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Anna Elisabeth Beukenkamp, Adriaan Beuken- kamp, Johanna Alida Beukenkamp, Paul Anton Beukenkamp, Marina Beukenkamp, Janna Nien- huys, Louwrens Jacobus Beukenkamp et Rad- boud Lourens Beukenkamp (Requérants)
c.
Le ministre de la Consommation et des Corpora tions, en qualité de Curateur des biens ennemis (Intimé)
Division de première instance, le juge Heald — Toronto, les 26, 27 et 28 novembre; Ottawa, le 10 décembre 1973.
Pratique—Preuve—Biens ennemis—Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920)—Actions d'une com- pagnie appartenant à un ressortissant d'un pays neutre con- férées au Curateur—Photocopie de la facture—Est-elle admissible en preuve—Transmission des actions non prou- vée—Pratique générale en bourse—La transmission a proba- blement eu lieu dans les quatre jours de l'achat—Affidavit admis en preuve—Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne, 1920, art. 39, 41.
Les requérants, héritiers légitimes de feu Adriaan Beuken- kamp, ont été autorisés à poursuivre l'action (voir [1970] R.C.É. 159) qu'il avait engagée pour que lui soient remises les 145 parts du capital-actions du Canadien Pacifique ache- tées par lui le 20 juillet 1914, à la bourse d'Amsterdam. Lesdites actions appartenaient auparavant à des ressortis- sants allemands et, en vertu d'une ordonnance générale d'attribution prise par la Cour supérieure de la province de Québec le 23 avril 1919 (rendue en vertu des Décrets codifiés concernant le commerce avec l'ennemi en date du 2 mai 1916), la propriété de ces actions fut conférée au Curateur des biens ennemis.
Les requérants affirment qu'en vertu du Décret concer- nant le traité de paix avec l'Allemagne (1920), ils ont droit à la restitution des actions conférées au Curateur des biens ennemis ou, si elles ont été vendues, au produit de la vente ainsi qu'aux droits, dividendes et intérêts. On a soumis une photocopie de la facture datée du 20 juillet 1914 et, bien que la transmission des actions n'ait pas été prouvée, on s'est référé au témoignage de l'agent de change (maintenant décédé) devant une commission rogatoire, selon lequel la pratique générale à la bourse d'Amsterdam était de livrer les actions dans les quatre jours de l'achat. La transmission a donc probablement eu lieu avant le début des hostilités, soit le 4 août 1914. On a aussi apporté en preuve un affidavit d'un comptable de la Banque canadienne de Commerce, maintenant décédé, concernant le nombre de certificats d'actions couvrant les 145 actions du Canadien Pacifique, reçus par la banque pour le compte d'Adriaan Beukenkamp.
L'intimé a attaqué la crédibilité du témoignage de l'agent de change et a en outre présenté en preuve des formules remplies en 1923 par ledit agent de change pour que soient comparées les écritures sur ces formules et la photocopie de la facture.
Arrêt: les requérants doivent obtenir gain de cause par application de l'article 41 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920). La photocopie de la facture est admissible en preuve car l'agent de change a déclaré dans son témoignage qu'il avait lui-même rédigé et signé l'original de cette facture, que la photocopie en est une copie authentique et qu'on a sérieusement recherché la facture d'origine. En outre, la déposition de l'agent de change suffit à démontrer que les actions ont été livrées quelques jours après l'achat; il s'ensuit que les requérants remplissent plei- nement les conditions de l'article 41 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920) et doivent donc obtenir gain de cause. La preuve soumise par l'intimé n'est pas admissible puisqu'il n'existe aucune preuve de l'exis- tence des documents originaux, de l'identité de leur auteur, du fait que des recherches sérieuses ont été effectuées pour retrouver les originaux et du fait que ces copies sont en fait des copies conformes des originaux.
