Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

L'État portoricain (Requérant)
c.
Humberto Pagan Hernandez (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Thurlow et Pratte —Ottawa, les 15, 16 et 30 novembre 1973.
Examen judiciaire—Extradition—Refus de décerner un mandat d'extradition—Appel—Rejet de l'action par la Cour fédérale pour défaut de compétence—Appel à la Cour suprê- me—Confirmation de la compétence de la Cour d'appel fédérale—Compétence—Renvoi à la Cour pour jugement sur le fond—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(1)c).
L'État portoricain demande l'examen et l'annulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, de la décision du juge, agissant en vertu de la Loi sur l'extradi- tion, qui refusa de décerner un mandat autorisant l'extradi- tion de l'intimé afin qu'il réponde d'une accusation de meur- tre. Le 2 août 1972, la demande a été soumise à la Cour d'appel fédérale (voir [1972] C.F. 1076) qui décida qu'elle n'avait pas compétence pour l'entendre. Le 29 octobre 1973, la Cour suprême a jugé ladite Cour compétente en l'espèce et lui a renvoyé la demande pour jugement sur le fond. L'audience s'est tenue les 15 et 16 novembre 1973 et la Cour a rejeté la demande tout en indiquant qu'elle ren- drait les motifs à une date ultérieure.
Arrêt: la demande d'examen est rejetée. Le juge d'extradi- tion, procédant à l'examen de la preuve, a appliqué le critère de la «culpabilité probable» et a conclu que la preuve ne démontrait pas la culpabilité probable de l'intimé. La preuve n'était pas suffisante pour faire subir un procès à l'intimé. On ne peut soutenir que la conclusion du juge découle d'une conception erronée de son rôle ou d'une erreur de droit à cet égard, de façon à placer l'affaire dans le cadre des disposi tions de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts suivis: Schtraks c. Le gouvernement d'Israël [1964] A.C. 556; Ex parte Isaac Feinberg (1901) 4 C.C.C. 270; Re Latimer (1906) 10 C.C.C. 224; Ex parte Reid (1954) 110 C.C.C. 260.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
G. R. Morin et J. L. Shields pour le requérant.
C. C. Ruby et B. Mergler pour l'intimé.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Killeen et Greenberg, Ottawa, pour le requérant.
C. C. Ruby, Toronto, pour l'intimé.
LE JUGE THURLOW—Cette demande, déposée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, vise l'examen et l'annulation de la déci- sion par laquelle M. le juge A. E. Honeywell, agissant à titre de juge d'extradition en vertu de la Loi sur l'extradition, a refusé de décerner un mandat autorisant l'extradition à Porto Rico de Humberto Pagan Hernandez, que j'appellerai ci-après l'intimé, afin d'y répondre d'une accu sation de meurtre. La demande a été soumise à la Cour le 2 août 1972 [1972] C.F. 1076 et la Cour avait alors décidé qu'elle n'était pas com- pétente pour l'entendre. Le 29 octobre 1973, la Cour suprême a jugé la Cour compétente en l'espèce et lui a renvoyé la demande pour juge- ment sur le fond. L'audience s'est tenue les 15 et 16 novembre 1973 et la Cour a rejeté la demande tout en indiquant qu'elle rendrait les motifs de sa décision à une date ultérieure.
Les motifs sur lesquels on peut fonder une demande déposée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale sont définis dans ce texte de manière suffisamment large pour com- prendre toute question de droit ou de compé- tence. Cette procédure ne constitue cependant pas une nouvelle audition de la cause, mais un examen de la légalité du déroulement de l'af- faire. Bien que la Cour puisse annuler la déci- sion ou l'ordonnance et renvoyer l'affaire devant le tribunal avec des directives, elle n'a pas le pouvoir, alors qu'en général les disposi tions relatives aux appels le prévoient, de rendre la décision ou l'ordonnance qu'à son avis le tribunal aurait rendre. La Cour n'a pas non plus compétence pour procéder à une nouvelle évaluation de la preuve et pour substituer son appréciation des faits à celle du tribunal. En la matière, la compétence de la Cour ne l'autorise qu'à annuler une décision basée sur une conclu sion de fait qui n'est pas fondée en droit et qui relève ainsi de l'article 28(1)c).
