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Toan Cong Vu (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup pléants Sheppard et Bastin —Vancouver (C. - B.), les 2 et 4 mai 1973.
Immigration—Ordonnance d'expulsion rendue contre un déserteur de la marine sud-vietnamienne—Confirmée par la Commission d'appel de l'immigration—Refus de retenir l'existence «de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire»—Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion, art. 15(1)b)(ii).
La Commission d'appel de l'immigration a rejeté un appel interjeté d'une ordonnance d'expulsion rendue contre un déserteur de la marine du Viêt-Nam du Sud et a refusé d'exercer sa discrétion lui permettant, en vertu de l'article 15(1)b)(ii) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion, de surseoir à l'exécution de l'ordonnance ou de l'annu- ler pour des motifs de pitié ou des considérations d'ordre humanitaire. La Commission a déclaré qu'il ne lui apparte- nait pas de protéger le requérant des lois de son pays.
Arrêt: l'affaire est renvoyée à la Commission pour nou- velle audition et nouvelle décision.
APPEL d'une décision de la Commission d'ap- pel de l'immigration.
AVOCATS:
Stuart Rush et D. Mossop pour l'appelant.
D. Boon pour l'intimé.
PROCUREURS:
Boulton et Rush, Vancouver, pour l'appelant.
Le sous - procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE THURLOW—Par suite de la permis sion accordée en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, appel est interjeté d'un jugement aux termes duquel la Commission d'appel de l'immigration a rejeté l'appel d'une ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant le 17 mai 1971 et a ordonné que cette dernière soit exécutée le plus tôt possible. En appel, on n'a pas soulevé la question de la validité de l'ordonnance d'expul- sion; ce qu'on a contesté, c'est la décision de la
Commission de ne pas soustraire l'appelant à l'ordonnance en vertu de l'article 15(1)b)(ii) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
Cet article se lit comme suit:
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expul- sion en conformité de l'alinéa 14c), elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,
b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'ex- pulsion, compte tenu
(ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'octroi d'un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
Devant la Commission d'appel de l'immigra- tion, l'appelant avait aussi demandé un redresse- ment en vertu de l'article 15(1)b)(1), mais, en appel devant cette Cour, on n'a pas soulevé le fait que la Commission n'a pas accordé le redressement prévu par cette disposition particulière.
L'appelant est un citoyen du Viêt-Nam du Sud qui, au moment de l'ordonnance d'expul- sion, avait 22 ans. En 1969, il s'était engagé pour dix ans dans la marine du Viêt-Nam du Sud pour éviter d'être incorporé dans l'armée de ce pays. En 1970, il fut envoyé dans une base navale aux États-Unis pour y étudier l'électroni- que. Après plusieurs mois, il quitta la base et, le 12 janvier 1971, il entra à titre de visiteur au Canada avec l'autorisation d'y rester jusqu'au 12 du mois suivant. A ce moment-là, il détenait un passeport sud-vietnamien expiré depuis novembre 1970, valide pour entrer aux États- Unis d'Amérique via les Philippines, et un visa militaire de non-immigrant délivré par l'Ambas- sade des États-Unis à Saigon, valide jusqu'au 20 octobre 1971.
Le 8 février 1971, à Vancouver, il fit une demande de résidence permanente. Dans un rapport établi le 15 février, en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'immigration, il était allégué
qu'il n'était pas en possession d'un passeport valable ni d'un visa d'immigrant valable et non périmé, comme l'exigent respectivement les articles 27 et 28 des Règlements sur l'immigra- tion. Une enquête spéciale tenue en consé- quence s'est soldée par l'ordonnance d'expul- sion en question au motif qu'on ne pouvait l'admettre en résidence permanente parce qu'il n'avait ni le passeport ne le visa requis.
