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Derek D. Martin (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra- tion (Intime')
Cour d'appel; les juges Thurlow et Pratte, le juge suppléant Perrier—Montréal (P.Q.), le 29 juin 1972.
Immigration—Ordonnance d'expulsion—Appel d'un refus de la Commission d'appel de l'immigration d'accorder un redressement spécial—La Commission a-t-elle tenu compte de facteurs autres que des motifs de pitié et des considéra- tions d'ordre humanitaire—Conclusions de fait—Y a-t-il des motifs d'annulation—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 15(1)b)(ii).
M, musicien et citoyen américain, a épousé une citoyenne canadienne à Montréal en 1965. Il a vécu dans cette ville avec son épouse et son enfant jusqu'en 1967, alors qu'une ordonnance d'expulsion a été rendue contre lui au motif qu'il n'était pas en possession de certains documents requis par les règlements de l'immigration. L'épouse et l'enfant sont demeurés au Canada et My est revenu à l'occasion. En 1970, il a été rendu contre lui une nouvelle ordonnance d'expulsion fondée sur la première et sur le fait que le Ministre n'avait pas consenti, en vertu de l'article 35 de la Loi sur l'immigration, à ce qu'il soit admis au Canada. Un appel ayant été interjeté devant la Commission d'appel de l'immigration, cette dernière a refusé d'accorder à M le redressement spécial prévu à l'article 15 de la Loi sur l'immigration. La Commission a déclaré qu'elle mettait sérieusement en doute la crédibilité, la bonne foi et le sens des responsabilités de l'appelant, que le fait que l'appelant était séparé de sa famille était à la nature de son emploi, problème qui ne serait pas résolu par l'octroi d'un redresse- ment spécial, et que, de toute manière, son épouse pouvait parrainer sa demande d'admission au Canada en vertu de l'article 31 de la Loi.
Arrêt: L'appel de M est rejeté. En refusant d'accorder à M le redressement spécial prévu à l'article 15(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la Commission n'a pas excédé le pouvoir que lui confère le paragraphe (1)b)(ii) de ne tenir compte que de motifs de pitié et de considérations d'ordre humanitaire. Tous les facteurs dont la Commission a tenu compte sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existait des motifs de pitié et des considé- rations d'ordre humanitaire. Bien qu'il soit possible que la Cour ne partage pas les conclusions de fait de la Commis sion, elle n'a pas de motifs suffisants de les infirmer.
Arrêt cité: Boulis c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (rendu par la Cour suprême le 30 mars 1972).
APPEL d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration.
M. Riback, c.r. pour l'appelant. G. R. Leger pour l'intimé.
LE JUGE THURLOW—L'appelant est citoyen américain. en 1938, il a terminé sa huitième année scolaire pour ensuite gagner sa vie comme musicien de cabaret. Il est arrivé au Canada en 1964. Au mois de novembre de l'année suivante, il épousait une citoyenne cana- dienne à Montréal. De ce mariage, un enfant est au Canada en 1966. En juin 1967, alors que l'appelant, son épouse et leur enfant demeu- raient à Montréal, ces deux derniers habitent toujours, l'appelant et son épouse se sont rendus aux bureaux de l'immigration afin d'es- sayer de trouver un moyen de légaliser la pré- sence de l'appelant au Canada. Il a rempli des formules, avec le résultat qu'une ordonnance d'expulsion a été rendue contre lui pour le motif qu'il n'était pas en possession d'une lettre de pré-examen ni d'un certificat médical, ainsi que le requièrent les règlements de l'immigration. L'appelant n'a pas interjeté appel de cette ordonnance d'expulsion. Après son expulsion, il est revenu au Canada à l'occasion et, lors d'une de ces visites, au début de 1970, il a été arrêté par la police à Montréal. Le 2 février 1970, au terme d'une enquête spéciale, il a été rendu contre lui une seconde ordonnance d'expulsion fondée sur la première et sur le fait que le Ministre n'a pas consenti, en vertu de l'article 35 de la Loi sur l'immigration, à ce qu'il soit admis au Canada ou à ce qu'on lui permette de demeurer au Canada. L'appelant a alors inter- jeté appel devant la Commission d'appel de l'immigration. Son appel a été entendu le 7 juin 1971 et rejeté le 5 juillet 1971. Au cours de ce même appel, la Commission a refusé d'accorder un redressement spécial en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration et elle a ordonné que l'ordonnance d'ex- pulsion soit exécutée le plus tôt possible. La Commission a motivé son jugement par écrit le 24 août 1971, ou vers cette date.
Par la suite, l'appelant a obtenu la permission d'interjeter appel devant cette Cour, d'où le présent appel. Son appel n'est pas fondé sur le motif que l'ordonnance d'expulsion n'aurait pas été régulièrement rendue, mais sur le motif que la Commission a commis une erreur en refusant de lui accorder un redressement en vertu de l'article 15(1)b)(ii) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Il conteste plus parti- culièrement la décision en alléguant que la
Commission a, à tort, appliqué ses propres cri- tères aux fins de déterminer s'il y avait lieu de lui permettre de demeurer au Canada au lieu d'appliquer les critères énoncés par l'article 15 de la Loi, ou qu'elle a ajouté lesdits critères à ceux prévus par l'article en cause et que, consé- quemment, sa décision n'est pas fondée.
