de la Cour ou de la juridiction territoriale d'un juge de district ...» Le paragraphe 18(7) stipulait que si la Loi sur l'Amirauté ou les règles d'amirauté ne pré- voyaient rien de précis, on appliquerait la prati- que et la procédure de la Cour de l'Échiquier. La Règle 20 des règles d'amirauté traitait de la signification ex juris et je la reproduis ici en entier:
[TRADUCTION] 20. La Cour pourra autoriser la significa tion hors du ressort d'un bref d'assignation, d'un avis de comparution ou d'un avis à tierce partie quand:—
a) une action est intentée contre une personne dont la résidence ou le domicile principal se trouve dans les limites du district ou de la division est intentée l'action;
b) une action est fondée sur la violation, dans les limites du district ou de la division est intentée l'action, des dispositions d'un contrat, quel que soit son lieu de passa- tion, du moment que, d'après les termes dudit contrat, il devait être exécuté dans les limites du district ou de la division;
c) une requête est déposée visant l'obtention d'une injonction dont l'objet se trouve dans les limites du dis trict ou de la division est intentée l'action;
d) on considère qu'une personne se trouvant hors du ressort doit être adjointe à titre de partie dans le cas d'une affaire intentée à bon droit contre une personne qui a dûment reçu la signification dans les limites du district ou de la division est intentée l'action;
e) l'action intentée est fondée sur la responsabilité délic- tuelle relativement à des marchandises à bord d'un navire dans un port situé dans les limites du district ou de la division est intentée l'action.
Comme on peut le voir, les circonstances couvertes par les alinéas a) à e) sont, pour des raisons pratiques, sensiblement les mêmes que celles de l'Order 11 des règles anglaises; la rédaction peut en être différente.
L'article 75 de la Loi sur la Cour de l'Échi- quier, ainsi d'ailleurs que la Règle 76, pré- voyaient la signification hors du ressort de la Cour. La rédaction de l'article 75 et de la Règle 76 -.est très proche de la rédaction de la Règle 307 de la Cour fédérale. Ni cet article ni les deux règles auxquelles je me suis référé n'énon- cent la catégorie des cas l'on peut autoriser la signification ex juris.
Ceci m'amène à la définition «droit maritime canadien» dans l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale qui dispose:
2, Dans la présente loi
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic- tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait, eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada; .. .
A mon avis, par droit appliqué par la Cour de l'Échiquier en sa juridiction d'amirauté, on entend le droit établi par la Loi sur l'Amirauté et les autres lois, y compris les lois anglaises qui énoncent les compétences relatives à divers
types de demandes. A mon sens, les règles d'amirauté ne constituaient pas des règles de fond appliquées par la Cour de l'Échiquier mais plutôt des règles de procédure réglant les diver- ses étapes des litiges en amirauté et, par consé- quent, elles ne relèvent pas de la catégorie défi- nie par l'expression droit maritime canadien. Dès lors, si mon interprétation est juste, la demanderesse ne peut pas se fonder sur la défi- nition «droit maritime canadien» dans l'article 2 pour étendre la portée de l'alinéa 22(2)h) de la Loi sur la Cour fédérale. Même si l'on considé- rait que l'expression droit maritime canadien comprend les dispositions de la Règle 20 des règles d'amirauté, les faits présentés à cette Cour ne relèvent d'aucun des alinéas à l'excep- tion peut-être de l'alinéa cl). Je doute fort qu'en l'espèce on puisse à bon droit appliquer l'alinéa
Je ne pense pas non plus que l'alinéa 22(3)a) ou c) puisse être d'un grand secours à la deman- deresse. Je répète qu'à mon avis, dans aucun de ces alinéas, on ne voit l'intention d'étendre d'une manière générale la juridiction de la Cour aux étrangers. A l'article 22, l'intention du légis- lateur était de réunir les chefs de compétence de la Cour dispersés auparavant dans divers textes législatifs et de clarifier, autant que faire se peut, les matières relevant de sa juridiction. Il est juste de dire que les anciennes dispositions législatives régissant les matières relevant de la juridiction de la Cour d'amirauté étaient obscu res et ambiguës. Je ne pense pas qu'en édictant l'article 22, le Parlement ait eu l'intention d'é- tendre au delà de ses anciennes limites la juri- diction de la Cour relativement aux étrangers. A l'origine, les tribunaux anglais ne se déclaraient compétents que dans les cas le défendeur s'était vu signifier l'action dans les limites de leur ressort. Ce principe s'appliquait même quand le défendeur en question était un étranger de passage. En amirauté, les actions in rem ne pouvaient être intentées que si le navire se trouvait dans les eaux territoriales de l'Angle- terre. Le Common Law Procedure Act, 1852, a donné aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire leur permettant dans certains cas précis de citer à comparaître des défendeurs défaillants, anglais ou étrangers. De nos jours, ce pouvoir discrétionnaire fait partie de l'Order 11 des
règles anglaises 4 . D'après moi, en matière de compétence, les cours de common law cana- diennes ainsi que la Cour de l'Échiquier en sa juridiction d'amirauté ont adopté l'approche anglaise.
