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La Reine (Appelante)
c.
Wilfrid Nadeau Inc. (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Choquette et Lacroix—Québec, le 6 novembre 1973.
Pratique—Appel du rejet d'une demande de radiation d'une déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action—Règle 419 de la Cour fédérale.
Il faudrait une situation exceptionnelle pour que la Cour d'appel infirme une décision d'un juge de première instance rejetant une demande, présentée en vertu de la Règle 419, visant la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action. Il incombe au juge de pre- mière instance, dans l'exercice de son pouvoir discrétion- naire, de décider si la façon la plus appropriée de régler un point de droit est par une demande en vertu de la Règle 419. Vu que le requérant peut se prévaloir d'autres recours (par exemple, la procédure prévue à la Règle 474), la Cour n'exercera pas ordinairement sa discrétion pour s'immiscer dans le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance.
Arrêts comparés: Drummond -Jackson c. British Medi cal Association [1970] 1 W.L.R. 688; Attorney -General of the Duchy of Lancaster c. London and North West ern Rly. [1892] 3 Ch. 274; Hubbuck & Sons, Ltd. c. Wilkinson, Heywood & Clark, Ltd. [1899] 1 Q.B. 86.
APPEL. AVOCATS:
J. C. Ruelland pour l'appelante. Raynold Belanger pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Raynold Belanger, Québec, pour l'intimée. Le jugement de la Cour a été prononcé par
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Appel est inter- jeté du rejet d'une demande, présentée en vertu de la Règle 419 1 , en radiation de la déclaration en l'espèce au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action.
A l'issue de la plaidoirie préliminaire de l'ap- pelante, nous avons fait savoir à l'avocat de l'intimée qu'il ne serait pas nécessaire de l'en- tendre, que l'appel serait rejeté et que nous rendrions nos motifs ultérieurement.
Pour que cette Cour infirme la décision d'un juge de première instance rejetant une telle demande, il faudrait une situation exception- nelle. Ce point de vue tient au fait qu'il existe une autre procédure plus au point aux termes de la Règle 474 2 permettant de trancher la question soulevée par une telle demande.' Déterminer si l'on doit régler un point de droit en vertu de la Règle 419 ou de la Règle 474, ou si l'on doit le trancher à l'audience, est une question qui incombe ordinairement au juge de première in stance. Quoi qu'il en soit, en l'absence de circon- stances extraordinaires, il ne devrait pas seule- ment être clair et manifeste, 4 mais il devrait être manifeste sans besoin d'explications compli- quées, que la déclaration ne révèle aucune cause d'action avant que la Cour d'appel ne s'immisce dans le pouvoir discrétionnaire du juge de pre- mière instance de ne pas radier la déclaration en vertu de la Règle 419.
Certains aspects de la présente affaire n'ont pas fait l'objet de plaidoiries précises et l'on ne peut s'attendre à ce que l'intimée, dans les cir- constances de l'espèce, les présente de façon précise tant qu'elle n'aura pas pu procéder aux interrogatoires préalables.' Quand ils auront eu lieu, il peut s'avérer que ce que l'intimée a plaidé constitue un cas soutenable de «faute» au sens de l'article 1053 du Code civil, 6 ou vice- versa. On peut pour le moins soutenir qu'une personne induite à devenir soumissionnaire pour un marché de construction par concours dont l'issue était «fixée» dès le début, a une réclama- tion en vertu de l'article 1053 pour toutes dépenses ou pertes directement imputables aux faits qu'elle a été invitée à devenir soumission- naire dans un concours de ce genre ? On ne peut donc pas dire qu'il est manifeste que les alléga- tions dont la déclaration en l'espèce fait état ne révèlent aucune cause d'action.