A mon sens, c'est dans ce cadre que la Cour avait compétence pour examiner la décision en cause. Selon la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-21 et l'article X du Traité Ashburton, le juge d'extradition doit lancer un mandat pour faire incarcérer le fugitif en vue de son extradi tion lorsqu'il est produit une preuve qui d'après le droit canadien justifierait son incarcération préventive si le crime avait été commis au Canada. Si cette preuve n'est pas produite, le
juge doit ordonner que le fugitif soit élargi. Suivant l'article 475 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, un juge de paix procédant à une enquête préliminaire, doit «si à son avis, la preuve est suffisante pour faire passer la per- sonne en jugement», renvoyer la personne inculpée pour qu'elle subisse son procès. Si, à son avis, il n'a pas été établi de motif suffisant pour la faire passer en jugement, il doit libérer la personne inculpée. Le type de preuve exigée n'est ni absolu ni précis, il dépend d'un juge- ment de valeur qui détermine si la preuve est suffisante pour justifier le procès de l'inculpé pour l'infraction alléguée. Il semble évident, du moins dans les cas où, de bonne foi, on peut avoir des avis différents quant au caractère suf- fisant de la preuve, qu'on ne saurait prétendre entachée d'une erreur de droit la décision d'un juge de paix pour l'unique motif qu'une Cour procédant à l'examen de cette décision, ou cer- tains de ses membres, aurait incliné vers une solution différente si c'est elle qui avait mené l'enquête. Il est certain que ce motif ne suffirait pas à justifier l'intervention d'une Cour procé- dant à l'examen de la décision, même si cette dernière était compétente pour examiner les faits et pour rendre une décision fondée sur sa propre appréciation de ceux-ci. Dans les cas tels que celui-ci, la compétence d'examen est limitée aux questions de droit, la Cour, à mon sens, ne peut intervenir, en dehors de toute interprétation erronée du juge ou d'erreur de droit au cours des procédures, que lorsque l'er- reur commise dans l'appréciation du dossier soumis est si lourde qu'elle ne constitue pas seulement une erreur de jugement quant à l'ef- fet d'une preuve marginale, mais un tel mépris des éléments de preuve présentés à la Cour que cela revient à une erreur de droit ou porte à conclure qu'on a fait application d'un principe erroné, l'article 28(1)c) s'appliquant alors.
Au moins trois des lords juges appelés à se prononcer dans l'affaire Schtraks c. Le gouver- nement d'Israël [1964] A.C. 556 estiment que la loi entend laisser au juge de paix un domaine discrétionnaire au sein duquel son point de vue doit prévaloir si l'on peut soutenir qu'il s'agit d'une conclusion raisonnable vu la preuve pré- sentée. Ainsi, à la page 579, Lord Reid déclare:
[TRADUCTION] Les pouvoirs de cette chambre ne dépas- sent pas ceux d'un tribunal. Je ne considère pas utile en l'espèce d'en donner une définition précise. La cour et, en appel, cette chambre peuvent et même doivent rechercher si, au vu des éléments de preuve présentés au magistrat, un magistrat raisonnable aurait été fondé à procéder à l'incarcé- ration de l'accusé, mais ni la cour ni cette chambre ne peut juger le procès à nouveau afin de substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du magistrat.
Lord Evershed, le vicomte Radcliffe étant du même avis sur ce point, déclare à la page 600:
[TRADUCTION] A mon sens, le critère qu'il convient d'appli- quer est celui adopté par le lord juge en chef, à savoir que le magistrat doit se trouver devant des preuves telles que, si elles ne sont pas contredites à l'audience, un jury raisonna- ble pourrait fonder sur elles une déclaration de culpabilité. En appliquant ce critère, il me semble qu'on ne peut sérieu- sement soutenir, vu les faits tels que je les ai relatés, que le magistrat ne se trouvait pas en présence de preuves suffi- santes pour lui permettre, dans l'exercice régulier de son pouvoir discrétionnaire, de faire incarcérer l'appelant sous une accusation de parjure.
