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Karleton Lewis Armstrong (Requérant) c.
L'État du Wisconsin et les États-Unis d'Amérique (Intimés)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup pléants Cameron et Sweet—Toronto, les 5, 6, 7, 8 et 9 décembre 1972; Ottawa, le 5 janvier 1973.
Extradition—Droits civils—Examen judiciaire—Audition d'extradition—Prétendu meurtre commis au Wisconsin— Affidavits admis en preuve—Aucune possibilité accordée au fugitif de contre-interroger les déposants—Y a-t-il eu déni de l'»application régulière de la loi» et de la justice fondamenta- le—Faut-il prouver la catégorie du crime au Wisconsin— S'agit-il d'un crime à caractère politique—Traité d'extradi- tion entre le Canada et les É.-U.—Le juge n'a pas le pouvoir d'en décider—Loi sur l'extradition, S.R. 1970, c. E-21, art. 16—Déclaration canadienne des droits, art. la), 2e).
Une demande a eté introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant l'annulation d'un mandat d'incarcération délivré par un juge d'extradition en vue de l'extradition vers les États-Unis d'un fugitif poursuivi pour incendie volontaire et meurtre dans l'État du Wisconsin.
Arrêt: la demande est rejetée:
1. L'article 16 de la Loi sur l'extradition permet l'admis- sion d'affidavits à titre de preuve au cours d'une audience d'extradition. Omettre d'accorder au fugitif la possibilité de contre-interroger les déposants n'est pas un déni de l'appli- cation régulière de la loi garantie par l'article 1 a) de la Déclaration canadienne des droits ni de son droit, en vertu de l'article 2e) de cette dernière, à une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale. Arrêts analysés: Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889; University of Ceylon c. Fernando [1960] 1 W.L.R. 223.
2. Si, comme en l'espèce, la preuve indique qu'il s'agit, prima facie, d'un meurtre en vertu du droit canadien, le juge d'extradition n'est pas tenu de déterminer la catégorie du prétendu meurtre aux termes du droit du Wisconsin.
3. Étant donné les dispositions du traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et celles de la Loi sur l'extradition, un juge d'extradition n'a pas le pouvoir de décider que l'infraction dont on accuse un fugitif a un caractère politique, ou que c'est pour cette raison que ce crime n'entraîne pas l'extradition, ou de libérer le fugitif pour ce motif. Arrêts analysés: In re Castioni [1891] 1 Q.B. 149; Re Siletti (1902) 71 L.J.K.B. 935; R. c. Governor of Brixton Frison, ex parte Kolczynski [1955] 1 All E.R. 31; Re Louis Levi (1897) 1 C.C.C. 74.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
C. Ruby et E. L. Greenspan pour le requérant.
A. M. Cooper, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Pomerant, Pomerant et Greens pan, Toronto, pour le requérant.
A. M. Cooper, Toronto, pour les intimés.
LE JUGE THURLOW—Il s'agit en l'espèce d'une demande introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir l'examen et l'annulation d'un mandat lancé en vertu de la Loi sur l'extradition par le juge H. Waisberg pour faire incarcérer le requérant, Karleton Lewis Armstrong, en attendant son extradition aux États-Unis pour être jugé sous quatre accusations d'incendie volontaire et d'une accusation de meurtre, infractions que prévoient les lois de l'État du Wisconsin.
La demande est fondée sur sept motifs que j'exposerai successivement et traiterai à tour de rôle mais, avant de ce faire, il semble souhaita- ble, vu certains arguments qui ont été présentés, d'insister sur le fait qu'une demande introduite en vertu de l'article 28 n'est pas un appel. Elle ressemble par certains aspects à un appel sur une question de droit, mais la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner la décision sur les questions de fait dans une demande de ce genre, sauf dans les limites prévues à l'article 28(1)c). Elle ne peut pas non plus substituer son propre juge- ment sur les questions de fait ni rendre la déci- sion que le tribunal dont la décision est attaquée aurait rendre. En outre, elle ne peut accorder un redressement qu'en fonction des motifs prévus à l'article 28, c'est-à-dire, en invoquant que le tribunal dont la décision ou l'ordonnance est contestée:
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Le premier des sept points soulevés était une prétendue erreur de droit du juge Waisberg qui a accepté à titre de preuve les affidavits appor-
tés à l'appui des accusations sans permettre au requérant de contre-interroger les auteurs de ces affidavits. Selon le requérant, bien qu'à pre- mière vue, l'article 16 de la Loi sur l'extradition permette de recevoir de tels affidavits en preuve et bien que, depuis 1877, la jurisprudence cana- dienne confirme cette pratique, il est nécessaire depuis la promulgation de la Déclaration cana- dienne des droits de considérer l'article 16 ino- pérant ou de l'interpréter de façon à ce que de tels affidavits ne soient pas admissibles quand le fugitif n'a pas eu la possibilité de contre-interro- ger les déposants. On a fait valoir que si l'on n'accorde pas cette possibilité, admettre les affi davits constitue (1) en vertu de l'article la) de la Déclaration canadienne' des droits, une trans gression du droit du fugitif de jouir de sa liberté et de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi; et (2) en vertu de l'article 2e) de cette loi, une privation de son droit à une audition impartiale de sa cause, selon les princi- pes de justice fondamentale, , pour la définition de ses droits.
Examinons tout d'abord l'article 1 a). Je ne pense pas que la disposition de cet article rela tive à l'«application régulière» de la loi, dans la mesure elle s'applique aux procédures d'ex- tradition, puisse s'interpréter comme imposant une procédure judiciaire différente ou plus pro- tectrice que celle utilisée dans de telles procédu- res avant l'adoption de cet article. Toutefois, il faut envisager que les dispositions de l'article 2 ont pu greffer sur ce qu'on considérait jusque-là comme étant l'«application régulière» de la loi, des exigences plus grandes que celles qui préva- laient antérieurement à l'égard de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamen- tales de l'individu que reconnaît et sanctionne l'article 1 a). (Voir dans l'arrêt Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889, les jugements du juge Rit- chie, page 914, et du juge Laskin, page 892.) Si l'article 2e) a imposé de nouvelles exigences qui n'ont pas été observées, la procédure peut ne pas être une «application régulière» de la loi au sens de l'article 1 a) mais, s'il n'en impose pas, il ne me semble pas qu'on puisse soutenir qu'il n'y a pas eu une «application régulière» de la loi si l'on a suivi la procédure judiciaire établie. A
mon avis, la question de fond à résoudre quant à la Déclaration des droits consiste donc à déter- miner si la procédure établie implique un déni du drpit du requérant à «une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fonda- mentale, pour la définition de ses droits et obli gations», que lui confère l'article 2e).
A mon avis, dans une affaire de ce genre, cette expression n'a pas un sens fondamentale- ment différent de celui de l'expression «un prin- cipe de justice naturelle» de l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. Ces deux expres sions supposent une procédure respectant cer- tains principes tels la notification de la nature de l'accusation à la personne concernée et la com munication des faits sur lesquels se fonde l'ac- cusation. Elles supposent en outre qu'on donne à cette personne l'occasion de présenter sa défense avant qu'une décision relative à ses droits et obligations ne soit rendue. On a sou- vent dit que de telles règles n'exigent pas néces- sairement un procès formel ou des procédures judiciaires et il est manifeste qu'on détermine, en fonction de chaque situation particulière, ce qui est nécessaire pour respecter les principes en question. On trouve un résumé utile de ces principes dans la décision du Conseil privé dans l'affaire University of Ceylon c. Fernando [1960] 1 W.L.R. 223 à la page 231. Dans cette affaire, relative au droit de contre-interroger, Lord Jenkins a déclaré:
[TRADUCTION] Par conséquent (sauf la question subsi- diaire relative à la compétence des tribunaux du Ceylan de prononcer un jugement déclaratoire dans une affaire de ce genre), le présent appel soulève seulement la question de savoir si l'on a mené cette enquête en tenant compte des droits que les principes de justice naturelle attribuent au demandeur en sa qualité de personne visée par cette enquête.
Ces droits ont été définis de façons diverses dans un grand nombre d'affaires couvrant un vaste domaine. Sans examiner longuement tous ces précédents, leurs Seigneuries veulent toutefois souligner que la question de savoir si l'on a respecté les règles de la justice naturelle par la procédure adoptée dans une affaire donnée doit dépendre dans une large mesure des faits et, des circonstances de l'affaire en question. Comme le Lord juge Tucker déclarait dans l'arrêt Russell c. Duke of Norfolk (1948) 65 T.L.R. 225, à la p. 231:
A mon avis, il n'existe pas de termes universellement applicables à tous les genres d'enquêtes et à tous les genres d'organismes disciplinaires. Les exigences de la justice naturelle doivent dépendre des circonstances de
l'affaire, de la nature de l'enquête, des règles régissant les tribunaux, de l'objet du litige, etc.
Dans un arrêt antérieur, General Medical Council c. Spack- man [1943] A.C. 627, à la p. 638, Lord Atkin a exprimé un point de vue semblable dans les termes suivants:
Sans aucun doute, il existe certaines analogies entre les différentes procédures de cet organisme et celles d'autres organismes quasi judiciaires; mais je ne pense pas que la procédure qui peut être très appropriée quand il s'agit de décider de fermer une école ou une maison insalubre, l'est nécessairement quand il s'agit de juger une accusation de conduite infamante contre un membre d'une profession libérale. Je m'oppose donc à l'idée que les termes employés par Lord Loreburn dans l'arrêt Board of Educa tion c. Rice [1911] A.C. 179, à la p. 182, constituent un guide complet sur les procédures que le General Medical Council doit suivre dans l'exercice de ses fonctions.
En tenant compte de ces réserves quant à l'utilité de définitions générales dans cette branche du droit, il semble à leurs Seigneuries que la célèbre déclaration de Lord Lore- burn dans l'affaire Board of Education c. Rice offre malgré tout une définition générale aussi bonne que possible de la nature et des limites des règles de la justice naturelle dans ce genre d'affaire. Le vicomte Haldane, lord chancelier, qui cite en approuvant un extrait de cette affaire, en expose les effets de façon commode dans un extrait de l'arrêt Local Government Board c. Arlidge [1915] A.C. 120, aux pp. 132 et 133. Il déclare en effet:
Je partage l'opinion exprimée dans une affaire analogue par mon savant et noble ami Lord Loreburn. Dans l'arrêt Board of Education c. Rice, il a déclaré qu'en statuant sur une question faisant l'objet d'un appel devant le Board of Education, ce dernier était tenu d'agir de bonne foi et d'entendre équitablement les deux parties. C'est en effet un devoir incombant à quiconque statue sur une question. Mais il ajoute par la suite qu'il ne pensait pas que le Conseil fût tenu de traiter une question comme s'il s'agis- sait d'un procès. Le Conseil n'avait pas le pouvoir de faire prêter serment et n'était pas tenu d'interroger des témoins. Il estimait qu'il pouvait obtenir des renseignements de la façon qu'il croyait la plus appropriée, tout en accordant toujours une occasion raisonnable aux parties au litige de corriger ou de contredire toute déclaration pertinente pré- judiciable à leur point de vue.
Parmi les multiples autres déclarations qu'on pourrait citer, leurs Seigneuries ont choisi la déclaration succincte tirée d'une décision de cette cour dans l'affaire De Verteuil c. Knaggs [1918] A.C. 557, à la p. 560:
Leurs Seigneuries estiment qu'au cours d'une enquête de ce genre, en l'absence de circonstances particulières, on doit accorder à toute personne contre qui une plainte est portée l'occasion raisonnable de faire les déclarations pertinentes qu'elle peut désirer faire, et de corriger ou de discuter toute déclaration pertinente faite à son détriment.
