Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Ernest G. Stickel (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge Catta- nach—Edmonton (Alberta), les 29 février et ler
mars; Ottawa, le 18 avril 1972.
Impôt sur le revenu—Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, Article VIII A— Résident des États-Unis enseignant au Canada—Est-il exempté de l'impôt canadien?
Impôt sur le revenu—Cotisation—Pouvoirs du Ministre— Est-ce qu'un bulletin d'information peut fonder une fin de non-recevoir?
Jusqu'au 18 juillet 1967, l'appelant résidait aux États- Unis. A cette date, il s'est installé à Edmonton pour ensei- gner à l'Université d'Alberta. Après le 30 juin 1969, date à laquelle se terminait son contrat d'enseignant, il est resté à Edmonton comme psychologue-conseil jusqu'en mars 1970, époque à laquelle il quitta le Canada.
Arrêt: (1) il ne pouvait se faire exempter de l'impôt sur le revenu canadien sur ses revenus provenant de l'enseigne- ment en s'appuyant sur l'Article VIII A de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis.
Un résident du Canada ou des États-Unis ne peut pas bénéficier d'exemption d'impôt dans l'autre pays en vertu de l'Article VIII A à moins que (1) la durée de sa visite dans cet autre pays n'excède pas deux ans et (2) le but de sa visite soit l'enseignement.
Arrêt désapprouvé: Smith c. M.R.N. 70 DTC 1594.
(2) Un bulletin d'information publié par le Ministre, qui exposait de façon erronée l'effet de l'Article VIII A, n'a pas entraîné une fin de non-recevoir opposable au Ministre.
Arrêt désapprouvé: Bowen c. M.R.N. [1972] C.T.C. 2174. Arrêts suivis: Woon c. M.R.N. [1951] R.C.E. 18; M.R.N. c. Inland Industries Ltd. 72 DTC 6113.
APPEL de l'impôt sur le revenu. P. G. C. Ketchum pour l'appelant. Ian Pitfield pour l'intimé.
LE JUGE CATTANACH—Les présents appels portent sur des cotisations de l'appelant à l'im- pôt sur le revenu qu'a établies le Ministre pour les années d'imposition 1967 et 1968 et dans lesquelles il a rejeté les demandes d'exonération du paiement de l'impôt de l'appelant pour lesdi- tes années d'imposition, en vertu de l'article VIII A d'une Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, conclue le 4 mars 1942 entre les deux pays désignés dans le titre. Ledit article est rédigé comme suit:
Article VIII A: Tout professeur ou instituteur qui réside dans l'un des États contractants et fait un séjour temporaire dans l'autre État contractant afin d'enseigner, pendant une période n'excédant pas deux ans, dans une université, un collège, une école ou une autre institution d'enseignement dans cet autre État, est exonéré par cet autre État de l'impôt sur la rémunération qu'il reçoit pour cet enseignement pen dant ladite période.
Cette Convention a été ratifiée et déclarée avoir force de loi au Canada par la Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique.
Des modifications ultérieures apportées à la Convention ont également été ratifiées et décla- rées avoir force de loi au Canada par des lois dûment adoptées par le Parlement du Canada.
L'article VIII A a été ajouté à la Convention initiale et ratifié par le chapitre 27 des Statuts du Canada, 1950.
Le préambule de la Convention déclare que les objectifs des deux États contractants sont (1) de promouvoir les échanges commerciaux entre les deux pays, (2) d'éviter la double impo sition et (3) de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu. Lord Coke a déclaré, il y a de nombreuses années, qu'un préambule est un bon moyen de déterminer le sens d'une loi et d'en faciliter la compréhension.
Les faits essentiels qui sont à l'origine des présents appels ne sont pas contestés, mais il y a un litige quant aux conclusions qui doivent être tirées de ces faits, à savoir si l'appelant a cessé d'être un résident des États-Unis.
L'appelant est dans l'Ohio, (États-Unis d'Amérique). Il ne fait pas de doute qu'il est citoyen de ce pays et qu'il y a habité jusqu'au 18 juillet 1967.
Il a fait ses études primaires et secondaires aux États-Unis et a ensuite fréquenté la Case Western Reserve University (Ohio). De 1953 à 1957, il a simultanément travaillé au service de cette université et préparé le doctorat en philo- sophie qu'il a obtenu en 1956.
