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Canadian Offshore Marine Limited (Requérante) c.
Le Syndicat international des marins canadiens et le procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Thurlow et Pratte —Montréal, les 18 et 19 décembre 1973.
Examen judiciaire—Conseil canadien des relations du tra- vail—Accréditation du syndicat à titre d'agent négociateur d'une unité d'employés de la requérante—Sont-ils les employés de la requérante ou de la société mère?
La requérante demande à la Cour fédérale d'examiner et d'annuler l'accréditation accordée au syndicat intimé par le Conseil canadien des relations du travail, en vertu du Code canadien du travail, à titre d'agent négociateur d'une unité d'employés de la requérante, travaillant à bord de navires à partir de ports canadiens et assurant l'entretien d'installa- tions de forage sous-marin. La requérante prétend que le Conseil canadien des relations du travail a commis une erreur en accréditant l'unité car les employés n'étaient pas ses employés, mais ceux de la compagnie mère.
Arrêt: (le juge Thurlow dissident) la requête est rejetée. La preuve n'a pas établi, de façon certaine, que les contrats d'engagement conclus, sans aucun doute, avec les employés ont été signés par la société mère en tant que commettant et la requérante n'a pas apporté la preuve des ententes en vertu desquelles elle n'aurait agi qu'en tant que mandataire de la société mère.
Le juge Thurlow—les employés se sont engagés en tant qu'employés de la société mère. Rien dans la preuve n'indi- que que ces personnes croyaient que leur employeur était quelqu'un d'autre.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Michael Ryan pour la Canadian Offshore Marine Ltd.
Joseph Nuss pour le Syndicat international des marins canadiens.
T. B. Smith et Paul Evraire pour le procu- reur général du Canada.
PROCUREURS:
MacKeigan, Cox, Downie et Mitchell, Hali- fax, pour la Canadian Offshore Marine Ltd.
J. Nuss, Montréal, pour le Syndicat interna tional des marins canadiens.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement) —I1 s'agit d'une requête fondée sur l'article 28' demandant l'annulation d'une ordonnance du Conseil canadien des relations du travail 2 accré- ditant le syndicat intimé à titre d'agent négocia- teur d'une unité d'employés donnée.
Lorsque la requête fut discutée devant la Cour, la contestation de l'ordonnance du Con- seil portait seulement sur le fait que le Conseil l'aurait rendue en se fondant sur la conclusion que les employés de cette unité étaient les employés de la requérante et sur le fait qu'au vu du dossier soumis au Conseil,
a) ce dernier est arrivé à une conclusion enta- chée d'une erreur de droit (article 28(1)b)), ou
b) sa conclusion était une conclusion de faits erronée, prise sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (article 28(1)c)).
Toutes les parties admettent apparemment que la contestation doit échouer s'il appartenait au Conseil, au vu des éléments portés à sa connaissance, de conclure que les employés de cette unité étaient les employés de la requérante.
Quatre-vingt dix pour cent des actions de la requérante, une compagnie canadienne, appar- tiennent à la Offshore Marine Limited (appelée ci-après «Offshore»), une compagnie britanni- que qui, selon la preuve, est une filiale de la compagnie Cunard.
Les employés en cause travaillaient en tant que personnel non breveté sur des navires appartenant à la Offshore et avaient signé des contrats d'engagement tendant à établir qu'ils étaient les employés de la Offshore. (Si cela constituait toute la preuve, la seule conclusion possible serait que les employés en cause sont les employés de la Offshore et non ceux de la requérante. Il y a toutefois d'autres éléments de preuve.)