La dernière déclaration générale relative aux règles de la justice naturelle à laquelle leurs Seigneuries se réfèrent en l'approuvant, est celle du juge Harman (tel était alors son titre) dans l'arrêt Byrne c. Kinematograph Renters Society
Ltd., [1958] 1 W.L.R. 762, à la p. 784. Le savant juge déclarait en l'espèce:
Quelles sont donc les règles de la justice naturelle dans une affaire de ce genre? Tout d'abord, j'estime que l'ac- cusé devrait connaître la nature de l'accusation portée contre lui; en deuxième lieu, il devrait avoir la possibilité de présenter sa cause; en troisième lieu, il va de soi que le tribunal doit agir de bonne foi. Pour ma part, je ne pense vraiment pas que cela implique autre chose.
Le problème précis soulevé en l'espèce est celui de l'application de ces principes aux procé- dures d'extradition dans lesquelles la preuve de la perpétration d'un prétendu crime entraînant l'extradition est apportée par affidavit sans que le fugitif ait l'occasion de contre-interroger le signataire.
Quant aux deuxième, troisième et quatrième facteurs dont dépendent les exigences de justice naturelle suivant le passage cité par Lord Jen- kins tiré de l'arrêt Russell c. Duke of Norfolk, il convient de remarquer qu'au cours des procédu- res devant un juge d'extradition, la nature de l'enquête qu'on doit mener, les règles en vertu desquelles le tribunal doit statuer et l'objet des procédures sont des questions prévues par la loi. La loi prévoit que le juge d'extradition doit entendre la cause de la même manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit devant un juge de paix sous accusation d'un acte crimi- nel commis au Canada. La procédure ne vise donc pas à démontrer la culpabilité ou l'inno- cence du prévenu, mais elle a la nature d'une enquête. Le juge d'extradition doit recevoir sous serment le témoignage de tout témoin, offert pour prouver la vérité de l'accusation; de la même manière, il doit recevoir tout témoi- gnage offert pour prouver que le crime dont le fugitif est accusé est une infraction de nature politique, ou n'est pas, pour quelque autre motif, un crime entraînant l'extradition, ou que les procédures sont exercées dans le but de le poursuivre ou de le punir pour une infraction de nature politique. En ce qui concerne tout témoin à charge, rien ne permet de douter que, dans cette procédure, le fugitif ait le droit de le contre-interroger comme le permet l'article 468(1)a) du Code criminel. Toutefois, ce droit de contre-interroger ne tire pas son origine des règles de la justice naturelle mais de la loi; l'ensemble de la procédure relative aux enquê- tes préliminaires est d'origine législative et le
droit de contre-interroger lors d'une enquête préliminaire n'existe que dans la mesure la loi le prévoit. Il est possible d'admettre d'autres types de dépositions qui ne peuvent pas faire l'objet d'un contre-interrogatoire au cours des enquêtes préliminaires et, bien que la Loi sur l'extradition prévoie que la procédure doive se conformer à celle d'une enquête préliminaire, elle ne doit le faire que dans la mesure du possible. En outre, la loi prévoit expressément l'utilisation au cours de ces procédures d'affida- vits prouvant le prétendu crime. S'il s'agissait de procédures ayant la nature d'un procès portant sur la culpabilité ou sur l'innocence du prévenu, on pourrait invoquer que l'absence du droit ou de la possibilité de soumettre la preuve des requérants à l'épreuve du contre-interrogatoire est une objection sérieuse à l'équité et à la justice d'une telle règle, mais, comme je l'ai déjà souligné, telle n'est pas la situation ici. L'audi- tion est une simple enquête et ce n'est pas sur la culpabilité ou l'innocence du fugitif que le juge d'extradition doit statuer, mais sur la question de savoir si la preuve soumise justifie sa déten- tion préventive. Par la lecture des affidavits déposés, le fugitif a le droit de prendre connais- sance des faits dont on l'accuse qui pourraient justifier qu'on ordonne son extradition pour qu'il passe en jugement. Il n'est toutefois pas tenu de répondre à l'accusation et, même s'il choisit de le faire, en présentant des preuves ou d'une autre façon, la fonction du juge reste la même. Il n'a pas le pouvoir de statuer au fond sur la culpabilité ou l'innocence ou sur la crédi- bilité des témoins, mais simplement de détermi- ner s'il existe une cause justifiant l'incarcération du fugitif. C'est au juge du procès qu'il revient de juger et de fixer les droits du fugitif relative- ment à l'accusation.
Compte tenu de ces éléments particuliers de la procédure d'extradition, des règles en vertu desquelles le tribunal statue et de l'objet de la procédure, il ne me semble pas que le fait de ne pas accorder à un fugitif l'occasion de contre- interroger les déposants constitue un déni de justice naturelle ou fondamentale. On porte à sa connaissance ce à quoi il devra faire face lors de son procès et il a la possibilité de présenter, s'il le désire, son point de vue sur la question ainsi que souligner les faiblesses ou les lacunes de la
preuve déposée et insister sur les motifs pour lesquels il ne devrait pas être jugé dans l'État requérant. A mon avis, on doit considérer l'exis- tence d'une convention d'extradition avec le pays recherchant l'extradition comme une reconnaissance par notre pays de l'équité fonda- mentale des procédures judiciaires du pays requérant pour statuer sur la culpabilité ou l'in- nocence du fugitif.
J'en viens maintenant au premier des facteurs dont, suivant le passage tiré de l'arrêt Russell c. Duke of Norfolk, dépendent les exigences de la justice naturelle. La procédure d'extradition ne permet pas d'établir la culpabilité du fugitif hors de tout doute raisonnable, Il ne faut pas consi- dérer cette procédure comme étant une procé- dure dans laquelle les techniques qui jouent un rôle important dans le procès criminel, pour la réfutation de la thèse de l'accusation, soient appropriées ou nécessaires. La réfutation de la thèse de l'accusation au moyen d'un contre- interrogatoire réussi des témoins à charge est de première importance quand on juge la question de l'innocence ou de la culpabilité. Ceci est particulièrement important quand la question tourne autour du point de savoir si l'on doit croire le témoignage des témoins à charge de préférence à celui des témoins de la défense. Aucune question de ce genre ne se posait ou ne pouvait se poser. On n'avait pas à décider de la culpabilité ou de l'innocence du fugitif, en outre, le juge d'extradition n'avait pas eu à trancher entre une dénégation de culpabilité de la part de la défense et les preuves contenues dans les affidavits en question. En conséquence, je ne pense pas que le fait de ne pas avoir accordé au requérant l'occasion de contre-interroger ceux qui ont demandé l'extradition dans la procédure qui nous est soumise, constitue un manquement aux principes de justice naturelle au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ou aux «principes de justice fondamentale, pour la défi- nition de ses droits» au sens de la Déclaration canadienne des droits.
Les deuxième et troisième arguments soule- vés par le requérant portent sur l'accusation de meurtre. On peut les examiner ensemble. Il s'agit du prétendu homicide du Dr Robert Fass-
nacht qui se trouvait dans l'édifice Sterling Hall quand le requérant, et trois autres personnes, ont prétendument fait exploser une bombe d'une puissance équivalente à 3,400 bâtons de dynamite après l'avoir placée sur une rampe adjacente à l'édifice, causant ainsi de graves dommages au bâtiment et la mort du Dr Fass- nacht. Quelques minutes avant l'explosion, quel- qu'un a téléphoné le message suivant à la police de Madison:
[TRADUCTION] Bande de salauds, écoutez, écoutez bien. Il y a une bombe dans le Centre de recherches mathématiques de l'Armée à l'Université. Elle doit exploser dans cinq minutes. Faites évacuer le bâtiment, que tout le monde sorte, avertissez l'hôpital. C'est pas de la blague.
Il existe un commencement de preuve que le requérant était une des personnes directement impliquées et responsables de l'affaire de la bombe. On détient aussi la preuve que le Dr Fassnacht se trouvait soit dans son laboratoire soit tout près, au rez-de-chaussée du bâtiment, près de l'endroit la bombe a explosé, que les lumières étaient allumées dans son laboratoire et que, du rez-de-chaussée, on pouvait voir l'in- térieur du laboratoire par les fenêtres. En outre, la preuve indique qu'au Wisconsin, on fait une distinction entre l'homicide volontaire, appelé meurtre du premier degré et l'homicide par suite d'une conduite éminemment dangereuse pour les autres et notant un esprit dépravé et peu soucieux de la vie humaine, appelé meurtre du second degré, d'une part, et l'homicide se pro- duisant au cours de la perpétration d'un complot ou d'une tentative de complot entraînant comme conséquence naturelle la mort d'autres person- nes, appelé meurtre du troisième degré, d'autre part. En outre, la peine maximale qui peut être imposée varie selon le degré du meurtre.
Selon le requérant, le savant juge a commis deux erreurs, la première en refusant de décider si la preuve était suffisante pour justifier l'extra- dition du requérant d'après l'accusation précise pour laquelle on demandait l'extradition, savoir un meurtre du premier degré, et la deuxième en décidant que les faits allégués établissaient un commencement de preuve d'homicide d'après le droit canadien.
A mon avis, le fait de placer et de faire exploser une bombe dans les circonstances révélées par la preuve, à proximité d'un bâti-
ment il est probable qu'il y ait des gens, constitue une preuve d'après laquelle un jury canadien pourrait tirer deux types de conclu sions. D'une part, l'auteur avait l'intention de causer la mort des personnes qu'il savait être dans le bâtiment ou dans le voisinage; le mes sage envoyé à la police de Madison dont l'avo- cat du requérant cherchait à tirer des conclu sions favorables à son client indique, si on le prend littéralement, qu'il savait qu'il y avait des personnes dans le bâtiment au moment il a placé la bombe. D'autre part, les auteurs savaient ou auraient savoir que le fait de placer la bombe et de la faire exploser dans le but illégal de détruire le bâtiment pouvait entraî- ner la mort des personnes se trouvant dans le bâtiment ou aux abords de ce dernier. Dans les deux cas, le jury aurait la possibilité de rendre un verdict de meurtre. A mon avis, la prétention du requérant selon laquelle les faits n'auraient pas entraîné sa détention préventive sous une accusation de meurtre au Canada n'est pas fondée et, selon moi, rien dans l'arrêt R. c. Hughes (1951) 84 C.L.R. 170, sur lequel l'avo- cat du requérant s'appuyait, ne peut servir le point de vue du requérant.
Je ne pense pas non plus que la prétention selon laquelle le savant juge aurait détermi- ner la catégorie du prétendu meurtre selon le droit du Wisconsin soit fondée. Le traité prévoit l'extradition pour meurtre et l'article 18(1)b) de la Loi sur l'extradition prévoit que le juge d'ex- tradition décidera de procéder à l'incarcération lorsqu'il est produit une preuve d'un crime entraînant l'extradition qui, d'après le droit canadien, sous réserve de la Partie I de la loi, justifierait sa détention préventive si le crime avait été commis au Canada. Le crime entraî- nant l'extradition est en l'espèce l'homicide du Dr Fassnacht. Étant donné que la preuve établi- rait au premier abord une cause d'action si l'homicide s'était produit au Canada, à mon avis, la condition prévue à l'article 18(1)b) est satisfaite. Il revient donc aux tribunaux du Wis- consin de décider de quelle catégorie de meur- tre, le cas échéant, la prétendue infraction relève en vertu du droit de cet État et le juge d'extradition n'était en aucune façon tenu de statuer sur ce point. Sans aucun doute, il pour- rait arriver qu'un État requérant prétende qu'il y
a meurtre d'après son droit pénal et que ceci ne revienne pas à un acte criminel au sens du traité d'extradition. Si, par exemple, ce droit prévoyait que le meurtre incluait le simple fait d'aider le meurtrier après coup, à mon avis, il ne s'agirait pas d'un meurtre en vertu de la loi canadienne et ce cas ne remplirait pas la condition prévue à l'article 18(1)b). En l'espèce, le savant juge a expressément établi qu'à la fois le meurtre et l'incendie volontaire sont des crimes au Canada et au Wisconsin et que ces crimes sont fonda- mentalement les mêmes dans les deux pays. A la lecture des motifs du savant juge, il appert qu'il a aussi établi que la preuve était suffisante pour justifier la détention préventive du requé- rant pour le crime de meurtre comme l'expose la pièce 2 qui la page 153 du dossier d'appel) se rapporte à cet égard au meurtre du premier degré prévu à l'article 940.01(1) de la codifica tion des lois du Wisconsin. Comme je l'ai déjà indiqué, il me semble que la preuve était telle qu'un jury aurait à juste titre établi que le meur- tre du D' Fassnacht était un homicide volon- taire, donc un meurtre du premier degré en vertu des lois du Wisconsin. Je ne pense pas qu'on puisse soutenir que la même preuve ne justifie pas l'incarcération préventive pour meurtre du premier degré. Je ne pense pas non plus qu'il incombait au savant juge d'aller plus avant et de décider de quelle autre catégorie de meurtre l'homicide du a Fassnacht pouvait relever en vertu des lois du Wisconsin.