De 1957 1958, il a travaillé à titre de conseil dans un institut de recherches à Cleveland (Ohio). De 1958 à 1961, il a travaillé à son
compte comme conseil pour l'institut Case, entité techniquement distincte de l'Université, mais qui y était néanmoins étroitement liée.
L'épouse de l'appelant est née à Terre-Neuve (Canada), mais elle a déménagé aux États-Unis avant d'épouser l'appelant. En 1967, l'appelant et son épouse avaient quatre enfants, dont deux adolescents.
En 1961, l'appelant a déménagé avec sa famille à Washington (D.C.).
En 1961 et 1962, il a été professeur à l'Uni- versité William & Mary à Norfolk (Virginie).
Il a quitté ensuite Norfolk et il est revenu à Washington il a été employé au Montgomery Board of Health et au Montgomery Board of Education. Pendant la durée de cet emploi, il a acheté une maison à Kensington (Maryland), dont il est demeuré propriétaire jusqu'en 1964, époque à laquelle il a loué un appartement à Wheaton (Maryland), il s'est installé avec sa famille. Tous ces endroits sont situés dans la région de Washington (D.C.).
Les parents de l'appelant sont tous deux décédés. Si mon souvenir de la preuve est fidèle, le frère de l'appelant qui habite aux États-Unis est son seul parent vivant. L'appe- lant et son frère étaient co-propriétaires d'une maison qu'ils louaient à une tierce personne, mais l'appelant a vendu en 1968 la participation qu'il possédait dans ledit immeuble.
L'appelant a également acheté des biens en Floride et au Nouveau-Mexique, mais il ne les a jamais vus. Je soupçonne qu'il a acheté ces biens de promoteurs immobiliers, à titre spéculatif.
Pendant qu'il était à Washington (D.C.), l'ap- pelant a eu son attention attirée par une offre d'emploi de l'Université d'Alberta à Edmonton (Alberta). Le 5 décembre 1966, il a adressé une demande au doyen du département intéressé et il a reçu une réponse au mois de février 1967. Le doyen l'avisait de son passage prochain à New-York et lui proposait de le rencontrer. L'entrevue qui a suivi a servi de base à un entretien ultérieur qui a eu lieu lorsque l'appe- lant s'est rendu par avion à Edmonton à cette fin. L'appelant et le doyen ont conclu ensuite un contrat d'emploi verbal. Le 27 mars 1967,
l'appelant, qui demeurait alors à Washington (D.C.), a reçu un contrat écrit de l'Université d'Alberta. Il a signé ce document le 31 mars 1967 et l'a retourné à l'Université.
Dans la lettre du 5 décembre 1966 qu'il a adressée à l'Université, l'appelant manifestait son désir de [TRADUCTION] «se ré-établir au Canada». Il ajoutait que, depuis quelque temps, il étudiait les tendances et les orientations au Canada et qu'il avait constaté l'existence de différences qui l'attiraient [TRADUCTION] «sur les plans personnel et professionnel». Il y énu- mérait ses références personnelles et mention- nait que son épouse était canadienne et que la plupart de ses parents vivants étaient au Canada. Il ajoutait qu'il avait acheté un autobus scolaire qu'il avait transformé en «goélette des prairies», dans lequel il avait beaucoup voyagé avec sa famille dans l'est du Canada. Il ajoutait que tous les membres de sa famille étaient des fervents du camping, de la pêche et de la vie en plein air. Il terminait sa lettre en disant que sa famille était d'avis que [TRADUCTION] «le Canada est le pays de l'avenir». Compte tenu du fait que cette lettre était une demande d'emploi, l'appelant, en tant qu'employé éventuel, voulait faire valoir des faits et des circonstances sus- ceptibles à son sens d'influencer favorablement la décision de son employeur éventuel, et cette lettre constituant un peu une flatterie, nous ne pouvons pas y attacher beaucoup d'importance. Toutefois, elle fournit des indications sur les idées de l'appelant et sur le caractère nomade de son mode de vie, caractère sans doute à la nature de son travail.
D'autre part, M me Stickel a témoigné qu'on avait discuté en famille du déménagement à Edmonton. Pour sa part, M me Stickel n'était pas très enthousiaste car elle n'avait aucun désir de retourner dans l'est du Canada et ne connaissait pas l'ouest du pays. Toute la famille, y compris l'appelant, s'est mise d'accord sur une période d'essai de deux ans et le fait qu'il fallait rester ouverts au projet.