Les navires en cause étaient exploités en vertu de contrats portant qu'ils devaient assurer la navette entre des ports canadiens et des ins tallations de forage de pétrole situées dans des eaux non territoriales, afin d'y transporter l'ap- provisionnement et d'assurer divers autres ser-
vices. La compagnie requérante exploitait une entreprise au Canada. Les employés en cause avaient été recrutés dans les ports de la Nou- velle-Écosse la compagnie assurait le travail normalement effectué par un consignataire de navires. Selon la preuve, telle que je la conçois, la requérante s'était entendue avec des consi- gnataires de navires de Terre-Neuve pour assu- rer des services similaires pour les navires en cause qui mouillaient dans les ports de Terre- Neuve. En outre, la requérante payait le salaire des employés en cause avec ses propres chè- ques, distribués par l'intermédiaire des capitai- nes de navires, et négociait les contrats en vertu desquels on assurait certains services aux instal lations de forage, bien que ces contrats soient signés par la Offshore. La requérante envoyait régulièrement à la Offshore un relevé des dépenses engagées pour l'entreprise et la Off shore lui versait ce montant avec une somme supplémentaire appelée la «commission». (Si cela constituait toute la preuve additionnelle, la seule conclusion possible serait que la requé- rante exploitait une entreprise au Canada en tant que mandataire de la Offshore et que les employés en cause étaient des employés de la Offshore et non ceux de la requérante. Il y a cependant des éléments de preuve additionnels.)
Dans la province de Nouvelle-Écosse, il semble que la loi exige qu'une compagnie exploitant une entreprise au Canada soit enre- gistrée comme telle. La requérante est dûment enregistrée mais la Offshore ne l'est pas. En outre, les employés en cause ont été déclarés par la requérante en vertu de la législation por- tant sur l'impôt sur le revenu, le régime de pensions du Canada et l'assurance-chômage, comme s'ils étaient ses employés. La requérante a déclaré les salaires payés à ces employés comme des salaires versés par elle et sur les- quels elle a fait les déductions exigées par cette législation. En ce qui concerne les procédures actuelles, ces actes constituent à mon avis la reconnaissance par la requérante, à l'encontre de ses intérêts, de certains faits tendant à prou- ver qu'elle est bien l'employeur des personnes en cause.
Il reste à déterminer si les faits reconnus sont tels qu'une personne, dûment informée et char-
gée d'établir les faits, pourrait décider qu'ils l'emportent sur le reste de la preuve soumise au Conseil. Si les autres éléments de preuve éta- blissent d'une manière certaine que la réalité ne correspond pas aux déclarations, les faits recon- nus ne peuvent être substitués à la vérité.
Donc, s'il avait été établi sans aucun doute que les contrats d'engagement avaient été signés par la Offshore en tant que commettant, et que ces contrats étaient les contrats en vigueur, on pourrait seulement conclure que les déclarations de la requérante au gouvernement canadien comprenaient des rapports (notamment l'affir- mation que les employés en cause étaient les employés de la requérante) établis de manière erronée, frauduleusement ou non. (On a suggéré qu'il était possible que ce groupe de compagnies n'ait pas voulu attirer l'attention du gouverne- ment canadien sur le fait que la Offshore faisait des affaires au Canada par l'intermédiaire de la requérante.)
A mon avis, cependant, la preuve soumise au Conseil, autre que les faits reconnus par la requérante par le biais de ses déclarations au gouvernement, ne permet pas d'établir, sans aucun doute, que dans les contrats d'engage- ment passés avec ces employés la Offshore était le commettant. Il est facile d'imaginer une entente entre des compagnies appartenant au même groupe, élaborée par ceux qui en détermi- nent la ligne de conduite, et créant une situation telle que la requérante aurait pu déclarer de bonne foi que ces personnes étaient bien ses employés. Il ne serait pas trop fantaisiste, par exemple, d'imaginer une entente portant sur une initiative commune et en vertu de laquelle les navires et certains des employés auraient été fournis par la Offshore et les employés en cause (et d'autres) auraient été fournis par la requé- rante, celle-ci assurant aussi la gestion locale. On aurait pu avoir une simple entente en vertu de laquelle la requérante aurait engagé les employés en cause et moyennant compensation les aurait mis à la disposition de la Offshore pour travailler sur ses bateaux. On peut conce- voir plusieurs types d'accords entre les compa-
gnies aboutissant à une situation telle qu'effecti- vement les déclarations de la requérante faites au Canada rendent compte honnêtement de la situation.
Puisqu'une telle entente préalable est conce- vable, il reste à déterminer si la preuve soumise au nom de la requérante et de la Offshore suffisait à établir qu'il n'y avait pas eu d'entente de cette nature, et donc à établir la fausseté des déclarations de la requérante portant que les personnes en cause étaient ses employés. A mon sens, la preuve en question était constituée de dépositions de cadres supérieurs chargés de la gestion des deux compagnies et décrivant le fonctionnement de l'entreprise au jour le jour. Ils insistèrent sur le fait que la requérante agis- sait seulement en tant que mandataire de la Offshore, mais ils n'ont soumis aucune preuve des ententes réelles qui permettrait d'arriver à une conclusion sur leur nature juridique. Leurs dépositions ne permettent pas d'établir qu'il n'y avait aucune entente spéciale entre les deux compagnies et, au vu des relations entre elles, on peut concevoir qu'ils n'aient pas eu connais- sance d'une telle entente, si elle existait.