Le quatrième argument du requérant était que le savant juge a commis une erreur en refusant d'admettre en preuve une certaine partie du témoignage de Philip Ball relative à une conver sation qu'il avait eue avec le requérant au cours de l'automne 1969. On a soutenu que cette conversation pouvait servir à prouver l'état d'esprit du requérant et, bien qu'elle se rapporte à son point de vue sur un problème donné entre un certain propriétaire et son locataire, elle aurait établi l'état d'esprit du requérant en ce qui concerne ses opinions politiques et son avis sur la façon dont on pourrait apporter des chan- gements aux États-Unis d'Amérique conformé- ment à ses opinions politiques. Ceci aurait ainsi démontré que les infractions en question avaient un motif politique. A l'appui de la demande d'admission en preuve de la déclaration en ques-
tion, on a fait valoir qu'il ressortait de l'exposé de l'accusation que la thèse du requérant sui- vant laquelle ces infractions étaient de nature politique était une invention récente et que cette déclaration était admissible pour réfuter cette insinuation.
A mon avis, c'est à bon droit que le savant juge a refusé d'admettre une telle conversation en preuve.
Il n'y avait aucune raison de recevoir, à la demande du requérant, une déclaration qu'il avait faite plusieurs mois avant la première des infractions en question, comme preuve de son état d'esprit ou de ses motivations à ce moment-là ou à l'égard du sujet de la déclara- tion. Il y avait encore moins de raisons de l'admettre à titre de preuve de son état d'esprit, de ses buts ou de sa motivation plusieurs mois plus tard et à l'égard d'un sujet différent. En outre, puisque la poursuite n'a produit aucune déclaration du requérant qui soit admissible et puisque le requérant n'a pas apporté de preuves de sa motivation, de son état d'esprit ou de ses buts au moment des infractions en question, la poursuite n'a pas soutenu ou n'a pu soutenir, en utilisant les preuves apportées, l'argument sui- vant lequel la version du requérant était une invention récente.
Selon le cinquième argument, le savant juge a commis une erreur de droit en acceptant la contre-preuve soumise par la poursuite après que le requérant eut présenté sa preuve. L'argu- ment avancé sur ce point se fondait sur le fait que, bien que le savant juge ait le pouvoir discrétionnaire de permettre cette contre- preuve, il n'aurait pas le faire parce qu'il était évident, lorsque la poursuite avait présenté sa preuve principale, qu'on soulevait la question de la nature politique des infractions; la preuve détenue par l'accusation sur cette question aurait donc être présentée à ce stade plutôt qu'en contre-preuve. A notre avis, aucun des arguments avancés ne nous permet d'intervenir dans l'usage qu'a fait le juge de son pouvoir discrétionnaire et cette prétention n'est aucune- ment fondée, ce que nous avons souligné à l'audition en ne demandant pas à l'avocat de l'État du Wisconsin de plaider cette question.
Ceci m'amène à la principale question en litige dans cette affaire, à savoir, déterminer si les infractions en question étaient de nature politique au sens de la Loi sur l'extradition. Les conclusions du savant juge portant que les infractions n'étaient pas de caractère politique ont été contestées dans les paragraphes 6 et 7 comme étant erronées en droit
[TRADUCTION] a) en ce que le savant juge a refusé de recevoir la preuve incontestée présentée par la défense selon laquelle les crimes étaient de nature politique et a par même fondé sa décision ou ordonnance sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance; et
b) en ce qu'en décidant que les crimes n'étaient pas de nature politique, il a refusé d'exercer sa compétence prévue à l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
Voici l'article en question:
21. Nul fugitif ne peut être extradé en vertu de la présente Partie, s'il apparaît
a) que le crime au sujet duquel des procédures sont exercées, en vertu de la présente Partie, présente un caractère politique, ou
b) que ces procédures sont exercées en vue de le mettre en jugement ou de le punir pour une infraction qui revêt un caractère politique.
L'avocat du requérant a plaidé les deux argu ments ensemble et, à mon avis, c'est simplement deux façons de présenter la même prétention, savoir, que les conclusions du savant juge por- tant que les infractions en question ne présen- taient pas un caractère politique étaient erro- nées et tirées de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Toutefois, on n'a pas contesté la conclusion du savànt juge selon laquelle les procédures n'avaient pas été exercées pour poursuivre le requérant ou le punir d'une infrac tion à caractère politique et, au cours de la plaidoirie, l'avocat du requérant a préèisé qu'il n'attaquerait en aucune façon cette conclusion particulière du savant juge.
Au cours de l'audition des plaidoiries sur cette question, la Cour a en outre soulevé la question de savoir si le savant juge était compé- tent pour déterminer le caractère politique des prétendues infractions ou pour élargir le requé- rant s'il était d'avis que le caractère politique des offenses avait été démontré. Sur ce point, l'avocat du requérant a estimé que le juge d'ex-
tradition détenait une telle compétence. L'avo- cat de l'État du Wisconsin a soutenu que le juge ne détenait pas cette compétence, mais il a indiqué qu'il préférait que cette Cour statue en confirmant la conclusion du savant juge au fond.
Puisqu'il existe une convention d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, à mon avis, le droit applicable est prévu à l'article 3 de la Loi sur l'extradition qui est rédigé de la façon suivante:
3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe une convention d'extradition, la présente Partie s'applique durant l'existence de cette convention; mais nulle disposi tion de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des conditions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la convention; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter de façon à faciliter l'exécution de la convention.
L'article 10 du Ashburton Treaty, 1842, pré- voyait que:
ARTICLE X
Il est convenu que Sa Majesté britannique et les États- Unis, sur demande mutuelle faite respectivement par eux ou leurs Ministres, fonctionnaires ou autorités, livreront à la justice toute personne qui, accusée du crime de meurtre, ou de tentative de meurtre, ou de piraterie, ou d'incendie, ou de vol, ou de faux, ou d'usage d'un, document faux, commis dans les limites de la juridiction de l'un, cherchera asile ou sera trouvée dans les territoires de l'autre; cela, toutefois, seulement s'il existe une preuve de criminalité qui, sous le régime des lois du lieu le fugitif ou la personne ainsi accusée aura été trouvé, justifierait son arrestation et sa mise en accusation si le crime ou délit avait été commis dans ce lieu; les juges et autres magistrats des deux Gouverne- ments, respectivement, auront le pouvoir, la compétence et l'autorité, en recevant une plainte faite sous serment, d'émettre un mandat d'arrestation contre le fugitif ou la personne ainsi accusée, afin qu'il puisse être amené devant lesdits juges ou autres magistrats, respectivement, pour que soient entendues et examinées les preuves de criminalité; si, à l'audition, les preuves sont estimées suffisantes pour sou- tenir l'accusation, le juge ou magistrat d'instruction devra le certifier à l'autorité exécutive compétente, afin que soit émis un mandat en vertu duquel ledit fugitif sera livré. Les frais de l'arrestation et de la reddition seront supportés et acquit- tés par la partie qui aura fait la demande et à qui le fugitif aura été livré.
Cet accord a précédé l'introduction dans la Loi sur l'extradition de 1877 du précurseur de l'article 21 actuel prévoyant que les fugitifs accusés d'infractions politiques ne seraient pas extradés et l'introduction dans le traité de 1889
de dispositions relatives à cette question. Les dispositions du traité sont rédigées ainsi:
ARTICLE II
Les criminels ne devront pas être livrés si le délit moti- vant la demande d'extradition présentée à leur sujet est de caractère politique ou si l'intéressé prouve que la demande d'extradition a été en fait présentée afin de le mettre en jugement ou de le punir pour un délit d'un caractère politique.
Nul, après avoir été livré par une Haute Partie Contrac- tante à l'autre Haute Partie Contractante, ne sera susceptible d'être mis en jugement, ni ne sera jugé, ni ne sera puni pour un crime ou délit politique ou pour un acte s'y rattachant, qu'il aurait commis antérieurement à son extradition.
S'il s'élève un doute quant à l'application à un cas donné des dispositions du présent Article, la décision des autorités du Gouvernement sous la juridiction duquel le fugitif se trouvera alors sera finale.
ARTICLE III
Nul, après avoir été livré par ou à l'une des Hautes Parties Contractantes, ne sera susceptible d'être jugé ni ne sera jugé pour un crime ou délit commis avant son extradition et autre que le délit pour lequel il aura été livré, avant d'avoir pu rentrer au pays d'où il aura été livré.
Il semble ressortir du deuxième alinéa du texte précédent qu'on peut très bien soulever le caractère politique d'une infraction à titre de défense lors du procès dans l'État requérant, même si l'on ne pouvait s'en prévaloir si la compétence de l'État provenait d'autre chose que de l'extradition du Canada. Mais que cela constitue ou non une défense au procès, il me semble qu'aucune clause du traité n'oblige ni n'autorise un juge d'extradition à statuer sur la question. C'est la preuve de la commission de l'infraction qu'il doit examiner et il doit détermi- ner si elle est suffisante pour justifier l'accusa- tion. Si la preuve est suffisante, il doit incarcé- rer la personne.
A l'article 9, la loi elle-même autorise tous les juges désignés à «agir judiciairement dans les affaires d'extradition sous l'autorité de la pré- sente Partie» et, à cette fin, elle les revêt «de tous les pouvoirs et de la juridiction d'un juge ou magistrat de la province». Toutefois, elle prévoit aussi que rien dans ledit article ne peut s'interpréter de façon à conférer à un juge com- pétence dans les affaires d'habeas corpus. Les
articles 13, 14, 15, 18 et 19 de la Loi sur l'extradition prévoient précisément ce qu'un juge doit faire dans l'exercice de ses fonctions. Ces articles sont ainsi rédigés:
13. Le fugitif doit être amené devant un juge, qui, sous réserve de la présente Partie, entend la cause, de la même manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit devant un juge de paix sous accusation d'un acte criminel commis au Canada.
14. Le juge reçoit sous serment ou affirmation, si l'affir- mation est permise par la loi, le témoignage de tout témoin offert pour prouver la vérité de l'accusation ou le fait de la déclaration de culpabilité.
15. Le juge reçoit, de la même manière, tout témoignage offert pour prouver que le crime dont le fugitif est accusé, ou dont on allègue qu'il a été convaipcu, est une infraction d'une nature politique, ou n'est pas, pour quelque autre motif, un crime entraînant l'extradition, ou que les procédu- res sont exercées dans le but de le poursuivre ou de le punir pour une infraction d'une nature politique.
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé- rer le fugitif . dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con- vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge ordonne qu'il soit élargi.
19. Si le juge fait incarcérer un fugitif, il doit lors de cette incarcération,
a) l'informer qu'il ne sera pas extradé avant l'expiration de quinze jours, et qu'il a le droit de demander un bref d'habeas corpus, et
b) transmettre au ministre de la Justice un certificat de cette incarcération, avec copie de la preuve reçue par lui et non déjà ainsi transmise, et le rapport qu'il juge conve- nable sur l'affaire.
Il convient de remarquer qu'alors que l'article 15 oblige le juge d'extradition à recevoir tout témoignage offert pour prouver le caractère politique d'une infraction etc., aucune de ces dispositions ne lui donne le pouvoir de trancher cette question. D'autre part, étant donné la défi- nition que donnent l'article 2 et la convention d'extradition entre le Canada et les États-Unis, on doit considérer en l'espèce que l'expression «crime entraînant l'extradition» figurant dans ces articles signifie «tout crime décrit dans cette
convention». Quand on lit les articles 13, 14, 15, 18 et 19 avec cette définition à l'esprit, il ne me semble pas que le juge d'extradition soit auto- risé à décider si l'infraction a un caractère politi- que ou que, pour cette raison, il ne s'agit pas d'un crime entraînant l'extradition, ou à élargir le fugitif pour ce motif.
