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Malcolm Junor (Demandeur) c.
La Reine & le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 26 novembre; Ottawa, le 30 novembre 1973.
Pratique—Requête visant la radiation de la déclaration— Aucune cause raisonnable d'action—Immigration—Action en dommages-intérêts pour perte de salaire, intentée par un non-immigrant—Action visant à obtenir le droit de demander le statut d'immigrant reçu—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11, tel que modifié par S.C. 1973, c. 27.
Aucun texte législatif n'autorise la Cour, dans les procé- dures engagées par le demandeur, à ordonner aux défen- deurs de lui accorder le droit de demander le statut d'immi- grant reçu, ou le droit d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration que la nouvelle loi lui a retiré. Les allégations de la déclaration ne révèlent rien qui permette de conclure que les défendeurs doivent verser des dommages- intérêts ou de déclarer que certaines parties de la Loi sur l'immigration ou de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, telle que modifiée, ainsi que certains règle- ments d'application sont ultra vires.
ACTION. AVOCATS:
Gerald Postelnick pour le demandeur. Denis Bouffard pour les défendeurs. PROCUREURS:
Postelnick, Postelnick et Wekarchuk, Mont- réal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
LE JUGE WALSH — La présente requête vise la radiation de l'action intentée par le demandeur, au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action raisonnable. D'après la déclaration, le deman- deur, de nationalité guyanaise, arriva à l'aéro- port international de Toronto le 4 mars 1973, des parents et des amis l'ayant informé qu'il avait le droit de venir au Canada en qualité de touriste puis, s'il le désirait, qu'il pouvait demander le statut d'immigrant reçu. A son arri vée, un fonctionnaire à l'immigration l'informa qu'il pouvait entrer au Canada en qualité de visiteur jusqu'au 25 mars 1973 seulement, et
que, puisque l'on soupçonnait qu'il venait au Canada dans l'intention d'y immigrer, le minis- tère tiendrait une enquête le 26 mars 1973 afin d'examiner son cas, et que cette enquête pou- vait entraîner son expulsion. L'enquêteur spé- cial lui donna avis de cette enquête et, à l'au- dience, les avocats des parties m'ont fait savoir que le demandeur avait négligé de s'y présenter et que les défendeurs n'ont pas été tenus au courant de ses déplacements au Canada. Le 4 mars 1973, date à laquelle on l'informa de cette enquête, il fut libéré moyennant une caution de $100 et dut remettre son billet de retour; on lui signala qu'il ne pouvait prendre aucun emploi au Canada avant l'audition de l'enquête. Dans sa déclaration, le demandeur prétend qu'ayant appris qu'il pouvait être expulsé, il en déduisit qu'il n'avait pas le droit de demander le statut d'immigrant reçu mais qu'il pouvait rester indé- finiment au Canada en qualité de touriste tant qu'il ne demandait pas sa réception puisque la date de l'enquête avait été fixée au lendemain du jour son statut de touriste expirait. Il prétend en outre que les avis ainsi que les renseignements qui lui furent donnés l'avaient induit en erreur, que l'interdiction de prendre un emploi au Canada était contraire aux principes de la Déclaration canadienne des droits et qu'à l'égard des étrangers les défendeurs n'ont pas le pouvoir d'accorder ou de supprimer le droit au travail; il prétend donc avoir subi un dommage se chiffrant à $3,500 à titre de perte de salaire. Il soutient aussi que, lors de son arrivée au Canada, il ne savait pas que la loi allait être modifiée de sorte que seules les personnes arri vées au Canada le 30 novembre 1972 ou avant cette date auraient le droit de faire, sur place, une demande pour obtenir le statut d'immigrant reçu ou qu'il serait privé de son droit d'interje- ter appel à la Commission d'appel de l'immigra- tion; il prétend en outre que cette législation portant rétroactivement atteinte à ses droits acquis était discriminatoire et illégale. Le 11 septembre 1973, il informa les défendeurs de son intention de demander le statut d'immigrant reçu conformément à la loi en vigueur le 4 mars 1973, mais aucune mesure n'a été prise à cet effet; la déclaration soutient en outre qu'il a toutes les qualifications requises pour devenir un immigrant reçu et qu'il n'y a donc aucune
raison valable pour qu'on le traite de façon discriminatoire et arbitraire. Enfin, il demande que les défendeurs soient condamnés conjointe- ment et solidairement à lui verser la somme de $3,500 à titre de dommages-intérêts pour perte de salaire, sous réserve de ses droits de deman- der des dommages-intérêts supplémentaires sous le même chef, lorsqu'ils deviendront exigi- bles; il demande en outre que les dispositions l'empêchant de prendre un emploi soient décla- rées ultra vires, que la Cour ordonne aux défen- deurs de lui accorder le droit de demander le statut d'immigrant reçu conformément aux règlements en vigueur le 4 mars 1973, y compris le droit d'interjeter appel à la Commission d'ap- pel de l'immigration, et enfin que les disposi tions l'empêchant de demander le statut d'immi- grant reçu soient déclarées ultra vires.