Aux termes du contrat passé avec l'Univer- sité, l'appelant était nommé à un poste de pro- fesseur-adjoint au département de psychologie de l'éducation de la faculté d'éducation, à
compter du ler juillet 1967, pour une période probatoire qui devait se terminer le 30 juin 1969. Je souligne que le contrat porte sur une période de deux ans exactement.
Le 18 juillet 1967, l'appelant a déménagé à Edmonton (Alberta) avec sa famille, afin d'en- trer en fonctions.
Avant de déménager au Canada, l'appelant a résilié le bail de l'appartement qu'il occupait aux États-Unis. Il a confié à son frère certains biens personnels qu'il pouvait difficilement apporter au Canada. La preuve n'établit pas d'une manière concluante s'il s'est agi d'une donation pure et simple ou si ces biens devaient être conservés pour l'appelant.
L'appelant a fermé le compte de prêts qu'il avait, mais il a continué à faire des versements pendant environ dix-huit mois pour en acquitter le solde. Il a transféré à Edmonton son compte courant et son compte d'épargne.
A son arrivée à Edmonton, l'appelant a eu du mal à trouver en location un appartement con- venable. Il a finalement trouvé un appartement, mais peu de temps après la propriété a été mise en vente. L'appelant a été placé devant une alternative, acheter l'immeuble ou partir et il a choisi cette dernière solution. Le 27 mars 1968, il a signé sur une autre propriété un bail de cinq ans accompagné d'une option d'achat au prix de $2,000 et d'un contrat de vente. L'option pou- vait être levée après le 15 février 1973 et le bail expirait le 31 mars 1973. L'appelant a expliqué son choix, c'est-à-dire le bail, une option d'a- chat et un contrat de vente par le fait que cette façon de faire lui permettait de se libérer facile- ment de ses obligations et de vendre son option.
Le 30 juin 1969, le contrat d'enseignement de l'appelant est venu à expiration et il ne l'a pas renouvelé. Il n'était pas satisfait de la tournure des événements survenus au cours des deux années. ' Selon lui, le nombre des inscriptions était devenu trop élevé et il ne permettait pas un enseignement efficace. Il avait perdu ses illu sions et il ne désirait plus enseigner dans de telles conditions.
L'appelant avait obtenu deux emplois à temps partiel et il a décidé de demeurer à Edmonton. Il a travaillé comme psychologue-conseil pour une clinique privée, le Cold Mountain Institute, et il a dirigé des colloques portant sur les rela tions humaines.
Du 18 juillet 1967 jusqu'à son départ du Canada le 9 mars 1970, l'appelant n'est allé aux États-Unis que pour assister à des congrès pro- fessionnels. Il s'y est rendu aussi à l'automne 1969 pour une entrevue relative à un emploi qu'il cherchait à obtenir en Alaska. A la suite de celle-ci, il a reçu en janvier 1970 une offre d'emploi qu'il a acceptée et il a quitté le Canada en mars 1970.
Les faits essentiels se résument donc comme suit: l'appelant était professeur, il était résident des États-Unis le 18 juillet 1967, date à laquelle il est venu au Canada en vue d'enseigner à l'Université d'Alberta. Il a donné des cours à cette Université jusqu'au 30 juin 1969, c'est-à- dire pendant une période de deux ans. Du 30 juin 1969 au 9 mars 1970, soit un peu plus de huit mois, il a demeuré au Canada et a reçu une rémunération pour un travail autre que l'enseignement.
Au cours des années 1967 et 1968, pendant que l'appelant travaillait comme professeur à l'Université d'Alberta, le préposé aux salaires a déduit l'impôt sur le revenu et les contributions au Régime de pensions du Canada du revenu de l'appelant; il a versé ces sommes au ministre du Revenu national et a établi les feuillets T4 correspondants.
De juillet à décembre 1967, une somme de $1,804.33 a été déduite du salaire de l'appelant aux fins de l'impôt et une somme de $79.20 a été retenue au titre du Régime de pensions du Canada, ce qui donne des retenues totales de $1,883.53 pour l'année 1967.
Durant l'année 1968, les déductions d'impôt sur le revenu effectuées sur le salaire de l'appe- lant ont été de $3,819.54 et les déductions relatives au Régime de pensions du Canada se sont élevées à $81, ce qui donne un total de $3,900.54.
Il est peut-être utile d'ajouter qu'au cours de ces deux années, des contributions à un Régime
de pensions de l'Université ont également été déduites du salaire de l'appelant.