ACTION. AVOCATS:
P. Genest, c.r., et K. Crompton pour les requérants.
D. H. Aylen, c.r., et P. T. Mclnenly pour l'intimé.
PROCUREURS:
Cassels et Brock, Toronto, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE HEALD—Les requérants, Janna Nienhuys, Louwrens Jacobus Beukenkamp et Radboud Lourens Beukenkamp sont les enfants, héritiers et parents de feu Adriaan Beu- kenkamp de la cité de Bloomendaal (Royaume des Pays-Bas) décédé intestat, le 4 décembre 1953 ou vers cette date, après avoir institué ces procédures. Conformément à l'ordonnance de M. le juge Thurlow en date du 3 février 1970, ces requérants ainsi que Marinus Gerhardus Beukenkamp, l'autre enfant d'Adriaan Beuken- kamp, ont remplacé dans la présente instance ledit Adriaan Beukenkamp.
La requérante, Anna Elisabeth Beukenkamp, est la veuve de Marinus Gerhardus Beuken- kamp susmentionné, de la cité d'Amsterdam (Royaume des Pays-Bas), décédé le 10 septem- bre 1971 ou vers cette date. Les requérants, Adriaan Beukenkamp, Johanna Alida Beuken-
kamp, Paul Anton Beukenkamp et Marina Beu- kenkamp sont les seuls enfants de feu Marinus Gerhardus Beukenkamp. Conformément à l'or- donnance du juge en chef adjoint Noël, en date du 12 février 1973, la veuve et ses enfants ont remplacé à titre de requérants ledit Marinus Gerhardus Beukenkamp.
Les requérants prétendent que, le 20 juillet 1914 ou vers cette date, feu Adriaan Beuken- kamp a acheté 145 parts du capital-actions du Canadien Pacifique à la bourse d'Amsterdam et que 15 certificats d'actions couvrant ces 145 actions ont été remis à Adriaan Beukenkamp, entre le 20 juillet 1914 et le 4 août 1914 (date du début des hostilités de la première guerre mondiale), dans le cours ordinaire des affaires, ces certificats étant des titres au porteur endos- sés en blanc par les propriétaires inscrits de ces actions. Ils soutiennent aussi que, bien que les propriétaires inscrits antérieurs aient été des organismes allemands, ces derniers n'avaient aucun titre, droit ou intérêt sur lesdites actions après le 20 juillet 1914, date à laquelle Adriaan Beukenkamp est devenu propriétaire desdites actions. La déclaration énonce ensuite que, puisque les actions étaient immatriculées au nom d'organismes allemands, en vertu des dis positions d'une ordonnance générale d'attribu- tion prise par la Cour supérieure de la province de Québec, le 23 avril 1919 (ladite ordonnance ayant été rendue en vertu des Décrets codifiés concernant le commerce avec l'ennemi en date du 2 mai 1916), la propriété desdites actions a été conférée au Curateur des biens ennemis. La déclaration énonce en outre qu'Adriaan Beuken- kamp était, à toutes les époques en cause, citoyen des Pays-Bas et qu'il n'a jamais été aux époques en cause un ennemi ou un ressortissant allemand au sens du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920). Les requérants affirment qu'en vertu dudit décret, le Curateur des biens ennemis devrait se dessaisir desdites actions en faveur de Adriaan Beukenkamp. Dans leur demande de redressement, les requé- rants demandent un jugement déclarant, confor- mément à l'article 41 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920), susmen- tionné, que le droit de la propriété de ces actions n'a jamais appartenu à l'ennemi au sens dudit Décret. Les requérants demandent aussi
une ordonnance obligeant l'intimé, en qualité de Curateur des biens ennemis, à remettre les 145 actions, y compris les intérêts ou dividendes accumulés ou, subsidiairement, si ces actions ont été vendues, une ordonnance obligeant l'in- timé à remettre le produit de la vente de ces actions, droits, dividendes ou intérêts, etc.
Au procès, on a produit en preuve le témoi- gnage d'un certain Johannes Scholtz, déposé devant une commission rogatoire à Amsterdam, le 19 février 1970. Scholtz est décédé depuis. Au moment il a témoigné, il avait plus de 90 ans. Il a déclaré qu'avec son frère Daniel J. Scholtz, il exerçait la profession de courtier en bourse à Amsterdam en 1914 sous le nom com mercial de D. J. Scholtz et qu'il est demeuré avec cette entreprise jusqu'en 1920. Il a déclaré qu'il se souvenait qu'Adriaan Beukenkamp avait acheté en 1914 des actions du Canadien Pacifi- que. Il a déclaré qu'ils étaient des amis d'en- fance, que Beukenkamp était venu le voir dans le but d'investir une certaine somme d'argent, qu'il sentait que «ça allait mal» en Europe. Scholtz a alors relaté la suite de leur conversa tion comme ceci:
[TRADUCTION] Je lui ai demandé il voulait investir son argent. Il a déclaré: Pas en Europe, pas en Amérique, le seul pays que je choisis est le Canada parce que c'est loin et qu'ils n'iront jamais jusque-là.
