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Westcan Stevedoring Ltd. (Demanderesse)
c.
Le navire Armar (Défendeur)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, les 5 et 20 décembre 1973.
Droit maritime—Action in rem intentée par le fournisseur des approvisionnements nécessaires—Responsabilité du navire et des propriétaires—Compétence de la Cour fédéra- le—Loi sur la Cour fédérale, art. 22(2)m) et 43(2).
Par voie d'une action in rem, la demanderesse réclame la somme de $9,541.85 au titre des services d'aconage deman dés par les affréteurs ou leurs sous-agents, relativement au chargement de marchandises à bord du navire défendeur. La demanderesse soutient que les services rendus étaient des approvisionnements nécessaires au sens de l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale et qu'il ressort de la lecture de l'alinéa 22(2)m) en corrélation avec le paragraphe 43(2) de ladite loi que la responsabilité incombe au navire ou à son propriétaire à cet égard.
Arrêt: l'action est rejetée. La responsabilité personnelle du navire ou du propriétaire n'a pas été établie. Avant que ne soit adoptée la Loi sur la Cour fédérale, la compétence de la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, pour entendre toute réclamation en matière d'approvisionnements nécessaires découlait de textes législatifs. La législation autorisait le demandeur à faire valoir ses droits in rem sous réserve qu'il établisse la responsabilité des propriétaires, en dehors de toute responsabilité statutaire. Les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, relatives à la compétence d'ami- rauté, n'ont pas modifié les dispositions antérieures; l'inten- tion du Parlement n'était pas d'accroître la responsabilité du navire ou de ses propriétaires, ni de leur faire supporter une responsabilité qui n'existait pas en droit avant l'adoption de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts suivis: The «Heiwa Maru» c. Bird & Co. (1923) I.L.R. 1 Ran 78; «The Tolla» [1921] P. 22; The Roches- ter & Pittsburg Coal and Iron Co. c. «The Garden City» [1902] 7 R.C.É. 34; The «David Wallace" c. Bain [1904] 8 R.C.É. 205; The Upson Walton Co. c. The «Brian Boru» [1909] 11 R.C.É. 109; «The Sara» (1889) 14 App. Cas 209; «The Mogileff» [1921] P. 236; Coast al Equipment Agencies Ltd. c. Le «Comer» [1970] R.C.É. 13.
ACTION in rem. AVOCATS:
L. M. Candido pour la demanderesse. P. G. Bernard pour le défendeur.
PROCUREURS:
Lawson, Lundell, Lawson et McIntosh, Vancouver, pour la demanderesse.
Macrae, Montgomery, Spring et Cunning- ham, Vancouver, pour le défendeur.
LE JUGE COLLIER—La demanderesse réclame la somme de $9,541.85 au titre des services d'aconage qu'on lui avait demandés relative- ment au chargement de marchandises à bord de 1'Armar à Harmac et Port Alberni (Colombie- Britannique) au mois de février 1973. Plus pré- cisément, la demanderesse affirme avoir fourni des équipes de débardeurs aux jours et aux heures mentionnés dans la preuve, mais étant donné qu'il a fallu remédier au mauvais état des apparaux du navire avant le début des travaux à Harmac et que le navire est arrivé en retard à Port Alberni, les équipes de débardeurs enga gées par la demanderesse étaient à ce moment «parées» et la demanderesse a malgré tout les payer.
Les faits ne sont pas contestés. Il s'agit fon- damentalement d'une question de droit, à savoir, si, vu les circonstances, le navire et ses propriétaires sont tenus de s'acquitter de la demande introduite par la voie d'une action in rem.
Pendant toute la période en question, l'Armar était affrété à temps à un organisme cubain, commodément désigné du nom de «CUFLET». On avait avisé Gerald Lutz, commis principal de la compagnie demanderesse que l'Armar devait arriver en Colombie-Britannique au mois de février afin de prendre à bord une cargaison de pâte à papier en balles. Il était en rapport avec la CUFLET à la Havane à qui il avait indiqué le tarif applicable aux opérations d'aconage qu'a- près discussion, la CUFLET a accepté. Lutz, qui a témoigné de manière très franche, a déclaré que, pour lui, la CUFLET était l'affréteur du navire. La Mann Shipping Ltd. de Vancouver l'a ensuite avisé que le navire allait de Gold River à Victoria et qu'il serait prêt à être chargé. Pour lui, la Mann Shipping Ltd. agissait comme sous- agent de la CUFLET ou comme agent de la Colley Motorships Ltd. de Montréal. Pour lui, la Colley était l'agent de la CUFLET au Canada. Suite à ces divers échanges, la demanderesse a retenu des équipes de débardeurs afin d'assurer le chargement à Harmac et à Port Alberni.