En outre, sans être vraiment incompatible avec la jurisprudence, le pouvoir du juge d'ex- tradition d'élargir le fugitif pour un tel motif n'est pas facilement conciliable avec cette der- nière. Plusieurs arrêts ont été cités dans la déci- sion de cette Cour dans cette même affaire relativement à sa compétence en vertu de l'arti- cle 28. Cette jurisprudence indique qu'un fugitif élargi par un juge d'extradition est susceptible d'être à nouveau arrêté et d'être soumis à de nouvelles procédures d'extradition et, éventuel- lement, à une incarcération en vue d'extradition par un autre juge d'extradition à l'égard de la même infraction et d'après la même preuve. Il pourrait en résulter que la question du caractère politique de l'infraction donne lieu à des déci- sions de différents juges d'extradition devant qui l'affaire pourrait être portée. Il me semble plus compatible et plus facilement conciliable avec la jurisprudence que j'ai mentionnée, de considérer les dispositions exigeant que le juge d'extradition reçoive tout témoignage offert pour prouver que le crime était un crime de caractère politique comme exigeant que le juge reçoive ces témoignages dans le but de les con- signer à l'usage du ministre de la Justice ou d'un tribunal ayant compétence pour statuer sur la question.
Le juge Hawkins a longuement étudié la ques tion dans ses motifs de l'affaire In re Castioni [1891] 1 Q.B. 149, il déclarait, à la page 161:
[TRADUCTION] De plus, au sujet de la question de savoir si le magistrat a le droit d'entendre une personne et d'examiner ses objections à sa détention préventive pour un crime entraînant l'extradition, je n'ai aucun doute que le magistrat n'a ni le droit, ni la compétence de rendre une décision définitive concernant la culpabilité du prisonnier ou le carac- tère politique de. l'infraction. Je désire attirer l'attention sur certaines dispositions de l'Extradition Act. Tout d'abord, en vertu de l'art. 3, un criminel fugitif ne doit pas être extradé si l'infraction au sujet de laquelle son extradition est requise a un caractère politique, comme la trahison et d'autres infractions, ou s'il prouve de façon satisfaisante au magistrat
de police que la requête visant son extradition a en fait été introduite dans le but de le juger pour une infraction à caractère politique. Ces derniers mots tendent sans aucun doute à montrer que sir Charles Russell avait tort de consi- dérer qu'il incombait à ceux qui demandaient l'extradition de démontrer que l'infraction commise n'avait pas un caractère politique, car elle incombe à la personne qui cherche à être élargie pour le motif qu'en fait on requiert son extradition dans le but de la punir pour une infraction à caractère politique; c'est au criminel présumé qu'il incombe de faire cette preuve. Ensuite, il me semble que les art. 9 et 10 ont un certain rapport avec la question du caractère politique de l'infraction dont on accuse une personne. Tout d'abord, l'article 9 prévoit que «Quand le criminel fugitif est traduit devant le magistrat de police, ce dernier a autant que possi ble la même compétence et les mêmes pouvoirs que si le prisonnier était traduit devant lui sous une inculpation d'un acte criminel commis en Angleterre et il doit entendre la cause de la même manière.» S'il était traduit devant un magistrat sous accusation d'un délit criminel commis en Angleterre, la question de savoir si l'infraction pour laquelle il est poursuivi a un caractère politique n'entraînerait aucune différence. Mais, en vertu de cet article, le magistrat doit le traiter comme si l'infraction qui lui est imputée était un acte criminel commis en Angleterre. Par la suite, l'article prévoit aussi que «le magistrat de police doit» non pas décider si l'infraction a un caractère politique, mais il «doit recevoir toute preuve qu'on peut apporter pour prouver que le crime dont le prisonnier est accusé ou dont on allègue qu'il a été convaincu, est une infraction à caractère politique ou n'est pas un crime entraînant l'extradition.» Il me semble que la façon dont cette partie de l'article 9 est rédigée indique que la charge de la preuve incombe à la personne qui cherche à se faire disculper ou à se faire dispenser de l'obligation d'être remis au gouvernement sur le territoire duquel le crime a été commis. A l'appui de ce que je vais dire sur la compétence du magistrat, je trouve l'art. 10 qui, à mon avis, est de première importance: «Dans le cas d'un criminel fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, si le mandat étranger autorisant l'arrestation d'un tel criminel est régulièrement légalisé, et qu'on présente des preuves qui (sous réserve des dispositions de la loi) selon le droit anglais, justifieraient l'incarcération préventive du prisonnier si le crime dont il est accusé avait été commis en Angleterre, le magistrat de police doit l'incarcérer; s'il en est autrement, il doit ordonner son élargissement.» Ces articles ne semblent pas accorder au magistrat lui-même le pouvoir de traiter ces questions d'une façon autre que la suivante: il doit examiner si le crime est un crime qui, s'il avait été commis en Angle- terre, aurait nécessairement impliqué que le juge, dans l'exer- cice de ses fonctions, fasse incarcérer la personne. Si c'est le cas, il doit la faire incarcérer; mais, comme je l'ai déjà indiqué, l'art. 9 l'oblige à recevoir toute preuve qui peut être offerte pour prouver que le crime est de caractère politique. Cette exigence est analogue aux dispositions du Russell Gurney's Act (30 et 31 Vict., c. 35) selon lesquelles, si un prévenu désire appeler des témoins à l'appui de la défense qu'il a l'intention de présenter quand il sera traduit en justice, il incombe au magistrat de recevoir cette preuve et de la transmettre au tribunal devant lequel le prisonnier sera en définitive traduit. A l'appui de mon point de vue, je trouve l'article 11 qui est rédigé ainsi: «Si le magistrat de
police fait incarcérer un criminel fugitif, il doit l'informer qu'il ne sera pas extradé avant l'expiration d'un délai de quinze jours et qu'il a le droit de demander un bref d'habeas corpus», ce qui peut très bien signifier ceci: «J'ai le pouvoir de vous faire incarcérer parce que je suis convaincu que vous êtes coupable d'un crime auquel le traité et la Loi sur l'extradition s'appliquent; vous avez le droit de présenter toute preuve tendant à démontrer que vous êtes un criminel qui ne doit pas être extradé parce que votre délit, même si vous l'avez effectivement commis, avait un caractère politi- que. Je recueillerai la preuve en votre nom. Vous avez quinze jours pour faire une demande de mise en liberté si vous jugez approprié de présenter une requête d'habeas corpus». La suite de l'article 11 indique que ce n'est pas le magistrat qui doit trancher ces questions mais le ministre de l'Intérieur qui doit décider si le prévenu doit être finalement extradé car la seconde partie dudit article se lit comme suit: «A l'expiration d'un délai de quinze jours, ou, si un bref d'habeas corpus a été délivré, après que la Cour a statué sur ce dernier, selon le cas, ou après toute autre période qui a pu être accordée dans l'un ou l'autre cas par un Secrétaire d'État, ce dernier pourra avec un mandat sous ses seing et sceau ordonner de livrer le criminel fugitif (s'il n'est pas extradé à la suite de la décision de la Cour) à toute personne qui, à son avis, est dûment autorisée à le recevoir.» Telles sont les dispositions de la loi. Elles suffisent amplement à me convaincre que la décision du magistrat n'est en aucune façon définitive, que ce soit en droit ou en fait, et que, quand on considère ces questions en vue d'un habeas corpus, si les juges doivent examiner l'affaire, ils doivent le faire en l'état elle se trouve au moment ils l'exami- nent. Je pense qu'en examinant la question, bien que le point de vue du magistrat soit pris en considération, nous ne sommes pas tenus de le suivre aux dépens du criminel si, vu l'état global de l'affaire qui nous est présentée, nous con- cluons que le crime n'a pas été commis et qu'il n'y en a aucune preuve à première vue, ou que le criminel ne doit pas être remis à son propre gouvernement pour être traduit en justice car bien que son infraction soit un crime, il s'agit d'un crime à caractère politique. (Les italiques sont de moi.)
La question fait aussi l'objet d'une étude aux pages 46 et 101 de l'ouvrage de Piggott On Extradition (1910). Le système relatif à l'extra- dition en vertu de la Loi anglaise est semblable à celui établi en vertu de la Loi canadienne, mais il existe des différences notables dans plu- sieurs dispositions. On trouve à l'article 3(1) de la Loi anglaise des dispositions recouvrant à peu près le même domaine que l'article 21 de la Loi canadienne. A ce sujet, Piggott écrit à la page 46:
[TRADUCTION] Je vais tout d'abord tenter d'éclaircir l'art. 3(1) sans l'aide de la jurisprudence. Conformément aux règles ordinaires d'interprétation, on doit interpréter cette disposition uniquement à la lumière de ce qui la précède. Étant donné que l'art. 3 contient des directives générales, sous forme de restrictions, relatives à la remise des crimi-
nels fugitifs, il s'ensuit que toutes les personnes habilitées à jouer un rôle actif dans la remise doivent se conformer à la première partie du par. (1). Ces personnes habilitées sont le Secrétaire d'État, en vertu des pouvoirs que lui confère la loi, et le tribunal dans l'exercice de sa compétence en vertu de la common law. Le magistrat n'entre pas en jeu à ce stade car la loi le traite simplement comme une partie du mécanisme et il n'a aucun autre pouvoir que ceux que lui confère la loi et que nous allons examiner maintenant.
et à la page 101:
[TRADUCTION] Le deuxième alinéa de l'art. 9 traite aussi de la preuve à l'audience. Il prévoit que le magistrat peut recevoir tout élément de preuve démontrant que le crime dont le prévenu a été accusé ou convaincu est une infraction à caractère politique ou n'est pas un crime entraînant l'extradition.
Il convient de remarquer que cette disposition impose deux restrictions: en premier lieu, en ce qui concerne la recevabilité de la preuve, elle ne mentionne que deux domai- nes précis; en deuxième lieu, cette disposition ne se rapporte qu'à la recevabilité de la preuve et ne donne pas expressé- ment au magistrat le pouvoir d'élargir le fugitif en se fondant sur cette preuve.
L'alinéa susmentionné est complété par la disposition de l'art. 3(1) selon laquelle le prévenu peut convaincre le magis- trat «que la requête visant son extradition a en fait été présentée dans le but de le juger ou de le punir pour une infraction à caractère politique», c'est-à-dire que ce dernier peut recevoir tout élément de preuve présenté par le pré- venu à cet égard. Le magistrat doit dire s'il a été convaincu: en d'autres mots, il doit exprimer une opinion fondée sur cette preuve; mais, comme dans le cas de l'art. 9, le magis- trat ne reçoit pas le pouvoir exprès d'élargir le prévenu si sa conviction est acquise sur ce point. Le paragraphe prévoit qu'«il ne doit pas être extradé» mais, comme on l'a déjà souligné, il s'agit de directives adressées aux fonctionnaires de l'exécutif. Aux fins de cette discussion, déterminer si les deux parties de l'art. 3(1) se rapportent à la même question est sans importance.
Le point de vue du juge Hawkins que j'ai cité ci-dessus a été critiqué dans l'arrêt R. v. Hollo- way Prison; in re Siletti (1902) 71 L.J.K.B. 935, en ce qui concerne la portée des preuves relati ves à la perpétration d'un crime qu'un tribunal peut exercer au cours d'une procédure d'habeas corpus. Le juge en chef, Lord Goddard, a réexa- miné cette question à la demande du procureur général dans l'affaire Regina c. Governor of Brixton Prison, ex parte Kolczynski [1955] 1 All E.R. 31, il a exprimé un point de vue diffé- rent sur le pouvoir du magistrat de décider du caractère politique de l'infraction et de l'élargis- sement du fugitif pour ce motif. Toutefois, le point de vue de Lord Goddard se fondait, au moins en partie, premièrement sur la rédaction
de l'article 3(1) de la loi anglaise qui prévoit, en ce qui concerne ce qu'on a appelé la deuxième partie de la restriction de l'article 3(1), que le fugitif ne sera pas extradé
[TRADUCTION] ... s'il réussit à convaincre le magistrat de police ou la cour devant qui il a intenté son action en habeas corpus ou à convaincre le Secrétaire d'État que la requête visant son extradition a en fait été présentée dans le but de le juger ou de le punir pour une infraction à caractère politique.
