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Falconbridge Nickel Mines Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Cour d'appel; le juge en chef Jackett, les juges suppléants Sheppard et Sweet—Ottawa, les 28 et 29 juin 1972.
Impôt sur le revenu—«Revenu provenant de l'exploitation d'une mine»—Période d'exemption de 36 mois—Bénéfices découlant de la vente du minerai extrait avant la période d'exemption—Y a-t-il exemption—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 83(5).
Le nickel obtenu à la suite du traitement et du raffine- ment du minerai extrait de la mine de l'appelante a été vendu approximativement quatre mois après l'extraction de ce minerai. L'article 83(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu dispose: «Sous réserve des conditions prescrites, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu d'une corporation, le revenu provenant de l'exploitation d'une mine au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production».
Arrêt: confirmant la décision du juge suppléant Cameron dans le calcul du revenu de l'appelante provenant de l'ex- ploitation de sa mine, au cours de la période de 36 mois, le Ministre a inclus à bon droit le revenu découlant ou dérivant des ventes qui ont eu lieu au cours de cette période et qui concernaient les métaux provenant du minerai extrait anté- rieurement à ladite période savoir: $214,317) et a exclu à bon droit le revenu découlant ou dérivant des ventes qui ont eu lieu après cette période et qui concernaient les métaux extraits au cours de ladite période savoir: $682,620).
APPEL de la décision du juge suppléant Cameron [1971] C.F. 471.
Allen Findlay, c.r. et B. W. Earle pour l'appelante.
G. W. Ainslie, c.r. et John R. Power pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Je souscris à l'ensemble des opinions formulées par mes col- lègues Sheppard et Sweet et je me contenterais d'exposer très brièvement une autre façon de parvenir à la conclusion que nous avons tous atteinte et selon laquelle il y a lieu de rejeter l'appel.
Il me paraît ressortir de l'exposé des faits qu'il y a lieu de rejeter l'appel si, aux fins de l'article 83(5), le revenu que l'appelante a retiré de l'exploitation des mines en question au cours de la période de 36 mois comprend celui qui provient des ventes de minerai réalisées au cours de ladite période, quel que soit le moment
de l'extraction, et non celui qui provient des ventes réalisées en dehors de ladite période, même si le minerai vendu a été extrait au cours de la période de 36 mois; par contre, il y a lieu d'accueillir l'appel si, aux fins de l'article 83(5), le revenu que l'appelante a retiré de l'exploita- tion des mines en question au cours de la période de 36 mois comprend celui qui provient des ventes de minerai extrait des mines au cours de ladite période, quelle que soit la date de ces ventes, et non celui qui provient des ventes de minerai qui ont eu lieu au cours de la période de 36 mois, si ce minerai n'a pas été extrait de la mine au cours de cette période de 36 mois.
A mon avis, la véritable question posée par ce litige n'est pas de savoir si l'expression «au cours de la période de 36 mois» détermine le mot «provenant» ou l'expression «exploitation d'une mine» figurant à l'article 83(5). La vérita- ble question consiste à déterminer le sens de l'expression «exploitation d'une mine».
Voici les deux sens possibles de l'expression «exploitation d'une mine» engendrant respecti- vement les résultats opposés qu'on a fait valoir:
a) l'extraction pure et simple du minerai d'une mine,
b) la conduite d'une entreprise minière, ce qui comprend, au moins, l'extraction du mine- rai ainsi que sa vente ou son écoulement d'une façon ou d'une autre.
Si, dans l'article 83(5), «l'exploitation d'une mine» correspond au simple fait d'extraire du minerai, à mon avis, l'appelante doit avoir gain de cause, sous réserve, toutefois, qu'on puisse dire que le revenu provient d'une exploitation purement matérielle de ce genre, considérée séparément de l'entreprise dont elle fait partie.
Selon l'autre point de vue, qui, à mon avis, est le bon, lorsque l'article 83(5) parle du revenu provenant de l'exploitation d'une mine, il se réfère au revenu provenant d'une entre- prise d'exploitation minière, car, en ce qui con- cerne l'activité productrice de bénéfices (par opposition aux biens ou à l'emploi), l'entreprise constitue le genre de source de revenu envisagé par la Loi de l'impôt sur le revenu. Voir, par exemple, l'article 3 de la Loi, dont voici le texte:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposi- tion, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année de toutes provenances à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, comprend le revenu pour l'année provenant
a) d'entreprises,
b) de biens, et
c) de charges et d'emplois.