Pour examiner cette question, il est utile de rappeler certains articles de la Loi sur l'immi- gration, S.R.C. 1970, c. I-2, en vigueur le 4 mars 1973. L'article 6 prévoit que:
6. Quiconque cherche à entrer au Canada est \ présumé être un immigrant, jusqu'à ce qu'il donne, au fonctiopnaire à l'immigration qui l'examine, la preuve qu'il n'est pas un immigrant.
L'article 7(1) énumère les personnes qui peu- vent être autorisées à entrer et à demeurer au Canada à titre de non-immigrant et notamment, à l'alinéa c), «les touristes ou visiteurs».
L'article 7(3) se lit comme suit:
7. (3) Lorsqu'une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l'un ou l'autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonc- tionnaire à l'immigration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l'examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.
L'article 19(1) de la loi dispose que:
19. (1) Quiconque, y compris un citoyen canadien et une personne ayant un domicile canadien, cherche à entrer au Canada doit, en premier lieu, paraître devant un fonction- naire à l'immigration, à un port d'entrée ou à tel autre endroit que désigne un fonctionnaire supérieur de l'immigra- tion, pour un examen permettant de déterminer s'il est admissible ou non au Canada ou s'il est une personne pouvant y entrer de droit.
L'article 22 porte que:
22. Lorsqu'un fonctionnaire à l'immigration, après avoir examiné une personne qui cherche à entrer au Canada, estime qu'il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements de lui accorder l'admission ou de lui permettre autrement de venir au Canada, il doit la faire détenir et la signaler à un enquê- teur spécial.
L'article 23(1) se lit comme suit:
23. (1) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu à l'article 22 sur une personne qui cherche à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, il doit, après l'enquête complémentaire qu'il juge nécessaire et sous réserve de tous règlements établis à cet égard, admettre cette personne ou lui permettre d'entrer au Canada, ou rendre contre elle une ordonnance d'expulsion et, dans ce dernier cas, ladite personne doit, le plus tôt possible, être renvoyée au lieu d'où elle est venue au Canada.
Lorsque le demandeur, sans avoir reçu à l'étranger l'autorisation d'immigrer au Canada, arriva apparemment en qualité de touriste ou de visiteur, mais révéla franchement et honnête- ment au fonctionnaire à l'immigration au port d'entrée qu'il déciderait peut-être d'immigrer, le fonctionnaire à l'immigration fixa à juste titre une enquête au 26 mars, soit le lendemain de la date d'expiration de son statut de touriste ou visiteur. Il fut immédiatement libéré moyennant paiement d'un cautionnement en vertu de l'arti- cle 17 qui se lit comme suit:
17. (1) Sous réserve d'une ordonnance ou de directives contraires du Ministre, une personne mise sous garde ou en détention peut être libérée aux conditions, concernant les temps et lieu elle se présentera pour examen, enquête ou expulsion, ou le versement d'un dépôt de cautionnement, ou aux autres conditions, qu'un enquêteur spécial peut juger satisfaisantes.