C'est un principe bien établi que les non rési- dents ne doivent pas être actionnés sans motif sérieux. Voici ce que déclarait le Lord juge Diplock dans l'arrêt Mackender c. Feldia A. G. [1967] 2 Q.B. 590, à la p. 599:
[TRADUCTION] Le contrat qui constitue l'objet de cette action a été sans nul doute conclu en Angleterre. Le borde- reau a été paraphé à Londres et c'est le directeur du service de la signature des polices de la Lloyd's qui, au nom du syndicat de garantie, a signé la police. Par conséquent la High Court avait le pouvoir d'autoriser la signification du bref aux défendeurs hors du ressort et elle sera compétente pour trancher cette affaire à moins que la signification ne soit annulée et l'action suspendue. L'autorisation de signifier un bref hors du ressort relève toujours du pouvoir discré- tionnaire de la Cour. La compétence que revendique la High Court à l'égard des défendeurs qui sont absents ou qui ne résident pas habituellement dans ce pays, dans les affaires elle accorde l'autorisation en vertu de R.S.C., Ord. 11, est plus étendue que la compétence correspondante qu'elle reconnaît aux tribunaux étrangers relativement aux défen- deurs qui sont absents ou qui ne résident pas habituellement dans ce pays étranger. Étant donné que cette déclaration de compétence entre en conflit avec les principes généraux de la courtoisie internationale, on ne doit pas l'exercer sans une certaine prudence. Je ne peux faire mieux que répéter la déclaration du Lord juge Scott dans l'affaire George Monro Ltd. c. American Cyanamid & Chemical Corporation [1944] K.B. 432, 437:
La signification hors du ressort autorisée par nos tribu- naux affecte nécessairement la compétence territoriale exclusive du pays étranger est effectuée la significa tion. J'ai rencontré par le passé bon nombre d'avocats européens qui ont énergiquement critiqué nos règles rela tives à la signification hors du ressort. Par souci de courtoisie internationale, il est important de s'assurer qu'une signification hors du ressort suit bien la lettre et l'esprit de R.S.C., Ord. 11.
Pour ces motifs, j'annule la signification de la déclaration qui a été faite aux défendeurs et je suspends l'action intentée contre eux. Ils ont droit de recouvrer les dépens afférents à l'ins- cription en comparution conditionnelle et à la présente requête.
' Voir les observations du juge Davies dans l'arrêt D.C. Whitney (1907) 38 R.C.S. 303, aux pages 310, 311 et 312 quant à la compétence des cours de vice-amirauté relative-
ment à une collision entre des navires étrangers dans les eaux étrangères.
2 Voir, par exemple, Order 11, règle 1 des règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la règle de la Supreme Court of Judicature d'Angleterre portant le même numéro.
3 Voir British Shipping Laws, vol. 1 (Admiralty Practice) 1964, par. 480 et suiv.
4 Pour cet historique du droit, j'ai puisé dans l'ouvrage de Cheshire Private International Law (8e éd.) aux pp. 78 95.
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