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Canadian & Foreign Securities Co. Ltd. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Collier— Toronto, le ter mai; Ottawa, le 6 juillet 1972.
Impôt sur le revenu—Conditions essentielles à l'existence d'une compagnie de placement—Les billets à ordre sont-ils des «titres»—Loi de l'impôt sur le revenu, article 69(2)c).
La compagnie appelante a été cotisée à l'impôt sur le revenu pour l'année 1965 comme si elle était une compagnie ordinaire, plutôt que d'être cotisée au taux moins élevé applicable aux compagnies de placement; elle a interjeté appel de cette cotisation. Pendant une partie de l'année susdite, l'appelante a été propriétaire de billets à ordre non garantis d'une compagnie dont elle était aussi actionnaire. L'article 69(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu porte qu'une compagnie ne se conforme aux conditions essentiel- les à l'existence d'une compagnie de placement que si «à nulle époque de l'année, plus de dix pour cent de ses biens n'ont consisté en actions, obligations ou titres d'une même corporation ou d'un même débiteur ...».
Arrêt: La cotisation est confirmée. Des billets à ordre non garantis sont des «titres» au sens de l'article 69(2)c). Le mot «titres» qui figure à cet article doit être interprété dans son sens courant, de façon à inclure les effets relatifs au rem- boursement d'une somme d'argent, avec ou sans engage ment supplémentaire, et dont on se sert couramment à des fins de financement et de placement. Arrêt suivi: Re Walds- tein 291 N.Y.S. 697. Les billets à ordre sont couramment considérés, en matière commerciale, comme une forme de placement. Distinction faite avec l'arrêt Singer c. Williams [1921] 1 A.C. 41.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
A. R. A. Scace pour l'appelante.
W. J. A. Hobson pour l'intimé.
LE JUGE COLLIER—Cet appel, que l'on a plaidé sur la base d'un exposé conjoint des faits, vise une cotisation établie par l'intimé aux termes de laquelle l'impôt sur le revenu de la compagnie appelante pour l'année 1965 était majoré de la somme de $60,125.99.
La question à trancher consiste à savoir si l'appelante, à l'égard de l'année susdite, était une compagnie de placement au sens que donne à cette expression l'article 69(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications, et, à ce titre, bénéficiait du taux d'impôt prévu à l'article 69(1) plutôt que d'être astreinte au taux plus élevé qu'impose l'article 39 aux compagnies autres que les compagnies
de placement. Plus précisément, il s'agit de savoir si, pendant toute l'année 1965, l'appe- lante s'est conformée à l'alinéa c) de l'article 69(2).
Pour faciliter la compréhension, je reproduis la totalité de l'article 69(2):
69. (2) Dans la présente loi, l'expression «compagnie de placement» signifie une corporation qui, à l'égard de l'année d'imposition concernant laquelle l'expression est appliquée, se conformait aux conditions suivantes:
a) au moins quatre-vingt pour cent de ses biens consis- taient pendant toute l'année en actions, obligations, titres négociables ou espèces,
b) au moins quatre-vingt-quinze pour cent de son revenu pour l'année provenaient de placements mentionnés à l'alinéa a),
ba) pas moins de 85 p. 100 de son revenu brut pour l'année provenait de sources situées au Canada, bb) au plus 25 p. 100 de son revenu brut pour l'année provenait d'intérêts,
c) à nulle époque de l'année, plus de dix pour cent de ses biens n'ont consisté en actions, obligations ou titres d'une même corporation ou d'un même débiteur, autre que Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province, ou une municipalité canadienne,
d) à nulle époque de l'année, le nombre des actionnaires de la corporation n'était inférieur à 50, dont aucun, à une époque de l'année, ne détenait plus de 25 pour cent des actions du capital social de la corporation, et
e) un montant non inférieur à 85 p. 100 de son revenu imposable, plus le revenu exempté pour l'année (autre que les dividendes ou intérêts reçus sous forme d'actions, d'obligations ou d'autres titres qui n'ont pas été vendus avant l'expiration de l'année d'imposition) moins
(i) 21 p. 100 de son revenu imposable pour l'année, et
(ii) les impôts payés dans l'année à d'autres
gouvernements,
a été distribué aux actionnaires avant la fin de l'année.