L'article 15(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration se lit comme suit:
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expul- sion en conformité de l'alinéa 14c), elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,
a) dans le cas d'une personne qui était un résident perma nent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou
b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'ex- pulsion, compte tenu
(i) de l'existence de motifs raisonnables de croire que, si l'on procède à l'exécution de l'ordonnance, la per- sonne intéressée sera punie pour des activités d'un caractère politique ou soumise à de graves tribulations, ou
(ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'octroi d'un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
On dit souvent que le pouvoir de la Commis sion aux termes dudit article est un pouvoir de rendre un jugement «d'équité», peut-être à cause du fait que l'exercice de ce pouvoir sert parfois à atténuer les rigueurs qui peuvent résulter d'une application trop stricte de la Loi sur l'immigration dans certains cas particuliers. Il est certainement commode de dire qu'il s'agit du pouvoir de rendre un jugement «d'équité», mais l'emploi de cette expression ne doit pas nous faire oublier que les pouvoirs conférés par l'article 15 sont des pouvoirs statutaires et que leur exercice est régi par les termes mêmes de la Loi. Par conséquent, il n'existe pas nécessai- rement un rapport entre les principes qu'il y a lieu d'appliquer en vertu de cet article et les principes de l'equity, qui sont relatifs au droit de propriété et sont nés d'une longue jurisprudence devant les tribunaux d'equity, en Angleterre et au Canada. Il me semble plutôt que le législa- teur a voulu que la Commission, dans les limites du pouvoir qui lui est conféré, tienne compte
des considérations générales d'ordre humani- taire qui jouent un rôle dans l'expulsion d'une personne donnée du Canada, aux fins de savoir s'il y a lieu de déroger aux règles de la Loi sur l'immigration.
Toutefois, la question précise qui se pose à la Commission n'est pas la même dans tous les cas qui se présentent à elle en vertu dudit article, car la Loi elle-même prévoit un certain nombre de situations. Ainsi, le pouvoir de la Commis sion d'accorder un redressement dans les cas il s'agit d'un résident permanent est régi par l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 15 et il doit être exercé «compte tenu de toutes les circonstances du cas». Par contre, lorsqu'il ne s'agit pas de résidents permanents, soit la situa tion visée par l'alinéa b), l'exercice du pouvoir de la Commission dépend (1) de l'existence de motifs raisonnables de croire que, si l'on pro- cède à l'exécution de l'ordonnance, la personne intéressée sera punie pour des activités d'un caractère politique ou soumise à de graves tri bulations, ou (2) de l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'oc- troi d'un redressement spécial. Il convient de remarquer que le sous-alinéa (i) vise les seules conséquences qui affectent la personne nommée dans l'ordonnance d'expulsion alors que le sous-alinéa (ii) ne contient pas cette limite, ce qui permet de tenir compte de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humani- taire pouvant affecter d'autres personnes que celle visée par l'ordonnance, le critère étant de savoir si ces motifs ou ces considérations justi- fient, de l'avis de la Commission, l'octroi d'un redressement spécial. Il semble s'ensuivre qu'un critère applicable aux fins de l'article 15(1)a) ne l'est pas nécessairement aux fins de l'article 15(1)b) et vice versa, et qu'il est nécessaire d'étudier chaque cas, non à la lumière de consi- dérations générales applicables à tous les cas, mais du point de vue de l'applicabilité de dispo sitions données à des situations données, à mesure qu'elles se présentent.
Le cas de l'appelant ne pouvait être examiné qu'en vertu de l'article 15(1)b)(ii) et, à mon avis, la Commission était appelée à trancher la ques tion de savoir si les motifs de pitié ou les considérations d'ordre humanitaire relatifs à
l'appelant, à son épouse et à leur enfant, dans l'exécution de l'ordonnance d'expulsion, ce qui devait avoir pour résultat de séparer l'appelant de son épouse et de leur fils ou d'obliger l'é- pouse et le fils à quitter le Canada pour aller demeurer avec l'appelant dans tout pays qui voudrait bien les accueillir, justifiaient l'octroi d'un redressement spécial. Dans l'affirmative, la Commission était fondée à octroyer le redresse- ment spécial prévu, qui pouvait aller d'un simple sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion jusqu'à une annulation pure et simple de ladite ordonnance, avec droit d'entrée ou de débarquement. Le redressement spécial aurait pu, dans un cas comme celui qui nous occupe, consister à ordonner un sursis à l'exé- cution pendant une période de temps suffisante pour permettre à l'appelant de se procurer les documents dont l'absence avait entraîné son expulsion en 1967. La Commission aurait ensuite eu le pouvoir de faire un nouvel examen de l'affaire et de rendre une décision en vertu des paragraphes (3) et (4) de l'article 15.
La Commission a commencé l'étude de l'e- xercice de son pouvoir en vertu de l'article 15 en faisant la déclaration de portée générale qui suit:
[TRADUCTION] En ce qui concerne son pouvoir de rendre un jugement d'équité en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la Cour considère que le redressement spécial prévu audit article est en fait une exception à la Loi et aux règlements sur l'immigration et un véritable privilège dont l'appelant peut bénéficier si les circonstances particulières décrites plus en détail à l'article 15 justifient la Commission de mitiger la rigueur de la loi. L'article 15 confère à la Commission de très larges pouvoirs et lui permet de suspendre l'application de la Loi et des règlements sur l'immigration et elle doit l'appliquer avec le plus de circonspection possible afin que ces lois, adoptées par le Parlement pour des objets précis, ne deviennent pas lettre morte.
