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Le révérend Joseph K. Wipf (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Jacob K. Wipf (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend Peter S. Tschetter (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend John K. Hofer (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend John K. Wurz (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Urie—
Edmonton, les 11, 12 et 13 septembre; Ottawa, le 19 novembre 1973.
Impôt sur le revenu—Huttérites—Revenu tiré d'une exploi tation agricole par une communauté—Les membres sont-ils assujettis à l'impôt pour leur part aliquote—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 2, 3 et 4.
Les demandeurs sont tous membres de colonies huttérites en Alberta; certaines ont été constituées en corporations par des Mémoires des conventions et d'autres non. Les mem- bres des colonies huttérites s'occupent collectivement d'une exploitation agricole afin de poursuivre les buts religieux de l'Église huttérite. Des cotisations à l'impôt sur le revenu furent établies à titre individuel pour les membres sur leurs parts du revenu collectif des colonies. Ils ont interjeté appel.
Arrêt: (1) les demandeurs ont reçu un revenu provenant d'une entreprise ou de biens au sens de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu et sont donc, en vertu de l'article 4, assujettis à l'impôt sur les bénéfices qui en découlent. Les demandeurs s'occupaient de cette exploitation agricole en commun avec d'autres membres de leurs colonies respecti- ves en vertu d'un accord qui consistait en une cession ou un transfert des revenus qu'ils tiraient de ladite entreprise; ce revenu était utilisé au bénéfice de tous. Les demandeurs
devaient donc déclarer leurs parts aliquotes même s'ils ne les avaient pas reçues.
Arrêts analysés: Barickman Hutterian Mutual Corp. c. Nault [1939] R.C.S. 223; Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958; Lagacé c. M.R.N. [1968] 2 R.C.É. 98.
(2) Il fut décidé en outre que, puisque toute l'organisation de l'Église huttérite crée une séparation nette entre l'Église, sous son aspect purement religieux, et la colonie, dont les membres ont en même temps des activités religieuses et profanes, les demandeurs ne sont pas autorisés à déduire de leur revenu de l'année le montant du revenu qu'ils ont gagné, comme s'ils étaient membres d'un ordre religieux au sens de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt analysé: La succession Towle c. M.R.N. [1967] R.C.S. 133.
(3) Il fut aussi décidé que le fait que les demandeurs soient tenus de payer un impôt sur leur revenu n'était pas en conflit avec les dispositions de la Déclaration canadienne des droits.
APPEL.
AVOCATS:
J. A. Matheson pour les demandeurs.
N. A. Chalmers, c.r., et R. Pyne pour la défenderesse.
PROCUREURS:
J. A. Matheson, Edmonton, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE URIE—Ces appels, par voie de procès de novo sont interjetés par les deman- deurs d'une décision de la Commission de révi- sion de l'impôt du 16 février 1972, confirmant les cotisations établies par la défenderesse pour leur revenu des années d'imposition 1961 à 1966 inclus. A la suite d'un accord entre les parties, les actions ont été entendues ensemble et la preuve produite s'applique à tous les appels.
Les demandeurs, désignés communément sous le nom d'«Huttérites», sont tous membres de l'Église huttérite fondée il y a plus de quatre siècles en Allemagne par Jacob Hutter. Son successeur, Peter Riedemann, rédigea l'ouvrage Rechenschaft unserer Religion, Lehre, und Glau- bens, publié en Allemagne en 1565. C'est ce
texte qui établit les bases de la doctrine, des croyances et des pratiques huttérites.
Les Huttérites sont organisés en colonies d'environ 100 personnes chacune. Lorsque les membres d'une colonie trouvent que cette der- nière est devenue trop importante pour fonc- tionner efficacement, un petit nombre d'entre eux quitte la colonie «mère» et fonde une nou- velle colonie, avec l'aide financière et matérielle de la première. Dans les divers documents pré- sentés en preuve pendant le procès, les colonies sont décrites comme des congrégations ou des communautés qui sont réunies en trois grands groupes désignés respectivement sous les noms de DARIUS-LEUT, LEHRER-LEUT et SCHMEID- LEUT. En règle générale, les résidents de la colonie sont membres de l'Église huttérite qui fut établie au Canada par la Loi constituant en corporation «The Hutterian Brethren Church», 15 George VI, S.C. 1951, c. 77. Dans cette affaire, tous les demandeurs sont membres de colonies appartenant au groupe DARIUS-LEUT.
L'article 4 de la Loi d'incorporation se lit comme suit:
4. La Corporation a pour objet de se livrer à la religion chrétienne, à l'adoration chrétienne, ainsi qu'à l'éducation et à l'enseignement religieux, et d'adorer Dieu conformément à la croyance religieuse des membres de la Corporation.
La loi autorise aussi la corporation à posséder des terres utilisées aux fins qui y sont précisées et pour des périodes de temps limitées; à emprunter de l'argent pour la poursuite des objets de la corporation et à placer et réinvestir ses fonds dans des placements autorisés.
Le ler août 1950, la Constitution de l'Église huttérite et les règles concernant la communauté de biens furent établies conformément à la Loi d'incorporation et signées par les représentants de toutes les colonies existantes appartenant aux trois groupes susmentionnés. Une nouvelle constitution modifiée entra en vigueur le 28 mai 1970, mais les parties ont - admis qu'en ce qui concerne ces procédures, c'est la constitution de 1950 (pièce D-1) qui doit s'appliquer. L'article 2 de cette constitution peut, pour plus de commo- dité, être résumé de la manière suivante.