Le bureau de l'économe de l'Université et, en particulier, le préposé aux salaires, ne connais- saient pas l'existence de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis et ils ne l'ont apprise que lorsque la question a été portée à l'attention du service en juin 1968. Durant ledit mois, le ministère du Revenu natio nal, division des impôts, a fourni des exemplai- res du Bulletin d'information 41, daté du 21 mai 1968, et l'a publié dans la Gazette du Canada le l ei juin 1968. Ledit Bulletin concerne l'exonération d'impôt des professeurs et des enseignants étrangers travaillant au Canada.
Aujourd'hui, ledit service se fait remettre par les professeurs qui séjournent dans ce pays une demande d'exonération indiquant: (1) le nom du pays d'où ils viennent, (2) la date de leur arrivée au Canada, (3) qu'ils sont venus au Canada expressément dans le but d'enseigner, (4) qu'ils ont l'intention de quitter le Canada dans les 24 mois qui suivent la date de leur arrivée et (5) qu'ils n'ont bénéficié d'aucune exonération d'impôts à l'égard d'un revenu provenant de l'enseignement, gagné au Canada à quelque époque antérieure à la date d'arrivée au Canada qu'ils indiquent. Cette demande d'exonération a été rédigée et conçue conformément aux ins tructions du Bulletin 41.
L'appelant n'a jamais rempli une telle décla- ration, pour la simple raison que le bureau de l'économe et l'appelant n'ont appris l'existence de la Convention sur l'impôt ou du Bulletin 41 qu'en juin 1968 et qu'au printemps 1969, ou peut-être même qu'à l'été 1968, respectivement.
L'appelant a bien déposé des déclarations d'impôt auprès de l'autorité compétente des États-Unis, dans lesquelles il se réclamait du statut de [TRADUCTION] «non-résident». Il n'a payé aucun impôt aux États-Unis sur le revenu qu'il a gagné au Canada.
L'appelant n'a déposé une déclaration d'im- pôt au Canada pour les années d'imposition 1967 et 1968 qu'en mars 1970. Apparemment, l'appelant a déposé deux déclarations pour chaque année d'imposition. Les déclarations les plus récentes ne réclament pas d'exonération en
vertu de la Convention relative aux impôts, contrairement aux déclarations antérieures.
Je n'attache aucune importance à cette nou- velle énigme, parce que le Ministre, au moyen d'avis de cotisation datés du 14 avril et du 16 avril 1970, a avisé l'appelant qu'il n'avait droit à aucune exonération [TRADUCTION] «en vertu de l'article 8A de la Loi de l'impôt sur le revenu [sic]» et que les cotisations étaient établies en conséquence.
Je précise également que même si l'appelant a réclamé une exonération relativement à l'en- semble du revenu provenant de l'enseignement gagné pendant l'année 1967 au Canada, il n'a réclamé une exonération qu'à l'égard du revenu qu'il a gagné jusqu'au 30 juin 1968.
L'appelant a immédiatement déposé des avis d'opposition. Le Ministre a notifié à l'appelant que la cotisation avait été régulièrement établie en vertu des dispositions de l'article 5(1) de la Loi et que les dispositions de l'article VIII A de la Convention relative à l'impôt n'étaient pas applicables à son cas, d'où les présents appels.
L'avocat de l'appelant a soutenu qu'une con vention doit s'interpréter de façon large et de manière à lui donner effet. Je ne vois pas com ment le principe selon lequel il faut interpréter la loi de manière à lui donner effet peut obliger la Cour à faire plus que de s'acquitter du devoir évident qu'elle a de faire produire à la conven tion son effet. Ce devoir, comme je le conçois, consiste à s'assurer des intentions que les Etats contractants ont exprimées dans 'les termes qu'ils ont employés et à leur donner effet.
De même, peu importe de savoir que l'inter- prétation d'une convention doit être large et extensive plutôt que restrictive. Les auteurs s'accordent à dire que les conventions doivent s'interpréter dans l'esprit le plus large, pourvu qu'on ne s'éloigne pas de leur sens clair et évident.
Selon moi, le devoir de la Cour est d'interpré- ter une convention de la même manière que tout autre document public ou privé, c'est-à-dire de s'assurer du sens du document et des intentions réelles des États contractants, d'après la nature du sujet traité et d'après le choix, dans leur contexte, des termes qu'ils emploient. Dans le
cas présent, le préambule de ladite Convention donne des indications utiles en précisant que ses deux principaux objectifs sont d'éviter la double imposition et de prévenir l'évasion fis- cale en matière d'impôt sur le revenu.
