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La succession Levine (Appelants)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime')
Division de première instance, le juge suppléant Sweet —Fredericton, les 20, 21 et 22 février; Ottawa, le 21 mars 1973.
Impôt sur le revenu—Bénéfice attribué à un actionnaire— Émission de droits de souscription—Actionnaire minoritaire achetant une plus grande proportion des actions—S'agit-il d'«une opération à titre de don»—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 137(2)c) et 111(2)b).
A était propriétaire de 2,000 actions d'une compagnie et W, son fils, qui en était le directeur général, détenait les 500 autres actions émises. A, l'actionnaire majoritaire, désirant favoriser son fils W, a organisé une émission de droits de souscription au sein de la compagnie. W a souscrit 5,000 actions supplémentaires et A 500 à $1.00 l'unité. W a ensuite vendu 1,500 de ses actions à une fiducie familiale à $37.50 l'unité.
Arrêt: l'attribution de 5,000 actions en utilisant une émis- sion de droit de souscription au bénéfice de W revenait à une opération à titre de don de A à W au sens des articles 137(2)c) et 111(2)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt suivi: M.R.N. c. Dufresne [1967] 2 R.C.É. 128. APPEL de l'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
William Hoyt, c.r. et E. J. Mockler pour les appelants.
F. J. Dubrule, c.r. et John R. Power pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hoyt, Mockler, Allen, Dixon et Godin, Fre- dericton, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET —Le présent appel porte sur la nouvelle cotisation de feu Abe Levine pour l'année d'imposition 1965.
Le détail des sommes concernant la nouvelle cotisation est le suivant:
[TRADUCTION] Valeur des dons
déclarés antérieurement $ 6,000.00
Plus: somme correspondant à
un don dans la cession
des actions de la Abe
Levine & Sons à Weldon $190,000.00
Don lors de la vente des
actions aux belles-filles 30,000.00 220,000.00
Valeur totale des dons (après
modification) $226,000.00
Moins exemption 7,119.99
Montant assujetti à l'impôt sur
les dons au taux de 20% $218,880.01
L'avocat de l'intimé a consenti à ce que l'ap- pel portant sur le poste «don lors de la vente des actions aux belles-filles 30,000.00» soit accueilli.
Les avocats des parties ont convenu de ce qui suit (pièce 4):
[TRADUCTION] a) si la Cour juge qu'Abe Levine a fait don à Weldon Levine de 5000 actions du capital social de la Abe Levine & Sons Ltd., le montant du don est de $121,250
b) si la Cour décide qu'Abe Levine a fait don à Weldon Levine de 3500 actions du capital social de la Abe Levine & Sons Ltd., le montant de ce don est de 70,000.
Il convient d'exposer certains faits pour com- prendre les questions en litige.
Feu Abe Levine avait amassé une fortune respectable. L'une de ses entreprises, qui touche de près la présente affaire, était une entreprise d'achat et vente de ferraille. Pour mener à bien cette exploitation, il a fait "consti- tuer une compagnie par des lettres patentes datées du 23 décembre 1955, sous la raison sociale «ABE LEVINE & SONS LTD.»
Fin 1964 ou début 1965, Levine a retenu les services d'un avocat, Me E. J. Mockler, pour qu'il établisse, selon les termes mêmes de Me Mockler, une «planification globale» des affai- res de Levine.
Me Mockler a mis sur pied un plan assez complexe, qui comprenait notamment des dispo sitions concernant les épouses de ceux des fils Levine qui étaient mariés, ses petits-enfants et son fils Weldon Levine. Il a rédigé les docu ments nécessaires pour mettre ce plan à exécu- tion conformément aux directives de Levine.
Ce plan prévoyait en particulier un méca- nisme permettant au fils Weldon d'augmenter très sensiblement sa participation dans la Abe Levine & Sons Ltd.
A l'origine, le capital social autorisé de cette compagnie était de 2500 actions sans valeur nominale. Au moment Me Mockler a été engagé, Abe Levine détenait 1999 actions; sa femme détenait une action, dont on reconnaît qu'elle la détenait au nom d'Abe Levine, et son fils, Weldon, détenait 500 actions.