C'est sur cette partie de l'article 3(1) que l'af- faire Kolczynski devait être jugée. Deuxième- ment, Lord Goddard se réfère à la rédaction du mandat d'incarcération, prévu par la loi anglaise, qui prescrit:
[TRADUCTION] ... et attendu que les arguments avancés ne m'ont pas convaincu qu'il ne devrait pas être livré .. .
On ne trouve ni dans la Loi canadienne ni dans le traité en question en l'espèce de texte sembla- ble à cette partie de l'article 3(1) que je viens de citer; d'autre part, la formule canadienne du mandat d'incarcération est différente de la for- mule prévue par la loi anglaise. Voici la rédac- tion de la formule du mandat dans la Loi canadienne:
... et attendu que j'ai décidé qu'il serait livré conformément à ladite loi, parce qu'il a été accusé (ou convaincu) du crime de ... dans la juridiction de ... .
Je considère que ceci n'a pas d'effet sur la question et qu'on ne peut en déduire que le juge d'extradition canadien a le pouvoir de détermi- ner le caractère politique d'une infraction. Je ne pense donc pas qu'on doit considérer que l'arrêt Kolczynski est déterminant sur la question à trancher en vertu de la Loi canadienne. Je suis aussi d'avis que le juge Wurtele se prononçait sur une question qu'il n'avait pas à décider pour trancher le litige qui lui était soumis, lorsque dans l'arrêt Re Louis Levi (1897) 1 C.C.C. 74, à la page 77, il affirmait ce qui suit:
[TRADUCTION] En conséquence, quand on traduit une per- sonne présumée être un criminel fugitif devant un commis- saire à l'extradition, ce dernier devrait admettre tout témoi- gnage tendant à démontrer que l'infraction est politique ou qu'il ne s'agit pas d'un crime entraînant l'extradition. Si on conclut que l'infraction a un caractère politique ou qu'elle n'est pas un crime entraînant l'extradition, le prévenu doit être élargi; mais, autrement, si la preuve est telle qu'elle entraînerait l'incarcération préventive au Canada ou qu'elle indique que le prévenu a été reconnu coupable, il incombe
au commissaire à l'extradition d'envoyer le fugitif en prison en attendant la requête appropriée du gouvernement étran- ger et le mandat du ministre de la Justice pour son extradition.
En outre, je ne pense pas qu'on doive considé- rer une déclaration faite dans un contexte de commentaires généraux sur la procédure comme une opinion motivée sur la question. Il convient aussi de remarquer que le juge Wurtele ne dit pas expressément qui doit élargir le fugitif. Dans l'ensemble, pour les motifs que j'ai donnés, j'es- time qu'au Canada, la loi n'accorde pas au juge d'extradition le pouvoir de trancher la question ou d'élargir un fugitif au motif que l'infraction a un caractère politique. Il me semble qu'on peut en déduire qu'étant convaincu que la preuve relative aux infractions suffisait à justifier l'in- carcération préventive prévue à l'article 18(1)b), le savant juge ne peut avoir commis d'erreur de droit en lançant son mandat, quelles que soient ses conclusions sur ce que la preuve révélait quant au caractère politique des infractions. En outre, puisque cette Cour n'est pas compétente en matière d'habeas corpus et qu'elle ne peut examiner la décision du savant juge en l'espèce qu'en ce qui concerne l'exactitude de cette déci- sion en droit, je ne pense pas que cette Cour puisse, dans une demande de ce genre, étudier et trancher la question du caractère politique de l'infraction dans le but de déterminer la légalité de l'incarcération du requérant, comme le font constamment les tribunaux anglais dans les affaires d'extradition et dans les procédures d'habeas corpus.
A mon avis, cette conclusion suffit à régler l'ensemble de la question soulevée par cette demande en ce qui concerne le caractère politi- que des infractions, mais, étant donné que la question a été véritablement plaidée au fond, je vais brièvement exprimer mon point de vue à cet égard au cas cela aurait une certaine importance si l'on interjetait appel de la déci- sion. Pour ce faire, je vais présumer que le savant juge a la compétence nécessaire pour trancher la question, sinon de manière défini- tive, du moins dans le but de pouvoir décider s'il doit lancer un mandat d'extradition. Il convient aussi de rappeler que l'étendue du pouvoir
d'examen que détient cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en ce qui concerne les faits, ne comprend pas l'adop- tion de conclusions de faits, ou le renversement de conclusions de faits au motif qu'elles se fondent sur une mauvaise appréciation des preuves, ou le pouvoir de substituer son appré- ciation des faits à celle du juge d'extradition; la Cour ne peut que décider si l'appréciation des faits par le juge est compatible avec les élé- ments portés à sa connaissance.
A la lecture des motifs du savant juge, il ressort qu'après avoir cité des extraits d'un cer tain nombre d'arrêts, il a considéré deux aspects de la question. Il a tout d'abord considéré le point de savoir si l'on avait démontré que les infractions étaient reliées directement à des acti- vités politiques et, sur ce point, il a rejeté l'opi- nion d'un certain nombre de témoins appelés à déposer sur cette question comme il était fondé à le faire et comme, à mon avis, il a eu raison de le faire.
Ces témoins ont invoqué le mécontentement général et les manifestations contre la participa tion du gouvernement des États-Unis et de ses forces militaires dans la guerre du Vietnam ainsi que la mise en cause par certaines couches de la société américaine du système capitaliste aux États-Unis et de la prétendue influence du gou- vernement des États-Unis et des compagnies américaines dans d'autres parties du monde. Ils ont aussi mentionné les manifestations de grou- pes de ce genre dans différentes parties des États-Unis depuis un certain nombre d'années et, en particulier, les réunions, les manifesta tions, les contestations, les émeutes et les dom- mages causés aux biens qui se sont produits à Madison au cours de la même période, précisé- ment sur le campus de l'Université du Wiscon- sin et, plus exactement, les dommages causés aux trois des quatre bâtiments mentionnés dans les actes d'accusation d'incendie volontaire portés contre le requérant. Ces trois bâtiments étaient utilisés entièrement ou en partie à des fins militaires ou ils étaient reliés aux forces armées des•États-Unis; deux d'entre eux étaient utilisés pour le R.O.T.C. et le Sterling Hall ser- vait les fins du Centre de recherches mathémati- ques de l'Armée.
Le savant juge a ensuite mentionné que, de tous les témoins appelés, un seul connaissait le requérant et uniquement par l'intermédiaire du Mâdison Tenants Union. Il a ensuite décidé qu'il lui était impossible de déduire de la preuve soumise que le requérant avait participé à des activités politiques qui ont provoqué des atten- tats à la bombe. Étant donné le peu d'éléments de preuve permettant d'établir un lien entre le requérant et les activités qui, selon les témoins, se sont produites à Madison (Wisconsin) et dans d'autres parties des États-Unis et sur lesquelles ils voulaient s'appuyer pour établir le contexte politique dans lequel les infractions avaient été commises ainsi que leur caractère politique, et eu égard aussi au fait que le requérant n'a déposé aucune preuve dont on puisse, s'il avait effectivement témoigné, déduire ses buts et motivations en commettant les infractions, s'il les a effectivement commises, ainsi que sa parti cipation aux activités décrites, je ne suis pas surpris que le savant juge ait conclu qu'il ne devait pas inférer que le requérant avait parti- cipé aux activités politiques qui ont donné lieu aux attentats à la bombe et je ne pense pas que la preuve implique nécessairement une telle conclusion.
Étant donné que le meurtre et l'incendie volontaire ne sont ni en soi, ni ordinairement des infractions à caractère politique et qu'on a toujours décidé que l'existence d'un but ou d'un motif politique était nécessaire pour caractériser une infraction comme ayant un caractère politi- que, ce trait n'étant toutefois pas suffisant seul, le savant juge n'avait pas, à mon avis, à cher- cher plus avant pour établir que les infractions en question en l'espèce n'avaient pas un carac- tère politique.
Toutefois, il ressort de la lecture des motifs du savant juge qu'il a aussi examiné si l'on cherchait à extrader le requérant pour pouvoir le juger ou le punir pour des infractions autres que les infractions de meurtre et d'incendie volontaire en question prises sous leur aspect criminel habituel, tel que le décrit le vicomte Radcliffe dans l'arrêt Schtraks c. The Govern ment of Israel [1964] A.C. 556. Ce faisant, il a exposé des aspects de la preuve dont il pouvait, à mon avis, conclure à bon droit, comme d'ail-
leurs il l'a fait, qu'on ne cherchait pas à faire extrader le requérant pour, d'autres motifs. Il a ensuite constaté que les infractions, objet des procédures, n'avaient pas de caractère politique et que ces procédures n'avaient pas été insti- tuées dans le but de poursuivre ou de punir le requérant pour une infraction à caractère politique.
Dans le seul domaine susceptible d'examen devant cette Cour, c'est-à-dire, la légalité de la première de ces conclusions, savoir, que les infractions n'avaient pas un caractère politique, j'estime qu'on ne peut pas dire que cette conclu sion a été tirée sans tenir compte de la preuve ou que le savant juge n'a pu arriver à cette conclusion qu'en commettant une erreur de droit.
J'estime que le savant juge a refusé à bon droit de conclure, vu la preuve à sa disposition, que 'le requérant avait participé à des activités politiques qui ont conduit aux infractions en question. Il disposait aussi de preuves suffisan- tes pour déduire que le requérant n'était pas un réfugié politique mais simplement un individu recherché par la justice à l'égard des infractions en question vues sous leurs aspects ordinaires. En outre, les infractions présumées ont affecté la propriété de l'État du Wisconsin mise à la disposition d'une Université et la personne du Di Fassnacht; on ne pouvait les considérer que de très loin, et dans le cas de trois des quatre bâtiments en cause, comme des infractions visant le gouvernement des États-Unis ou ses organismes militaires. Chaque fois, la principale victime était le propriétaire du bien en cause et, dans le cas de Sterling Hall, le D' Fassnacht aussi. Dans chaque cas, si l'on doit considérer les éléments de preuve contenus dans chaque pièce, le but était d'obliger les autorités univer- sitaires à supprimer la présence de l'armée sur le campus. Si l'on peut considérer ces actions comme des insurrections, il me semble qu'il s'agit d'insurrections contre la direction de l'Université plutôt que contre le gouvernement des États-Unis. Dans trois cas, les infractions commises visaient des bâtiments ayant certains rapports avec les forces armées américaines, mais, à mon avis, dans chaque cas on pourrait considérer ces infractions comme étant compa-
rabies au cas de quelqu'un qui, en attaquant une banque pour obtenir de l'argent pour fomenter une révolution, détruit incidemment des biens du gouvernement ou tue un soldat au cours d'un vol qualifié. Je ne pense pas qu'il soit certain ou même probable qu'un tel crime ait un caractère politique. Enfin, il convient de remarquer que, dans chaque cas, la prétendue infraction s'est produite la nuit quand tout était calme par ail- leurs et non au cours de désordres politiques ou d'une révolution et qu'en aucun cas, l'infraction n'a été suivie de désordres politiques ou d'une révolution. A mon avis, ceci constitue l'ensem- ble des caractéristiques de l'affaire ainsi qu'elles ressortent des éléments portés à la connaissance du savant juge. A mon avis, elles suffisent à soutenir une conclusion selon laquelle les infractions n'avaient pas de caractère politique au sens de l'article 21. Étant donné que cette Cour n'a pas le pouvoir d'intervenir dans la conclusion du savant juge au motif qu'elle reflète une mauvaise appréciation des preuves, il n'y a pas lieu d'exprimer une opinion sur cette question, ni d'intervenir dans la conclusion du savant juge.