Au Canada, on a appliqué dans un certain nombre d'affaires citées par le savant juge d'ex- tradition le critère du caractère suffisant de la preuve qu'exige la mise en accusation d'un inculpé. Ce critère a été établi par l'arrêt Ex parte Isaac Feinberg (1901) 4 C.C.C. 270 le juge Würtele a déclaré aux pages 272-73:
[TRADUCTION] Selon la Loi d'extradition, dans le cas d'un fugitif accusé d'avoir commis un crime entraînant l'extradi- tion, il faut que soit produite une preuve qui, d'après le droit canadien, justifierait sa mise en accusation sous réserve des dispositions de la loi.
Quand une personne est accusée d'avoir commis un crime au Canada, elle est traduite devant un magistrat qui procède à une enquête préliminaire et qui interroge les témoins cités à comparaître. Le magistrat ne juge pas l'accusé; il examine la preuve présentée et, s'il estime non pas que la preuve est suffisante pour fonder une déclaration de culpabilité, mais qu'elle est suffisante pour lui faire subir un procès, il pro- cède à l'incarcération préventive.
On exige simplement que la preuve justifie l'incarcération préventive et non une déclaration de culpabilité. Il n'est pas nécessaire que cette preuve démontre la culpabilité de l'ac- cusé et suffise, lors du procès, à fonder une déclaration de culpabilité. La preuve justifiant l'incarcération préventive d'un accusé doit seulement être telle qu'on puisse raisonna- blement croire en sa culpabilité. Il n'est pas nécessaire que cette preuve soit décisive au point de pouvoir entraîner sa condamnation. On ne peut condamner qu'au vu d'une preuve qui retire tout doute raisonnable quant à la culpabi- lité, mais une incarcération exige simplement que les faits établis soient suffisamment forts en eux-mêmes pour fonder chez un homme prudent la conviction que l'accusé est probablement coupable de l'infraction qu'il lui est imputée. (1 Moore, pp. 520, 521, 522). Le but de l'enquête est
seulement de décider si la preuve justifie la détention d'un accusé en vue de son procès pour qu'il réponde de cette accusation. A ce procès, il aura le droit de présenter une défense complète. (1 Moore p. 522).
Voir également Rex c. Cowden (1947) 90 C.C.C. 101 à la page 104; Re Goodman (1916) 26 C.C.C. 254 aux pages 259-60; Re Rosenberg (1918) 29 C.C.C. 309 à la page 314 et Regina c. Sednyk (1956) 115 C.C.C. 128 à la page 131.
Le critère a été exposé de façon différente dans l'arrêt Re Latimer (1906) 10 C.C.C. 244 par le juge en chef Sifton qui déclare à la page 247:
[TRADUCTION] Ceci constitue la preuve présentée à cette Cour; il convient maintenant de déterminer ce que je dois faire vu les circonstances révélées par la preuve. Comme nous l'avons dit, il ne s'agit pas du tout du procès de l'accusé. Il peut être innocent ou coupable de l'infraction qui lui est imputée. Il m'incombe de décider si, en l'absence d'éléments contraires, la preuve soumise permettrait à un magistrat, d'après notre droit et dans une affaire semblable, de procéder à son incarcération préventive en vue de son procès. En pratique, cela revient à peu près à la même chose que si, au cours d'un procès avec un juge et un jury, la preuve était telle qu'elle empêchait le juge de dessaisir le jury.
Ceci semble poser un critère de preuve un peu plus exigeant que le critère de la «culpabilité probable» que l'on trouve dans l'arrêt Feinberg (précité).