Selon ce texte, les buts et les attributions pour lesquels l'Église a été établie consistent à suivre les préceptes religieux établis par Jacob Hutter de manière à ce que tous les membres parvien- nent à une unité spirituelle complète dans une communauté totale de biens, et tous les mem- bres, les anciens en particulier, sont responsa- bles de la réalisation des buts de l'Église. Il y est déclaré en outre que le capital et les surplus de produits et de fonds de chaque congrégation ou de chaque communauté de cette Église devront être affectés par ladite communauté aux oeuvres sociales auxquelles l'Église se consacre. Chaque congrégation ou communauté de l'Église est autorisée, entre autres, à:
[TRADUCTION] Pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meunerie et toutes branches de ces industries; fabriquer les produits et sous-produits de ces industries et en faire le commerce;
Exercer toute autre activité commerciale (qu'il s'agisse de fabrication ou d'un autre genre d'activité) que ladite congré- gation ou communauté de l'Église estimera pouvoir exercer à l'occasion de ses affaires, ou propre à accroître le patri- moine ou les droits de la congrégation ou communauté, d'une manière directe ou indirecte;
En général, les communautés sont autorisées en outre à acquérir l'entreprise, les biens et le passif de toute personne ou compagnie exploi- tant une entreprise autorisée par l'Église; à pos- séder, demander, acheter ou acquérir autrement tout brevet, permis, concession et autres, à titre de commettant, préposé ou autre; et à faire toutes autres choses favorables à la réalisation des buts de l'Église.
Chaque congrégation est aussi autorisée à acheter ou acquérir autrement des biens meu- bles ou immeubles et, bien sûr, à vendre ou céder lesdits biens, à emprunter et à consentir des garanties pour ces emprunts et à établir, modifier ou abroger les règles et règlements lorsque cela s'avère nécessaire pour la bonne administration de la communauté.
L'article 3 stipule que l'Église comprend toutes les congrégations et communautés des groupes DARIUS-LEUT, LEHRER-LEUT et SCHMEID-LEUT. Pour être en mesure de statuer sur le litige, les articles suivants sont pertinents:
[TRADUCTION] 35. Chaque congrégation ou communauté comprend toutes les personnes qui ont été admises, à leur demande, à en devenir membre, qui sont devenues membres et fidèles de l'Église l:uttérite, de la manière requise dans le
livre de Peter Riedemann susmentionné, et ont été choisies et admises comme membres par un vote majoritaire de tous les membres masculins de cette congrégation ou commu- nauté, au cours d'une assemblée annuelle, générale ou spéciale.
36. Aucun des membres de la congrégation ou communauté n'aura de droit cessible ou transmissible sur aucun des biens meubles ou immeubles de cette congrégation ou communauté.
37. Tous les biens meubles et immeubles d'une congréga- tion ou communauté, quelque soit leur provenance et leur mode d'acquisition, appartiendront à perpétuité à la congré- gation ou communauté, qui en aura la jouissance, les utili- sera et les gèrera à des fins utiles et profitables communes à tous ses membres, et selon les buts de ladite congrégation ou communauté.
38. Tous les biens meubles et immeubles que chaque membre de la congrégation ou communauté a, ou peut avoir ou posséder, ou auxquels il peut avoir droit au moment ou il (ou elle) se joint à cette congrégation ou communauté, ou en devient membre, ainsi que tous les biens meubles et immeu- bles que chaque membre d'une congrégation ou commu- nauté peut avoir, acquérir ou recevoir par succession ou auxquels il (ou elle) peut avoir droit, après être devenu(e) membre de la congrégation ou communauté, seront et demeureront la propriété de ladite congrégation ou commu- nauté, lui appartiendront, et seront utilisés par elle à des fins utiles et profitables communes à tous les membres de cette congrégation ou communauté.
39. Personne, si ce n'est la congrégation ou la communauté, conformément aux règles et règlements et conformément aux dispositions de ces articles, n'aura le droit d'avoir, posséder ni détenir les biens meubles et immeubles de ladite congrégation ou communauté, non plus que de les enlever ni de les soustraire à celle-ci, ni de les donner, vendre, céder ou aliéner. Si quelqu'un vient à être expulsé de ladite congrégation ou communauté, ou cesse d'en faire partie, il (ou elle) ne pourra avoir, prendre, retirer, donner, vendre, transporter ni céder aucun desdits biens de la congrégation ou communauté, ni aucun droit dans cesdits biens, ni avoir aucun titre quelconque à cesdits biens. Si l'un des membres de ladite congrégation ou communauté décède, en est expulsé ou cesse d'en faire partie, ni ses successeurs, héri- tiers, légataires ou créanciers, ni aucune autre personne n'aura un droit ou titre quelconque aux biens de ladite congrégation ou communauté, que ce membre ait été ou non propriétaire ou en possession d'un bien ou d'un droit quel- conque de la congrégation ou communauté au moment d'en devenir membre ou par la suite, qu'il ait ou non donné, abandonné, cédé ou transporté un bien ou un droit quelcon- que à la congrégation ou communauté depuis son admission.