Les critères généraux que la Commission a considérés comme essentiels à l'exercice judicieux du pouvoir de rendre un jugement d'équité en vertu de l'article 15 com- prennent, d'une part, la crédibilité, la bonne foi et un sens normal des responsabilités chez l'appelant et, d'autre part, l'existence d'un grave problème d'immigration assorti de considérations de pitié et d'ordre humanitaire, auquel la Loi n'apporte pas une solution satisfaisante.
La Commission a ensuite poursuivi son étude et conclu (1) qu'elle mettait sérieusement en doute la crédibilité de l'appelant; (2) que la bonne foi de l'appelant pouvait aussi être mise en doute; (3) que l'attitude de l'appelant quant à
son statut légal au Canada, même si l'on tient compte de la demande qu'il a faite en vue d'obtenir un visa pour son épouse aux États- Unis, ne permet pas de considérer celui-ci comme une personne ayant un sens normal des responsabilités; et (4) que la séparation de la famille de l'appelant était plus un problème à la nature de l'emploi de l'appelant qu'un problè- me d'immigration et qu'il était peu probable que l'octroi d'un redressement spécial résolve le problème de l'appelant vis-à-vis de sa famille. La Commission a cité des extraits de témoigna- ges à l'appui de chacune de ses conclusions. J'aurai l'occasion de revenir sur cette question plus tard. La Commission a conclu comme suit:
[TRADUCTION] La Commission considère qu'il ne serait pas justifié, dans la présente affaire, de suspendre l'applica- tion de la Loi et des règlements sur l'immigration et d'accor- der un redressement spécial à l'appelant, surtout si l'on considère que la loi fournit à l'appelant un moyen de revenir légalement au Canada, s'il le désire.
La Cour est saisie d'un appel de cette déci- sion, après avoir accordé son autorisation, en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, tel que modifié par l'article 64(3) de la Loi sur la Cour fédérale, mais l'appel ne doit porter que sur une «ques- tion de droit, y compris une question de juridiction».
Dans une affaire récente, Boulis c. Le minis- tre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (déci- sion non publiée rendue le 30 mars 1972), le juge Abbott, en rendant le jugement de la majo- rité, a analysé comme suit la portée d'un appel d'une décision rendue par la Commission en vertu de l'article 15.
Je suis d'accord avec mon collègue le juge Laskin que cette Cour a compétence pour entendre un appel comme celui-ci. De fait, elle l'a fait récemment dans l'arrêt Grillas c. Le ministre, de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration rendu le 20 décembre 1971 (non encore publié), bien que les moyens de droit invoqués lors de cet appel n'étaient [sic] pas les mêmes que ceux qu'on a présentés ici.
A mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l'on établit que la Commission a) a refusé d'exercer sa compétence ou b) n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, Lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l'arrêt D. R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1949] A.C. 24, à la p. 36:
[TRADUCTION] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi
ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurispru dence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considé- ration étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.
Dans la même affaire, le juge Laskin, parlant en son nom personnel et en celui du juge Pigeon, a déclaré:
Le Parlement a imposé à la Commission la tâche à la fois lourde et délicate de se prononcer sur des demandes d'asile politique et de retenir, dans l'examen des demandes d'entrée légale au Canada, des motifs de pitié ou des considérations d'ordre humanitaire. Du fait que le pouvoir d'accorder le droit d'entrée dans les cas de ce genre est un pouvoir judiciaire, la Commission est saisie de questions difficiles quant à l'appréciation de la preuve, parce que son jugement sur le caractère raisonnable des motifs de croire que l'ex- pulsé sera puni pour des activités politiques ou sera soumis à de graves tribulations (j'ai souligné) si l'ordre d'expulsion est exécuté comporte l'appréciation des politiques et réac- tions des autorités gouvernementales de pays étrangers à l'égard de leurs nationaux qui demandent l'asile au Canada quand ils ne peuvent être admis conformément aux exigen- ces régulières. A mon avis, le Parlement du Canada a indiqué clairement que l'octroi de l'asile ne doit pas dépen- dre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire fortuit ou arbitraire en vertu de l'art. 15(1)b)(i), mais qu'on peut obtenir l'intervention favorable de la Commission en lui présentant une preuve dont la Commission doit déterminer la pertinence et le poids à la manière d'un tribunal judi- ciaire. La Commission a donc été investie d'une fonction qui auparavant appartenait au pouvoir exécutif. Le droit d'appel à cette Cour montre bien que l'exercice de cette fonction ne doit pas se faire sans surveillance. D'autre part, il faut accorder à la Commission la confiance que son statut de cour d'archives indépendante commande pour ce qui est d'un examen soigneux et juste des demandes de redresse- ment qui lui sont faites en vertu de l'art. 15(1)b). Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que l'art. 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission.
Dans la présente affaire, il me semble qu'il se dégage des motifs de la Commission qu'elle a étudié la situation en se demandant (1) si l'appe- lant, de par sa façon d'agir quant à son admis sion au Canada et quant à l'enquête, a démontré qu'il méritait qu'un redressement spécial lui soit accordé; (2) si l'octroi d'un redressement spé- cial réglerait le problème de la séparation qui existe entre l'appelant, d'une part, son épouse et son enfant, d'autre part; et (3) si l'appelant avait d'autres moyens d'entrer légalement au Canada. On voit également que la Commission était consciente du fait qu'il existait des motifs de
pitié et des considérations d'ordre humanitaire rattachées à l'effet probable de l'expulsion, qui allait séparer l'appelant de son épouse et de son enfant, et que la Commission a analysé la situa tion du point de vue des effets de l'expulsion de l'appelant sur le bien-être de l'épouse et de l'enfant ainsi que sur celui de l'appelant lui-même.