Lutz a de bonne foi reconnu qu'il n'avait jamais discuté avec les propriétaires du navire ou son capitaine de cette question d'aconage. Il a déclaré que sa compagnie ne s'est pas fondée sur le crédit du navire ou de ses propriétaires, mais qu'elle a fourni ses services au vu du crédit des affréteurs ou de leurs sous-agents. Le défendeur, en l'espèce le propriétaire du navire, a soulevé plusieurs points dans sa défense, mais je me propose d'examiner surtout son argument principal à savoir, à supposer que les services en question fassent partie des approvisionne- ments nécessaires, d'après les faits présentés, la responsabilité en incombe à l'affréteur ou à ses agents et non au navire ou à ses propriétaires; cette action in rem est donc irrecevable.
L'avocat de la demanderesse, tout en recon- naissant que la preuve fait ressortir que toutes les négociations se sont déroulées avec les affréteurs ou pour leur compte, soutient:
a) que les services rendus sont des approvi- sionnements nécessaires au sens général de cette expression en droit maritime ou au sens de l'al. 22(2)m)' de la Loi sur la Cour fédérale et la responsabilité du navire est ainsi engagée.
b) il ressort de la lecture de l'al. 22(2)m) en corrélation avec le paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale que la responsabilité incombe au navire.
Je n'estime pas nécessaire de décider si les services d'aconage demandés ou rendus sont des approvisionnements nécessaires au sens général de cette expression en droit maritime. Je suis tout disposé à admettre, aux fins de cette affaire, que les services en question étaient des approvisionnements nécessaires, que ce soit à cause du droit maritime général ou des disposi tions de l'article 22(2)m).
Avant l'adoption de la Loi sur la Cour fédé- rale, c'est à mon avis dans l'arrêt «Heiwa Maru» c. Bird & Co. (1923) I.L.R. 1 Ran. 78, qu'est le mieux énoncé le droit réglant la responsabilité d'un navire ou de ses propriétaires quant aux approvisionnements nécessaires dans des cir- constances semblables à celles de la présente affaire. Dans cette affaire, des acomptes avaient
été versés pour des approvisionnements en tenant seulement compte du crédit des affré- teurs d'un navire. Une action in rem fut intentée tendant à imputer la responsabilité au navire et à ses propriétaires.
Le juge Heald, de la Cour d'appel (civile) déclarait aux pp. 87 et 88:
[TRADUCTION] Les approvisionnements fournis à un navire sont présumés, prima facie, l'avoir été au vu du crédit du navire, mais la décision de leurs Seigneuries dans l'arrêt du Conseil privé Foong Tai c. Buchheister (L.R. App. Cas. (1908), p. 458) contient un passage qui démontre qu'il ne s'agit pas d'une présomption irréfragable et, dans l'arrêt The Castlegate (L.R. App. Cas. (1893), p. 38), Lord Herschell a déclaré que les débours du capitaine pour le compte du navire doivent se limiter à ceux qu'il est habilité à effectuer en se prévalant du crédit des propriétaires du navire et que ce droit ne s'étend pas aux débours effectués à des fins que les affréteurs auraient prévoir, même si l'on peut dire que d'une certaine manière les débours ont été effectués pour le compte du navire.
Le juge May Oung déclare aux pp. 99-100:
[TRADUCTION] Si dans la présente affaire en appel, les demandeurs avaient été les agents attitrés des défendeurs, comme les demandeurs ont tout d'abord essayé de l'établir au premier paragraphe de leur requête, j'aurais eu à me demander s'il ne convenait pas de suivre la décision de l'affaire The Mogileff. Les demandeurs se sont aperçus que leur première argumentation était insoutenable et ils l'ont abandonnée. Ils ne font maintenant état que d'un droit in personam contre Kader qui est partie, mais pas l'un des propriétaires; ils tentent de faire valoir ce droit par une action in rem contre les propriétaires. A mon sens un tel redressement n'appartient pas aux demandeurs.