40. Tout membre d'une congrégation ou communauté con- sacrera tout son temps, son travail, ses gains et ses forces à cette congrégation ou communauté et aux buts pour lesquels elle est constituée, librement, volontairement et sans aucune rémunération ni récompense d'aucune sorte, autre que ce qui est ci-après mentionné.
45. La décision de devenir membre d'une congrégation ou d'une communauté sera considérée comme un don, aban-
don, transfert, cession ou transport à cette congrégation ou communauté de tous les biens meubles ou immeubles appar- tenant au nouveau membre au moment il (ou elle) en devient membre, ou acquis ou hérités par lui (ou elle) à toute époque ultérieure; la congrégation ou communauté en aura la jouissance, la possession, les utilisera et les gèrera à des fins utiles pour tous ses membres.
(Le souligné est de moi.)
Les articles cités ci-dessus semblent établir une nette distinction entre a) les affaires reli- gieuses de l'Église dirigées par un conseil com- posé de neuf personnes, chacun des groupes, en désignant trois et b) les affaires temporelles, soit les entreprises et intérêts de chaque membre de l'Église, administrés par la congrégation ou communauté (désignée ci-dessous sous le nom de «colonie»).
Dans cet appel, chacun des demandeurs est, bien sûr, un membre de l'Église huttérite dûment baptisé, et un membre d'une colonie. Les demandeurs Hofer, Tschetter et Wurz sont membres respectivement des colonies connues sous le nom de «Hutterian Brethren of Scot - ford», «Hutterian Brethren of Mixburn» et «Hutterian Brethren of Wilson». Ces compa- gnies sont des compagnies constituées en corpo rations un peu spéciales, conformément aux dis positions de l'Alberta Companies Act.
Les demandeurs Joseph Wipf et Jacob Wipf sont tous les deux membres de la «Hutterian Brethren of Lakeside», un groupe non constitué en corporation.
Dans le cas des demandeurs membres de colonies constituées en corporation, les Mémoi- res des conventions comprennent des clauses indiquant l'objet de la compagnie, similaires ou identiques à l'extrait suivant du Mémoire des conventions de la colonie de Mixburn:
[TRADUCTION] 3. La compagnie a pour objet de:
a) Promouvoir, pratiquer et observer la religion chré- tienne et ses enseignements, et en relation et à l'intérieur de celle-ci, la religion et les enseignements de l'Église huttérite, à laquelle appartiennent les membres de ladite compagnie; pratiquer l'agriculture et la meunerie, fabri- quer de la farine et autres articles dérivés de produits agricoles, utiliser les techniques de la mécanique nécessai- res à ces activités, acheter, vendre et faire le commerce desdits produits agricoles ou produits fabriqués à partir de
ceux-ci, et autres articles, matériel, outillage, instruments ou autres propres ou nécessaires à l'agriculture, la meune- rie, la fabrication, la mécanique et aux techniques néces- saires à celles-ci, comme partie de, et en relation avec, la religion et les enseignements de ladite compagnie et de ses membres.
Chaque Mémoire prévoit, entre autres, que
a) tous les biens meubles et immeubles de la compagnie lui appartiendront, et seront utili- sés par elle «à des fins utiles et profitables pour tous ses membres», conformément à l'objet de la compagnie,
b) tous les biens meubles et immeubles appar- tenant à un des membres au moment il se joint à la compagnie, ou qu'il a acquis par la suite, appartiennent de la même manière à la compagnie et sont utilisés à des fins utiles et profitables pour tous ses membres, conformé- ment à l'objet de la compagnie,
c) aucun des biens ne pourra être soustrait à la compagnie si l'un de ses membres décède, en est expulsé ou cesse d'en faire partie,
d) tous les membres consacreront tout leur temps, leur travail, leurs gains et leurs forces à la compagnie et aux buts pour lesquels elle a été constituée, librement, volontairement et sans aucune rémunération ou récompense d'aucune sorte,
e) les membres de la colonie ont droit à ce que leurs conjoints et enfants, qui n'en sont pas membres, résident avec les membres et reçoivent de la compagnie la subsistance, l'en- seignement et l'éducation, tant et aussi long- temps qu'ils obéiront et se soumettront aux règles, prescriptions et exigences de ladite compagnie.
Pour les colonies non constituées en corpora tions, comme la colonie de Lakeside, un docu ment, que l'on pourrait appeler statuts d'asso- ciation, contient des dispositions très similaires aux dispositions des Mémoires des conventions susmentionnés des colonies constituées en cor porations. Dans la colonie de Lakeside, cinq administrateurs sont élus par les membres au cours de la réunion annuelle. Trois d'entre eux assument l'entière responsabilité de la gestion
des affaires et des biens de la colonie. Les deux autres n'ont que voix consultative.
Tel est, dans les grandes lignes, le contexte de ces appels. L'avocat des demandeurs a fait savoir au début du procès qu'il ne prétendait pas que les colonies étaient des organisations de charité au sens de l'article 62(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais seulement que chaque membre de la colonie, pris individuelle- ment, parce qu'il a renoncé à la propriété privée de biens et à tout droit à compensation pour son travail, n'a aucun salaire et donc aucun revenu imposable.