En 1965, l'appelante s'était conformée aux six autres conditions que ce paragraphe déclare essentielles à l'existence d'une compagnie de placement. (L'appelante semble avoir été exploitée à titre de compagnie de placement depuis de nombreuses années.) En mai 1965, l'appelante s'est procuré la somme de trois mil lions de dollars par une émission publique d'ac- tions privilégiées. Je cite un extrait de l'exposé des faits: [TRADUCTION] «Il a fallu plusieurs mois pour placer ce capital supplémentaire et, dans l'intervalle, des prêts à vue au montant de $1,200,000 ont été consentis à l'Empire Life Insurance Company. Des billets à ordre non garantis attestaient ces prêts ....» On a produit
une copie d'un de ces billets, au montant de $500,000 (intérêt en sus).
Au cours de l'année 1965, l'appelante était, en plus, propriétaire d'actions de l'Empire Life Insurance Company. On a convenu que, sur la base de la valeur d'acquisition ou de sa valeur marchande, et compte tenu des billets à ordre, l'avoir (j'emploie ce mot dans un sens très large) de l'appelante dans l'Empire Life Insur ance Company constituait, au 30 juin 1965, plus de 10% des biens de l'appelante.' Si l'on ne tient compte que de la valeur des actions, à l'exclusion de celle des billets à ordre, l'appe- lante se serait alors conformée aux exigences de l'alinéa c).
L'intimé a considéré les billets à ordre comme des «titres» (securities), au sens de l'ar- ticle 69(2)c), et a en conséquence majoré le montant d'impôt payable.*
L'appelante a fait valoir dans cet appel deux prétentions:
a) Des billets à vue ne sont pas des «titres» et, pour ce motif, leur inclusion dans les calculs précités est mal fondée.
b) Si les billets à vue sont des titres au sens de l'article 69(2)c), l'appelante s'est néanmoins conformée, pour l'es- sentiel, à l'exigence de ce texte.
Les avocats des deux parties se sont reportés à des définitions tirées de dictionnaires, dont certaines donnent à penser que le sens du mot «titres» pourrait bien englober la notion de bil lets à ordre et dont d'autres sembleraient l'en exclure. Il est vrai que les définitions usuelles d'un mot figurant dans les dictionnaires peuvent être de quelque utilité, mais j'abonde dans le sens de l'observation faite dans Craies on Stat ute Law 6 e éd. 1963 à la p. 160: [TRADUCTION] «Les dictionnaires usuels sont des guides à cer- tains égards trompeurs quand il s'agit d'inter- préter des expressions figurant dans des lois.» L'avocat de l'appelante a déclaré ne pas insister outre mesure sur les définitions figurant aux dictionnaires, en raison des différences qu'elles présentent entre elles.
Les avocats des deux parties ont cité plu- sieurs affaires les mots «titre» ou «titres» ont fait l'objet d'une étude. Certains de ces jugements portaient sur l'emploi du mot «titres» dans une loi et d'autres sur l'emploi du mot par
un testateur dans un testament. Deux décisions invoquées par l'appelante illustrent ces deux types d'affaires (Singer c. Williams [1921] 1 A.C. 41; Re Succession Ellis (1962) 37 W.W.R. 440). Dans l'affaire Singer, il s'agissait de déci- der si des dividendes reçus par un actionnaire d'une corporation américaine étaient imposa- bles en vertu du 4e cas ou du 5e cas prévus au Finance Act de 1914: les actions étaient-elles des [TRADUCTION] «titres étrangers» ou des [TRADUCTION] «possessions à l'étranger». La Chambre des lords a statué, dans son interpréta- tion des termes employés dans cette loi en particulier, que les actions n'étaient pas des «titres». Le vicomte Cave a déclaré à la page 49:
[TRADUCTION] Milords, le sens ordinaire du mot «titres» (securities) ne fait aucun doute. Ce terme signifie une créance ou réclamation dont le remboursement est garanti (secured) de quelque façon. La garantie consiste générale- ment en un droit de se faire payer sur un fonds ou sur des biens; mais je ne suis pas disposé à exclure d'autres formes de garantie (comme, par exemple, la garantie personnelle). L'expression, dans la mesure elle est employée dans son sens usuel, suppose cependant une certaine forme d'obliga- tion garantie. Sans doute, une clause d'interprétation figu- rant dans une loi peut élargir le sens du mot, comme c'est le cas dans le Conveyancing and Law of Property Act de 1881, le Settled Land Act de 1882, le Trustee Act de 1893 et le Finance Act de 1916, ou il peut ressortir du contexte, comme dans certaines affaires portant sur l'interprétation de testaments (In re Rayner [1904] 1 Ch. 176; In re Gent and Eason's Contract [1905] 1 Ch. 386), que l'expression est utilisée pour désigner, outre les titres dans leur accep- tion ordinaire, d'autres placements tels que des actions. Mais, en l'absence d'une telle indication quant à son inter- prétation, il me semble évident que le mot «titres» doit s'interpréter dans le sens que je viens de définir et que, par conséquent, il ne comprend pas les actions d'une compagnie.