A mon avis, la Commission était justifiée de tenir compte des considérations susmentionnées aux fins de déterminer s'il existait des motifs de pitié ou des considérations d'ordre humanitaire qui rendaient nécessaire l'octroi d'un redresse- ment spécial et je ne crois donc pas que l'on puisse dire que la Commission a commis une erreur de droit ce faisant.
Au sujet de l'autre argument de l'appelant, savoir que les conclusions de fait tirées par la Commission quant à sa crédibilité et à sa bonne foi ne sont pas fondées en droit, il m'a été plus difficile d'en arriver à une décision. En ce qui concerne le doute exprimé quant à la crédibilité de l'appelant, je n'aurais pas considéré que les extraits des témoignages rendus à l'enquête spé- ciale cités par la Commission permettent d'en- tretenir des doutes sérieux quant à la crédibilité de l'appelant, principalement à cause du fait que (1) les extraits ne portent que sur deux ques tions qui semblent sans grande importance et sur lesquelles il y a divergence entre le témoi- gnage de l'appelant et celui de son épouse; (2) il ne semble y avoir aucune raison de croire qu'il n'est pas possible que ce soit le témoignage de l'épouse qui est erroné; et (3) ni l'appelant, ni son épouse, n'ont été interrogés sur ces ques tions lorsqu'ils ont témoigné devant la Commis sion. Toutefois, il appartient manifestement à la Commission d'évaluer la crédibilité des témoins et puisque les membres de la Commission ont entendu les témoignages de l'appelant et de son épouse au cours de l'audience d'appel, je ne crois pas qu'il me soit possible de conclure qu'ils ont commis une erreur de droit en déci- dant qu'il ne fallait pas croire tout ce que l'ap- pelant disait ou en mettant en doute sa crédibi- lité comme témoin. Il appartenait à l'appelant de convaincre la Commission que les circonstances de son cas justifiaient l'octroi d'un redresse- ment spécial et le doute qu'ils ont exprimé montre bien qu'à cette fin, ils n'étaient pas
disposés à accepter que son témoignage soit lui-même la preuve de son contenu. Il en va de même si l'on considère le fait que la Commis sion a mis en doute la bonne foi de l'appelant. Je ne crois pas qu'il a été prouvé que l'appelant a échappé aux agents de l'immigration plus d'une fois en faisant semblant de dormir, mais il est clair qu'il a caché son statut légal à plusieurs reprises en entrant au Canada et, dans l'ensem- ble, je ne crois pas qu'il soit possible de con- clure que la Commission a commis une erreur de droit en nourrissant un tel doute. De plus, il me semble que pour pouvoir mettre en cause le bien-fondé des doutes de la Commission pour le motif que je ne suis pas d'accord avec ce qu'elle cite ou déclare pour les justifier, il faudrait que la cour excède son pouvoir de révision, ainsi que l'expliquent les juges Abbott et Laskin dans leurs motifs de l'affaire Boulis, et de lire les motifs de la Commission «à la loupe».
Il y a lieu d'appliquer un raisonnement sem- blable quant à l'opinion de la Commission selon laquelle il est peu probable que le problème de la séparation de la famille de l'appelant pourrait être réglé par l'octroi d'un redressement spécial. Encore une fois, je ne considère pas que les extraits cités par la Commission justifient l'opi- nion qu'elle s'est faite et je ne crois pas que je serais arrivé à la même conclusion d'après l'en- semble de la preuve si j'avais eu à me pronon- cer sur les faits. Toutefois, le jugement de la Commission n'est pas autre chose qu'un juge- ment portant sur des faits quant à l'effet de l'octroi d'un redressement spécial. Le jugement indique seulement que la Commission n'était pas convaincue que ce redressement allait régler le problème de la séparation de la famille et, d'après l'ensemble de la preuve, je ne crois pas que cette conclusion en est une de laquelle on puisse dire qu'une personne raisonnable, agissant d'une façon judiciaire et impartiale, ne pouvait absolument pas y arriver.
Il s'ensuit qu'il ne peut pas être conclu que la Commission a commis une erreur de droit. L'appel est donc rejeté.
* * *
LE JUGE PRAT'rE—L'appelant est un sujet américain qui, de passage à Montréal en 1965, a épousé une canadienne qui réside toujours à
Montréal avec leur enfant en 1966. Il en appelle de la décision de la Commission d'appel de l'immigration, rendue le 5 juillet 1971, qui a confirmé l'ordonnance d'expulsion prononcée contre lui le 2 février 1970 et a ordonné qu'elle soit exécutée le plus tôt possible.