Le plan visant à augmenter la participation de Weldon Levine dans la compagnie comportait un certain nombre d'étapes. La première a con sisté à obtenir des lettres patentes supplémentai- res datées du 12 octobre 1965, augmentant le capital social autorisé de la Abe Levine & Sons Ltd. de 25,000 actions sans valeur nominale.
La pièce 1, qui contient, ce dont les parties ont convenu, des copies d'une quantité considé- rable de documents, comprend une copie de ce qui paraît être le procès-verbal d'une réunion du conseil d'administration de la Abe Levine & Sons Ltd. tenue le 22 octobre 1965. Le procès- verbal fait état de la présence de tous les admi- nistrateurs de la compagnie, à savoir Abe Levine, Bessie Levine, Weldon Levine et Harry Levine. Le procès-verbal relate l'adoption, à l'unanimité, d'une résolution dont voici un extrait:
[TRADUCTION] Vingt-cinq mille (25,000) actions ordinaires du capital social de la compagnie (ci-après appelées «les actions ordinaires») seront offertes en vente aux détenteurs enregis- trés d'actions ordinaires de la compagnie à partir du 22 octobre 1965, de sorte que tout détenteur enregistré d'ac- tions ordinaires pourra acheter dix actions ordinaires de la compagnie au prix (ci-après appelées parfois «le prix d'a- chat») de un dollar ($1.0'0) par action (monnaie canadienne) pour chacune des actions ordinaires de la compagnie qu'il détiendra à cette date, dix droits d'achat étant accordés pour chaque action ordinaire de la compagnie et chaque action ordinaire de la compagnie ne pouvant être achetée qu'en contrepartie d'un droit d'achat et d'un dollar ($'1.00);
Il convient de remarquer que, bien que Harry Levine soit qualifié d'administrateur dans ce procès-verbal, on a pris pour acquis, au cours de la présente instance, qu'à toutes les époques en cause, les seuls actionnaires, jusqu'à ce que Abe et Weldon Levine procèdent par la suite à des
cessions, étaient ces deux personnes et Bessie Levine. C'est sur cette base que nous exami- nons cette affaire.
Le 3 novembre 1965, Weldon Levine a utilisé son droit de souscrire 5,000 actions et Abe Levine a souscrit 500 actions. C'est ainsi que la répartition des actions de la Abe Levine & Sons Ltd. a été modifiée comme suit:
Weldon Levine -5,500 actions;
Abe Levine (en supposant que Bessie Levine détient une
action en son nom)-2500 actions.
A l'occasion de l'acquisition de ces 5000 actions supplémentaires, Weldon Levine devait payer à la compagnie un dollar pour chacune d'entre elles et Abe Levine un dollar pour cha- cune des siennes.
En vertu d'un accord daté du 30 novembre 1965, Abe Levine a convenu de vendre à ses belles-filles Sarah Levine, Edith Levine et Betty Levine 800 actions ordinaires du capital social de la Abe Levine & Sons Ltd. pour $30,000, soit $37.50 par action. Cet accord contenait également les stipulations suivantes:
[TRADUCTION] Il est convenu par les présentes que la valeur marchande des actions en date de cet accord est de $901,- 000.0'0; si toutefois le ministère du Revenu national attribue par la suite aux actions susdites une autre valeur à la date de cet accord, il est convenu de part et d'autre que les condi tions du présent accord seront modifiées en conséquence et que la partie qui bénéficiera de cette modification sera créancière de l'autre partie pour le trop-payé, soit au titre de la valeur des actions, soit au titre de toute contrepartie additionnelle cédée ou payée par elle en vertu du présent accord, par rapport à la valeur des actions et des autres contreparties qu'elle aura reçues.