La preuve montre qu'aucun des membres de l'Église huttérite n'a de revenu, d'économies, de biens, d'assurances, de pension, de maison, de bétail, de véhicules à moteur, d'outillage agri- cole ou autre, et qu'aucun des membres ne reçoit de pension ni d'allocations familiales d'un organisme gouvernemental. Leurs besoins maté- riels comme les vêtements, la nourriture, le logement, les soins médicaux et dentaires, le matériel et l'outillage et tout ce qui leur est nécessaire est fourni par la colonie, par l'inter- médiaire de ses dirigeants ou administrateurs. La plus grande partie de leur nourriture provient des produits de l'élevage et de la culture prati- qués à la ferme collective. Ils fabriquent la plupart de leurs vêtements et de leurs chaussu- res mais achètent la nourriture qu'ils ne peuvent produire, ainsi que le tissu et le cuir nécessaires à la confection des vêtements et chaussures, dans les magasins des communautés avoisinan- tes.
Leur revenu provient de la vente de bétail, de produits laitiers, de volailles, d'oeufs, de légu- mes, de céréales, de peaux et de fourrure, et toutes les recettes sont comptabilisées par le trésorier de la colonie et par le prédicateur en chef qui sont aussi responsables du paiement de toutes les dépenses de fonctionnement, y com- pris les impôts sur les biens immobiliers de chaque colonie. Ces dirigeants de la colonie sont responsables de la bonne tenue des registres, des comptes bancaires et de l'investissement des surplus. Les surplus sont censés être utilisés pour les travaux de l'Église. La vérification des comptes est effectuée chaque année par des comptables professionnels.
Les entreprises agricoles des Huttérites ont un bon rendement et sont très rentables. Les états financiers déposés au dossier, si l'on consi- dère qu'ils sont caractéristiques de toutes ou de la plupart des opérations menées par les colo nies, indiquent que les Huttérites réalisent, chaque année, des profits nets importants. C'est l'imposition de ces profits qui fait l'objet de ces procédures. Jusqu'en 1960, les colonies n'ont apparemment payé aucun impôt sur le revenu. Je ne me souviens d'aucune preuve qui permette d'établir que des déclarations de revenu ont été déposées par ou au nom des colonies pour leurs membres avant cette date. Cependant, peu de temps après, des cotisations à l'impôt furent établies pour les corporations qui firent appel. Enfin, un accord fut conclu en 1968 entre le ministre du Revenu national et certains des appelants agissant pour et au nom des colonies huttérites du Canada. Cet accord établit la méthode de calcul du revenu imposable de chacun des membres de toutes les colonies. Les colonies des groupes LEHRER-LEUT et SCHMEID- LEUT ont depuis cette date respecté les termes de cet accord et payé des impôts pour chaque année depuis 1961 inclus jusqu'à maintenant. Le groupe DARIUS-LEUT, auquel appartiennent les demandeurs, refuse de se considérer comme lié par cet accord. Le Ministre a donc établi des cotisations pour les membres adultes de chaque colonie du groupe pour les années 1961 à 1966 inclus, conformément aux principes énoncés dans l'accord susmentionné, déposé au dossier comme pièce D-8 dans ces procédures. On a interjeté appel devant la Commission de révi- sion de l'impôt et maintenant devant cette Cour.
La thèse soutenue par l'avocat des deman- deurs, telle que je la conçois, consiste à soutenir que:
a) aucun impôt sur le revenu ne peut être exigé des Huttérites car ils ne reçoivent aucun revenu au sens des articles 3 et 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu,
b) même si on conclut qu'ils reçoivent un revenu imposable, ils sont membres d'un ordre religieux et, en tant que tels, ont fait voeu perpétuel de pauvreté. Les dispositions de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent donc et chacun d'eux a le
droit de déduire de son revenu de l'année un montant égal au revenu gagné puisque ce montant a été versé à l'ordre,
c) si, de toute façon, il est décidé que le revenu d'un membre est imposable selon les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, celles-ci sont inopérantes parce qu'entrant en conflit avec les dispositions de la Déclaration canadienne des droits, notamment l'article 1 c), en portant atteinte à la liberté de religion des Huttérites.
La défenderesse maintient, par contre, que les cultivateurs de chaque colonie mènent collecti- vement une entreprise agricole et qu'en vertu d'un contrat résultant des statuts d'association, ils cèdent à la compagnie les gains produits, avant même de les recevoir, pour que ces gains soient utilisés en conformité avec les disposi tions du Mémoire et des statuts d'association. Il s'agit donc de revenu qu'ils ont en main aux fins de l'imposition. Ce revenu est imposable sur la base d'une comptabilité d'exercice et non sur celle d'une comptabilité de caisse, puisqu'il n'y a aucune preuve que les demandeurs aient opté pour un calcul du revenu imposable d'après la méthode de caisse, comme l'exige l'article 85F(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Comme cela apparaîtra par la suite, je suis d'avis que les demandeurs ont reçu un revenu d'une entreprise ou de biens au sens de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que les profits en résultant sont imposables en vertu de l'article 4 de ladite loi. J'estime que c'est ici le cas parce que l'entreprise agricole est exploitée par les demandeurs en commun avec d'autres membres de leur colonie en vertu d'un accord, qui consiste en fait en une aliénation ou cession du revenu produit par les demandeurs grâce à cette entreprise. Ce revenu est utilisé en commun et pour le bénéfice de chacun; les demandeurs devaient donc déclarer leur part aliquote, nonobstant le fait qu'ils ne l'avaient pas eux-mêmes retirée.