Les dispositions claires et précises des para- graphes (1) et (2) de l'article 2 de la Loi de l'impôt sur le revenu assujettissent l'appelant à l'impôt, n'eût été l'article VIII A. Le paragraphe
(1) soumet à l'impôt sur le revenu toute per- sonne résidant au Canada à une époque quel- conque de l'année d'imposition et le paragraphe
(2) soumet à l'impôt le revenu gagné au Canada de toute personne ne résidant pas au Canada. L'appelant, pour être exonéré de l'impôt, doit donc répondre exactement aux conditions de l'article VIII A.
Dans la mesure il s'applique à l'appelant, l'article VIII A a comme but avoué de lui éviter une double imposition.
L'appelant n'a pas été assujetti aux États- Unis à l'impôt sur le revenu qu'il a tiré de l'enseignement au Canada. L'appelant a déposé des déclarations aux États-Unis en considéra- tion du fait qu'il ne résidait pas dans ce pays. Les autorités fiscales de cet État ont classé l'appelant comme non-résident et lui ont fait savoir qu'il n'avait en conséquence aucun impôt à payer sur le revenu qu'il a gagné au Canada. Ceci étant, je ne vois pas comment l'appelant entre dans l'objectif général de la Convention, qui est d'éviter une double imposition. L'appe- lant n'a pas encore, jusqu'ici, été assujetti à une double imposition, mais il reste toujours possi ble que les États-Unis exigent aussi les impôts.
L'article XVI de la Convention stipule que le contribuable qui peut prouver que les décisions des autorités fiscales de l'un des États contrac- tants ont abouti à une double imposition a le droit d'adresser une réclamation à l'État dont il est un ressortissant ou un résident. L'autorité compétente de cet État prendra contact avec l'autorité compétente de l'autre État en vue de déterminer si une double imposition peut être évitée.
Dans le cas présent, l'appelant ne peut pas avoir recours à cette procédure parce qu'il n'a pas payé aux États-Unis d'impôt sur le revenu
qu'il a tiré de l'enseignement au Canada et que les États-Unis n'ont pas encore tenté d'imposer lesdits revenus.
Par conséquent, la condition préalable à la demande de l'appelant en vue d'éviter une double imposition n'est pas remplie, puisqu'il n'a pas encore fait l'objet d'une double imposition.
Il s'ensuit donc que je dois déterminer si l'appelant peut être assujetti à l'impôt au Canada et pour y arriver, je dois déterminer si l'appelant répond aux conditions d'exonération qu'envisagent les termes utilisés par les parties contractantes dans l'article VIII A.
L'appelant plaide également que le Ministre ne peut pas exiger de lui des impôts, en vertu du principe de la fin de non-recevoir.
Cette prétention se fonde sur le Bulletin d'in- formation 41 publié par le Ministre et plus particulièrement sur le texte figurant sous le titre «Règles transitoires». Selon les termes dudit texte, un professeur qui demeure au Canada après l'expiration de la période de 24 mois qui suit la date de son arrivée au Canada n'est assujetti à l'impôt et au Régime de pen sions du Canada «que sur la tranche de ce revenu qui a été gagné après la fin du mois au cours duquel la période de 24 mois s'est terminée.»
Selon les termes dudit Bulletin d'information 41, un professeur pourrait venir enseigner au Canada pendant deux années et être exonéré de l'impôt sur ses rémunérations en vertu de l'arti- cle VIII A. Cependant, si ledit professeur demeure au Canada et continue à enseigner après l'expiration de la période de deux ans, la rémunération qu'il reçoit au cours de cette période reste exonérée, mais celle qu'il reçoit pendant la troisième année et les années qui suivent est imposable.
Le Ministre soutient que, pour bénéficier de l'exonération prévue à l'article VIII A, la durée du séjour de l'appelant au Canada ne doit pas dépasser deux ans et que le séjour au Canada doit avoir expressément pour but d'enseigner.
L'avocat de l'appelant soutient que le Minis- tre ne peut pas plaider cet argument en raison des termes explicites du Bulletin d'information.
L'avocat appuie sa thèse sur la décision de la Commission d'appel de l'impôt dans l'affaire Smith c. M.R.N. 70 DTC 1594 et sur celle de la Commission de révision de l'impôt dans l'af- faire Bowen c. M.R.N. [1972] C.T.C. 2174.