Lors de l'appel à la Commission, il a présenté un certificat d'un avocat saïgonais qui révélait qu'en désertant la marine, l'appelant était devenu passible, en vertu du droit sud-vietna- mien, de 5 à 20 ans de travaux forcés, risquait d'être envoyé au front dans un bataillon discipli- naire pendant qu'il purgeait sa peine et d'être privé de tous droits ou privilèges, y compris les droits d'être indemnisé en cas d'invalidité.
Dans ses motifs du jugement, la Commission à la majorité, après avoir exposé les faits, s'est posée la question suivante:
La Cour peut-elle, dans cette affaire, exercer la juridiction spéciale qu'elle détient par l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration?
Elle se rapporte ensuite à l'article 15(1)b)(i) et conclut qu'on ne peut considérer ni la désertion de l'appelant de la marine ni la peine qu'on peut lui imposer en conséquence comme des activités politiques et que si l'appelant est soumis à de graves tribulations à son retour au Viêt-Nam, elles seraient semblables à celles que subiraient son frère ou ses compatriotes en défendant leur pays et aussi à celles des déserteurs. La Com mission n'a pas exposé les conclusions à en tirer.
Elle poursuit alors de la façon suivante:
Le sous-alinéa (ii) de l'article 15(1) parle de l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire pouvant justifier l'octroi d'un redressement spécial. La Cour doit-elle avoir pitié de l'appelant et juger inhumain de le soumettre aux lois de son propre pays? Au stade il en est, l'appelant relève-t-il des tribunaux canadiens ou des tribu- naux de son pays? Parce qu'il a déserté l'armée sud-vietna- mienne, appartient-il à la Commission de juger son acte? Parce qu'il est passible de punitions appartient-il à cette Commission de le soustraire aux peines auxquelles il peut être exposé? Même si elle ressent de la compassion pour l'appelant, cette Cour ne peut, dans les circonstances, s'arro- ger le droit de l'accueillir alors qu'il n'est pas admissible au Canada comme immigrant.
Il convient de remarquer que, dans cette partie de ses motifs, la Commission, à la majo- rité, se contente de poser une série de questions sans y répondre. En outre, la pertinence des réponses à ces questions n'est pas évidente et, puisque ces questions ne portent pas seulement sur l'existence, au vu des normes canadiennes actuelles, de motifs de pitié ou de considéra- tions d'ordre humanitaire ou sur le point de savoir si ces considérations justifient l'octroi d'un redressement spécial, il est possible de critiquer ce jugement au motif qu'il se fonde sur des considérations non pertinentes.
En outre, le point de savoir s'il existait des motifs de pitié ou des considérations d'ordre humanitaire dans le cas de l'appelant n'a pas fait l'objet de conclusions. Si la Commission avait conclu sur cette question, comme, à mon avis, elle devait le faire, elle aurait alors été tenue d'examiner et de décider si les motifs de pitié ou les considérations d'ordre humanitaire qui exis- taient effectivement justifiaient l'octroi d'un redressement spécial. Négliger de tenir compte de ces questions et de les trancher revient, à mon avis, à ne pas exercer la compétence confé- rée par la loi. A mon avis, si la dernière phrase du paragraphe cité ne revient pas à une dénéga- tion complète de la compétence de la Commis sion, elle indique du moins qu'elle n'avait pas conclu sur le point de savoir s'il existait effecti- vement des motifs de pitié ou des considéra- tions d'ordre humanitaire dans ce cas, ou quelle était leur nature.
La Commission avait le pouvoir de détermi- ner d'après la preuve s'il existait dans le cas de l'appelant des motifs de pitié ou des considéra- tions d'ordre humanitaire et, dans l'affirmative, de décider s'ils étaient du genre à justifier un redressement spécial. Le fait que la Commission ait omis de statuer sur l'existence de ces consi- dérations et sur leur nature et, par conséquent, d'examiner et de décider si elles justifiaient un redressement spécial, revenait, à mon avis, à s'abstenir d'exercer sa compétence.
J'accueille donc l'appel et renvoie l'affaire à la Commission pour nouvelle audition et nou- velle décision du présent appel.
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD—Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN—Je souscris aussi à ces motifs.
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