En vertu d'un accord daté du 30 novembre 1965 intervenu entre Weldon Levine, appelé le vendeur, et John Page et Genevieve Mclvers, fiduciaires du «Levine Family Trust», appelés les acheteurs, le vendeur a convenu de vendre et de céder aux acheteurs avec leur accord 1500 actions ordinaires sans valeur nominale du capi tal social de la Abe Levine & Sons Ltd. pour une somme totale de $56,250.00, soit $37.50 par action. Cet accord prévoyait aussi la modifi cation de ces conditions, si le ministère du
Revenu national attribuait par la suite une autre valeur aux actions, clause analogue donc à celle contenue dans l'accord mentionné plus haut entre Abe Levine, Sarah, Edith et Betty Levine.
Par conséquent, la situation de Weldon Levine à ce moment était la suivante: il avait payé ou convenu de payer à la compagnie $1.00 pour chacune des 5000 actions; il avait convenu de vendre 1500 actions à $37.50 l'unité; et après la vente de ces 1500 actions, il aurait conservé 4000 actions, y compris les 500 qu'il détenait initialement. Ces actions constituaient la moitié du capital social émis de la Abe Levine & Sons Ltd.
Me Mockler a déposé. C'est lui qui a recom- mandé le plan mentionné ci-dessus et, ainsi que son témoignage me semble le faire ressortir, qui l'a effectivement mis sur pied. Avec la permis sion de la Cour, il a aussi représenté les appelants.
Me Mockler a soutenu un certain nombre d'arguments, en insistant particulièrement sur les trois arguments suivants:
(1) la cotisation n'est pas valide parce qu'on a démontré qu'elle a été établie en présumant l'existence de circonstances qui n'existaient pas;
(2) l'achat des actions par Weldon Levine à la suite de la délivrance de droits d'achat avait un but commercial;
(3) si l'achat des actions par Weldon Levine contenait un certain élément gratuit, celui-ci s'appliquait uniquement à 3500 actions et non à 5000 actions.
Sur le premier argument, Me Mockler a sou- tenu que l'intimé avait présumé l'existence d'une vente de Abe Levine à Weldon Levine; or, d'après lui, il n'y a pas eu de vente.
Il a cité le passage suivant du jugement du président Jackett, (tel était alors son titre) dans l'arrêt M.R.N. c. Dufresne [1967] 2 R.C.É. 128 à la page 140:
[TRADUCTION] J'estime qu'il incombait à l'intimé de plaider et de démontrer
a) que la cotisation n'était pas fondée sur la présomption que le résultat des opérations mentionnées au paragraphe 4 de l'avis d'appel était que l'intimé avait attribué un avantage de $66,596.73 à ses enfants; ou
b) que l'attribution par l'intimé à ses enfants de cet avan- tage n'était pas, en fait, une conséquence de cette opération.
Me Mockler a soutenu que ce qu'il prétend être une présomption injustifiée de la part du Ministre ressort clairement des termes suivants de l'avis de nouvelle cotisation: [TRADUCTION] «Somme correspondant à un don dans la ces sion des actions de la Abe Levine & Sons à Weldon.» et des termes de l'avis donné par le Ministre en vertu de l'article 58 de la loi, savoir [TRADUCTION] «concernant l'élément gratuit de $220,000.00 dans la cession d'actions de la Abe Levine & Sons Limited au fils et aux belles-fil- les du contribuable».
On a aussi mentionné les questions et répon- ses suivantes, extraites de l'interrogatoire préa- lable de Joseph Blanchard, fonctionnaire du ministère du Revenu national.
[TRADUCTION] Q. Dans cette lettre du 17 juillet 1969, à la page 2, vous déclarez «Nous estimons que le change- ment dans la participation de Weldon Levine, qui est passée de 20% des actions ordinaires émises le 1" novembre 1965 à 68.75% le 4 novembre 1965, consti- tue une cession faite par Abe Levine à Weldon — imposable en vertu de l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu.»
R. Oui.
Q. Lorsque vous avez écrit cette lettre, je présume que vous avez établi la cotisation comme si Abe Levine avait fait un don à Weldon Levine, est-ce bien cela?
R. Oui. et
Q. Soyons précis. A l'époque vous auriez appliqué l'impôt sur les dons et les biens transmis par décès, vous auriez pris la décision d'établir une cotisation— en d'autres termes, en novembre 1969, la décision d'établir une cotisation aurait été prise à ce moment, est-ce bien cela?