Dans l'affaire Smith c. M.R.N., l'appelant était professeur et il est venu au Canada avec sa famille, le 9 septembre 1966, afin d'enseigner à l'Université d'Alberta. Son contrat d'enseigne- ment avait une durée prévue de quatre ans mais la Commission a accepté une preuve démon- trant que ladite durée était erronée et que la durée du contrat n'était en fait que de deux ans. Au mois de mai 1968, avant la fin de la période de deux ans (septembre 1968), la famille de l'appelant est retournée en Angleterre. Le 18 juin 1968, on a offert à l'appelant de renouveler le contrat d'enseignement pour une autre période de deux ans, à des conditions plus avan- tageuses. En juillet 1968, l'appelant s'est rendu en Angleterre en vue de convaincre son épouse de revenir en Alberta pour deux autres années. L'appelant est revenu au Canada avec sa famille en septembre 1968 pour continuer à enseigner pendant une nouvelle période de deux ans (soit au total quatre ans). La Commission a admis l'appel en acceptant le fait que l'appelant avait l'intention d'enseigner au Canada pendant une période de deux ans seulement. Il est évi- dent que la Commission a fondé sa décision sur les intentions de l'appelant.
Si la ratio decidendi dans cette affaire est, à ce qu'il semble, que l'intention du professeur de ne pas enseigner au Canada pendant plus de deux ans est le facteur déterminant, je suis forcé de conclure que la décision rendue dans l'affaire Smith (précitée) est erronée. A mon avis, l'intention d'un professeur ou d'un institu- teur au moment de son entrée au Canada n'a aucune influence sur l'interprétation et l'appli- cation des articles correspondants de la Convention.
Dans l'affaire Bowen c. M.R.N. (précitée), l'appelant est venu enseigner au Canada pen dant deux ans dans le cadre d'un programme d'échanges avec la Nouvelle-Zélande. A la fin de cette période, l'appelant a pris toutes les
dispositions nécessaires pour retourner en Nou- velle-Zélande. Toutefois, avant son départ, l'ap- pelant a entendu parler d'un voyage-excursion en Europe habitaient certains des membres de sa famille. Pour bénéficier de ce voyage, l'appelant devait enseigner pendant une période supplémentaire de 10 mois après l'expiration des deux ans. Il s'est donc renseigné auprès du bureau de district de l'impôt qui lui a fait savoir qu'en vertu des termes du Bulletin d'informa- tion 41, le Ministère avait pour principe de ne pas assujettir à l'impôt sur le revenu ni aux déductions du Régime de pensions du Canada les enseignants qui demeuraient au Canada après l'expiration de la période de 24 mois et qui avaient été exonérés pendant les deux pre- mières années. Sur la foi de ces renseignements, l'appelant est demeuré à son poste d'enseigne- ment au-delà de la période initiale de deux ans. Il a été assujetti à l'impôt sur le revenu des deux premières années au motif que l'article X de la Loi sur une convention relative à l'impôt sur le revenu conclue entre le Canada et la Nouvelle-Zélande n'était pas applicable. L'arti- cle X a des effets semblables à ceux de l'article VIII A de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis, même si les termes employés diffèrent notablement.
Le savant membre de la Commission de révi- sion de l'impôt a déclaré à la page 2182:
... J'ai acquis l'intime conviction que le Ministre est irrece- vable à opposer l'article X de l'Annexe à la Convention relative à l'impôt sur le revenu conclue entre le Canada et la Nouvelle-Zélande sans faire état ni tenir compte du Bulletin d'information 41 qui, sans aucun doute, justifie en l'es- pèce la position de l'appelant... .
Il ne fait aucun doute que l'appelant a agi sur la foi des renseignements contenus dans le Bul letin d'information 41 et plus spécialement sur la foi de la lettre du bureau de district de l'impôt, lorsqu'il a changé ses plans et par le fait même sa situation, ce qui l'a rendu susceptible d'être assujetti à l'impôt sur le revenu par le Ministre.
Sauf le respect que je dois au savant membre de la Commission de révision de l'impôt, je ne peux pas être d'accord avec sa décision parce qu'à mon avis, elle est contraire à des principes bien établis.