Toutefois, Lord Phillimore a déclaré à la page 63:
[TRADUCTION] Je n'ai quant à moi jamais attaché beaucoup d'importance au mot «titres». Sans doute, son sens exact est celui que vient d'énoncer mon distingué et savant collègue Lord Wrenbury. Il ne fait pas de doute non plus que la Cour de la Chancellerie a donné au mot «titres», lorsqu'il figure dans un acte créant une fiducie, une interprétation restric tive à moins que l'acte ne contienne d'autres dispositions montrant que le créateur de la fiducie a attribué à cette expression un sens différent. D'autre part, il faut bien se rappeler qu'à l'origine, la Cour de la Chancellerie estimait que les fiduciaires n'avaient le droit de faire qu'une seule sorte de placement, soit dans les rentes bancaires consoli- dées, que même les placements faits dans d'autres titres d'État, tels que les obligations à taux réduit de 3% ou les nouvelles obligations au même taux, n'ont été admis que de
façon graduelle et un peu à contrecoeur et que, depuis lors, à mesure que la gamme des placements permis aux fiduciaires a été étendue, soit aux termes mêmes de l'acte créant la fiducie soit par une loi du Parlement, la Cour a toujours cherché à obliger les parties à justifier la qualification d'un nouveau genre de titres comme placement fiduciaire.
Dans son sens courant, il me semble que l'expression «titres» comprend de nos jours les certificats d'actions.
Selon moi, il existe des distinctions entre l'affaire Singer et la présente affaire: l'arrêt Singer doit être considéré en tenant compte des faits particuliers de l'espèce et de la loi précise qui ont fondé cette décision. Dans le présent cas, le Parlement, dans les alinéas a), b) et c), a établi une distinction entre les «actions», les «obligations» et les «titres»; il n'a pas voulu en effet que les «titres» comprennent nécessaire- ment des actions ou des obligations.
Dans l'affaire Ellis, un testateur avait légué [TRADUCTION] «toutes mes actions, obligations et tous mes titres quelle qu'en soit la nature ...». La difficulté consistait à savoir si les droits que conférait à un vendeur un acte de vente d'un terrain pouvaient être considérés comme un «titre» au sens des mots employés par le testateur et dans le contexte du testament en question. Le juge Riley a adopté l'interpréta- tion restrictive du mot «titres» et il a statué que le sens de ce mot comprenait un acte de vente.
On a cité d'autres affaires un testateur avait employé le mot «titres» et l'on a attri- bué à ce mot un sens plus large. 2 Ici encore, ces affaires ne m'éclairent que bien peu. La solu tion à la question de savoir si quelque chose était ou non un «titre» dépendait surtout de l'emploi de cette expression dans un testament donné.
Lord Shaw of Dunfermline a bien exposé le problème à la page 57 de l'affaire Singer:
[TRADUCTION] Le mot «titres» n'a en droit aucune signifi cation qui s'y attache nécessairement dans toutes ses utilisa- tions. Il s'agit d'un mot usuel employé dans des expressions variées; et il y a lieu de l'interpréter sans s'embarrasser d'une définition légale et en prenant pour seul guide la conclusion la plus logique à laquelle peut aboutir l'emploi de ce mot, par exemple dans un testament, un contrat, une loi fiscale ou autre, selon le cas. En essayant de transposer dans un autre contexte une définition légale dérivée de l'emploi d'un mot dans un certain contexte, on crée une confusion et on entre parfois en conflit avec l'intention réelle des parties ou du législateur.