R. Oui.
Q. Et vous êtes bien la personne qui aurait pris cette décision?
R. Oui, que cette somme était imposable, que le don était imposable. Je dirais oui.
Q. Et vous l'avez fait d'après les présomptions dont nous avons parlé tout à l'heure?
R. Oui.
et aussi
[TRADUCTION] Q. Et cette formule T-7-W8 indique aussi comment le Ministre ou le cotiseur est arrivé à la conclusion d'imposer, c'est une explication de la pré- somption favorable à l'imposition ou à la cotisation, est-ce bien cela?
R. Oui.
Abe Levine n'a pas cédé à Weldon Levine d'actions du capital social de la Abe Levine & Sons Ltd. émises à son nom par la compagnie. C'est la compagnie et non lui qui a reçu le prix des actions délivrées à Weldon Levine lorsque celui-ci s'est prévalu de ses droits d'achat.
Si j'ai bien compris l'arrêt Dufresne, on y indique clairement que lorsqu'un actionnaire qui a le contrôle effectif de la compagnie fait passer une partie de sa participation entre les mains d'un autre actionnaire, au moyen de l'émission de droits de souscription en vertu desquels les actionnaires peuvent acquérir des actions à un prix inférieur à leur valeur réelle, il se peut bien qu'il y ait un élément gratuit ou un «avantage» dans l'achat par cet actionnaire des actions émises à la suite de la souscription. Et cela, même si l'actionnaire majoritaire n'a pas vendu d'actions émises à son nom et si c'est bien la compagnie et non pas lui qui a reçu le paiement
des actions émises par la compagnie à la suite de la souscription.
On déclare dans l'arrêt Dufresne (p. 129):
[TRADUCTION] La question soulevée par cet appel porte sur l'acquisition par chacun des cinq enfants de l'intimé, en deux occasions distinctes, d'actions d'une compagnie dont l'intimé était l'actionnaire majoritaire; à la suite de cette acquisition, la participation des enfants au capital social de la compagnie était plus importante, par rapport à celle de l'intimé, qu'elle ne l'était avant cette acquisition.
On relève également le passage suivant, à compter de la page 138 de cet arrêt:
[TRADUCTION] La deuxième question consiste à savoir si cette conséquence—l'acquisition à un prix de $7,500 d'une participation de 6/17 du capital de la compagnie, au lieu de 1/12 détenu auparavant, constitue un «avantage» pour les enfants, et si cet avantage leur a été attribué par l'intimé?
J'estime que l'on ne peut donner une réponse à cette. question en analysant chacune des mesures prises sans tenir compte des réalités bien connues du monde des affaires. Le conseil d'administration a adopté, il est vrai, la résolution accordant le «droit de souscription»; et l'intimé n'était qu'un des administrateurs et ne détenait qu'un seul vote. De plus, rien n'indique que sa femme et ses enfants n'aient pas chacun agi indépendamment pour arrêter leur conduite dans
cette série d'événements. Néanmoins, l'intimé n'ayant apporté aucune preuve de ce qui s'est effectivement produit, j'estime probable, au total, qu'il avait une influence prépon- dérante sur le cours des événements qui nous concernent, puisqu'il était propriétaire de presque toutes les actions de la compagnie en même temps que chef de famille. La suite des événements semble bien indiquer qu'il s'agit d'une série d'opérations commerciales calculées à l'avance, après con sultation d'un expert, par l'actionnaire majoritaire et chef de famille, dans le but d'augmenter la part des enfants dans le capital de la compagnie. Les témoignages donnés devant la Commission d'appel de l'impôt donnent à penser que c'est bien ce qui s'est produit. A supposer même qu'il y ait eu consultation préalable entre les enfants et l'intimé, elle n'a pas été très poussée; en fait, l'intimé leur a communiqué les arrangements qu'il voulait prendre pour les avantager et a supposé qu'ils les accepteraient, ce qu'ils ont d'ailleurs fait. De plus, l'avantage, s'il s'agit bien de cela, consistait en une augmentation de la part des enfants, qui s'est effectuée presque entièrement aux dépens de celle de l'intimé.