En premier lieu, le Bulletin d'information 41 est précisément ce qu'indique son titre, c'est-à-dire un bulletin d'information publié par le sous-ministre du Revenu national. Le sous- ministre n'a pas le pouvoir de légiférer dans les domaines qui lui sont confiés. En réalité, ce bulletin d'information n'est rien de plus que l'interprétation que fait le Ministre de l'article VIII A de la Convention, publiée à des fins administratives. Il sert également de guide aux institutions d'enseignement qui emploient des professeurs et des instituteurs étrangers qui viennent travailler chez eux, au Canada, pen dant une période de deux ans ou moins, afin qu'ils s'abstiennent de faire des déductions sur la rémunération des services d'enseignement des employés aux fins de l'impôt ou du Régime de pensions et de verser ces déductions au Ministère. Le Bulletin d'information 41 n'est pas une loi.
Par contre, la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique a été ratifiée et déclarée avoir force de loi au Canada par un acte législatif et elle fait partie du droit interne du pays.
La position de l'avocat de l'appelant, selon laquelle le Ministre ne peut pas invoquer les dispositions de l'article VIII A de la Conven tion, sans faire état ni tenir compte de l'inter- prétation contenue implicitement dans le Bulle tin d'information 41, équivaut à faire valoir une fin de non-recevoir.
Dans l'affaire Woon c. M.R.N. [1951] R.C.É. 18, l'un des motifs d'appel était une [TRADUC- TioN] «décision» qu'avait rendue le Commis- saire, selon laquelle l'appelant, s'il suivait une certaine voie, serait assujetti à l'impôt en vertu d'un certain article de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. Il s'est conformé à cette voie, mais le Ministre a cotisé l'appelant à un impôt beaucoup plus élevé, en vertu d'un autre article de ladite Loi qui pouvait s'appliquer. On a plaidé que le Ministre ne pouvait pas se préva- loir de l'article en vertu duquel la cotisation avait été établie, à cause de la décision anté- rieure du Commissaire.
Après une étude détaillée et analytique de la jurisprudence qui fait autorité en la matière, le juge Cameron a décidé que le Commissaire
n'avait pas le pouvoir de lier le Ministre par une décision limitant le paiement de l'impôt d'une manière non conforme à la loi, que la cotisation doit être établie conformément aux termes de la loi et que l'appelant ne peut invoquer une fin de non-recevoir pour éviter l'application de la loi.
Dans l'affaire M.R.N. c. Inland Industries Ltd. 72 DTC 6013, l'intimée avait, dans le calcul de son revenu, tenté de déduire des con tributions versées à des régimes de pensions. Ces régimes avaient été soumis au ministère, qui les avaient approuvés et enregistrés. De plus, le Ministre avait informé l'intimée que les contributions versées à ces régimes pour les services antérieurs des employés seraient égale- ment déductibles. En prononçant le jugement unanime de la Cour suprême du Canada, le juge Pigeon a décidé qu'une des exigences essentiel- les de l'article correspondant de la Loi de l'im- pôt sur le revenu était que le régime fût obliga- toire pour les employés. Empêcher le Ministre de plaider et d'établir que ce régime n'était pas obligatoire pour les employés revenait à mettre en échec les dispositions de la Loi. Il a ajouté que l'approbation du Ministre n'établissait pas de manière décisive l'existence de la condition légale préalable à l'approbation du régime.
Il a tranché la question de la fin de non-rece- voir en affirmant la page 6017):
... Toutefois, il me paraît qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le Ministre.
Il s'ensuit donc que si l'approbation et l'enre- gistrement d'un régime de pensions par le Ministre ne donne pas ouverture à une fin de non-recevoir, un bulletin d'information ne peut pas a fortiori le faire.
En bref, les fins de non-recevoir sont soumi- ses à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.
Le Ministre peut donc s'appuyer sur l'article VIII A, sans tenir compte du bulletin d'information.
Par suite, je répète qu'il s'agit de déterminer si le présent appelant répond aux conditions d'exonération prévues par les dispositions de l'article VIII A.
Le Ministre a plaidé que l'appelant, pour bénéficier de l'exonération prévue à l'article VIII A de la Convention relative à l'impôt sur le revenu, doit se conformer aux conditions qui suivent:
(1) Il devait être résident des États-Unis au moment de son arrivée au Canada. A ce sujet, l'article VIII A est très explicite: «Tout pro- fesseur qui réside dans l'un des États contrac- tants». La preuve a établi au-delà de tout doute que l'appelant était professeur et qu'il était résident des États-Unis à la date de son entrée au Canada.