Dans l'arrêt Ex parte Reid (1954) 110 C.C.C. 260 le juge Spence, alors juge à la Haute Cour de l'Ontario, dans les motifs de sa décision d'accorder un bref de habeas corpus pour l'élar- gissement d'un prévenu, se réfère aux deux critères dans le passage suivant qui se trouve aux pages 261-62:
[TRADUCTION] Il a été affirmé que la preuve justifiant la détention préventive d'un accusé doit être telle qu'elle entraîne chez le magistrat la conviction que l'accusé est probablement coupable. L'arrêt Re Latimer (1906), 10 Can. C.C. 244, propose un critère pratique qui consiste à se demander si le juge présidant l'audience d'un procès avec jury pourrait, au vu de la preuve, être justifié à dessaisir le jury. Je suis fermement convaincu que si je présidais l'audi- tion de cette accusation et que la preuve présentée au nom de la Couronne contre Reid était celle que j'ai lue dans la transcription des notes prises à l'enquête préliminaire, je serais obligé d'élargir l'accusé et je sentirais qu'il m'appar- tient de le faire même si son avocat n'en a pas fait la demande. Ce critère, bien sûr, est plus rigoureux que celui qui est retenu d'ordinaire, à savoir, la conviction d'un homme prudent, au vu de la preuve présentée à l'enquête préliminaire, de la culpabilité probable de l'accusé.
Dans l'arrêt Schtraks c. Le gouvernement d'Is- raël (précité) le critère est formulé d'une manière encore un peu différente mais, à mon sens, ce qu'il exige fondamentalement ne diffère pas de ce qu'exige le critère portant sur le point de savoir s'il s'agit d'une affaire dans laquelle le juge serait fondé à dessaisir le jury. Lord Reid, à la page 580, s'est exprimé ainsi sur cette question:
[TRADUCTION] Il faut maintenant décider si la preuve sou- mise au magistrat suffisait à justifier une incarcération pré- ventive. L'objection principale à l'incarcération préventive était que les Kot ou du moins deux d'entre eux étaient complices et que deux des trois se trouvaient en prison lorsqu'ont été recueillies leurs dépositions. Nul ne conteste que le critère que doit appliquer le magistrat est celui de savoir si, dans l'hypothèse cette preuve est la seule présentée au procès, un jury raisonnable et correctement instruit accepterait de fonder sur elle un verdict de culpabilité.
Dans ses motifs, dont un extrait a déjà été cité (page 600), Lord Evershed s'exprimait de la même façon.
Chacun de ces critères ou chacune de ces façons de formuler un critère, peut être, à mon avis, plus ou moins utile à un juge de paix ou à un juge d'extradition, selon le type d'affaire en cause. Mais on doit, à mon sens, retenir que, peu importe la manière de formuler le critère, celui-ci ne peut servir que de repère au juge de paix ou au juge pour lui permettre de se faire une opinion sur la preuve, opinion que la loi lui impose d'appliquer, quant au caractère suffisant de celle-ci pour justifier une mise en accusation. Pour cette raison, il me semble qu'il convien- drait d'exiger au moins une preuve qui, si elle n'est pas réfutée lors du procès, serait de nature à motiver une condamnation de la part d'un jury raisonnable, mais la législation n'impose pas de critère. Elle laisse l'appréciation du caractère suffisant de la preuve au juge de paix ou au juge et il me semble que dans la mesure sa con clusion est justifiée comme découlant raisonna- blement de la preuve, il n'est pas essentiel qu'il s'avère qu'il a appliqué un critère donné. En particulier, je ne pense pas que l'on puisse se plaindre qu'un critère donné n'a pas été appli- qué si le critère effectivement retenu est moins exigeant et que le juge de paix ou le juge en a néanmoins conclu à l'insuffisance de la preuve.