Il ne fait pour moi aucun doute que si cette opération a eu pour résultat de conférer un avantage aux enfants, cet avantage leur venait de l'intimé.
Sur ce point, l'avocat des appelants ,a tenté de montrer que l'arrêt Dufresne ne s'appliquait pas à la présente espèce, notamment pour le motif que l'arrêt Dufresne portait sur l'interprétation du paragraphe (2) de l'article 137 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que l'intimé ne pouvait invoquer cette disposition dans la présente affaire. Il a même soutenu que, d'après l'arrêt Dufresne, ce raisonnement ne pouvait s'appli- quer à l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il a cité le passage suivant de l'arrêt Dufresne pour appuyer son argument (p. 129):
[TRADUCTION] En vertu du paragraphe (1) de l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu, un impôt doit être acquitté sur les dons faits pendant une année d'imposition par un particulier résidant au Canada. (Le paragraphe (2) de l'arti- cle 111 donne un sens élargi au mot «don» utilisé dans cet article, mais personne n'a tenté d'établir que ce paragraphe pouvait servir à trancher la question en litige dans cet appel.) L'impôt sur les dons qu'impose l'article 111 est payable par le donateur en vertu de l'article 114.
A mon avis, ce passage ne fait qu'indiquer que le président de la Cour de l'Échiquier n'a pas examiné l'article 111.
Le paragraphe (2) de l'article 137 se lit ainsi:
(2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclara- tions de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit ont pour résultat qu'une personne confère un avan- tage à un contribuable, cette personne est censée avoir fait
au contribuable, un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonobstant la forme ou l'effet juridique des opéra- tions ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon les circonstances, être
a) inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'application de la Partie I,
b) censé constituer un paiement à une personne non résidante à qui s'applique la Partie III, ou
c) censé constituer une disposition à titre de don à laquelle s'applique la Partie IV.
L'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit ainsi:
(1) Un impôt doit être acquitté comme il est ci-après prévu sur les dons faits pendant une année d'imposition par un particulier résidant au Canada ou une corporation personnelle.
(2) Pour l'application du présent article, l'expression «don» comprend un transport, une cession ou une autre disposition de biens (situés au Canada ou hors du Canada) à titre de don, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, comprend
a) la création d'une fiducie concernant des biens, ou d'un intérêt dans ceux-ci, à titre de don, et
b) une opération ou des opérations par lesquelles une personne dispose de biens, directement ou indirectement, à titre de don.
Je pense que l'arrêt Dufresne établit claire- ment que si l'on prouve que le Ministre a fondé sa cotisation sur une présomption dont on démontre qu'elle n'était pas justifiée, la cotisa- tion n'est pas valide. J'estime toutefois qu'en l'espèce, il n'est pas établi que le Ministre ait présumé l'existence d'une situation qui n'exis- tait pas.
La lettre de Blanchard, en date du 17 juillet 1969, dont il a été question au cours de son interrogatoire préalable (et qui constitue l'un des éléments sur lesquels les appelants semblent s'appuyer) révèle que Blanchard se faisait une idée tout à fait juste de la manière dont s'est effectué cet important changement dans la répartition des actions de la Abe Levine & Sons Ltd. et qu'il n'avait pas présumé la cession par Abe Levine à son fils Weldon d'actions émises par la compagnie au nom d'Abe Levine. La lettre elle-même indique que le fonctionnaire du ministère savait fort bien que le but recherché avait été atteint en utilisant l'émission de droits de souscription.
La pièce 2 contient une photocopie de cette lettre. On y trouve notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Les événements ou les opérations financières qui ont amené le changement dans la propriété des actions sont les suivants:
12 octobre 1965. Obtention de lettres patentes supplémen- taires portant le capital social de 2500 à 27,500 actions ordinaires.
22 octobre 1965. Émission de droits de souscription permet- tant d'acheter 10 nouvelles actions ordinaires pour chaque action ordinaire déjà détenue, au prix de $1.00 l'unité.
3 novembre 1965. Abe Levine souscrit 500 actions et Weldon Levine souscrit 5,000 actions, toutes à $1.0'0 l'unité.