En outre, déterminer si l'article 7(2) du Règle- ment sur les marchés de l'État,' qui exige l'auto- risation du Conseil du Trésor pour «ne pas tenir compte de la plus basse soumission», confère un droit au plus bas soumissionnaire, est aussi une question pour laquelle un juge de première instance peut à bon droit considérer qu'une simple requête en radiation en vertu de la Règle 419 ne permet pas de donner une solution
appropriée, la réponse correcte à cette question ne pouvant ressortir que d'un débat plus poussé 9
Pour les raisons susmentionnées, nous con- cluons qu'il y a lieu de rejeter le présent appel avec dépens.
Voici un extrait de la Règle 419:
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie, avec ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas, ... .
2 La Règle 474 se lit comme suit:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d'une question, ou
b) statuer sur un point afférent à l'admissibilité d'une preuve (notamment d'un document ou d'une autre pièce justificative),
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de l'action sous réserve de modification en appel.
(2) Sur demande, la Cour pourra donner des instructions quant aux données sur lesquelles doit se fonder le débat relatif à un point à décider en vertu du paragraphe (1).
Il est fait mention de ces procédures dans un passage de Bokor c. La Reine [1969] C.É. (non publié) qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] On ne devrait faire droit à une demande en radiation d'une déclaration ou autre plaidoirie par laquelle on réclame un redressement que s'il est manifeste que, de toute évidence, la réclamation est «absolument insoutenable.» (Comparer avec l'arrêt Attorney -General of the Duchy of Lancaster c. London and North Western Railway [1892] 3 Ch. 274.) S'il y a un point de droit qui peut faire l'objet d'une discussion sérieuse, on doit s'opposer aux plaidoiries et le point de droit fera l'objet d'une audition et d'une décision avant le procès aux termes de la Règle 149 ou, selon les circonstances, on doit soumettre la question au tribunal lors du procès. (Comparer avec l'arrêt Hubbuck & Sons, Ltd. c. Wilkinson, Heywood & Clark, Ltd. [1899] 1 Q.B. 86.)
4 Voir Drummond -Jackson c. British Medical Association [1970] 1 W.L.R. 688, Lord Pearson aux pages 695 et 696.
Voir Page c. Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited [1972] C.F. 1141.
6 A ce stade, on pourra lui demander de donner des détails sur les allégations de la déclaration et une demande en vertu de la Règle 474 peut être appropriée une fois lesdits détails fournis.
7 Comparer avec l'arrêt W. I. Bishop Ltd. c. James Maclaren Co. [1937] 2 D.L.R. 625 (C.P.), Lord Roche aux pages 634 et 635.
8 L'article 7(2) du Règlement sur les marchés de l'État se lit comme suit:
(2) Lorsque des soumissions ont été obtenues en confor- mité du paragraphe (1), et que l'autorité contractante ne juge pas opportun d'adjuger l'entreprise au plus bas soumission- naire, l'autorité contractante doit obtenir du Conseil du Trésor l'autorisation de ne pas tenir compte de la plus basse soumission.
9 Ceci ne veut pas dire qu'un juge de première instance ne pourrait à bon droit, dans un cas exceptionnel, accorder à une demande en vertu de la Règle 419 «une audition relati- vement longue et approfondie au lieu d'une audition courte et sommaire». Comparer avec l'arrêt Drummond -Jackson c. British Medical Association [1970] 1 W.L.R. 688, Lord Pearson aux pages 695 et 696. Dans le cadre de ses pouvoirs discrétionnaires, il pourrait organiser une telle audience s'il estimait opportun de le faire. Voir les arrêts Rondel c. Worsley [1969] 1 A.C. 191; Wiseman c. Borneman [1969] 3 W.L.R. 706; Roy c. Prior [1970] 1 Q.B. 283 et Schmidt c. Home Office [1969] 2 Ch. 149, mentionnés par Lord Pear- son à cet égard. Nous affirmons qu'il revient avant tout au juge de première instance, dans l'exercice de sa discrétion, de décider si un point de droit peut être tranché à l'occasion d'une procédure en vertu de la Règle 419 et, comme le requérant a d'autres moyens à sa disposition, en général la Cour d'appel ne substituera pas son pouvoir discrétionnaire à celui du juge de première instance.
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