L'appelant ne prétend pas que la Commission eut faire droit à son appel. Il admet qu'il se trouvait illégalement au Canada en 1970 puis- qu'il y était venu sans avoir obtenu le consente- ment du Ministre alors qu'une première ordon- nance d'expulsion avait été prononcée contre lui en 1967 (Loi sur l'immigration, article 35, S.R.C. 1970, c. I-2). Ce que l'appelant reproche à la Commission, c'est d'avoir refusé d'exercer les pouvoirs extraordinaires que lui accorde l'article 15(1) de sa loi constitutive (Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3). Suivant cet article 15(1), la Com mission, lorsqu'elle rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion, peut néanmoins annu- ler cette ordonnance ou en suspendre l'exécu- tion, compte tenu de «l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'oc- troi d'un redressement spécial». L'appelant soumet que l'ordonnance d'expulsion l'obligera à vivre loin de sa femme et de son enfant et que, à cause de cela, la Commission aurait dû; la casser ou, au moins, en suspendre l'exécution.
On ne peut douter, depuis l'arrêt de la Cour suprême dans Boulis c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration (30 mars 1972, non publié), que le refus de la Commission d'exercer le pouvoir que lui accorde l'article 15(1) soit une décision susceptible d'appel «sur une ques tion de droit, y compris une question de compé- tence» (Loi sur la Commission d'appel de l'im- migration, S.R.C. 1970, c. I-3, article 23(1)). Il faut cependant se rappeler que, le pouvoir qu'accorde l'article 15(1) la Commission étant un pouvoir discrétionnaire, l'appel d'une telle décision ne pourrait réussir que dans le cas la Commission n'aurait pas exercé sa discrétion suivant les principes juridiques établis auxquels réfère la Cour suprême dans l'arrêt précité. Je veux ajouter à ce sujet une observation. A mon sens, il ne suffit pas, pour qu'un appel d'une telle décision soit accueilli, que l'on puisse rele- ver une erreur de droit dans les motifs de la
décision; il faut de plus (puisque l'appel existe contre la décision, non contre ses motifs) qu'il apparaisse que la décision aurait pu être diffé- rente si cette erreur n'avait pas été commise.
Si, en l'espèce, la Commission a refusé d'an- nuler l'ordonnance d'expulsion prononcée contre l'appelant c'est qu'elle a considéré d'a- bord, que l'on pouvait douter de la crédibilité de l'appelant, ainsi que de sa bonne foi et de son sens des responsabilités; c'est aussi parce que, suivant la Commission, même en l'absence d'une ordonnance d'expulsion, l'appelant, vu sa profession, devrait vivre souvent éloigné de sa famille; c'est enfin parce que l'appelant, s'il était déporté aux États-Unis pourrait rentrer légalement au pays dès lors qu'il obtiendrait l'autorisation du Ministre et qu'il serait «par- rainé» par son épouse (Règlements de l'immi- gration, Partie I, article 31).
Cette décision, suivant l'appelant, devrait être infirmée pour deux raisons.
Il prétend d'abord que la Commission a commis une erreur de droit en se référant, pour déterminer si elle annulerait l'ordonnance d'ex- pulsion, à des «critères» que la loi ne lui per- mettait pas d'utiliser. Cette critique concerne cette partie des motifs de la décision la Commission, après avoir conclu que l'appel devait être rejeté, s'exprime comme suit:
[TRADUCTION] En ce qui concerne son pouvoir de rendre un jugement d'équité en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la Cour considère que le redressement spécial prévu audit article est en fait une exception à la Loi et aux règlements sur l'immigration et un véritable privilège dont l'appelant peut bénéficier si les circonstances particulières décrites plus en détail à l'article 15 justifient la Commission d'atténuer la rigueur de la loi. L'article 15 confère à la Commission de très larges pouvoirs et lui permet de suspendre l'application de la Loi et des règlements sur l'immigration et elle doit l'appliquer avec le plus de circonspection possible afin que ces lois, adoptées par le Parlement pour des objets précis, ne deviennent pas lettre morte.
Les critères généraux que la Commission a considérés comme essentiels à l'exercice judicieux du pouvoir de rendre un jugement d'équité en vertu de l'article 15 com- prennent, d'une part, la crédibilité, la bonne foi et un sens normal des responsabilités chez l'appelant et, d'autre part, l'existence d'un grave problème d'immigration assorti de considérations de pitié et d'ordre humanitaire, auquel la Loi n'apporte pas une solution satisfaisante.
Il est certes des cas l'autorité investie d'un pouvoir discrétionnaire pourrait agir illégale- ment en soumettant l'exercice de sa discrétion à des règles qu'elle aurait elle-même formulées. Il en serait ainsi si ces règles étaient si précises et si rigides que, en les appliquant, le titulaire du pouvoir manquerait à son devoir d'exercer sa discrétion en prenant en considération tous les faits de chaque espèce qui lui est soumise (Voir: Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville, 47 D.L.R. (2d) 482; de Smith, Judicial Review of Administrative Action, 2e éd., p. 294); il en serait ainsi, également, si ces règles fai- saient appel à des considérations qui n'étaient pas pertinentes à l'exercice de la discrétion. Dans le cas qui nous est soumis, je ne pense pas que la Commission ait agi illégalement en se référant, pour déterminer si elle devait accorder un redressement spécial, aux critères énoncés dans les motifs de sa décision. L'application de ces critères d'ordre très général n'a pas conduit la Commission à ignorer une partie de la preuve. De plus, je ne crois pas que la Commis sion, en s'interrogeant sur la crédibilité, la bonne foi et le sens des responsabilités ait pris en considération des faits non pertinents à l'e- xercice de sa discrétion. Pour déterminer si un appelant doit, pour des motifs de pitié, être soustrait à l'application de la loi, il me semble normal que la Commission, en plus de considé- rer la situation que créera l'exécution de l'or- donnance d'expulsion, se demande si celui qui demande pitié mérite qu'on s'arrête à son sort. On est davantage enclin à éprouver de la pitié envers celui qui a démontré sa franchise, sa bonne foi et son sens des responsabilités qu'en- vers celui dont la crédibilité est douteuse et qui, après être venu au Canada alors qu'il savait que nos lois le lui interdisaient, n'a rien fait pour régulariser sa situation.