A mon avis, le mot «titres» figurant à l'article 69(2)c) doit s'interpréter selon son sens courant et non de la façon restrictive que l'on trouve dans les anciens arrêts. Je fais mien le principe d'interprétation exposé par le baron Pollock dans l'affaire Grenfell c. C.I.R. (1876) 1 Ex.
Div. 242, la p. 248: [TRADUCTION] «Il faut éviter d'interpréter la loi en donnant aux termes qu'elle emploie un sens strict ou technique, mais ... il faut donner à ces termes leur sens courant; par les mots «sens ordinaire», je veux dire, bien sûr, le sens que leur attribueraient les personnes versées dans la question dont traite la loi.» Je note aussi le fait que l'article que remplace l'article 69(2) a été inséré dans la Loi de l'impôt sur le revenu en 1946; il faut donc être circonspect dans l'application de ces arrêts du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle.
J'estime qu'il serait inopportun de tenter de faire, dans le présent jugement, un exposé exhaustif sur le sens de mot «titres» dans cet article de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je suis toutefois convaincu que le Parlement a employé le mot dans son sens courant, de façon à inclure les effets relatifs au remboursement d'une somme d'argent, avec ou sans engagement sup- plémentaire, et dont on se sert couramment à des fins de financement et de placement'. Une expression courante me vient à l'esprit: obtenir un emprunt sur la garantie d'un billet à ordre. Selon moi, les billets à ordre sont couramment considérés, en matière commerciale, comme une forme de placement. Je note que l'alinéa b) emploie le mot «placements» pour recouvrir les termes «actions, obligations, titres négociables ou espèces» utilisés dans l'alinéa a). Il me semble que les circonstances de l'espèce confir- ment l'opinion selon laquelle ces billets à vue sont des titres au sens que j'ai indiqué comme étant le sens usuel de ce mot. En l'occurrence, l'appelante, pendant qu'elle étudiait les possibi- lités de placement à long terme du capital sup- plémentaire qu'elle avait recueilli, dans des «actions», «obligations», «titres négociables» ou des «espèces» (placements liquides), a placé l'argent dans des titres à court terme, soit des billets à vue.
Je traiterai maintenant de la seconde préten- tion de l'appelante, à savoir que, même si ces
billets à ordre sont des titres, on s'est de façon générale conformé au paragraphe en question. Pour faire droit à cette prétention, il faudrait, selon moi, interpréter le paragraphe en y ajou- tant quelques mots. Le début de l'alinéa c) est clair et explicite: «à nulle époque de l'année, plus de dix pour cent de ses biens ...» Je ne puis trouver aucune raison d'ajouter des mots tels que «approximativement» ou «substantiel- lement» et, de fait, j'estime qu'une telle addition serait incorrecte.
Au cours des débats, on a évoqué certaines situations hypothétiques. Par exemple, le cas d'une compagnie de placement qui, lors de la fermeture des affaires un jour donné, est pro- priétaire d'un lot d'actions d'une corporation représentant 8% de ses biens; quid si, en raison d'une montée spectaculaire de la valeur mar- chande desdites actions tôt le lendemain, ce pourcentage s'élève à plus de 10% avant qu'on ne puisse vendre un nombre suffisant de ces actions? Cette hypothèse soulève aussi la ques tion de savoir s'il faut se servir de la valeur d'acquisition ou de la valeur marchande. Heu- reusement pour moi, ces difficultés ne se sont pas présentées ici et je ne ferai pas de conjectu res sur leur solution.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.
1 Le 30 juin 1965 est la date précise mentionnée dans l'exposé des faits. J'ai eu l'impression, au cours des débats, que l'avoir de l'appelante a probablement dépassé le seuil de 10% pendant quelques semaines, et non pas pendant cette seule journée.
* Note du traducteur: Ce qui fait tout l'intérêt de la question et sous-tend le raisonnement en anglais, c'est que la notion de «titre» et celle de «garantie» se rendent par le même mot, «security». La question est donc de savoir dans quelle mesure un titre (a security) doit être affecté d'une garantie (secured) pour pouvoir être considéré comme tel.
2 Par exemple, dans l'affaire Re Rayner [1904] 1 Ch. 176, où, dans un testament, on a attribué au mot «titres» le sens de «placements», y compris des actions.
J'ai tiré ces mots du jugement rendu dans l'affaire Re Waldstein 291 N.Y.S. 697: ils indiquent, selon moi, ce qu'il faut comprendre par «titres» dans le présent article.
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