Dans l'affaire Barickman Hutterian Mutual Corporation c. Nault [1939] R.C.S 223, la Cour suprême devait décider si l'appelante était un cultivateur au sens de la Loi d'arrangement entre cultivateurs et créanciers, 1934. L'appe-
Tante dans cette affaire, une colonie de l'Église huttérite, était une compagnie constituée en cor poration par une loi spéciale de la Législature du Manitoba. Les buts de la corporation tels qu'énoncés dans la loi étaient doubles:
a) promouvoir et pratiquer la religion chré- tienne conformément aux croyances de ses membres, et
b) pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meune- rie etc.
La loi contenait des clauses similaires à celle des articles des statuts d'association des colo nies auxquelles les demandeurs appartiennent, en particulier la communauté de biens et le fait de consacrer le travail et les gains à la corpora tion, sans salaire ni récompense.
Le juge en chef Duff conclut de la manière suivante (page 227):
[TRADUCTION] En second lieu, les membres de la corpora tion sont des cultivateurs dépendant, quant à leur subsis- tance et à celle de leur famille, des revenus de leurs travaux et de ceux de leurs frères dans l'entreprise agricole et les travaux qui s'y rattachent nécessairement, la corporation étant le dépositaire de tous les titres de propriété et de tous les revenus de la communauté, qu'elle détient et gère pour le bénéfice de tous. La corporation (qui se substitue aux anciens administrateurs) n'est que l'instrument juridique par lequel cette communauté autonome de cultivateurs gère, selon le droit, ses affaires et celles de ses membres (en fonction du principe de la communauté des biens). Il n'est donc pas impropre, à mon avis, de la désigner sous le nom de «cultivateur», en tant que «personne» dont l'activité principale est l'agriculture. Pour ce qui est du temporel, l'agriculture (et toutes les activités connexes nécessaires) n'est pas seulement leur activité «principale»; elle est décrite comme étant l'activité exclusive des membres de cette communauté.
Le juge en chef, comme on peut le voir, conclut que, nonobstant le fait que la corpora tion avait des buts de caractère religieux, son activité principale était celle d'un cultivateur et que la corporation était le dépositaire des reve- nus produits par cette activité, qu'elle détenait et gérait pour le bénéfice de tous. Sur la base de ce précédent qui fait autorité, les corporations ou les conseils d'administration auxquels sont versés les revenus des demandeurs ici présents, sont les simples dépositaires du revenu produit par chaque membre. Puisqu'on ne peut faire de distinctions entre les membres individuels, chacun d'eux est le bénéficiaire d'une part égale
du revenu net, même s'il ne la retire pas, et cette part constitue un revenu, au sens des articles 2, 3 et 4; elle est donc imposable.
A la page 231, le juge Kerwin (alors juge puîné) conclut comme je le fais dans l'affaire présente:
[TRADUCTION] La preuve non contredite démontre que l'agriculture est non seulement l'activité principale mais bien l'activité unique de tous ses membres.
Il se référa ensuite à l'article 2, paragraphes a) et b) de la Loi d'incorporation, l'on trouve des termes similaires aux clauses décrivant les buts de la corporation dans les lettres patentes des corporations dont les demandeurs sont membres. A la page 231 encore, il affirme:
[TRADUCTION] ... et selon l'article 2 de la loi constituant corporation, le premier but «de la corporation» est:—
a) de promouvoir et de pratiquer la religion chrétienne, l'adoration chrétienne ainsi que l'éducation et l'enseigne- ment religieux, et d'adorer Dieu conformément à la croyance religieuse des membres de la corporation;
Ceci, à mon avis, peut être considéré comme le but spirituel. Cependant, en ce qui concerne les buts et activités temporel- les de la «corporation» ainsi que son entreprise principale, la «corporation» est autorisée par l'article 2 b) à:—
b) pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meunerie et toutes les branches de ces industries; fabriquer les produits et sous-produits de ces industries et en faire le commerce;
les clauses suivantes autorisent la «corporation» à exploiter toute autre entreprise (fabrication ou autre) qu'il est appa- remment possible d'exploiter en relation avec ses affaires, etc; mais son activité principale et celle de ses membres consiste dans la culture du sol.
En résumé, dans l'affaire Barickman (préci- tée), la colonie, un corps constitué, cherchait à bénéficier d'une loi fédérale facilitant les com- promis et arrangements concernant les dettes des cultivateurs. Dans l'affaire présente, le ministre du Revenu national cherche à appliquer les dispositions d'une autre loi fédérale, la Loi de l'impôt sur le revenu, au revenu des membres d'une colonie provenant d'une exploitation agri- cole, telle que définie à l'article 139(1)p) de la loi. Les situations sont donc analogues et le raisonnement dans l'affaire Barickman est, à mon avis, applicable à l'affaire présente. Il s'en- suit que rien n'empêcherait d'appliquer la Loi de l'impôt sur le revenu au revenu de la ferme,
même si les statuts d'association de chaque colonie mentionnent la promotion de la religion.