Je voudrais toutefois faire une dernière obser vation. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si le savant juge a eu raison de décider qu'il incombait à la poursuite de démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une infraction à caractère politique. Si cette décision est erronée et si la charge de la preuve a eu une influence sur le jugement, elle a simplement indûment favorisé le requérant.
Je rejette la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON a souscrit à l'avis.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET—J'ai eu l'avan- tage de lire les motifs de Monsieur le juge Thurlow, auxquels je souscris. J'aimerais toute- fois ajouter certains commentaires personnels.
Le requérant, Karleton Lewis Armstrong, a été inculpé, au Wisconsin, un des États-Unis d'Amérique, des infractions suivantes: un meur- tre du premier degré, contrairement à l'article 940.01(1) de la codification des lois du Wiscon- sin, à la suite d'un attentat à la bombe dans un
des bâtiments de l'Université déclaré propriété de l'État du Wisconsin et quatre autres accusa tions d'incendie des bâtiments de l'Université déclarés propriété dudit État.
Il a été appréhendé au Canada et il a fait l'objet d'une requête en extradition. Monsieur le juge H. Waisberg a entendu cette requête et signé un mandat d'incarcération le 30 juin 1972.
Une demande a été introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir l'examen et l'annulation de la décision du juge Waisberg.
On a avancé que le juge d'extradition a commis les erreurs suivantes:
[TRADUCTION] ler point. Il a déclaré admissibles certains affidavits et les a pris en considération sans accorder au requérant l'occasion de contre-interroger les témoins qui ont déposé au moyen de ces affidavits.
2e point. Il a refusé de décider s'il y avait des preuves suffisantes pour justifier l'extradition du requérant ou l'accusation précise pour laquelle on demandait l'extradi- tion, savoir, un meurtre du premier degré.
3e point. Il a décidé que les faits qu'on lui avait soumis constituaient un commencement de preuve d'un meurtre au Canada.
4e point. Il a refusé d'inclure dans les éléments de preuve une partie du témoignage de Philip Ball relative à une conversation de ce dernier avec le requérant au cours de l'automne 1969.
5e point. Il a accepté la contre-preuve soumise par l'État du Wisconsin après que le requérant eut soumis sa preuve.
6e point. Il a refusé d'accepter la preuve non contredite présentée par la défense selon laquelle les crimes avaient un caractère politique; il a, par la même, fondé sa décision ou ordonnance sur une conclusion de faits erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
7e point. Il a décidé que les crimes n'avaient pas un caractère politique en refusant, en conséquence, d'exercer la compétence que lui accorde l'art. 21 de la Loi sur l'extradition et en commettant une erreur de droit en rendant sa décision ou ordonnance.
Il sera plus commode de se rapporter à ces différents points selon les numéros ci-dessus.
Bien qu'à l'origine aucune des parties n'ait soulevé cette question, une question supplémen- taire a été traitée en appel, savoir, si le juge d'extradition est compétent pour se prononcer sur l'existence ou l'absence du «caractère politi- que» en décidant de lancer un mandat d'incarcération.
L'article 21 de la Loi sur l'extradition est rédigé ainsi:
21. Nul fugitif ne peut être extradé en vertu de la présente Partie, s'il apparaît
a) que le crime au sujet duquel des procédures sont exercées, en vertu de la présente Partie, présente un caractère politique, ou
b) que ces procédures sont exercées en vue de le mettre en jugement ou de le punir pour une infraction qui revêt un caractère politique.
L'avocat du requérant a admis que les procé- dures intentées dans le Wisconsin ne visaient pas à le mettre en jugement ou à le punir d'une infraction à caractère politique. En consé- quence, l'alinéa b) de l'article 21 ne s'applique pas.
En ce qui concerne les deuxième, troisième, quatrième et cinquième points, j'estime qu'il suffit de dire qu'à mon avis, le savant juge d'extradition n'a pas commis d'erreur.
En ce qui concerne le premier point, on a avancé que les articles la) et 2e) de la Déclara- tion canadienne des droits ont rendu inopérant l'article 16 de la Loi sur l'extradition. Subsidiai- rement, on a avancé que, si l'article 16 n'était pas inopérant, le juge n'aurait accepter les affidavits prévus à cet article qu'avec certaines réserves, pour se conformer aux articles sus- mentionnés de la Déclaration canadienne des droits.
L'article 16 de la Loi sur l'extradition est rédigé ainsi:
16. Les dépositions ou déclarations reçues dans un État étranger, sous serment ou sous affirmation, si l'affirmation est permise par la loi de cet État, et les copies de ces dépositions ou déclarations, et les certificats ou les pièces judiciaires étrangers établissant le fait d'une déclaration de culpabilité, peuvent, s'ils sont régulièrement légalisés, être reçus en preuve dans toutes procédures en vertu de la présente Partie.
Voici les extraits de la Déclaration cana- dienne des droits qu'on a faits valoir au nom de l'appelant:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le
droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter- préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, res- treindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'ap- pliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
Selon mon interprétation, l'avocat du requé- rant a admis que, jusqu'à l'adoption de la Décla- ration canadienne des droits, toute la jurispru dence pertinente portait que, dans les procédures d'extradition, on pouvait recevoir tous les affidavits régulièrement légalisés men- tionnés à l'article 16 de la Loi sur l'extradition et agir en conséquence sans contre-interroga- toire ou confrontation des déposants. Toutefois, il a ajouté que l'adoption de la Déclaration des droits a modifié la situation.
Dans l'arrêt Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889, le juge Ritchie déclarait la page 916):
... je préfère fonder ma conclusion sur le fait que, à mon avis, le sens des termes de la Déclaration des droits est le sens qu'ils avaient au Canada au moment de l'adoption de la Déclaration; par conséquent, à mon avis, l'expression «application régulière de la loi,, employée à l'article 1(a) doit s'interpréter comme signifiant «selon les voies de droit reconnues par le Parlement et par les tribunaux canadiens,,.
Le juge en chef Fauteux a souscrit à ce point de vue.
En toute déférence, il me semble que ce point de vue est confirmé par la version française. Dans l'arrêt Curr c. La Reine (précité), le juge Laskin, aux motifs duquel les juges Hall, Spence et Pigeon ont souscrit, déclarait notam- ment la page 896):
En ce qui concerne la portée des alinéas (a) et (b) de l'article 1 et, en fait, celle de l'art. 1 au complet, je signale, d'abord, que cet article exerce une influence sur la législa- tion fédérale du fait qu'il est mentionné indirectement à l'art. 2; deuxièmement, je n'interprète pas cet article comme s'appliquant uniquement lorsque existe l'une ou l'autre forme de discrimination interdite. La discrimination interdite est plutôt une norme supplémentaire que la législation fédé- rale doit respecter. En d'autres termes, une loi fédérale qui
ne viole pas l'article 1 en ce qui concerne l'un ou l'autre des genres interdits de discrimination, peut néanmoins le violer si elle porte atteinte à l'un des droits garantis par les alinéas (a) à (f) de l'art. 1.
(P. 897) II faut lire l'expression «application régulière de la loi» dans son contexte, eu égard au texte de l'alinéa (a) de l'art. 1 qui la précède. En l'espèce, c'est par rapport au «droit de l'individu à ... la sécurité de la personne» qu'elle e s t invoquée. De toute évidence, interpréter l'expression «application régulière de la loi» comme signifiant simple- ment qu'il doit y avoir un fondement légal permettant de diminuer ou de restreindre la sécurité de la personne, équi- vaudrait à en faire une simple déclaration.
(P. 898) Du point de vue de la procédure, je ne puis voir ce que l'alinéa (a) de l'art. 1 peut viser en plus de ce que comprennent déjà l'alinéa (e) de l'art. 2 («une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fonda- mentale») et l'alinéa (f) de l'art. 2 («une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non i préjugé»).
(P. 899) A supposer que grâce à la disposition «ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi», il est possible de contrôler le fond de la législation fédérale—question qui n'a pas directement été soulevée dans l'affaire Regina c. Drybones—il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi (pat opposition à une compé- tence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des normes objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les tribunaux, si on veut que l'application régulière dont il est question à l'alinéa (a) de l'art. 1, permette d'annuler une loi fédérale par ailleurs valide.
Quelle que soit l'interprétation de l'expression «que par l'application régulière de la loi» figu- rant à l'article 1 a), lorsque le juge d'extradition reçoit des dépositions légalisées faites dans un État étranger sous serment, sans contre-interro- gatoire des déposants, et qu'il agit en consé- quence, il n'a pas agi contrairement au proces- sus judiciaire reconnu par le Parlement et les tribunaux canadiens du moins jusqu'au moment de la promulgation de la Déclaration des droits. Il faisait précisément ce que le Parlement lui permettait de faire et ce que l'avocat de l'appe- lant a admis être conforme à la jurisprudence antérieure à la Déclaration canadienne des
droits, si j'interprète correctement ce qu'il a déclaré.
L'article 16 est une disposition de nature générale, applicable à quiconque est partie à des procédures d'extradition, quels que soient sa race, sa nationalité d'origine, sa couleur, sa reli gion ou son sexe.
L'article 1 a) de la Déclaration canadienne des droits prévoit qu'une personne ne doit pas se voir priver «du droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens», si ce n'est «par l'appli- cation régulière de la loi». J'estime que dans un pays civilisé, les lois sont appliquées confor- mément aux principes de justice naturelle et les cours fonctionnent conformément à ce même principe, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne du fugitif n'est pas déterminé au cours des procédures d'extradi- tion. Si l'on ordonne l'extradition, c'est l'État requérant l'extradition qui devra fixer ces droits.
A mon avis, l'avocat du requérant n'a en aucune façon prétendu que dans l'État du Wis- consin les lois ne sont pas appliquées conformé- ment aux principes de justice fondamentale ou que les tribunaux ne fonctionnent pas confor- mément auxdits principes, ni que l'appelant n'y subirait pas un juste procès.
Toutefois, ceci ne résoud pas la question. Si l'article 16 de la Loi sur l'extradition prive en fait l'appelant de son droit à une audition impar- tiale conforme aux principes de la justice fonda- mentale au cours de la procédure d'extradition, il en résulte que, Vu l'article 20 de la Déclara- tion canadienne des droits, l'article 16 n'a plus d'effet.
Le contre-interrogatoire est important pour chercher la vérité et éclaircir les faits. C'est une garantie importante. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut retirer à la légère.
Par ailleurs, une procédure d'extradition est inhabituelle. Elle ne consiste pas à la détermina- tion définitive de la culpabilité ou de l'inno- cence. Elle n'est pas irrévocable. Ceci ressort manifestement des articles 13 et 16 qui rappro- chent cette procédure d'une enquête prélimi-
paire. En outre, il ressort implicitement de la loi que si le fugitif est remis à l'État requérant, c'est à cet État qu'il appartiendra de statuer sur sa culpabilité ou son innocence.
En conséquence, ce qui est obligatoire au cours d'une ou de plusieurs procédures il est statué en dernier ressort sur une accusation dans le pays l'accusation a été portée, n'est pas nécessairement obligatoire au cours d'une audition en matière d'extradition.
A l'époque actuelle la rapidité et la facilité de communication entre les pays augmentent sans cesse et il n'est pas extraordinaire qu'un crime ait des aspects internationaux, le bien commun exige que les procédures d'extradition soient efficaces et pratiques. L'introduction dans les procédures d'extradition de tout un arsenal de garanties visant la protection de l'ac- cusé devant un tribunal qui doit statuer sur sa liberté n'est pas toujours nécessaire et même elle pourrait avoir, dans certains cas, un résultat si gênant que cela rendrait en fait les procédures inefficaces.
Ceci ne veut pas dire que la justice devrait céder à l'opportunité. C'est un lieu commun de dire que, selon le concept et la philosophie du droit généralement admis dans notre culture, si, dans une situation donnée, la justice n'est pas compatible avec l'opportunité, il faut choisir la justice.