5 novembre 1965. Extinction du droit d'Abe Levine de souscrire 19,500 actions.
Blanchard déclare dans cette lettre [TRADUC- TION] «Nous estimons que la modification de la participation de Weldon Levine, qui est passée de 20% des actions ordinaires émises le ler novembre 1965 à 68.75% le 4 novembre 1965, constitue une cession d'Abe Levine à Weldon Levine au moyen d'un don assujetti à l'impôt prévu à l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu.» L'expression «constitue une cession d'Abe Levine à Weldon Levine» n'est pas syno- nyme de l'expression «résulte d'une cession d'Abe Levine à Weldon Levine de ses actions du capital social».
La modification, au moyen de cette méthode, de la répartition des actions du capital social de la compagnie, de façon à augmenter la participa tion de Weldon Levine par rapport au total des actions émises, faisait partie du plan «global» mis sur pied par Mockler.
D'après les faits établis, j'en arrive à la con clusion que dans le but d'exécuter le plan «global», Abe Levine a utilisé son pouvoir de contrôle sur la Abe Levine & Sons Ltd. pour faire émettre des droits de souscription au béné- fice des actionnaires, dans l'intention que Weldon Levine souscrive les actions, ce qu'il a fait, et qu'Abe Levine s'abstienne de souscrire toutes les actions auxquelles il aurait eu droit, de sorte qu'en définitive Weldon Levine déte- nait 5500 actions au lieu de 500 et Abe Levine détenait, en comptant l'action détenue par sa femme, 2500 actions au lieu de 2000. L'aug- mentation dont a bénéficié Weldon Levine s'est effectuée pour reprendre les paroles du prési-
dent Jackett dans l'arrêt Dufresne, «aux dépens d'une diminution» de la part d'Abe Levine dans le capital-actions de la compagnie.
Pour l'essentiel, il n'y a aucune différence entre ce qui s'est passé dans cette affaire et ce qui se serait passé si Abe Levine avait réelle- ment cédé une partie de ses actions du capital social à Weldon Levine, de sorte qu'après cette cession Weldon Levine aurait détenu 68.75% des actions émises du capital social de la compagnie.
Le fait que Blanchard ait mentionné l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu dans sa lettre du 17 juillet 1969 n'empêche pas le Minis- tre d'invoquer le paragraphe (2) de l'article 137.
J'estime en outre que le libellé de l'avis envoyé par le Ministre en vertu de l'article 58 de la loi: [TRADUCTION] «confirme la cotisation, puisqu'elle a été établie conformément aux dis positions de la loi et en particulier au motif que l'impôt sur les dons a été imposé à bon droit, conformément aux dispositions de la Partie IV de la loi» n'exclut pas l'application de l'article 137, même si cet article se trouve dans la Partie VI et non dans la Partie IV de la loi. Je ne pense pas que la mention de la Partie IV de la loi doive restreindre les termes très généraux qui la pré- cèdent immédiatement: «conformément aux dis positions de la loi». En outre, j'estime que l'ali- néa c) du paragraphe (2) de l'article 137: «censé constituer une disposition à titre de don à laquelle s'applique la Partie IV» indique que la Partie IV s'applique à la situation telle qu'elle ressort des preuves apportées dans la présente affaire.
L'avis de nouvelle cotisation ne mentionne ni l'article 111 ni l'article 137.
J'estime que l'intimé peut invoquer l'article 137. J'estime aussi que les preuves révèlent l'existence d'une opération financière dont le résultat a été l'attribution par Abe Levine d'un avantage à Weldon Levine, dans des circonstan- ces visées par cet alinéa c).
De toute façon, j'estime que, même si l'intimé ne pouvait invoquer le paragraphe (2) de l'arti- cle 137, le raisonnement de l'arrêt Dufresne au sujet du paragraphe (2) de l'article 137 peut
aussi s'appliquer à l'alinéa b) du paragraphe (2) de l'article 111. J'arrive à la conclusion qu'il y a eu une opération au sens de l'alinéa b) du para- graphe (2) de l'article 111, par laquelle Abe Levine, au moyen de l'émission de droits de souscription prévue par le plan, a disposé, sinon directement du moins indirectement, de certains biens à titre de don.