L'événement qui a donné naissance à la mise en accusation pour crime de l'intimé s'est pro- duit sur le campus de l'université de Porto Rico à San Juan ou aux alentours. A l'époque en question, l'intimé était inscrit comme étudiant à l'université et était l'un des chefs d'un groupe d'étudiants qui prônaient l'indépendance de Porto Rico. Le 11 mars 1971, une manifestation d'une certaine envergure et d'une certaine durée se produisit sur le campus de l'université et entraîna une confrontation entre une centaine d'étudiants membres du ROTC (corps d'entraî- nement des officiers de réserve) et un nombre beaucoup plus élevé d'autres étudiants qui, sem- ble-t-il, s'opposaient à la présence de cette orga nisation à l'université. On a fait appel à la police quand la bagarre a éclaté. Des jets de pierre et des coups de feu suivirent, plusieurs personnes, policiers et civils, furent atteintes et le comman dant du détachement de police fut tué. Selon les preuves produites, que le savant juge a considé- rées suffisantes, le commandant a été tué par une balle tirée dans une direction sud, d'une distance d'à peu près 140 pieds, par une per- sonne se tenant debout ou accroupie derrière le coin nord-ouest d'un monument. José Raphael Atilano, commandant-adjoint du détachement de police envoyé à l'université, a témoigné qu'au moment du coup de feu ou à peu près à ce moment, il se trouvait à un endroit situé d'après le plan (pièce 2) à 180 pieds environ du tireur et à 60 pieds environ à l'ouest du commandant. Il a affirmé dans sa déposition avoir vu le tireur et entendu le coup de feu et, tout de suite après, avoir couru vers le nord le long d'un trottoir à peu près parallèle à la trajectoire de la balle afin de mieux voir le tireur. Il a déclaré qu'il s'agis- sait à coup sûr d'un pistolet Colt .45, que le tireur mesurait à peu près 5'9", qu'il avait des favoris et que son teint était un peu plus pâle que le sien. Le tireur se trouvait derrière le monument, sa main gauche appuyée contre le coin nord, et il tenait son arme de la main droite contre le côté ouest du monument. Le témoin dit avoir couru une quarantaine de pas le long du trottoir qui, d'après le plan, est situé à 54 pieds au moins du monument. Il ajoute que le tireur l'a vu s'approcher, que celui-ci a tourné son visage vers lui pendant un instant, ainsi qu'il en a fait la démonstration, soit au plus deux
secondes, puis le tireur s'est retourné et s'est enfuit.
Plus d'une année après, devant le savant juge d'extradition le témoin a formellement reconnu l'intimé comme étant le tireur. Le contre-inter- rogatoire a révélé que le témoin ne connaissait pas l'intimé avant le 11 mars 1971 et rien n'indi- que qu'il l'ait vu depuis. Toutefois, on a fait valoir en preuve que la police avait reçu un renseignement d'après lequel l'intimé était bien le tireur et avait sur ce obtenu de l'université la carte d'identité de l'intimé figuraient son nom et sa photographie, ainsi que les cartes de quelque 22 autres étudiants. Selon ladite preuve, entre les 13 et 15 mars 1971, on a présenté ces cartes et un album de photogra- phies appartenant à la police au témoin qui a désigné la carte de l'intimé. L'intimé a été arrêté à Porto Rico le 16 mars 1971. Il a ensuite été relâché en attendant qu'il soit statué sur sa demande d'habeas corpus et il est resté en liberté en attendant que soit tranché l'appel interjeté du rejet de ladite demande. Entre temps, une date fut fixée pour son procès pour meurtre, mais il ne s'y est pas présenté et s'est réfugié dans ce pays. Aucune preuve n'est venue confirmer le témoignage d'Atilano, ne serait-ce que sur le point de savoir si l'intimé se trouvait effectivement sur le campus ou aux environs le jour du meurtre ou s'il avait jamais détenu un Colt .45 ou un autre pistolet. A l'au- dience devant le savant juge, l'avocat de l'État de Porto Rico a reconnu que le témoignage d'Atilano était la seule preuve directe impli- quant l'intimé dans la fusillade et il a fondé son dossier sur le fait que les preuves présentées suffisaient à faire incarcérer l'intimé en vue de son extradition. Il a soutenu ce même argument dans sa demande devant cette Cour.
Dans une décision prononcée à l'issue de l'au- dience et soigneusement motivée, ainsi que dans ses motifs rédigés ultérieurement, le savant juge d'extradition a fait ressortir les faiblesses et les insuffisances de la preuve impliquant l'intimé
dans ce meurtre et il a conclu que la preuve ne suffisait pas à faire incarcérer l'intimé. Il s'est jugé tenu de dissiper tous les doutes quant au caractère suffisant de la preuve tendant à l'in- carcération de l'intimé; il a donc déclaré qu'à son avis, l'insuffisance de la preuve ne faisait aucun doute.