Scholtz a déclaré qu'il lui avait alors recom- mandé les actions du Canadien Pacifique.
Scholtz a ensuite identifié une photocopie de la facture originale faisant preuve de la transac tion. Il a déclaré qu'il avait signé D. J. Scholtz, le nom de son entreprise, au bas de la facture d'origine et que le corps de cette dernière était rédigé de sa main. La facture est datée du 20 juillet 1914 et fait clairement état de ce que la maison de courtage, D. J. Scholtz, a acheté, à cette date, pour le compte d'Adriaan Beuken- kamp 145 actions ordinaires du Canadien Pacifi- que. Le témoignage de Beukenkamp confirme l'existence de cette transaction et sa date.
Toutefois, l'avocat de l'intimé s'est opposé avec acharnement, tant devant la commission rogatoire qu'au procès, à l'admissibilité de la photocopie de cette facture. J'ai entendu les plaidoiries exhaustives des deux avocats sur ce
point et pris cette question en délibéré. Après mûre réflexion, j'ai conclu qu'il faut admettre la photocopie de la facture dans les circonstances de l'espèce. Le traité de Phipson On Evidence (10e éd., paragraphe 1709) énonce clairement le droit applicable à ce genre de situation. Phipson déclare en effet que la partie qui produit une preuve secondaire doit établir l'existence du document et sa signature. Dans la présente affaire, Scholtz déclare très clairement qu'il a lui-même rédigé et signé l'original de cette fac- ture et que la photocopie que l'on cherche à produire en preuve, en est une copie authenti- que. Dans son traité, Phipson expose en outre que la partie rapportant la preuve secondaire doit aussi établir que l'original a été détruit ou perdu en démontrant que, même après des recherches sérieuses, on n'a pu le retrouver. En l'espèce, le témoignage de Me Wilhelm Poolman, un avocat de Toronto dont les requérants avaient retenu les services en 1963, indique qu'il a effectué des recherches. Dans sa déposi- tion, Me Poolman a déclaré qu'il s'était mis en rapport avec tous les avocats ayant agi pour le compte de Beukenkamp au cours des années, qu'à Ottawa il avait interrogé Maurice Robitaille (qui était le sous-curateur adjoint des biens ennemis à l'époque) et qu'il a vu dans son bureau une copie de la facture d'origine. Sans reprendre en détail le témoignage de Me Pool- man, j'estime qu'il en ressort qu'on a sérieuse- ment recherché la facture d'origine. J'ai par conséquent décidé d'admettre en preuve les deux photocopies de la facture d'origine qui ont été produites au cours du procès; l'une constitue la pièce 1 et fait partie du témoignage de Johan- nes Scholtz et l'autre, une photocopie de meil- leure qualité, constitue la pièce 8, en rapport avec ledit interrogatoire de Johannes Scholtz.
Dans sa déposition, Scholtz a en outre déclaré que Beukenkamp s'était acquitté du prix des actions au moment de l'achat. Il a aussi déclaré que les actions en question lui avaient été livrées en mains propres quelques jours après l'achat. Il a souligné qu'une des règles de la Société des courtiers en bourse stipulait que les actions devaient être livrées dans les 4 jours de l'achat. Il a déclaré qu'il supposait que la trans mission des actions avait eu lieu dans ledit délai parce que sa firme n'avait reçu aucune plainte à
ce sujet. L'avocat de l'intimé a soutenu que ce témoignage n'établissait pas la transmission des actions et que ceci entraînait inévitablement le rejet de la réclamation, vu l'article 39 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920) (S.C. 1919-20, p. xxxviii) qui se lit ainsi:
39. Nul transfert de valeurs quelconques, pour valable considération ou non, fait après le sixième jour de mai 1916, sans le consentement d'une autorité compétente en Canada, par ou pour un ennemi tel que défini aux paragraphes (a) et (b) de l'article 32, ne conférera au cessionnaire de droits ou recours en rapport avec ces valeurs, et nulle compagnie ou municipalité ou autre corps qui a émis ou administre les valeurs ne connaîtra d'un avis quelconque de tel transfert ou n'agira autrement en rapport avec tel avis.