Un acte purement matériel, considéré séparé- ment des autres éléments nécessaires à la nais- sance d'un revenu, n'est pas une source de revenu telle que l'envisage la Loi. Il s'ensuit que l'acte purement matériel d'extraction du minerai de la mine, considéré séparément de l'entreprise dont il fait partie, est un acte stérile qui ne peut, par lui-même, constituer une source de revenu. Cet acte matériel ne peut donc correspondre à ce qu'envisage l'article 83(5) qui parle de «l'ex- ploitation d'une mine» comme étant quelque chose qui produit un revenu.
Une fois admis que «l'exploitation d'une mine» correspond à l'extraction plus la vente, etc., il est possible de conclure que l'article 83(5) exclut le revenu provenant des ventes, seulement lorsque l'extraction et la vente ont eu lieu au cours de la période de 36 mois. Toute- fois, on a toujours admis en matière commer- ciale et industrielle la nécessité de préparer des états de profits et pertes sur une base annuelle, et non un seul état correspondant à la durée de l'entreprise, et qu'il y a lieu d'imputer le revenu, en ce qui concerne toute opération commerciale d'achat ou de fabrication et de vente, à l'année au cours de laquelle les marchandises ont été vendues. En conséquence, je n'ai pas l'ombre d'un doute que l'article 83(5) a pour effet d'ex- clure un revenu s'il provient de la vente de la production d'une mine et si cette vente a lieu au cours de la période de 36 mois.
Je suis d'avis qu'il y a lieu de rejeter l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD--Les faits et procédures sont exposés en détail dans les motifs de jugement du savant juge de première instance et il n'y a pas lieu de les reprendre aux présentes.
Le litige découle de l'interprétation de l'arti- cle 83(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, dont voici le texte:
83. (5) Sous réserve des conditions prescrites, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu d'une corporation, le revenu provenant de l'exploitation d'une mine au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production.
Selon les parties, il s'agit de savoir si l'expres- sion «au cours de la période de 36 mois» se rapporte aux mots «revenu provenant», comme le prétend l'intimé, ou si elle se rapporte aux mots qui la précèdent immédiatement, à savoir «l'exploitation d'une mine», comme le prétend l'appelante.
Si l'article avait pour objet d'accorder une exemption de l'impôt sur le revenu sur la pro duction globale de minerai au cours de la période de 36 mois, quel que soit le moment de sa vente, il faudrait alors accepter le point de vue de l'appelante. Par contre, si les mots «au cours de la période de 36 mois» se rapportent au revenu provenant de l'exploitation déclaré chaque année, tombant en tout ou en partie dans cette période de 36 mois, il faut accepter le point de vue de l'intimé.
L'appelante soutient que l'expression «au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production» se rapporte aux mots les plus proches et en consé- quence détermine l'expression «l'exploitation d'une mine» qui la précède immédiatement. A l'appui de cette prétention, elle cite Interpreta tion of Statutes 12 e éd., 1969, p. 28, de Max- well, The Imperia! Lexicon of English Language and Popular English Usage vol. 1, p. 22 et The Complete Plain Words de Gower, p. 166.
Bien qu'il puisse s'agir d'une intention impli- cite, on ne peut l'accepter si elle aboutit à une interprétation incompatible avec celle qui découle d'autres mots utilisés dans l'article. L'e- xistence d'une intention contraire, en l'espèce, exclut l'application de la règle selon laquelle les mots se rapportent à l'expression la plus proche.
Le paragraphe traite du revenu et le revenu doit être déclaré chaque année (articles 3 et 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu). On peut donc déduire en vertu du paragraphe ce qui autre-
ment aurait fait partie du revenu de cette année-là et aurait été déclaré cette année-là.
A la page 53 de l'arrêt International Harvest er Co. of Canada c. Provincial Tax Com'n [1949] A.C. 36, Lord Morton of Henryton déclare:
[TRADUCTION] On a insinué lors des débats que la méthode correcte de détermination du «bénéfice industriel» consis- tait à évaluer le bénéfice net que l'appelante aurait réalisé si, au lieu de vendre les marchandises au détail par l'intermé- diaire de son propre réseau de vente en Saskatchewan, elle avait vendu directement à la sortie de son usine lesdites marchandises à un grossiste. Cette méthode semble assez raisonnable; leurs seigneuries ne souhaitent toutefois pas choisir une méthode particulière comme étant la meilleure, car il s'agit, semble-t-il, d'une question d'ordre pratique qu'on n'a pas pleinement étudiée lors des débats.