L'appelant a aussi prétendu, et c'est son second motif d'appel, que la décision attaquée est si déraisonnable qu'il faut dire que la Com mission a exercé sa discrétion illégalement sans avoir égard à la preuve. Ce grief concerne cette partie des motifs de la décision la Commis sion, appliquant les «critères» qu'elle avait d'a- bord formulés, affirme qu'elle doute de la crédi- bilité, de la bonne foi et du sens des responsabilités de l'appelant, et que l'appelant, même s'il n'était pas expulsé du Canada, vivrait
très souvent éloigné de sa famille.
La preuve établit de façon manifeste que l'appelant est venu au Canada en sachant qu'il contrevenait à nos lois et, aussi, qu'il n'a rien fait pour régulariser sa situation. Dans ces cir- constances il faut dire que la Commission était amplement justifiée de s'interroger sur la bonne foi de l'appelant et d'affirmer, que sa conduite n'était pas celle d'un homme normalement responsable.
On peut certes discuter de l'exactitude de l'affirmation de la Commission relativement à la crédibilité de l'appelant. Mais si je tiens compte du fait que la Commission a eu l'avantage d'en- tendre témoigner l'appelant, je ne peux, après avoir lu la preuve, dire que cette appréciation soit déraisonnable.
Reste l'affirmation de la Commission que, même si l'appelant était admis à demeurer au Canada, il vivrait très souvent séparé de sa famille. Le dossier révèle que l'appelant est un musicien qui, pour exercer sa profession, doit voyager beaucoup et s'absenter de chez lui par- fois pour de très longues périodes; de plus, l'appelant lui-même, lorsqu'il a témoigné devant l'enquêteur spécial a dit que, même s'il établis- sait sa résidence au Canada, il devrait, à cause des exigences de son travail, conserver une résidence aux États-Unis. Cela étant, il me semble que la Commission pouvait raisonnable- ment conclure comme elle l'a fait.
Pour ces motifs, l'appel devrait être rejeté.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT PERRIER—Les numéros ci-dessous mentionnés réfèrent aux pages du dossier d'appel.
—I—
L'appelant a été l'objet d'une ordonnance d'expulsion le 14 juin 1967.
Motifs du jugement:
[TRADUCTION] 1) vous n'êtes pas citoyen canadien;
2) vous n'êtes pas une personne ayant un domicile cana- dien; et
3) vous êtes membre de la catégorie interdite de person- nes décrite à l'alinéa t) de l'article 5 de la Loi sur l'immigra- tion vu que vous ne pouvez remplir ni observer, ou que vous ne remplissez ni n'observez, les conditions ou pres criptions de la présente Loi ou des règlements étant donné que vous n'êtes pas en possession d'une lettre de pré-exa- men en la forme prescrite par le Ministre, comme l'exige le paragraphe (2) de l'article 28 des Règlements sur l'immigra- tion, Partie I, de la Loi sur l'immigration;
4) vous êtes membre de la catégorie interdite décrite à l'alinéa t) de l'article 5 de la Loi sur l'immigration vu que vous ne pouvez remplir ni observer, ou que vous ne rem- plissez ni n'observez, les conditions ou prescriptions de la présente Loi ou des règlements, étant donné que vous n'êtes pas en possession d'un certificat médical en la forme pres- crite par le Ministre, comme l'exige le paragraphe (1) de l'article 29 des Règlements sur l'immigration, Partie I, de la Loi sur l'immigration.
J'ordonne par les présentes votre détention et votre expulsion.
Toutefois l'appelant croit qu'il y avait d'au- tres raisons qui motivaient son expulsion.
Page 8-[TRADUCTION]
Q. Vous a-t-on déjà refusé l'admission au Canada ou en avez-vous déjà été expulsé?
R. Oui.
Q. Pouvez-vous me donner les détails relatifs à cette expulsion?
R. J'ai été expulsé en 1967.
Q. Savez-vous pourquoi?
R. Autant que je sache, je devais recevoir des documents relatifs à un examen, mais je ne les ai jamais reçus. En 1967, je crois qu'on m'a dit que c'était la raison de mon expulsion. Il y a aussi les difficultés dans lesquel- les je me trouvais.
Q. De quelles sortes de difficultés s'agissait-il?
R. Il s'agissait d'une voiture louée que je n'ai pu rappor- ter à temps. Par la suite, bien que j'aie rapporté la voiture, on m'a faussement accusé de l'avoir volée; j'ai récemment été acquitté de cette accusation.
Q. Avez-vous eu d'autres démêlés avec la justice au Canada?
R. Non.
Q. Avez-vous déjà eu d'autres démêlés avec la justice dans un autre pays?
R. Une fois, à Newark au New Jersey; cette affaire est sur le point de se terminer.
Q. Avez-vous quelque objection à me donner des détails au sujet de cet incident survenu au New Jersey?
R. L'incident survenu à Newark, au New Jersey, concer- nait un orgue loué. Cette fois-là aussi, on m'a accusé d'avoir volé l'orgue. Cet incident remonte à 5 ans ou plus. Mon travail, grâce au salaire que je devrais gagner, me permettra aussi de régler cette affaire.