Il semble donc que même si les approvisionnements four- nis à un navire sont présumés prima facie l'avoir été au vu du crédit du navire, il ne s'agit que d'une présomption simple que l'on peut réfuter en démontrant que la personne qui a fourni ou payé les approvisionnements s'attendait à être payée par celle à la demande de qui elle avait fourni les biens ou versé un acompte et non par le propriétaire du navire.
Dans sa plaidoirie, Me Candido a soutenu qu'il convenait de ne pas suivre l'arrêt «Heiwa Maru» et les arrêts dans le même sens'. Il prétend que dans le monde maritime et des affaires, des services tels que ceux en question sont de toute évidence rendus dans l'intérêt du navire ou pour assurer le succès économique d'un voyage donné et que les fournisseurs doi- vent donc pouvoir obtenir le navire en sûreté afin de garantir leur créance'. A mon avis, les principes antérieurement énoncés ne sont pas
démodés, ils me semblent être en accord avec les concepts généraux du droit des contrats et du mandat. Je pense que c'est poser un principe beaucoup trop large que de prétendre que les fournisseurs, tels que la demanderesse, se fon- dent toujours sur le crédit du navire ou devraient le faire. Il peut y avoir de solides raisons commerciales de se fonder sur le crédit des autres. Dans la présente affaire, Lutz a témoigné que sa compagnie n'avait pas comme habitude de se préoccuper du crédit du navire quand il y avait des affréteurs. D'après lui, sa compagnie ne souhaitait en général pas entrer en rapport avec les propriétaires ou d'autres tierces parties pour le règlement des services retenus par les affréteurs ou en leur nom.
Ainsi je rejette le premier argument présenté par la demanderesse.
Examinons maintenant l'argument de la demanderesse selon lequel la lecture conjointe du paragraphe 43(2) 4 et de l'alinéa 22(2)m) fait ressortir, vu les faits de l'espèce, la responsabi- lité in rem du navire ou de ses propriétaires. Voici mon interprétation de cet argument: avant que ne soit adoptée la Loi sur la Cour fédérale, la responsabilité dans cette affaire (aux fins de cet argument) incombait au seul affréteur. Les dispositions de la loi visent à faire porter au navire ou à ses propriétaires une responsabilité in rem, nonobstant l'existence d'une responsabi- lité in personam.
A mon sens, l'intention du Parlement n'était pas d'accroître la responsabilité du navire et de ses propriétaires dans une situation telle que celle-ci ou de faire supporter au navire ou ses propriétaires une responsabilité qui n'existait pas en droit avant l'adoption de la Loi sur la Cour fédérale.
On a fait valoir des arguments analogues dans des décisions britanniques antérieures l'on examinait des dispositions semblables des lois anglaises en matière d'amirauté. Je cite à titre d'exemples: «The Tolla» [1921] P. 22; «The Sara» (1889) 14 App. Cas. 209; «The Mogileff» [1921] P. 236. Voir également Coastal Equip ment Agencies Ltd. c. Le «Corner» [1970] R.C.É. 13. A des degrés divers, on retrace dans ces arrêts l'histoire des décisions d'amirauté
quant aux approvisionnements nécessaires et aux débours des capitaines. Il a été décidé que les dispositions législatives prévoyant qu'un litige en matière d'approvisionnements nécessai- res et de débours du capitaine, donnait ouver- ture à une action in rem, n'imposent pas, en soi, la responsabilité au navire ou à ses propriétai- res. Il doit d'abord exister en droit une respon- sabilité personnelle qui donne ouverture, en vertu de la législation, à une action in rem.