Les motifs de la majorité de la Cour, dans l'affaire Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958, sem- bleraient à première vue ne pas appuyer ce résultat, bien que le juge Ritchie dans ses motifs ait cité et approuvé l'arrêt Barickman. Dans l'affaire Hofer, toutes les parties étaient des huttérites, mais les appelants avaient été expul- sés de l'Église puis de la colonie à laquelle ils appartenaient, pour avoir adhéré à une autre foi. Lorsque la colonie avait été fondée, chacune des sept parties à l'action avait signé les statuts d'association, l'on trouve une clause fixant le but de l'association très similaire à celle de la colonie de Mixburn, et la plupart des autres articles étaient presque identiques à ceux que nous avons cités à propos des statuts d'associa- tion de la colonie de Mixburn. Ils demandaient une déclaration à l'effet qu'ils étaient encore membres de l'Église huttérite; une ordonnance prévoyant la liquidation des affaires de la colo- nie, la nomination d'un liquidateur qui compta- biliserait son actif; et des directives visant à un partage de l'actif à part égales entre chacun des appelants et des intimés. La Cour suprême décida que le juge de première instance, dont le jugement avait été confirmé par la Cour d'appel du Manitoba, avait eu raison de rejeter l'action en se fondant essentiellement sur le fait que les appelants avaient été validement expulsés, con- formément aux statuts d'associaton qu'ils avaient signés volontairement.
Le juge Ritchie, aux motifs de qui les juges Martland et Judson ont souscrit, affirme aux pages 968-969:
Il s'ensuit, à mon avis, que nonobstant le fait que la colonie d'Interlake soit une exploitation agricole florissante on ne peut pas dire qu'il s'agit d'une entreprise commerciale au sens qu'aucun de ses membres aurait un droit de partici- per aux bénéfices. La colonie n'est que le prolongement de l'Église et la considération primordiale qui préside à la détermination des droits de tous les membres est la réalisa- tion de leur conception du christianisme. Pour les Huttérites, les activités de leur association sont le signe de l'Église temporelle. Dans ce contexte, il m'est impossible de consi- dérer en droit la colonie d'Interlake comme une espèce de société.
Malgré ce conflit d'opinions apparent en ce qui concerne la nature juridique de la colonie telle que décrite dans l'affaire Barickman (préci-
tée) et telle que décrite par le juge Ritchie dans l'affaire Hofer (précitée), je ne pense pas qu'el- les soient, en fait, incompatibles. Pour en arriver à cette conclusion, il faut se rappeler d'abord que les statuts d'association comprennent en fait un accord entre actionnaires ou membres qui les lie tous (voir M.R.N. c. Dworkin Furs (Pembroke) Limited [1967] R.C.S. 223, à la p. 236.). Il faut remarquer, en second lieu, que le juge Ritchie a expressément limité son affirma tion selon laquelle la colonie n'était pas une entreprise commerciale en utilisant l'expression «au sens qu'aucun de ses membres aurait un droit de participer aux bénéfices». Je pense qu'en employant ces mots, il admettait qu'une entreprise pouvait être commerciale et pourtant exclure le droit des actionnaires ou autres de participer à ses bénéfices. L'entreprise en ques tion est de ce type, car, en vertu d'un accord issu des statuts d'association et auquel les demandeurs étaient parties en raison de leur appartenance respective à des colonies, les par ties ont renoncé par contrat à leur droit à leur part des profits nets auxquels ils auraient autre- ment eu droit. La majorité de la Cour refusa un redressement à l'encontre de la perte de tous les biens des appelants parce que cette perte résul- tait d'une obligation contractuelle que les appe- lants avaient contractée volontairement, par les statuts d'association, non seulement parce qu'ils étaient membres de la colonie régie par ces statuts mais aussi parce qu'ils en étaient les signataires. C'est en ce sens que le juge en chef Cartwright exposa ses motifs (auxquels le juge Spence a souscrit), dans lesquels il se rallie à la décision de la majorité bien que pour des rai- sons quelque peu différentes.
La nature contractuelle de la perte de leur droit aux gains provenant de leurs travaux empêche aussi, à mon avis, les demandeurs de déclarer qu'ils ne sont pas assujettis à l'impôt pour ces gains, nonobstant le fait qu'ils ne les ont pas reçus, et ce, que les colonies dont ils font partie soient constituées en corporation ou non. En fait, ils ont volontairement cédé et transmis ces gains à un dépositaire dans le sens ce mot est utilisé par le juge en chef Duff dans l'arrêt Barickman (précité) et ce déposi- taire a retenu ces gains pour les utiliser au bénéfice de tous. Il est donc évident que ces
gains sont ceux des membres et doivent être inclus dans leurs déclarations de revenu pour toute année d'imposition, comme le requiert la Loi de l'impôt sur le revenu. Le fait que la cession ait été faite avant que le revenu n'ait été gagné ne doit pas, du point de vue fiscal, donner un résultat différent lorsque la cession est faite après la production de ce revenu.