Puisque la preuve ne suffit pas à exclure la possibilité que les déclarations faites au gouver- nement canadien étaient honnêtes, je suis d'avis que la requérante n'est pas à même de se plain- dre puisque l'affaire fut apparemment décidée sur la base d'une hypothèse selon laquelle il existait une entente créant une situation dans laquelle l'exposé dans ces déclarations concer- nant les relations entre la requérante et les employés en cause correspondait à la réalité.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis qu'il appartenait au Conseil, au vu de la preuve, de conclure que les employés de l'unité étaient les employés de la requérante. La requête fondée sur l'article 28 doit donc être rejetée.
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LE JUGE PRATTE a souscrit à l'avis.
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LE JUGE THURLOW (oralement) (dis sident)—Il s'agit d'une requête fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, demandant l'examen et
l'annulation de l'accréditation le 27 septembre 1973, par le Conseil canadien des relations du travail, en vertu du Code canadien du travail, du syndicat intimé à titre d'agent négociateur de [TRADUCTION] «l'unité constituée par des employés de la Canadian Offshore Marine Limit ed, savoir le personnel non breveté employé par cette compagnie et travaillant à bord de navires à partir de ports canadiens en vue de l'entretien d'installations de forage sous-marin».
La demande d'accréditation fut entendue par le Conseil en même temps qu'une autre requête par le même syndicat demandant son accrédita- tion à titre d'agent négociateur du même person nel, en tant qu'employés de la Offshore Marine Limited, une compagnie britannique détenant 90% des actions de la Canadian Offshore Marine Limited. La question s'est donc posée de savoir laquelle des deux compagnies était l'employeur de ces personnes.
La preuve montre que lors de leur engage ment sur les navires, tous immatriculés en Grande-Bretagne, ces personnes ont, conformé- ment à la loi, signé un contrat portant qu'ils étaient les employés non pas de la Canadian Offshore Marine Limited mais de la Offshore Marine Limited, propriétaire des navires pour le compte de laquelle ils sont exploités. Rien dans la preuve n'indique que ces personnes croyaient que leur employeur était quelqu'un d'autre.
La Canadian Offshore Marine Limited, une filiale de la compagnie britannique dont elle suit les instructions pour tout ce qu'elle fait, paie avec ses propres chèques les résidents cana- diens appartenant à l'équipage des navires et les déclare comme ses employés au ministère du Revenu national et à la Commission d'assu- rance-chômage. C'est sans aucun doute une preuve allant à l'encontre des affirmations de la Canadian Offshore Marine Limited et, au vu de la domination de cette compagnie par la Off shore Marine Limited, j'estime que c'est aussi une preuve à l'encontre de cette dernière, ten- dant à établir que la Canadian Offshore Marine Limited est effectivement l'employeur des per- sonnes en cause. Mais, à mon avis, cet élément de preuve, pris dans le contexte de toute la preuve présentée au Conseil, ne peut l'emporter sur la conclusion qu'on doit tirer du fait que le
personnel a signé un contrat d'emploi avec la Offshore Marine Limited, à savoir, que ces marins sont les employés de cette compagnie et non de la Canadian Offshore Marine Limited. Les déclarations ne peuvent pas non plus avoir pour effet de substituer la compagnie cana- dienne à la compagnie britannique comme employeur de ces marins.
A mon avis, au vu du dossier, la conclusion du Conseil portant que la Canadian Offshore Marine Limited était l'employeur réel des marins, et non la Offshore Marine Limited, ne peut être soutenue et devrait être considérée comme résultant de l'application d'un principe de droit erroné.
J'annulerais donc l'accréditation.
I L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour enten- dre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordon- nance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures dèvant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
x Voir Partie V du Code canadien du travail, tel que modifié par le chapitre 18 des Statuts du Canada de 1972.
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