(2) Il doit conserver son statut de résident des États-Unis durant toute la période de son séjour temporaire au Canada. En d'autres termes, si l'appelant remplit la première con dition mentionnée ci-dessus, en conservant son statut de résident des États-Unis lors de son arrivée au Canada, mais si par la suite, au cours de la période prescrite de deux ans, il cesse d'être un résident des États-Unis, il perd tout droit ou privilège d'exonération d'impôt auquel il aurait autrement eu droit en vertu de la convention relative à l'impôt. L'a- vocat du Ministre a également soutenu qu'en vertu des critères objectifs étudiés dans les affaires Thomson c. M.R.N. [1946] R.C.S. 209 et Beament c. M.R.N. [1952] 2 R.C.S. 486, en vue d'établir si les appelants respec- tifs dans ces affaires répondaient aux défini- tions des mots «résidant», «résident» et «rési- dait ordinairement», employés dans les articles correspondants de la Loi de l'impôt sur le revenu, il y a lieu de constater comme un fait que le présent appelant avait cessé d'être résident des États-Unis. Comme l'a souligné le juge Cartwright (tel était alors son titre) dans l'affaire Beament (précitée), la décision quant au lieu ou aux lieux de rési- dence d'une personne doit se fonder sur les faits particuliers à chaque affaire.
(3) La durée du «séjour temporaire» de l'ap- pelant ne doit pas dépasser deux ans et ce séjour doit être effectué exclusivement aux fins d'enseigner, dans le cas de l'appelant, dans une université.
Je vais maintenant étudier les arguments qu'a présentés le Ministre dans l'ordre inverse de leur présentation. Prenons d'abord le troisième.
Les mots-clefs de l'article VIII A, sur les- quels j'ai insisté, sont les suivants: un profes- seur qui est résident de l'un des États contrac- tants «et fait un séjour temporaire dans l'autre État contractant afin d'enseigner, pendant une période n'excédant pas deux ans», dans une université, est exonéré par l'État il séjourne pendant ladite période de l'impôt sur la rémuné- ration qu'il reçoit pour cet enseignement.
Les virgules placées avant et après les mots «pendant une période n'excédant pas deux ans» sont importantes. Ce membre de phrase qualifie les termes qui le précèdent et non uniquement l'expression «afin d'enseigner». Ce membre de phrase qualifie également les mots «fait un séjour temporaire». Ceci étant, il s'ensuit que la durée de la visite temporaire est limitée à «une période n'excédant pas deux ans». Si les mots «pendant une période de deux ans» qualifiaient uniquement la locution «afin d'enseigner», ce qui serait le cas s'il n'y avait pas de virgules, le mot «temporaire» serait alors redondant et il ne faudrait lui accorder aucun sens. Toutefois, en vertu d'un principe fondamental d'interpréta- tion, il faut attribuer un sens à tous les mots employés lorsque la chose est possible. S'il avait été écrit «fait un séjour afin d'enseigner temporairement», la durée du séjour n'aurait alors pas eu de limite précise. Mais tel n'est pas le cas. Le mot «temporaire» est placé après les mots «fait un séjour» et les qualifie. L'expres- sion «fait un séjour temporaire» est qualifiée par les mots «pendant une période n'excédant pas deux ans».
Par conséquent, la durée du séjour tempo- raire ne doit pas dépasser deux ans pour ouvrir droit à l'exonération.
Il est également précisé que le séjour doit être fait «afin d'enseigner».
Il s'ensuit que le professeur ou l'instituteur résident dans l'un des États contractants parties à ladite Convention doit satisfaire aux deux exigences suivantes pour avoir droit à une exo- nération en vertu de l'article VIII A: (1) la
durée de son séjour temporaire ne doit pas dépasser deux ans; et (2) le séjour doit être fait aux fins d'enseigner.
Si le professeur ou instituteur ne satisfait pas à l'une ou l'autre de ces exigences, il n'a pas droit à l'exonération prévue à l'article VIII A.
Les faits des présents appels ne sont pas contestés et ils sont les suivants: l'appelant est venu au Canada aux fins d'enseigner et il satis- fait par conséquent à l'une des exigences. Il a enseigné pendant une période de deux ans, mais il a prolongé son séjour au-delà de ladite période et il a tiré un revenu d'un emploi autre que l'enseignement. Il ne satisfait donc pas à la deuxième exigence exposée ci-dessus, en ce sens que son séjour s'est prolongé au-delà de deux ans.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'étudier l'autre argument du Minis- tre, selon lequel l'appelant est obligé de conser- ver son statut de résident des États-Unis pen dant toute la période de son séjour temporaire au Canada, condition que, selon le Ministre, l'appelant n'aurait pas remplie.
Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.