J'estime juste l'affirmation de l'avocat de l'in- timé selon laquelle l'effet de l'article 39 est d'annuler toute transaction non encore terminée au plus tard le 6 mai 1916. Je suis toutefois convaincu qu'en l'espèce, la prépondérance des preuves indique que la transmission des certifi- cats d'actions en question a eu lieu dans les jours qui ont suivi le 20 juillet 1914.
On peut parfois déduire qu'un acte a été accompli de l'existence d'une règle générale de conduite des affaires d'après laquelle il l'aurait normalement été, puisqu'il est - fort probable que la pratique générale ait été suivie dans ce cas particulier. (Voir: 15 Halsbury, 3e éd., p. 284, paragraphe 515. Voir aussi: Phipson On Évi- dence, 10e éd., paragraphes 297-299.) D'après la preuve rapportée, je suis convaincu qu'en l'es- pèce, il existait une règle générale de conduite des affaires suivie à la bourse d'Amsterdam portant que, conformément à une directive de la bourse, les actions achetées en bourse devaient être livrées dans les quatre jours de l'achat. Je suis en outre convaincu qu'il est probable que la pratique générale a été suivie en l'espèce, comme il ressort du fait que Scholtz, qui s'est occupé de cette transaction, n'a reçu aucune plainte de Beukenkamp pour non-livraison.
Au procès, l'avocat des requérants a produit un affidavit de John Shaw, fait sous serment le 25 mars 1938. Shaw a été employé en qualité de comptable à la succursale d'Ottawa de la Banque canadienne de Commerce du 16 sep- tembre 1933 au mois d'août 1938. Il est décédé le 6 décembre 1968. L'avocat de l'intimé s'est opposé à l'admission de cet affidavit. Après
avoir entendu les plaidoiries concernant son admissibilité, j'ai autorisé le dépôt de cet affida vit en preuve, comme étant une déclaration faite dans l'exercice des fonctions par une partie décédée. A mon avis, il ressort du témoignage de Dennis Carptenter, le secrétaire adjoint de la banque, qui a déposé au procès, qu'il incombait à Shaw, dans l'exercice de ses fonctions, de rédiger ce genre de déclaration et de fournir le genre de renseignements dont fait état l'affidavit contesté. L'affidavit de Shaw est par consé- quent admissible nonobstant la règle de l'ouï- dire. (Voir dans le même sens: l'arrêt Dominion Telegraph Securities Ltd. c. M.R.N. [1946] 4 D.L.R. 449.)
Dans son témoignage, Shaw a déclaré que la succursale d'Ottawa de la Banque de Commerce avait reçu le 7 juin 1937 un certain nombre de certificats d'actions couvrant 145 actions du Canadien Pacifique pour le compte d'Adriaan Beukenkamp. Un document contenant des ren- seignements sur lesdits certificats d'actions est joint à l'affidavit de Shaw. Shaw a aussi annexé une photocopie de l'un des certificats d'actions que sa banque avait reçu et a déclaré que les autres certificats sont identiques au certificat d'action annexé, sauf pour ce qui est du numéro, de la date, du numéro d'actions et du nom du détenteur d'origine. Ces renseignements concernant les actions et les certificats d'actions correspondent au contenu de la facture d'origine préparée par Johannes Scholtz et la corroborent.