(2) Lorsqu'une personne ne se conforme pas à l'une des conditions auxquelles elle est libérée de la garde ou de la détention, elle peut être immédiatement remise sous garde, et tout dépôt de cautionnement versé comme condition de sa libération est censé confisqué et doit faire partie du Fonds du revenu consolidé. (Les italiques sont de moi.)
Étant donné qu'il ne se présenta pas à l'enquête, sa caution fut à juste titre annulée. En l'infor- mant de la date de l'enquête, le fonctionnaire à l'immigration lui a apparemment signalé qu'il ne pouvait, en qualité de touriste ou de visiteur, chercher un emploi avant que sa situation soit éclaircie par l'enquête, qui pouvait néanmoins entraîner son expulsion.
L'article 11(2) de la loi dispose que:
11. (2) Un enquêteur spécial a le pouvoir d'examiner la question de savoir si une personne doit être admise à entrer
au Canada ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l'espèce. (Les italiques sont de moi.)
A l'issue de l'enquête, il aurait donc pu être autorisé à demeurer au Canada, bien que les dispositions de l'article 18 semblent indiquer qu'il aurait été expulsé. L'article 18(1) prévoit que:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secré- taire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une per- sonne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonc- tionnaire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
(e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien qui
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant.
L'article 18(2) se lit comme suit:
18. (2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur spécial, est déclaré une personne décrite au para- graphe (1) devient sujet à expulsion.
En l'espèce il n'appartient pas à la Cour de se substituer à l'enquêteur spécial et de déterminer quelle décision il aurait rendue à l'égard du demandeur si l'enquête avait eu lieu. En négli- geant de se présenter à cette enquête, le deman- deur a sans aucun doute aggravé sa situation, mais je ne parviens pas à voir comment cela peut permettre d'intenter une action en domma- ges-intérêts à l'encontre des défendeurs. Au vu de la déclaration, il appert que le fonctionnaire à l'immigration a suivi la procédure appropriée au cas du demandeur. En effet, lorsque ce dernier lui révéla que tout en entrant apparemment au Canada en qualité de touriste, il se déciderait peut-être à demander le statut d'immigrant reçu, la date d'une enquête fut à juste titre fixée. Le demandeur fut immédiatement libéré moyen- nant versement d'une caution. Il fut informé que, si l'enquête ne décidait pas en sa faveur, il serait passible d'expulsion, ce qui est prévu par la loi elle-même. Il semble que le fonctionnaire à l'immigration lui a expliqué quelle était la légis- lation; si le demandeur a préféré croire les con- seils de ses parents et amis selon lesquels il pouvait entrer au Canada en qualité de touriste, puis demander le statut d'immigrant reçu et s'il en a déduit que l'enquête était sans importance
et qu'il pouvait rester indéfiniment au Canada en qualité de touriste tant qu'il ne demandait pas le statut d'immigrant reçu ou ne prenait pas d'emploi (bien que, dans la déclaration, il ait admis qu'on lui avait dit qu'il ne pouvait rester au Canada en qualité de visiteur que jusqu'au 25 mars 1973) et même s'il négligea de se présenter à l'enquête effectuée par l'enquêteur spécial, parce qu'il craignait qu'elle n'entrainât son expulsion, rien de tout cela ne peut fonder une action en responsabilité délictuelle contre les défendeurs. L'application régulière de la loi ne peut donner lieu à une action en dommages-inté- rêts, et il est constant qu'une personne ne peut se prévaloir de la protection de la loi que si elle est elle-même irréprochable lorsqu'elle se pré- sente devant la Cour. Il est tout aussi banal de rappeler que l'ignorance du droit n'est pas une excuse.
La Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration, S.R.C. 1970, c. I-3, modifiée par S.C. 1973, c. 27, fut modifiée au cours de l'été 1973 soit après l'arrivée du demandeur; l'article 11 modifié restreint le droit d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration par une personne frappée d'une ordonnance d'expul- sion, en retirant le droit d'interjeter appel à toute personne qui, aux termes de l'article 7(3) de la Loi sur l'immigration (précitée), est répu- tée être une personne qui cherche à être admise au Canada. L'article 8 de ladite loi modificatrice dispose que toute personne qui se fait inscrire par un fonctionnaire à l'immigration au plus tard le soixantième jour suivant l'entrée en vigueur de la loi, qui est entrée au Canada avant le 30 novembre 1972 et y est demeurée depuis cette date, est réputée être une personne qui a fait une déclaration en conformité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et a demandé à être admise au Canada à titre d'immigrant, et est réputée ne pas être une personne visée notam- ment par l'article 18(1)e)(vi) (précité). Puisque le demandeur n'est pas entré au Canada avant le 30 novembre 1972, cette disposition libérale de la nouvelle législation qui donne à certaines personnes, se trouvant illégalement au Canada, l'occasion de régulariser leur situation, ne s'ap- plique pas au demandeur et, par contre, il a perdu son droit d'interjeter appel de l'ordon- nance d'expulsion devant la Commission d'ap-
pel de l'immigration. Ces dispositions sont sans aucun doute sévères pour le demandeur et d'au- tres qui comme lui sont entrés au Canada après le 30 novembre 1972, mais je n'estime pas pour autant que cette législation est ultra vires parce qu'en contradiction avec la Déclaration cana- dienne des droits, S.C. 1960, c. 44. Les droits d'appel peuvent certainement être accordés et retirés à tout moment par une législation appro- priée et, si une personne qui avait certains droits d'appel n'a pas voulu, par crainte ou en raison de son ignorance du droit, s'en prévaloir lors- qu'ils étaient encore en vigueur, ne peut décla- rer avoir subi un préjudice lorsque la loi est subséquemment modifiée, supprimant ces droits d'appel; elle ne peut non plus déclarer avoir subi un préjudice ayant le caractère de discrimina tion personnelle résultant du fait qu'on a accordé certains droits étendus à des personnes entrées illégalement dans ce pays avant le 30 novembre 1972, alors que les mêmes droits n'ont pas été étendus à celles qui sont arrivées par la suite. Ce serait forcer le sens de l'article 1 b) de la Déclaration canadienne des droits, stipulant parmi les droits de l'homme et les libertés fondamentales «le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi», d'en déduire qu'il annule l'adoption par le Parle- ment d'une loi qui étendrait certains droits à une catégorie de personnes sans l'étendre à des per- sonnes appartenant à une autre catégorie.
De la même manière, il serait absurde de dire qu'une personne qui a été autorisée à entrer au Canada en qualité de touriste ou de visiteur pour une durée de 21 jours en tant que non- immigrante, qui a délibérément négligé de se présenter à une enquête effectuée par un enquê- teur spécial en conformité de la loi et dont la présence dans ce pays devient donc illégale, est lésée et a fait l'objet de mesures discriminatoi- res parce qu'on lui a expliqué qu'elle ne pouvait chercher un emploi au cours de cette période; il serait tout aussi absurde de conclure que cette disposition, qui est une condition à sa libération moyennant cautionnement jusqu'à ce que son statut soit déterminé par l'enquête, est une mesure discriminatoire et constitue donc une violation de la Déclaration canadienne des droits.
Aucune disposition législative n'autorise la Cour à ordonner aux défendeurs d'accorder au demandeur le droit de demander le statut d'im- migrant reçu ou le droit d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration, droit que la législation en vigueur lui a retiré, et les alléga- tions de la déclaration ne révèlent rien qui per- mette de conclure que les défendeurs doivent verser des dommages-intérêts ou de déclarer ultra vires des parties de la Loi sur l'immigra- tion ou de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, modifiée, ainsi que certains règle- ments d'application. Cependant la Cour ne se limite qu'aux questions soulevées par l'action et ne se prononce pas sur les droits dont le deman- deur pourrait encore se prévaloir pour deman- der le statut d'immigrant reçu. En conséquence la requête des défendeurs visant la radiation de la déclaration est accueillie avec les dépens, sans préjudice de tout droit dont le demandeur pourrait légalement se prévaloir pour demander le statut d'immigrant reçu.
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