Q. Devez-vous une somme d'argent considérable dans cette affaire?
R. Rien que les frais d'avocat, c'est tout.
Q. Voulez-vous dire que les tribunaux vous ont acquitté dans cette affaire?
R. Je ne le crois pas, mais cela se pourrait bien après tout ce temps.
Q. Une sentence a-t-elle été rendue contre vous relative- ment à cette accusation?
R. Non.
Q. Avez-vous payé une amende ou avez-vous fait l'objet de quelque autre sentence?
R. Non.
Q. Diriez-vous que vous avez été détenu?
R. Oui, j'ai été détenu.
Q. Avez-vous été détenu en vue d'un procès ou con- damné à l'emprisonnement?
R. J'ai été détenu en vue d'un procès.
Q. Pendant combien de temps?
R. Deux semaines. Page 9-
Q. Avez-vous eu d'autres démêlés avec la justice ou les forces de l'ordre?
R. Non. Page 45-
Q. Bon, quel a été l'aboutissement, le cas échéant, des procédures engagées contre vous à Newark, au New Jersey, relativement à l'orgue que vous dites avoir loué? Vous trouverez cela à la page 8 de la transcrip tion; que s'est-il produit à cette occasion?
R. Bien, je ne me suis jamais fié à cette personne et j'ai fait des arrangements aux termes desquels je lui ferais des versements périodiques. Après cela, je n'en ai plus jamais entendu parler.
Il n'y a pas eu appel de ce jugement; consé- quemment, l'appelant était assujetti à l'article 35 de la Loi sur l'immigration.
35. Sauf lorsqu'un appel d'une telle ordonnance est admis, une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été rendue et qui est expulsée ou quitte le Canada, ne doit pas subséquemment être admise dans ce pays, ou il ne doit pas lui être permis d'y demeurer sans le consentement du Ministre.
—II—
Durant les trois années qui ont suivi cette ordonnance l'appelant n'est pas venu au Canada.
Page 7-[TRADucTION]
Q. Quelles sont ces périodes?
R. Au cours des trois dernières années, j'ai eu très peu de communication avec eux.
Q. Comment avez-vous communiqué avec eux?
R. Par téléphone. Elle est aussi venue à Plattsburg.
Q. Dois-je comprendre qu'au cours des trois dernières années vous n'êtes pas venu au Canada?
R. Non. J'y suis venu à quelques reprises, pour de courts séjours.
En décembre 1969, alors qu'il voyageait en automobile avec des amis, il est entré au Canada par le poste de Champlain.
Il représente qu'il dormait et que ce sont ses amis qui ont répondu aux questions posées par les officiers d'Immigration à la frontière. Il savait qu'il entrait illégalement au pays.
Page 37-[TRADucTION]
Q. Monsieur Martin, vous ne niez pas avoir déjà été expulsé du Canada?
R. Oui.
Q. Vous ne niez pas non plus que vous y êtes revenu sans avoir la permission du Ministre, contrairement aux dispositions de la Loi?
R. Oui.
Par hasard il fut arrêté par la police de Mon- tréal, puis référé au ministère de l'Immigration. Il déclare qu'il venait visiter sa femme et son enfant mais il n'en avait pas avisé son épouse.
Page 41-[TRADucTION]
Q. Vous a-t-il demandé pourquoi vous veniez au Canada?
R. Oui.
Q. Que lui avez-vous répondu?
R. En visite.
Q. S'agissait-il d'une affirmation véridique?
R. Bien, étant donné que je n'étais pas venu pour y rester, il en découle que c'était une visite.
Q. Mais quelles étaient vos intentions?
R. Voir ma femme et mon fils.
Q. Et combien de temps comptiez-vous demeurer au Canada?
R. Bien, j'avais l'intention, après avoir vu ma femme et mon fils, de me rendre aux bureaux de l'Immigration et de demander qu'on m'accorde une autre chance.
Il prétend également qu'il avait l'intention de se rapporter à l'Immigration et d'entreprendre les procédures nécessaires pour régulariser sa situation. A la suite d'une nouvelle enquête, une deuxième ordonnance d'expulsion fut émise le 2 février 1970.
Motifs de ce jugement (page 33):
[TRADUCTION] 1. Vous n'êtes pas citoyen canadien.
2. Vous n'êtes pas une personne ayant acquis un domicile canadien.
3. Vous êtes une personne décrite au sous-alinéa (ix) de l'alinéa o) du paragraphe (1) de l'article 19 de la Loi sur l'immigration vu que vous êtes revenu au Canada et que vous y êtes demeuré contrairement aux dispositions de la Loi après qu'une ordonnance d'expulsion a été rendue contre vous à Montréal, le 14 juin 1967; vu qu'aucun appel
interjeté d'une telle ordonnance n'a été accueilli, que vous avez été expulsé, que vous avez quitté le Canada et que le Ministre n'avait pas consenti à votre retour au Canada, il est contraire aux dispositions de l'article 38 de la Loi sur l'immigration de vous permettre de demeurer au Canada. Conformément aux dispositions du paragraphe (2) de l'arti- cle 19 de la Loi sur l'immigration, vous êtes sujet à expulsion.