Le principal moyen de défense de l'intimé a été d'attaquer la crédibilité du témoin Johannes Scholtz. L'avocat de l'intimé a cherché à souli- gner un certain nombre de passages du compte rendu du témoignage où, d'après lui, Scholtz a hésité à donner des réponses ou a fait preuve d'une mémoire imparfaite des événements passés. J'ai soigneusement étudié ce compte rendu et, compte tenu de son grand âge, du fait qu'on lui demandait, en 1970, de se souvenir d'événements qui ont eu lieu en 1914 et que, comme il ne parle pas l'anglais, il devait utiliser les services d'un interprète, j'estime que le témoignage de Scholtz est digne de foi et doit être accepté. En aucune façon, lors du contre- interrogatoire, ses déclarations sur ce point
d'une importance primordiale, savoir l'achat des actions le 20 juillet 1914 et la rédaction de sa main de la facture n'ont été ébranlées. On a soulevé la question de sa partialité vu son amitié avec Beukenkamp. Toutefois, Scholtz ne s'est absolument pas caché de son amitié pour Beu- kenkamp. Il a aussi déclaré qu'il s'était fait un devoir de s'assurer que Beukenkamp reçoive ce qu'il avait acheté, c'est-à-dire les actions du Canadien Pacifique. C'est une réaction logique et bien compréhensible de la part d'un homme d'honneur. Il ressort en outre de la preuve que Scholtz n'avait aucun intérêt financier personnel dans ces actions. Rien ne me permet de déduire de la preuve qu'on m'a soumise, que Scholtz ait eu des raisons de se parjurer. De plus, il n'y a rien d'invraisemblable dans son témoignage. J'estime très raisonnables et logiques ses souve nirs de sa conversation avec Beukenkamp au moment de l'achat des actions, vu la situation générale qui existait en Europe au cours de l'été 1914. Il se rappellait fort bien les principaux événements et ni le contre-interrogatoire ni aucune autre preuve n'a mis l'exactitude de ses souvenirs en question. Il a admis spontanément qu'il était incapable de fixer avec précision la date de la remise des actions. J'estime que cela indique que, lors de son témoignage, il s'effor- çait de dire la vérité et que ce détail renforce sa crédibilité.
L'intimé a aussi tenté de mettre en doute le témoignage de Scholtz en appelant un expert- graphologue, le sergent Hilton Sadowsky, sous- officier principal du laboratoire judiciaire de la Gendarmerie royale à Vancouver. Le sergent Sadowsky a déclaré qu'il avait comparé une photocopie de la facture de l'agent de change avec des photocopies de formules prétendument remplies en 1923 et concernant la réclamation d'Adriaan Beukenkamp. Lors du procès, l'avo- cat des requérants s'est opposé à l'admission de ces photocopies de formules prétendument rem- plies en 1923. J'ai entendu les avocats des par ties sur cette opposition et j'ai mis cette ques tion d'admissibilité en délibéré. J'ai conclu que lesdites photocopies ne peuvent être admises en preuve puisqu'il n'existe aucune preuve de l'existence des documents originaux, de l'iden- tité de leur auteur, de leur perte, du fait que des recherches sérieuses ont été effectuées pour
retrouver les originaux et du fait que ces photo copies sont en fait des copies conformes des originaux. Le seul élément de preuve sur ce point est le témoignage de Johannes Scholtz, page 26 (questions 71 et 72) du compte rendu, on lit que l'avocat de l'intimé a demandé à Scholtz de comparer la photocopie de la facture du courtier avec les formules prétendument remplies en 1923. Les réponses de Scholtz indi- quent clairement qu'il a reconnu son écriture sur la facture du courtier et que les autres docu ments n'étaient pas écrits de sa main, mais qu'il ne savait pas qui les avait rédigés.
Les éléments de preuve ainsi apportés ne permettent pas d'accepter les photocopies de ce qu'on a appelé la preuve de 1923. Par consé- quent, le témoignage du sergent Sadowsky ne peut être admis en preuve.
En résumé, il ressort de la preuve qu'on m'a soumise qu'Adriaan Beukenkamp était un res- sortissant des Pays-Bas à toutes les époques en cause, qu'il n'a jamais été à l'époque en cause ressortissant allemand et qu'il n'a par consé- quent jamais été un «ennemi» au sens de l'arti- cle 32 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920). Il est aussi établi qu'A- driaan Beukenkamp a acheté 145 actions du capital du Canadien Pacifique le 20 juillet 1914 par l'intermédiaire d'une firme de courtage d'Amsterdam, la D. J. Scholtz, et que les certifi- cats d'actions couvrant cet achat ont été remis à Adriaan Beukenkamp quelques jours après cette date, mais en tout cas avant le 4 août 1914. Il est en outre établi que 85 des actions achetées par Beukenkamp étaient inscrites au nom de la National Bank fur Deutschland et 60 au nom de ,a C. Schlesinger, Trier & Co., deux ressortis- sants allemands. Ces certificats ont été endossés et transférés en blanc par ces compagnies, deve- nant ainsi des titres au porteur, si bien que Beukenkamp en est devenu propriétaire dès la livraison.