Lorsqu'Abe Levine a mis à exécution, comme je viens de le dire, le plan convenu dont il contrôlait la mise en oeuvre et dont l'objet était d'augmenter la part proportionnelle de Weldon Levine dans le capital-actions aux dépens de sa propre participation, il a disposé de biens à titre de don au sens de l'article 111(2)b). Abe Levine était en fait le donateur et Weldon Levine le donataire. L'objet du don était une augmenta tion d'une part de propriété du capital-actions de la compagnie.
J'en conclus que les circonstances qui se dégagent des preuves sont visées à la fois par l'article 137(2)c) et par l'article 111(2)b); l'in- timé peut donc invoquer l'un ou l'autre de ces textes ou les deux à la fois, et c'est à bon droit qu'il pouvait cotiser Abe Levine en vertu de l'un ou de l'autre.
On a cité l'arrêt Craddock c. M.R.N. [1969] 1 R.C.É. 23, dans lequel le juge Gibson a déclaré la page 32]:
[TRADUCTION] Enfin, dans les affaires de ce genre (et en général dans toutes les affaires d'impôt sur le revenu) le Ministre n'est pas lié, quant à sa plaidoirie et aux preuves qu'il apporte à la Cour, par les présomptions retenues par le cotiseur dans l'établissement de la cotisation ou de la nou- velle cotisation; le Ministre n'est pas non plus forcé de n'invoquer que les motifs énoncés dans les avis de cotisation ou de nouvelle cotisation ou l'article ou les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu sur lesquels se fondent ces motifs: il peut à bon droit soutenir dans sa plaidoirie d'autres faits ou invoquer en sus ou à titre subsidiaire tout autre article de la Loi de l'impôt sur le revenu et produire des preuves à l'appui; toutefois, dans ce dernier cas, c'est au Ministre qu'il incombe de faire la preuve de ses prétentions.
Même si le Ministre avait présumé à tort, il a présenté dans sa réponse à l'avis d'appel une argumentation répondant aux conditions énon- cées par le juge Gibson; et les preuves appor- tées à l'appui me permettent de conclure que le Ministre s'est acquitté de l'obligation de preuve qui lui incombait d'après le juge Gibson.
Je conclus que l'achat d'actions qu'on a auto- risé n'avait pas un but commercial en ce qui concerne Abe Levine.
Au cours de son témoignage, Me Mockler a déclaré que les facteurs ayant poussé Abe Levine à modifier la participation de Weldon Levine étaient les suivants:
1. Ce que Me Mockler a désigné comme étant la philosophie générale d'Abe Levine, qui souhaitait établir une égalité entre ses enfants ou leurs familles.
2. L'aide que lui ont apportée ses enfants dans la conduite de ses affaires.
3. L'importance que présentait pour la com- pagnie le maintien de la présence de Weldon Levine.
Auparavant Me Mockler avait déclaré, en substance, que lorsqu'il avait discuté de la situa tion avec Levine, ce dernier avait manifesté le souci de conserver une certaine égalité entre ses quatre fils; reconnaissant que tous avaient colla- boré avec lui et avaient contribué à la crois- sance de ses entreprises, il avait précisé qu'il se sentait moralement obligé de veiller à ce qu'ils soient traités également. Je suis convaincu qu'au moment les conversations entre Me Mockler et Abe Levine ont eu lieu, Abe Levine et Weldon Levine pensaient que cette égalité n'a- vait pas encore été établie et que Weldon Levine n'avait pas bénéficié de la générosité d'Abe Levine dans la même mesure que ses trois frères. Je suis également convaincu que le but véritable de l'émission de droits de souscrip- tion au bénéfice des détenteurs d'actions de la Abe Levine & Sons Ltd. était d'arriver à cette égalité.