A mon avis, le même raisonnement s'applique à cette affairer Avant que ne soit adoptée la Loi sur la Cour fédérale, la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, tenait de la législation sa compétence pour entendre toute réclamation en matière d'approvisionnements nécessaires. La législation autorisait le demandeur à faire valoir ses droits in rem sous réserve qu'il éta- blisse la responsabilité des propriétaires, en dehors de toute responsabilité statutaire. A mon avis, les articles de la Loi sur la Cour fédérale relatifs à la compétence d'amirauté, n'ont pas modifié les dispositions antérieures./Le raison- nement du juge Hill dans l'arrêt «The Mogileff » s'applique. Aux pp. 242-243, il déclarait:
[TRADUCTION] Avant même d'examiner les articles de loi et la jurisprudence, il est bon de se mettre en garde, ainsi qu'il convient souvent de le faire devant cette Cour, afin de ne pas être induit en erreur par notre habitude de personni- fier les navires. Nous disons qu'un navire est fautif lorsque nous voulons dire qu'une personne est coupable de négli- gence par rapport au navire. Nous parlons d'avances versées à un navire alors que nous voulons dire que l'argent a été prêté pour les besoins du navire à une personne qui assume la dette. Il est pratique, pour être bref, d'appeler les avances versées compte tenu du crédit du propriétaire avances ver sées compte tenu du navire. Mais pour qu'une action ten- dant au recouvrement des approvisionnements nécessaires soit recevable, il est essentiel qu'il y ait un débiteur respon- sable in personam. Cette responsabilité personnelle peut donner ouverture, ou ne pas le faire, à une action in rem dirigée contre le navire. Une action in rem n'est qu'un mécanisme permettant la reconnaissance d'un droit in perso- nam. S'agissant d'approvisionnements nécessaires, on ne saurait parler d'une avance versée compte tenu du crédit du navire en le dissociant du crédit de quelqu'un de responsable en tant que débiteur. Comme le déclarait Lord Watson dans l'arrêt The Heinrich Bjàrn 11 App. Cas. 270, 278: «Il me semble que toutes les dispositions de la loi (3 & 4 Vict. c. 65) traitent des redressements ouverts aux plaideurs et non de leurs droits.... Ce texte législatif permet à tous ceux qui veulent faire valoir un droit entrant dans l'une ou l'autre des catégories énoncées à l'art. 6 d'intenter une action en recou- vrement devant la Cour d'amirauté, mais ce texte ne peut pas, à mon avis avoir pour effet de changer la nature et les
effets juridiques de la demande.» Avant d'intenter une action in rem en recouvrement d'approvisionnements néces- saires, il doit exister une dette exigible par la demanderesse relativement auxdits approvisionnements, objet de la récla- mation. Celui qui, sur ordre du capitaine, fournit à un navire des approvisionnements nécessaires que le capitaine n'a pas le pouvoir réel ou apparent de commander sur le crédit du propriétaire, n'a aucun droit de recouvrement contre le propriétaire, soit par une action in personam soit par une action in rem. Le réparateur qui répare un navire ou le commerçant qui fournit des provisions en acceptant un paiement différé, par exemple en acceptant un billet à six mois, n'a pas le droit de recouvrer par l'une ou l'autre forme d'action avant la fin de la période de crédit. S'il a accepté de se faire régler non pas en argent mais en nature ou par compensation, il ne peut rien recouvrer du tout si ce n'est en se prévalant du contrat spécial. Ce ne sont que des illustra tions du principe qu'on ne peut pas intenter une action in rem en recouvrement d'approvisionnements nécessaires si, à la date du procès on n'est pas à même de soutenir une action en recouvrement de dette portant sur l'objet même de la réclamation.
L'action est par conséquent rejetée avec dépens.
' «toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, que ce soit, pour son exploitation ou pour son entretien, et notamment, sans res- treindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l'aconage ou gabarage;»
Voir par exemple: «The Tolla» [1921] P. 22; The Rochester & Pittsburg Coal and Iron Co. c. «The Garden City» [1902] 7 R.C.É. 34; The «David Wallace» c. Bain [1904] 8 R.C.É. 205; The Upson Walton Co. c. The «Brian Boru» [1909] 11 R.C.É. 109.
Bien que ceci ne soit pas techniquement en rapport avec ma décision, je dois souligner que la demanderesse a été payée par les affréteurs ou en leur nom pour les services d'aconage effectivement rendus. Le litige tourne autour des prétendus services «parés».
4 «Sous réserve du paragraphe (3), la compétence confé- rée à la Cour par l'article 22 peut être exercée en matière réelle pour toute demande relative à un navire, à un aéronef, à d'autres biens ou à tout produit de leur vente qui a été consigné au tribunal.»
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