La Commission Commission d'appel a rejeté cet appel le 24 août 1971 pour les motifs explicités dans sa décision (pages 65 70).
—IV—
L'appelant entend se prévaloir de l'article 15 de la Loi prévoyant des appels devant une Commission d'appel de l'immigration.
15. (1) ... Toutefois ... La Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la per- sonne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
Dans son jugement, la Commission d'appel certes a tenu compte de la situation pénible qui résulte du fait de condamner l'appelant à vivre à l'extérieur du pays alors que sa femme et son enfant, maintenant âgé de 5 ans, vivent à Montréal.
Il n'était pas illogique pour la Commission d'appel de souligner qu'une telle séparation résulte bien plus de l'occupation et de l'emploi de l'appelant que d'une conséquence de l'ordon- nance. Les témoignages de l'appelant et de son épouse établissent que, depuis leur mariage en 1965, les époux ont vécu ensemble pour envi- ron deux ans et demi, par diverses périodes n'excédant pas deux mois. La preuve révèle que l'appelant a travaillé à l'extérieur du pays dans une proportion de soixante-dix pour cent (70%).
Si son appel était maintenu, il est certain que l'appelant continuerait comme par le passé à travailler beaucoup plus longtemps à l'étranger qu'au pays. D'ailleurs l'intention de l'appelant de demeurer au pays ne paraît pas définitive.
Les deux époux, certes, préféreraient demeu- rer au Canada. Toutefois, l'épouse se déclare prête à continuer la vie commune avec son mari aux États-Unis advenant le rejet du présent appel.
[TRADUCTION] Q. Si votre mari est obligé de retourner aux États-Unis, avez-vous l'intention d'y retourner avec lui ou de vivre au Canada?
R. J'ai l'intention de vivre au Canada. Je souhaite deman- der certains documents pour son compte s'il ne peut le faire lui-même. Il veut acheter une maison pour que nous puissions vivre ici, mais s'il ne peut entrer au Canada, je suppose qu'il me faudra aller aux États-Unis.
Q. Avez-vous l'intention de vivre avec votre mari et votre enfant?
R. Oui, c'est définitivement mon intention.
—V—
Il est à souligner que la situation financière de l'appelant n'est guère prospère; il a été et sera sans emploi à cause des aléas de sa profession pendant d'assez longues périodes. Son épouse a déclaré que lorsque son mari travaillait, il lui faisait parvenir un montant de $200.00 à $250.00 par mois, alors que lui-même a témoi- gné qu'il adressait à son épouse un minimum de $25 par semaine. Il est dûment établi qu'en diverses circonstances l'épouse a même venir en aide à son mari.
—VI—
La Commission d'appel a souligné des contra dictions substantielles entre les témoignages de l'appelant et ceux de son épouse. Il y a en outre d'autres contradictions entre le témoignage rendu par l'appelant le 2 février 1970 et celui qu'il a donné le 7 juin 1971.
L'attitude et les contradictions de l'appelant rendent sceptique le degré de crédibilité que la Cour peut apporter à ses témoignages et per- mettent de douter de sa bonne foi.
—VII—
Pour la principale raison que l'appelant n'a jamais sollicité ni obtenu le consentement du Ministre pour entrer au Canada, le jugement de la Commission d'appel est bien fondé.
L'épouse de l'appelant pourra avoir recours à l'article 31 des Règlements de la Loi sur l'immigration.
31. (1) Sous réserve du présent article, toute personne qui réside au Canada et est citoyen canadien ou a été légalement admise au Canada en vue d'y résider en perma nence a droit de parrainer l'admission au Canada, en vue de la résidence permanente, de l'une ou l'autre des personnes suivantes (ci-après appelée une «personne à charge parrainée»):
a) l'époux ou l'épouse de cette personne; .. .
C'est, d'ailleurs, ce qu'elle se propose de faire.
Page 16-
[TRADUCTION] R. J'aimerais qu'on me dise précisément ce qui va se produire. S'il va être expulsé je veux le savoir, et je veux connaître la procédure à suivre pour obtenir les documents nécessaires pour qu'on lui per- mette de venir résider en permanence au Canada. Voilà ce que je veux savoir. Depuis notre mariage, on ne peut rien lui reprocher. Nous nous sommes mariés ici à Montréal et notre fils y est né. Mon mari ne travaille pas à Montréal; il travaille souvent, mais la plupart du temps c'est aux États-Unis. Il serait souhai- table qu'on l'autorise enfin à résider au Canada en permanence. Combien de temps faudra-t-il pour rem- plir les formules de demande et obtenir le certificat nécessaire?
Page 52-
[TRADUCTION] Q. Alors, serait-il exact de dire que, depuis le mois de novembre 1967, vous n'avez présenté aucune demande relativement à l'admission de votre mari?
R. Non, pas avant que nous nous présentions ensemble aux bureaux de l'Immigration, la dernière fois.
Q. Saviez-vous qu'en qualité de citoyenne canadienne vous avez le droit de parrainer l'admission de votre mari au Canada?
R. Non, ils n'ont pas pris la peine de me donner ce renseignement.
Quand la situation juridique de l'appelant aura été régularisée et que la situation matrimo- niale des époux aura été quelque peu stabilisée, selon que l'appelant ait obtenu de l'emploi à l'étranger ou au pays, il lui sera plus facile de demander et d'obtenir sa réadmission.
Pour les raisons susdites, je suis d'avis de rejeter l'appel.
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