Ce que l'on exige, c'est un équilibre appro- prié, pratique et viable. Il me semble que l'article 16 respecte cet équilibre et que, bien qu'il ait été adopté il y a de nombreuses années, il permet toujours de résoudre les problèmes actuels. J'estime que dans cet article le réalisme et la justice sont associés. Il convient aussi de noter que ces dispositions s'appliquent non seu- lement à l'État requérant mais aussi au fugitif.
Si les prétentions de l'avocat selon lesquelles l'article 16 prive une personne de son droit à une audition impartiale conforme aux principes de justice naturelle étaient exactes, les affaires dans lesquelles l'article 16 a été invoqué avant la promulgation de la Déclaration canadienne des droits seraient-elles fondées sur l'injustice? Ce qui ressort de la preuve en l'espèce est trop
insuffisant pour nous permettre de conclure de la sorte.
L'article 16 de la Loi sur l'extradition a été «dûment adopté par le Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gou- vernement responsable, lequel constitue le fon- dement de l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867». En outre, c'est une disposition légis- lative assez ancienne. Elle a résisté à l'épreuve du temps. «Il faudrait avancer des raisons con- vaincantes pour que la Cour soit fondée» à conclure que les termes très généraux des arti cles de la Déclaration canadienne des droits mentionnés suffisent à l'annuler. Sans aucun doute, le jugement d'une seule personne ne sau- rait annuler la décision du Parlement qui ressort de cet article. Il faut quelque chose de beaucoup plus solide que l'argument selon lequel la possi- bilité de contre-interroger les déposants n'existe pas.
Je sais bien que l'avocat du requérant a fait valoir que tout ce que le Parlement avait à faire, c'était de déclarer expressément que la Loi sur l'extradition devait s'appliquer nonobstant la Déclaration canadienne des droits. Il va de soi que ceci présuppose que le Parlement a consi- déré qu'antérieurement il avait violé les princi- pes de justice naturelle. Si le Parlement avait légiféré de cette façon, ce serait la seule conclu sion possible. A mon avis, rien n'impose une telle conclusion.
L'avocat du requérant a suggéré subsidiaire- ment que, si l'on admettait les affidavits en vertu de l'article 16, on devait y mettre certai- nes conditions et il a présenté ses suggestions à cet égard.
L'article 16 n'exige en aucune façon que le juge d'extradition ajoute ces conditions. La Loi sur l'extradition ne prévoit pas de mécanisme relatif à ces conditions ni de modalités pour leur application.
A mon sens, la discrétion dont jouit le juge en vertu de l'article 16 - ne va pas jusqu'à lui donner le pouvoir de créer un mécanisme visant l'exé- cution de conditions, en particulier si elle exi- geait des procédures qui n'existent pas dans un
État étranger et que le juge d'extradition n'a pas le pouvoir de créer.
A mon avis, lorsque le savant juge d'extradi- tion a reçu les affidavits conformément à l'article 16 de la Loi sur l'extradition et a agi en conséquence, l'appelant n'a pas été privé de l'application régulière de la loi, ni de la justice fondamentale pour la définition de ses droits et obligations.
Les points 6 et 7 du requérant sont étroite- ment liés. L'un et l'autre ont trait aux arguments de l'appelant selon lesquels les infractions à l'égard desquelles on a institué les procédures en vertu de la Loi sur l'extradition ont un carac- tère politique au sens de l'article 21 de ladite loi.
Sans prétendre épuiser la jurisprudence perti- nente, les arrêts In re Castioni [1891] 1 Q.B. 149 et Schtraks c. Government of Israel [1964] A.C. 556 contiennent des déclarations importantes.
Dans l'arrêt In re Castioni, le juge Denman déclarait:
[TRADUCTION] (P. 156) Je pense que, pour que ces disposi tions législatives s'appliquent aux circonstances de cette affaire et pour qu'une infraction telle que le meurtre, qui entraîne normalement l'extradition, ne reçoive pas cette sanction, il faut au moins démontrer que l'infraction a été commise au cours d'un événement politique, au cours d'un soulèvement à caractère politique ou au cours d'une lutte entre deux factions pour la prise du pouvoir dans l'État, dans le but d'aider un mouvement politique en prenant position de façon manifeste.
(P. 159) La question revient en fait à déterminer si, d'après les faits, il ressort clairement que la personne s'est livrée, avec d'autres, à des actes de violence à caractère politique, dans un but politique et dans le cadre d'un mouvement ou d'une insurrection politique auxquels elle prenait part.
Dans l'arrêt Schtraks, Lord Reid déclarait:
[TRADUCTION] (P. 583) Nous ne pouvons rechercher si un «criminel fugitif» a été mêlé à une bonne ou à une mauvaise cause. Un membre fugitif d'un gang qui a commis une infraction au cours d'un putsch raté relève autant de la loi qu'un partisan de Garibaldi. Mais l'auteur d'une infraction commise au cours d'une lutte politique n'a pas toujours droit à cette protection. Si une personne se prévaut de sa qualité d'insurgé pour assassiner une personne contre qui il a un grief, je ne pense pas qu'on puisse appeler cela une infrac tion à caractère politique. Il me semble donc que le motif et les buts de l'accusé qui a commis l'infraction doivent être pertinents et qu'ils peuvent être décisifs. C'est une chose que de commettre une infraction dans le but de faire avan-
cer une cause politique et une chose tout à fait différente de commettre la même infraction dans un but purement criminel.
(P. 583) L'utilisation de la force, ou d'autres moyens, pour contraindre un souverain à changer ses conseillers ou obli- ger un gouvernement à modifier sa politique peut avoir un caractère tout aussi politique que l'utilisation de la force pour faire une révolution. Je ne vois donc pas pourquoi il doive être nécessaire que le parti du réfugié ait essayé de prendre le pouvoir dans le pays. Il suffit qu'ils essayent d'obtenir du gouvernement des mesures de liberté sans toutefois essayer de le renverser.
(P. 584) Il me semble que les dispositions de l'article 3 de la loi de 1870 visent clairement à mettre en vigueur le principe selon lequel ce pays doit accorder un asile aux réfugiés politiques et je ne pense pas qu'il soit possible de définir les circonstances dans lesquelles on peut décider à bon droit qu'une infraction a un caractère politique ou que cette définition ressorte de la loi.
Dans l'arrêt Schtraks, le vicomte Radcliffe déclarait:
[TRADUCTION] (P. 589) En quoi consiste donc une infraction à caractère politique? Je crains que les tribunaux ne se soient régulièrement posés cette question depuis qu'elle a été posée pour la première fois aux tribunaux en 1890 dans l'affaire In re Castioni. Aucune définition ne s'est encore dégagée ou ne semble devoir le faire à l'avenir.
(P. 591) A mon avis, l'idée qui sous-tend l'expression «infraction à caractère politique» est que le fugitif est en désaccord avec l'État qui demande son extradition sur cer- tains problèmes liés au gouvernement ou au régime politique du pays. Dans ce contexte, on peut rapprocher le mot «politique» du mot «politique» dans des expressions telles que «réfugié politique», «asile politique» ou «prisonnier politique». Cela indique en fait, à mon avis, que l'État requérant le recherche pour des motifs autres que l'applica- tion du droit pénal vu sous son aspect ordinaire, que je pourrais appeler commun ou international. C'est cette idée que les juges cherchaient déjà à exprimer dans les deux arrêts In re Castioni et In re Meunier quand ils établissaient un rapport entre l'infraction politique et une émeute, des troubles, une insurrection, une guerre civile ou une lutte pour le pouvoir; à mon avis, il est encore nécessaire de conserver cette connexité. On ne s'en éloigne pas en prenant un point de vue libéral quant à la signification du mot troubles ou de ces autres mots, sous réserve qu'on ne perde pas de vue l'idée d'une opposition politique entre le fugitif et l'État requérant; mais on le perdrait de vue, à mon avis, si l'on devait dire que toutes les infractions sont des infrac tions politiques dans la mesure l'on peut démontrer qu'elles ont été commises dans un but politique ou avec un motif politique ou pour favoriser des causes ou des campa- gnes politiques. Par exemple, il peut exister toutes sortes d'organisations ou de forces politiques contestataires dans un pays dont les membres peuvent commettre toutes sortes d'infractions pénales en croyant que, ce faisant, ils attein- dront plus aisément leurs buts politiques: mais si le gouver- nement central ne partage pas ce point de vue et désire simplement appliquer le droit pénal qui a été violé par ces contestataires, je ne vois aucune raison pour que notre pays
soustraie ces fugitifs à son autorité au motif qu'ils sont des délinquants politiques.
En conséquence, lorsqu'un tribunal doit déci- der si une infraction a un caractère politique, il ne peut se rapporter à une définition précise d'origine législative ou jurisprudentielle. Il existe cependant des principes généraux établis par la jurisprudence.
Le principe essentiel porte que le but général et fondamental de l'extradition et des lois qui la prévoient est de fournir un mécanisme coopéra- tif qui permet d'extrader un ressortissant en fuite d'un État, appréhendé dans un autre, pour qu'il soit jugé dans l'État d'où il a fui. Il s'agit d'une étape de la coopération entre deux États pour l'administration du droit pénal dans chacun d'eux. Toutefois, pour maintenir la possibilité de l'asile politique dans les cas appropriés, le légis- lateur a adopté les articles 21 et 22 de la loi.
Il s'ensuit qu'on doit soigneusement examiner l'argument selon lequel l'infraction alléguée a un caractère politique. La motivation du fugitif, sujet dont nous traiterons plus loin, est impor- tante, mais il faut beaucoup plus qu'une simple affirmation du fugitif selon laquelle il avait des motifs politiques.
En outre, je ne pense pas que la personne accusée puisse, unilatéralement, rendre l'infrac- tion politique. Dans l'arrêt Schtraks (précité), le vicomte Radcliffe déclarait [TRADUCTION] .. . «si le gouvernement central ne partage pas ce point de vue et désire simplement appliquer le droit pénal ... je ne vois aucune raison pour que notre pays soustraie ces fugitifs à son auto- rité au motif qu'ils sont des délinquants politiques».
Je ne pense pas non plus qu'une personne sympathisant avec les buts d'un nombre impor tant de personnes dans un mouvement visant à apporter des changements dans la politique du gouvernement par des moyens légaux et qui commet elle-même un crime dans le but avoué d'obtenir lesdits résultats parce qu'elle pense que les moyens légaux sont inefficaces, peut obtenir refuge dans ce pays pour éviter d'être punie pour ces crimes.
Les actions du délinquant devraient au moins être étudiées scrupuleusement et faire l'objet
d'examens plus sévères avant d'être mises dans la catégorie politique au sens de l'article 21 quand, comme en l'espèce, la violence ne visait pas des fonctionnaires responsables ou les biens du gouvernement qu'on désire renverser ou dont on désire changer la politique, mais la personne ou les biens d'un tiers.
En outre, et en tout cas, à mon avis, si l'on n'établit pas au cours de la procédure d'extradi- tion que le fugitif est coupable d'une infraction, on ne peut pas trancher la question du «carac- tère politique» lors de cette audition même si le tribunal a cette compétence. En l'espèce, le fugitif n'a pas admis être coupable et on n'a pas établi sa culpabilité par ailleurs.
Je conviens que la preuve produite par l'État du Wisconsin devant le juge d'extradition suffit à indiquer un niveau de probabilité justifiant l'incarcération préventive si les crimes avaient été commis au Canada. Ce n'est toutefois pas une constatation de culpabilité.
En prétendant que lesdites infractions ont un caractère politique, il me semble qu'au plus, le requérant peut dire: «Je ne reconnais pas avoir commis les infractions mais, si je les ai effecti- vement commises, elles ont un caractère politi- que», ou «il s'agit d'infractions à caractère poli- tique quel qu'en soit l'auteur».