A la page 749 de l'arrêt M.R.N. c. Imperial Oil Ltd. [1960] R.C.S. 735, le juge Judson, en rendant également le jugement au nom des juges Taschereau et Locke, a déclaré:
[TRADUCTION] Aucune compagnie ne réalise un bénéfice réel en produisant simplement du pétrole. Il n'y a aucun bénéfice jusqu'à ce que le pétrole soit vendu. Voir les arrêts International Harvester Co. of Canada c. Provincial Tax Commission [1949] A.C. 36, et Laycock c. Freeman, Hardy & Willis Ltd. [1939] 2 B.R. 1, aux pp. 6 et 11.
Le mot «revenu» figurant à l'article 83(5) comprend le bénéfice annuel, c'est-à-dire le bénéfice réalisé chaque année, soit l'excédent du produit des ventes sur les dépenses pour cette année-là. Ne pas l'inclure signifie qu'il y a lieu de déduire quelque chose qui autrement aurait fait partie du revenu, sujet de ce paragraphe.
Le renvoi au revenu, contenu implicitement dans les mots «au cours de la période de 36 mois», est confirmé par le sens qu'on attribue aux mots de l'article 83(5) pris séparément.
Il ne faut donner aucun sens particulier au mot «provenant» dans l'expression «provenant de l'exploitation d'une mine». A la page 52 de l'arrêt International Harvester Co. of Canada c. Provincial Tax Com'n (précité), Lord Morton of Henryton a déclaré:
[TRADUCTION] ... Lord Davey, en rendant le jugement de cette Chambre, a déclaré: «Leurs seigneuries ne confèrent aucun sens spécial au mot «provenant» qu'elles considèrent comme synonyme des mots découlant ou dérivant ...»
et le juge Thurlow a attribué un sens identique au mot «provenant» dans ce paragraphe à la
page 332 de l'arrêt Hollinger North Shore Exploration Co. c. M.R.N. [1960] R.C.É. 325.
Si les mots «découlant ou dérivant» peuvent remplacer le mot «provenant» dans l'expression «provenant de l'exploitation d'une mine», on peut adopter sans hésitation l'interprétation de l'intimé.
Si l'on considère que l'expression en question «au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production» détermine les mots les plus proches d'elle, on devrait considérer qu'elle détermine l'expres- sion «découlant ou dérivant (provenant) de l'ex- ploitation d'une mine» et en conséquence cette expression toute entière. Les mots «découlant ou dérivant», étant l'équivalent du mot «prove- nant», impliquent nécessairement l'idée de revenu et, en conséquence, l'expression «au cours de la période de 36 mois» se rapporte nécessairement au revenu.
Il s'ensuit qu'il y a lieu d'accepter l'interpréta- tion de l'intimé.
La conclusion du savant juge d'instance est confirmée.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET—Par le présent appel, il faut se prononcer sur l'interprétation correcte et l'effet des termes suivants de la loi applicable:
Sous réserve des conditions prescrites, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu d'une corporation, le revenu provenant de l'exploitation d'une mine au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production.
L'expression «la période de 36 mois com- mençant le jour la mine est entrée en pro duction» sera citée de la façon suivante: «la période de 36 mois».
Dans ses motifs de jugement, dont on inter- jette appel, le savant juge d'instance a examiné les faits et a exposé en détail ce qu'on a appelé «un exposé conjoint des faits et questions».
Voici l'article 8 et la partie qui nous intéresse de l'article 9 de «l'exposé des faits»:
8. La question en litige est de savoir si, dans le calcul, prévu par l'article 83(5) de la Loi, du revenu de l'appelante
provenant de l'exploitation de chacune de ses nouvelles mines au cours de la période de 36 mois,
(i) il faut inclure le revenu découlant ou dérivant des ventes qui ont eu lieu au cours de la période de 36 mois et qui concernaient les métaux provenant du minerai qui avait été extrait de la mine avant la période de 36 mois et
(ii) il faut exclure le revenu découlant ou dérivant des ventes qui ont eu lieu postérieurement à la période de 36 mois et qui concernaient les métaux provenant du minerai qui avait été extrait de la mine au cours de la période de 36 mois.