Il ne fait aucun doute que les services de Weldon Levine étaient précieux. Il était devenu directeur général de la compagnie. Toutefois, une compagnie est en droit de s'attendre à des services précieux de la part de son directeur général. On n'a pas soutenu que son salaire était insuffisant. On n'a pas soutenu non plus qu'il existait une convention obligatoire et exécutoire d'après laquelle il devait recevoir les actions qu'il a reçues.
Il était certainement contrarié. Dans son témoignage, il a déclaré que, s'il n'avait pas reçu
les 5000 actions, il ne serait pas resté. Il se peut bien qu'il en ait menacé son père. Néanmoins, je ne pense pas qu'il aurait abandonné la compa- gnie, s'il n'avait pas reçu les 5000 actions. Il avait des liens profonds et anciens avec la com- pagnie. Il était peu probable qu'il y renonce facilement. Il y détenait une participation non négligeable, étant détenteur d'un cinquième des actions émises, ce qui représentait une valeùr importante. Dans l'ensemble, les preuves ne me paraissent pas indiquer qu'Abe Levine ait été animé par le désir d'écarter une menace de départ faite par Weldon Levine. Il n'était certai- nement pas dans l'intérêt d'Abe Levine de deve- nir ainsi actionnaire minoritaire. De plus, d'a- près le plan global, la participation d'Abe Levine dans la compagnie devait être encore réduite. En vertu d'un accord daté du 30 novembre 1965, il avait convenu de vendre 800 de ses actions à Sarah Levine, Edith Levine et Betty Levine, au prix de $37.50 l'unité. Ceci ne lui laissait que 100 actions sur un total de 8,000 actions émises.
Il n'est pas courant dans le commerce de faire du directeur général, aussi précieux soit-il, l'ac- tionnaire majoritaire, détenteur de 68.75% des actions émises d'une compagnie prospère, que ce soit pour le récompenser de ses services antérieurs ou parce qu'il menace de démission- ner, ou pour ces deux raisons à la fois.
Je conclus que ce plan a été conçu et mis à exécution avec intention de faire un don.
J'en arrive maintenant au troisième argument soutenu par l'appelant, savoir que si l'achat d'actions par Weldon Levine contenait un cer tain élément gratuit, il ne portait que sur 3500 actions.
On peut penser que cet argument a été avancé parce que Weldon Levine a vendu 1500 actions aux administrateurs de la fiducie Levine, con- formément à l'accord du 30 novembre 1965.
D'après les documents:
1. Le 3 novembre 1965, Weldon Levine a utilisé ses droits et a souscrit 5000 actions à $1.00 l'unité, et non 3500 actions.
2. Le 30 novembre 1965, Weldon Levine a convenu de vendre 1500 actions à $37.50 l'unité, sous réserve de modification si le ministère du Revenu national devait attribuer une autre valeur auxdites actions.
3. Weldon Levine détenait antérieurement 500 actions. Par conséquent, après la vente conclue conformément à l'accord du 30 novembre 1965, il devait détenir 4000 actions et avoir une créance de $56,250.00 contre les acheteurs, sous réserve de toute modification pouvant intervenir comme je viens de l'indiquer.
L'argument d'après lequel, si l'achat d'actions par Weldon Levine contenait un élément gratuit, celui-ci ne visait que 3500 actions, me paraît mal fondé.
Par conséquent:
1. Avec l'accord des avocats, l'appel est accueilli en ce qui concerne le poste [TRADUC- TION] «Don dans la vente d'actions aux bel- les-filles 30,000.00».
2. Ayant conclu qu'Abe Levine a fait don à Weldon Levine de 5000 actions du capital social de la Abe Levine & Sons Ltd., j'établis le montant de ce don à $121,250.00 confor- mément à l'accord intervenu entre les avocats (pièce 4).
3. L'appel est par conséquent accueilli en partie, c'est-à-dire dans la mesure nécessaire pour donner effet aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, et rejeté pour le reste.
Cette affaire est renvoyée pour qu'une nou- velle cotisation soit établie en tenant compte des conditions énumérées plus haut.
Avec l'accord des parties, l'intimé paiera aux appelants la somme globale de $1500 à titre de dépens; il n'y aura aucune autre ordonnance quant aux dépens.
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