Le caractère de l'infraction est pertinent, mais ce caractère peut varier selon l'individu. Le meurtre et l'incendie ne sont pas en soi politi- ques; toutefois, il semble ressortir de la juris prudence que, dans certaines circonstances, ils peuvent avoir un «caractère politique». Toute- fois, la motivation, bien que non concluante, est importante pour déterminer si une infraction a un caractère politique. Il me semble . qu'on ne peut pas s'attendre raisonnablement à ce qu'un tribunal conclue sur la motivation de l'auteur, quel qu'il soit, sans même savoir qui a commis le crime et pourquoi.
Dans certains cas, il est possible que les cir- constances donnent à l'événement ou à l'inci- dent un caractère politique. Il n'en demeure pas moins que la motivation d'une personne, pré- sente et apparemment s'associant à l'incident et
à d'autres personnes ayant des motivations poli- tiques, et qui commet un crime dans ces cir- constances, soit sans lien avec le but politique des autres. Cette personne pourrait n'être moti vée, par exemple, que par la satisfaction d'un grief personnel.
Bien que l'incident ou les circonstances soient importantes, on n'accuse ni l'un, ni l'autre. C'est la personne qui est accusée. C'est la personne que l'État étranger cherche à faire extrader. C'est la personne qui est déférée au tribunal d'extradition.
La motivation est du domaine de l'esprit. Elle précède l'acte et en constitue une cause. Les faits et circonstances peuvent tendre à confir- mer ou à mettre en doute une déclaration rela tive à la motivation. En outre, chez une per- sonne saine d'esprit, elle seule peut réellement connaître ses motifs—elle est la seule à savoir pourquoi elle a agi de la sorte à moins, naturelle- ment, qu'elle ne dise la vérité à cet égard à quelqu'un d'autre. Comment peut-on donc s'at- tendre à ce qu'un accusé indique le motif l'ayant poussé à agir à moins qu'il n'admette être l'au- teur de l'acte visé?
A mon avis, la question du «caractère politi- que» ne pouvait pas faire l'objet d'une décision du tribunal d'extradition dans ce cas et on ne pouvait l'invoquer comme défense même si ce tribunal était compétent pour en connaître.
Si j'ai bien compris la plaidoirie de l'avocat du requérant, il existe aux États-Unis d'Amérique un mouvement d'opinion publique important contre la politique du gouvernement des États- Unis en ce qui concerne la guerre au Vietnam et un désir réel de la part de nombre de gens que le gouvernement mette fin à cette guerre. Il me semble aussi que l'avocat du requérant soutient que ce dernier faisait partie de ce mouvement et qu'il en résulte que toutes les accusations contre lui sont associées avec ce mouvement et ont par même un caractère politique.
En outre, selon mon interprétation du point de vue que Me Ruby a défendu au cours de sa plaidoirie au nom du requérant, il ressort que s'il y a un mouvement important visant à faire modifier la politique gouvernementale et si,
avec l'intention de favoriser les buts de ce mou- vement, un individu commet un crime, l'infrac- tion a un caractère politique au sens de l'article 21, même si tous les autres membres du mouve- ment tentent d'atteindre leurs buts en n'utilisant que des moyens pacifiques et licites. Je ne peux souscrire à ce point de vue.
Soutenir qu'il y a des preuves en l'espèce selon lesquelles le requérant, ou les infractions dont il est inculpé, sont partie de ce qu'on pourrait appeler un mouvement contre la guerre au Vietnam, serait, au mieux, un argument faible. Il y a aussi ce que l'avocat du requérant appelle les «communiqués». Je ne considère pas qu'ils peuvent réellement démontrer l'existence de ce lien. On n'a présenté aucune preuve solide indiquant leur provenance. Si le poseur de bombes les a rédigés, comme il me semble que Me Ruby le soutienne, et si le poseur de bombes est le requérant, ils seraient alors dépourvus de force probante. Je ne pense pas que les affida vits déposés au nom du requérant démontrent la relation entre l'incendiaire et poseur de bombes, quel qu'il soit, et ce mouvement.
En outre, si on pouvait dire qu'il y a une preuve suffisante pour indiquer une relation entre l'incendiaire et poseur de bombes et ce mouvement, je ne pense pas qu'en soi, ce serait suffisant pour permettre au requérant de bénéfi- cier de l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
On a montré que, dans la zone l'attentat à la bombe et l'incendie se sont produits, le mou- vement était actif, avait dépassé le stade des protestations verbales et atteint celui des actes de violence. Toutefois, la preuve ne démontre pas que ces actes de violence atteignaient le stade de l'attentat à la bombe et de l'incendie à moins que les actes dont on accuse le requérant puissent être inclus. Je ne pense pas qu'on ait établi que l'attentat à la bombe et l'incendie étaient des activités généralement admises par le mouvement contre la guerre au Vietnam dans cette région.
On n'a déposé aucune preuve significative portant que le requérant, ou quiconque impliqué dans un mouvement contre la guerre au Viet- nam, ait été poursuivi aux Etats-Unis pour ses convictions et pour les buts du mouvement ou
pour ses tentatives d'atteindre ses buts par des moyens pacifiques. Il n'existe aucune preuve portant que ceux qui partageaient les points de vue des personnes composant le mouvement ne jouissaient pas de la liberté d'expression, n'avaient pas le droit de faire valoir leur point de vue, de protester ou de manifester de façon pacifique. Il n'y a aucune preuve portant que ces personnes, ou des témoins qui estimaient que le requérant ne devrait pas être extradé, aient besoin d'un asile politique.
On a prétendu que certaines personnes impor- tantes considéraient l'attentat à la bombe comme un acte politique. Cela serait soi-disant prouvé par des articles publiés dans des jour- naux. Même si l'on pouvait présumer que ces personnes étaient citées de manière appropriée et qu'elles avaient effectivement fait ces décla- rations et soutenu ces points de vue, il ne s'agit que de points de vue personnels. Ce ne sont pas elles qui décident si les infractions ont un carac- tère politique au sens de la Loi sur l'extradition au Canada.
Bien que la responsabilité de la guerre au Vietnam incombe au gouvernement des États- Unis d'Amérique, les bâtiments endommagés par les bombes et incendiés n'appartenaient pas à ce gouvernement; il semble qu'ils apparte- naient à l'État du Wisconsin. Certains de ces bâtiments comprenaient des locaux de l'Univer- sité du Wisconsin, haut-lieu du savoir.
A mon avis, les infractions à l'égard desquel- les les procédures d'extradition ont été insti- tuées n'ont pas un caractère politique au sens de l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
En tout cas, la preuve est telle qu'elle justifie de conclure, en utilisant les termes du vicomte Radcliffe dans l'arrêt Schtraks, que [TRADUC- TION] «le gouvernement central ne partage pas ce point de vue et désire simplement appliquer le droit pénal» qu'on prétend violé.
J'envisage maintenant la question de savoir si le tribunal d'extradition a compétence pour déterminer le «caractère politique» lorsqu'il décide de lancer un mandat d'incarcération. A mon avis, il n'a pas cette compétence.
La compétence du tribunal d'extradition découle exclusivement de la Loi sur l'extradi- tion. Si la loi ne l'accorde pas, elle n'existe pas.
L'article essentiel est l'article 18 que voici:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé- rer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con- vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge ordonne qu'il soit élargi.
Voici l'article 22:
22. Si le ministre de la Justice décide, en tout temps,
a) que l'infraction au sujet de laquelle les procédures sont exercées en vertu de la présente Partie est de nature politique,
b) que les procédures sont en réalité exercées en vue de poursuivre ou de punir le fugitif pour une infraction d'une nature politique, ou
c) que l'État étranger n'a pas l'intention de faire une demande d'extradition,
il peut refuser de donner l'ordre de livrer le fugitif, et il peut, par un ordre sous ses seing et sceau, révoquer tout ordre donné par lui, ou tout mandat lancé par un juge en vertu de la présente Partie, et ordonner que le fugitif soit relâché et libéré de tout mandat d'incarcération lancé en vertu de la présente Partie; et le fugitif est élargi en conséquence.
L'alinéa b) de l'article 22 n'est pas pertinent en l'espèce, étant donné que l'avocat du requé- rant a indiqué qu'il ne soutenait pas que les procédures d'extradition avaient été instituées dans le but de poursuivre ou de punir le requé- rant pour une infraction à caractère politique.
L'alinéa b) de l'article 18, exposant les cir- constances dans lesquelles on peut lancer un mandat d'incarcération, ne mentionne pas le «caractère politique» et ne contient aucune interdiction de délivrer un mandat si l'infraction en est une à caractère politique, à moins que l'expression «sauf les dispositions de la présente Partie» ne lui donne ce sens. Donc, à moins que l'expression «sauf les dispositions de la présente Partie» oblige à rapprocher l'article 21 de l'arti- cle 18, à mon avis, le juge doit rendre sa déci-
Sion sur le point de savoir si un mandat d'incar- cération doit être lancé en se fondant seulement sur sa conclusion relative à la preuve produite, savoir, si, d'après le droit canadien, elle justifie- rait l'incarcération préventive si le crime avait été commis au Canada et ceci sans tenir compte du «caractère politique».
L'article 15 prévoit que le juge doit recevoir tout témoignage aux fins de prouver que le crime dont le fugitif est accusé est une infrac tion à caractère politique. L'article ne dit pas qu'il doit recevoir ces témoignages dans le but de déterminer s'il s'agit ou non d'un crime à caractère politique. Il me semble plutôt que ce mécanisme permettrait à toute preuve ainsi sou- mise de figurer dans une copie certifiée des dépositions que le juge doit envoyer au ministre de la Justice en vertu de l'article 10(2). Il n'est pas difficile de voir les raisons de cette exi- gence. C'est certainement une façon pratique permettant au Ministre d'avoir les renseigne- ments pertinents à sa disposition en ce qui con- cerne les affaires ayant un caractère politique, pour qu'il puisse exercer sa discrétion confor- mément à l'article 22.
L'article 21 traite de la possibilité d'extrader le fugitif. Toutefois, ce n'est pas le juge d'extra- dition qui le livre ou qui ordonne qu'il soit livré. Il peut seulement lancer un mandat d'incarcéra- tion jusqu'à ce qu'il soit livré (article 18(1)). C'est le ministre de la Justice qui peut ordonner qu'un fugitif qui a été incarcéré pour être extradé, le soit (article 25). Il existe une distinc tion nette entre l'incarcération en vue de l'extra- dition et l'extradition.
A mon avis, l'expression «sous réserve de la présente Partie» à l'article 18(1)a) et b) ne se rapporte et ne qualifie que le mot «preuve» y figurant et elle rapproche de cet article les dis positions de l'article 16 indiquant le genre de preuve qui peut être reçue, y compris les décla- rations sous serment régulièrement légalisées. Je n'estime pas que l'expression «sous réserve de la présente Partie» va jusqu'à englober l'article 21.
On peut examiner un autre article à cet égard; il s'agit de l'article 13:
13. Le fugitif doit être amené devant un juge, qui, sous réserve de la présente Partie, entend la cause, de la même manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit devant un juge de paix sous accusation d'un acte criminel commis au Canada.
A nouveau, on retrouve l'expression «sous réserve de la présente Partie» et, à mon avis, elle signifie ici sous réserve de différences de procédures prévues dans la présente Partie comme, par exemple, à l'article 16.
On peut aussi examiner la formule du mandat d'incarcération (Formule deux de l'annexe II de la loi). On y trouve les termes «et attendu que j'ai décidé qu'il serait livré conformément à ladite loi». J'interprète ces mots à la lumière des mots qui suivent: «parce qu'il a été accusé (ou convaincu) du crime de ... dans la juridiction de ...». Il ne s'agit pas d'une extradition ni d'une ordonnance d'extradition. Il s'agit simple- ment de l'ordre de maintenir le fugitif sous garde jusqu'à ce qu'il soit remis suivant les dispositions de la loi. Si la remise est l'extradi- tion vers l'État étranger, à mon avis, seule l'or- donnance du ministre de la Justice peut l'effectuer.
A mon avis, la question de l'asile politique est laissée entièrement à la discrétion de l'exécutif par la Loi sur l'extradition.
Je rejette la demande.
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