Après plusieurs examens des témoignages d'Atilano et d'Ortiz et après avoir entendu l'ex- cellente plaidoirie de l'avocat de l'État de Porto Rico, je ne suis pas convaincu que la preuve suffisait raisonnablement à justifier la mise en accusation de l'intimé. De plus, je trouve incon- cevable qu'une personne puisse être mise en accusation au vu d'une preuve aussi ténue que cette prétendue identification qui a eu lieu un an après l'événement et qui a été effectuée par une personne qui ne connaissait pas l'accusé aupara- vant et qui, de plus, n'a eu l'occasion de le voir qu'au moment il s'enfuyait et ce à une dis tance d'à peu près soixante pieds, si tant est qu'il s'en soit approché d'aussi près. Que le témoin ait choisi la carte d'identité de l'intimé ne prouve pas en soi que l'intimé était mêlé à l'affaire. Je dirais même que, vu les circon- stances telles que décrites, cet élément tend à affaiblir plus qu'à renforcer la force probante de l'identification faite à l'audience par Atilano; en effet, le témoin aurait tendance à se souvenir par la suite du personnage de la photographie qu'il a eu tout loisir d'examiner plutôt que de la silhouette fugitive du tireur. Aucune autre preuve n'a été présentée tendant à impliquer l'intimé ou à corroborer cette identification.
Cette conclusion suffit à rejeter la demande, car, si la Cour n'est pas elle-même convaincue que la preuve justifie l'incarcération, elle l'est encore moins que le savant juge d'extradition ne pouvait pas, dans l'exercice de son pouvoir dis- crétionnaire, considérer la preuve insuffisante.
On a prétendu que le savant juge avait commis une erreur de droit en décidant que la preuve de l'identification faite par le témoin Atilano ne pouvait pas être retenue en l'absence d'autres preuves à cet égard et en jugeant que le témoignage d'Atilano constituait une opinion plutôt qu'une identification formelle. Je ne con- sidère pas ces décisions comme des jugements du savant juge sur des points de droit mais
plutôt comme son opinion sur la valeur ou le poids du témoignage donné. Il me semble parfai- tement clair que, vu les faits, on ne pouvait pas considérer l'identification comme étant plus qu'une simple opinion formée par un témoin et, en l'absence de toute preuve supplémentaire ou de confirmation, on ne pouvait pas sérieusement retenir cette opinion.
On a également soutenu que le savant juge avait commis une erreur de droit en évaluant le témoignage, usurpant ainsi les fonctions du jury d'apprécier la crédibilité des témoins et la valeur de leurs témoignages. Toutefois, je ne considère pas qu'il soit possible pour un juge d'extradition d'exercer ses fonctions sans tenir compte du poids ou du manque de poids manifestes d'un témoignage qui lui est soumis. J'estime qu'il lui appartient de l'évaluer approximativement pour déterminer son utilité au procès ainsi que les conclusions que tout ou partie de ce témoignage pourrait appuyer. Le savant juge, en l'espèce, a déclaré à plusieurs reprises qu'il ne lui apparte- nait pas de peser la preuve mais simplement de se prononcer sur son caractère suffisant et je ne pense pas que l'on puisse soutenir que sa con clusion découle d'une conception erronée de son rôle ou d'une erreur de droit à cet égard. Il a fait application du critère de la «culpabilité pro bable» et il a conclu que la preuve ne démon- trait pas la culpabilité probable de l'intimé, con clusion qu'en toute déférence, je partage. Dans la mesure ce critère est le moins exigeant des critères que j'ai précédemment examinés dans ces motifs, on ne saurait prétendre que la con clusion aurait été différente si l'on avait appli- qué des critères plus exigeants relativement au caractère suffisant de la preuve.
J'estime que la demande n'est pas fondée et qu'il convient donc de la rejeter.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT et LE JUGE PRATTE ont souscrit à l'avis.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.