On peut arriver à la même conclusion d'une autre manière. Dans l'arrêt Lagacé c. M.R.N. [1968] 2 R.C.É. 98, les faits en cause étaient complètement différents de ceux de l'affaire présente, mais il convient de citer cette décision des revenus qui n'avaient pas été réellement reçus par une entreprise ont été considérés, à des fins fiscales, comme des revenus de l'entre- prise. Le président Jackett (tel était son titre), dit à la page 109:
[TRADUCTION] ... aux fins de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, les bénéfices provenant d'une entreprise sont les revenus de la personne qui exploite l'entreprise et ne sont pas, comme tels, des revenus du tiers qui les détient. Telle est, pour moi, la portée indiscutable des articles 3 et 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et ceci est conforme à ce que je peux tirer de la jurisprudence en la matière.
A la page 1 1 1 , dans l'Annexe au jugement, le président Jackett déclare en outre:
[TRADUCTION] Afin qu'il n'y ait pas de malentendu sur le fondement de ma décision dans cette affaire, je voudrais rappeler qu'à mon avis, il y a une nette distinction de principe entre
a) le cas un commerçant effectue des transactions com- merciales pour son entreprise au nom d'une autre personne, un préposé, fiduciaire ou personne nommée; dans ce cas, les bénéfices réalisés sur la vente de son stock en magasin sont des profits de son entreprise, même si les transactions sont effectuées au nom de quelqu'un d'autre, et
b) le cas un commerçant utilise le stock en magasin de son entreprise ou le donne à quelqu'un d'autre de sorte qu'il n'y a pas de vente de stocks au cours de l'exploitation de son entreprise; il ne peut donc y avoir aucun bénéfice résultant d'une telle vente au cours de l'exploitation de son entreprise.
Plus loin il affirme (page 112):
[TRADUCTION] Si les principes appliqués dans de tels cas s'appliquent à des affaires relatives à la Loi de ►'impôt sur le revenu du Canada, il semblerait, assez curieusement, que le résultat dépend en fait de savoir si le contribuable utilise la comptabilité de caisse ou la comptabilité d'exercice.
S'il optait pour une comptabilité de caisse, il ne porterait aucune somme à l'actif de ses comptes d'entreprise pour les stocks en magasin retirés de l'entreprise, même si le coût de
l'achat avait été porté au passif de ses comptes d'entreprise. S'il choisissait une comptabilité d'exercice, il porterait à l'actif la valeur du stock en magasin ainsi retiré, en établis- sant cette valeur au jour du retrait.
L'avocat de la défenderesse soutient, en se fondant sur l'arrêt Lagacé (précité), que les demandeurs exploitaient une entreprise agricole et qu'ils avaient cédé ou transmis le revenu provenant des opérations agricoles à une com- pagnie, non par suite d'une transaction commer- ciale bona fide entre eux, mais afin d'exécuter un contrat dont l'objet était d'assurer qu'ils se conforment aux exigences religieuses de leur secte. Puisqu'ils n'avaient pas opté pour une imposition calculée d'après la méthode de caisse, il leur fallait déclarer à titre de revenu la valeur du stock en magasin vendu par la compa- gnie au nom des appelants. Après les ajuste- ments nécessaires afin de déterminer le revenu imposable, cette valeur représentait leur revenu imposable, déterminé selon la seule méthode possible dans les circonstances, à savoir, en prenant le revenu de la corporation, déduction faite des dépenses engagées afin de produire ce revenu, et en calculant ce revenu à peu près de la même manière que dans le cas des groupes LEHRER-LEUT et SCHMEID-LEUT, conformément à l'accord mentionné plus haut. Je suis d'accord avec ces prétentions et conclus que pour tous ces motifs, les demandeurs ont reçu un revenu imposable.
Après avoir ainsi conclu, je dois examiner la prétention des demandeurs selon laquelle un Huttérite est membre d'un «ordre religieux», au sens de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et, ayant fait voeu de pauvreté, il peut déduire de son revenu de l'année le montant du revenu qu'il a gagné, si ce revenu a été versé à l'ordre.
Ni la loi la constituant en corporation, ni sa constitution n'autorisent l'Église huttérite à engager dans une entreprise agricole, ou à rece- voir et utiliser à son avantage, les biens apparte- nant à ses membres ou à ses colonies, ni leurs revenus. Elle a le droit de détenir des terres,
mais seulement pendant les périodes de temps autorisées par l'article 9 de la loi la constituant en corporation.
Par contre, la constitution autorise les colo nies à détenir des biens de toutes sortes et exige des membres de la colonie, qui doivent être membres de l'Église huttérite, une entité dis- tincte et séparée, qu'ils cèdent à cette colonie tous les biens en leur possession au moment ils deviennent membres de l'Église, ou acquis par la suite. Il est évident que toute l'organisa- tion tend à créer une séparation nette entre l'Église, dans son contexte purement religieux, et la colonie, dont les membres ont en même temps des activités religieuses et profanes. Plu- sieurs décisions ont adopté la proposition selon laquelle lorsqu'une organisation poursuivait en même temps des buts charitables et d'autres buts, elle n'est pas, aux fins fiscales, une institu tion de charité. (Voir les arrêts: Keren Kaye- meth Le Jisorel Ltd. c. Commissioners of Inland Revenue 17 T.C. 27; The Oxford Group c. Corn- missioner of Inland Revenue 31 T.C. 221; et La succession Towle c. M.R.N. [1967] R.C.S. 133).