9. Les parties sont d'accord pour dire que, si la question précédente reçoit une réponse affirmative, l'appel concer- nant la question du revenu d'une nouvelle mine doit être rejeté avec dépens .. .
Il me paraît ressortir que l'appelante soutient entre autres ce qui suit:
1. L'expression «au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production», en raison de sa place, détermine les mots «l'exploitation d'une mine» et non les mots «revenu provenant».
2. Le sens de l'expression «l'exploitation d'une mine» se limite à l'extraction mécani- que, elle-même, du minerai de la mine.
3. Chaque vente de métal provenant du minerai extrait de la mine au cours de la période de 36 mois et effectuée postérieure- ment à cette période doit être examinée séparément.
Selon moi, il est bien établi qu'aucun revenu ni bénéfice ne peut provenir de l'extraction pure et simple de minerai et qu'on ne réalise aucun bénéfice jusqu'à ce que le minerai ou le métal qui en provient soit vendu.
En ce qui concerne la première de ces préten- tions, j'estime que tous les mots, et non seule- ment certains d'entre eux, qui suivent l'expres- sion «revenu provenant» de la disposition législative citée déterminent les mots «revenu provenant» et s'y rapportent.
Je suis également d'avis que le sens que l'ap- pelante voudrait attribuer à l'expression «l'ex- ploitation d'une mine» est, compte tenu de la réalité, beaucoup trop restreint.
L'exploitation d'une mine, au sens de la Loi applicable, ne peut correspondre qu'à la con- duite d'une entreprise réalisable et viable desti-
née à cette fin. Pour ce faire, il faut nécessaire- ment, et je dirais même évidemment, qu'il y ait une organisation, une entreprise commerciale, structurée et établie de façon à faire face à la multiplicité des conditions requises à cette fin. L'extraction du minerai, la transformation en métal ainsi que la vente sont des éléments, des éléments importants, mais uniquement des élé- ments, de ces conditions. Afin d'atteindre vrai- ment le résultat visé, d'une façon pratique et efficace, ils doivent être accompagnés et appuyés par d'autres opérations. C'est l'ensem- ble de cette organisation, de cette entreprise, ainsi que de sa conduite qui constitue «l'exploi- tation d'une mine» au sens de la loi.
Il ne serait donc pas réaliste, à mon avis, d'essayer d'examiner et de traiter séparément chaque vente réalisée postérieurement à la période de 36 mois, même si le minerai avait été extrait au cours de cette période de 36 mois. Il serait impossible d'essayer de les traiter cha- cune comme des opérations isolées et distinctes et comme si elles étaient, d'une certaine façon, séparées de la conduite de l'entreprise, considé- rée dans son ensemble au cours de la période de 36 mois.
Je suis d'avis que l'exonération accordée par la disposition législative citée se limite à la période de 36 mois au cours de laquelle cette entreprise considérée dans son ensemble, qui a pour objet l'exploitation d'une mine, a exercé son activité.
A l'expiration de la période de 36 mois, l'en- treprise entre dans une nouvelle phase, à laquelle ne s'applique pas la disposition d'exo- nération. Les ventes réalisées après la période de 36 mois font partie de l'exploitation posté- rieure à cette période et n'ont à cet égard aucun lien avec elle.
En conséquence, les ventes réalisées après la période de 36 mois et les bénéfices ou les revenus en découlant ou en dérivant ne sont pas des éléments visés par la loi d'exonération. On doit inclure ce bénéfice dans le calcul du revenu pour l'année d'imposition de l'entreprise au cours de laquelle les ventes ont été réalisées.
L'appelante soutient que la disposition en question a pour objet d'encourager l'ouverture
de nouvelles mines et selon l'interprétation qu'il en donne, ce stimulant aurait plus d'importance que selon celle du Ministre. Il semble évident que ce stimulant constitue l'objet de la disposi tion. Toutefois, il est bien établi que la nature et l'étendue d'un stimulant ne peuvent être que celles que le législateur a déterminées. Si le législateur avait souhaité donner plus d'impor- tance au stimulant, il l'aurait alors fait en des termes appropriés.
Je suis d'avis qu'il y a lieu de rejeter l'appel avec dépens.
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