Enfin, il est établi que les requérants en l'es- pèce sont les détenteurs légitimes de tous les droits qu'Adriaan Beukenkamp a pu détenir envers l'intimé (l'avocat de l'intimé l'a d'ailleurs admis au procès).
Compte tenu des faits susmentionnés, il semble évident que les requérants doivent obte- nir gain de cause par application de l'article 41 du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920) qui se lit comme suit:
41. Le Curateur peut intenter toute action ou toute procé- dure qu'il peut juger à propos pour la mise en vigueur des dispositions du présent arrêté et pour obtenir charge de tous biens, droits ou intérêts qui lui sont attribués.
(2) Au cas de contestation quant à savoir si des biens, droits ou intérêts appartenaient à un ennemi le 10e jour de janvier 1920 ou avant cette date, le Curateur ou, avec le consentement du Curateur, le réclamant peut demander à la Cour de l'Échiquier du Canada une déclaration quant à la propriété de ces biens, droits ou intérêts, nonobstant qu'ils aient été attribués au Curateur par un ordre antérieurement donné, ou que le Curateur en ait disposé ou ait convenu d'en disposer. Le consentement du Curateur à toute poursuite par un réclamant sera par écrit et pourra être donné sous réserve de telles conditions que le Curateur juge à propos.
(3) Si la Cour de l'Échiquier déclare que les biens, droits ou intérêts n'appartenaient pas à un ennemi ainsi que prévu au paragraphe précédent, le Curateur s'en dessaisira, ou, si le Curateur, avant cette déclaration, a disposé ou convenu de disposer des biens, droits ou intérêts, il en cédera le produit.
(4) Nulle telle déclaration n'affectera le titre ou droit de toute personne à qui le Curateur, avant telle déclaration, a cédé ou convenu de céder des biens, droits ou intérêts quelconques.
Le juge Thurlow a fait les commentaires sui- vants sur la portée de l'article 41 lorsqu'il a entendu la requête dans cette action, précédem- ment mentionnée: (Beukenkamp c. Le Secrétaire d'État [1970] R.C.É. 159 aux pages 163 et 165):
A mon avis, loin de supprimer les droits d'une personne se trouvant dans la situation dans laquelle le réclamant préten- dait être, le Décret concernant le traité de paix avec l'Alle- magne (1920) a eu pour effet de maintenir et de protéger les droits des personnes autres que les nationaux allemands dont les biens avaient été confisqués. A mon avis, la cause d'action d'un réclamant, dans une instance prévue par l'arti- cle 41(2), réside dans les faits qui, une fois établis, donnent droit à la cession des titres. C'est-à-dire qu'en l'espèce, il faut établir que le réclamant a acheté les actions avant le début de la guerre et a continué à les détenir jusqu'à ce qu'elles soient attribuées au Curateur; de même qu'il faut prouver qu'il n'a jamais été ennemi au sens du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920)... .
J'estime que les requérants remplissent plei- nement les conditions de l'article 41 susmen- tionné et doivent donc obtenir gain de cause.
Ils ont aussi respecté les exigences procédura- les de l'article 41 en déposant le consentement du Curateur des biens ennemis lors des procé- dures intentées devant cette Cour (ce consente- ment est daté du 10 juillet 1934 et constitue la pièce P-2).
Jugement est par conséquent rendu en faveur des requérants conformément aux alinéas 16a), b) et c) de la déclaration modifiée du 2 octobre 1973. Conformément à la Règle 337(2)b), l'avo- cat des requérants pourra préparer un projet d'un jugement approprié pour donner effet à la décision de la Cour et demander que ce juge- ment soit prononcé.
Les requérants ont aussi droit de recouvrer de l'intimé leurs dépens taxés.
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