Dans le dernier de ces arrêts, le juge Ritchie fit remarquer que, si quelques-uns des buts indi- qués dans les lettres patentes d'une association sont exclusivement charitables, il reste encore à déterminer si les autres buts pour lesquels l'as- sociation a été incorporée sont de nature à la priver de son caractère d'institution de charité. Il déclare à la page 144:
[TRADUCTION] Je suis cependant d'avis que, puisque l'asso- ciation est une compagnie constituée en corporation par lettres patentes, la question de savoir si elle était «constituée exclusivement à des fins charitables>, ne peut être détermi- née en se référant seulement aux buts pour lesquels elle a été, à l'origine, constituée en corporation.
Il a ensuite adopté les affirmations suivantes de Lord Denning dans l'arrêt Institution of Mechanical Engineers c. Cane [1961] A.C. 696 à la page 723:
[TRADUCTION] . .. la première question consiste à déterminer si The Institution of Mechanical Engineers est une «société constituée exclusivement à des fins scientifiques». Je ne pense pas que l'on puisse répondre à cette question en se basant sur la charte royale seulement et en l'interprétant du haut de notre tour d'ivoire, oublieux des buts réels poursui- vis par l'institution. Cet examen serait suffisant si nous avions seulement à examiner les buts pour lesquels la société a été créée à l'origine. Mais ce n'est pas un critère
valable. Une société peut avoir été créée à l'origine pour certains buts et par la suite en adopter de nouveaux. Il faut alors se poser la question suivante: quels buts la société poursuit-elle aujourd'hui?
En faisant une analogie entre la manière de déterminer si une société a été constituée exclu- sivement dans des buts charitables et la manière de déterminer si elle a été constituée exclusive- ment dans des buts religieux, je conclus que le but principal poursuivi par la colonie, distincte de l'Église, à l'origine comme aujourd'hui, est l'agriculture, et que cette entreprise agricole ne consiste pas seulement à fournir de la nourriture à chacun des membres et à sa famille, mais a pour but le profit. L'utilisation qui est faite de ces profits ou gains n'est pas pertinente du point de vue de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Puisque les buts et objectifs de chaque colo- nie ne sont pas exclusivement de caractère reli- gieux, elles ne peuvent être, à mon avis, «des ordres religieux» au sens de l'article 27(2) de la loi. Puisque les litiges dans ces appels portent sur l'appartenance des demandeurs à leurs colo nies respectives, il ne sont donc pas membres d'un ordre religieux. S'il en est ainsi, je n'ai pas à décider si les membres, en tant que tels, ont fait voeu perpétuel de pauvreté au sens dudit article.
Comme je l'ai indiqué plus haut, les deman- deurs soutiennent aussi que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, du moins en ce qui les concerne, sont inopérantes parce que portant atteinte à leurs droits à la liberté reli- gieuse, elles sont en conflit avec les dispositions de la Déclaration canadienne des droits. Selon leur thèse, les demandeurs estiment apparem- ment que, si les Huttérites sont forcés de payer un impôt sur un revenu, cela signifie que, de façon mystérieuse, ils seront forcés d'accepter un revenu que leur croyance religieuse ne leur permet pas d'accepter. L'application de la Loi de l'impôt sur le revenu n'oblige en aucune manière les Huttérites à accepter un revenu. Il ne s'agit en fait que d'appliquer la loi adoptée en vertu des pouvoirs du Parlement du Canada, exigeant que les autorités en matière fiscale imposent le revenu de tous les Canadiens, y compris les Huttérites. Ceci ne veut pas dire qu'un Huttérite a été privé de sa liberté de pratiquer la religion de son choix de la manière
requise par son Église, ni qu'il est forcé de transgresser des dogmes de sa foi; rien dans cela ne constitue en aucune manière une viola tion des droits fondamentaux reconnus à tous les Canadiens par la Déclaration des droits.
A l'appui de cette conclusion, il faut noter qu'on a présenté en preuve un extrait de l'ou- vrage Rechenschaft unserer Religion, Lehre, und Glaubens, de Peter Riedemann, qui affirme spé- cifiquement que:
[TRADUCTION] Nous consentons à acquitter les impôts ou le tribut, quel que soit le nom que lui donnent les hommes et, en aucune façon, ne nous y opposons, car nous l'avons appris de notre Maître, le Christ, qui non seulement l'a payé lui même, mais a également ordonné aux autres de le faire, en disant: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu». Par conséquent, nous, ses disciples, nous souhaitons suivre son commandement et y obéir et ne pas nous opposer en cela au gouvernement.
La suite de cet extrait explique que si des impôts sont levés dans le but spécifique de faire la guerre, ils ne donneront rien. Cependant, la chose importante à remarquer, est que, bien que l'avocat des demandeurs soutienne que la Loi de l'impôt sur le revenu constitue une entrave à la liberté de religion. des demandeurs, leur propre profession de foi les oblige à payer des impôts et, en fait, la preuve démontre qu'ils paient des impôts sur leurs biens immobiliers sans appa- remment soulever aucune objection de ce genre.
Pour tous les motifs ci-dessus, je conclus que c'est à bon droit que la défenderesse a cotisé les demandeurs. Les appels doivent donc être reje- tés, avec dépens.
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