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Paul Alexander Smogor (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Cameron et MacKay —Toronto, le 30 mars 1973.
Immigration—Ordonnance d'expulsion—Immigrant reçu condamné à la prison—Rapport fait après sa libération— Est-il susceptible d'expulsion—Loi sur l'immigration, S.R.C. 19701, c. I-2, art. 18(1)e)(iii).
Un immigrant reçu a été déclaré coupable d'une infraction aux termes de la Loi sur les aliments et drogues et condamné à une amende de $20'0 ou à 21 jours de prison. Il a choisi d'aller en prison et a été libéré le 9 mars 1971. Le lef avril 1971, un rapport fut établi en vertu de l'article 19(1)e)(iii) de la Loi sur l'immigration [l'actuel article 18(1)e)(iii), S.R.C. 1970I, c. I-2] portant qu'il était une personne qui «est deve- nue un détenu dans une geôle». Une ordonnance d'expulsion a alors été rendue contre lui.
Arrêt: la décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion est infirmée. Il y a lieu d'annuler l'ordonnance d'expul- sion. Les termes «est devenue un détenu» impliquent que la personne en cause doit toujours être détenue au moment de l'établissement du rapport.
APPEL d'une décision de la Commission d'ap- pel de l'immigration.
AVOCATS:
J. T. Weir, c.r., et G. L. Segal pour l'appelant.
E. A. Bowie et G. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Weir et Foulds, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Le présent appel porte sur une décision de la Com mission d'appel de l'immigration, en date du 25 avril 1972, qui rejette l'appel d'une ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant le 26 mai 1971.
L'ordonnance d'expulsion est motivée par le fait que l'appelant est une personne décrite à l'article 19(1)e)(iii) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1952, c. 325, et modifications, telle qu'elle se lisait au moment l'ordonnance
d'expulsion a été rendue. L'article 19, aujour- d'hui l'article 18 du c. I-2 des S.R.C. de 1970, se lit en partie comme suit:
19. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secré- taire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une per- sonne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonction- naire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une geôle, une maison de correction ou une prison, ou pensionnaire d'un asile ou hôpital d'aliénés,
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquê- teur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1) devient sujet à expulsion.
L'appelant est entré au Canada en qualité de visiteur en février 1970 et a obtenu le statut d'«immigrant reçu» en avril 1970. En décembre 1970, il a été déclaré coupable d'une infraction à la Loi sur les aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27, et a été condamné au paiement d'une amende de $200 ou à vingt et un jours d'empri- sonnement. Il a choisi de purger la peine de prison et est resté en prison quatorze jours jusqu'au 9 mars 1971.
Le ler avril 1971, un rapport concernant l'ap- pelant a été établi conformément à l'article 19 de la Loi sur l'immigration (précité); ce rapport indiquait que l'appelant était une personne qui
«est devenue un détenu dans une geôle.»
C'est à la suite de ce rapport qu'a été rendue l'ordonnance d'expulsion dont il est fait appel.
Le principal moyen de l'appelant est que la Commission d'appel de l'immigration a commis une erreur de droit:
[TRADUCTION] Lorsqu'elle a interprété l'article 19(1)e)(iii) de la Loi sur l'immigration, [maintenant l'art. 18(1)e)(iii), S.R.C. 197b, c. I-2], de façon à viser toute personne antérieurement détenue dans un pénitencier, une geôle, une maison de correction ou une prison ou internée dans un asile ou hôpital d'aliénés;
L'argumentation de l'appelant repose sur le fait que bien qu'il ait été détenu dans une prison, depuis son entrée au Canada, il a purgé sa peine de prison avant l'établissement d'un rapport en vertu de l'article 19(1), de sorte qu'il n'était plus
détenu à la date de ce rapport. Le litige porte donc sur un point précis d'interprétation de la loi, et en particulier du temps du verbe employé dans l'article 19(1)e)(iii).
J'estime qu'il n'est pas abusif de constater un manque de précision et d'uniformité dans l'em- ploi des temps des verbes à l'article 19. En vertu du paragraphe (1) de cet article, on doit établir un rapport concernant, entre autres personnes,
a) toute personne . . . «qui se livre, qui préconise ou est un membre ou associé» d'un certain type d'organisation,
b) toute personne . . . qui . . . «a été déclarée coupable» d'une infraction contre Sa Majesté,
c) toute personne . . . qui . . . «se livre à l'espionnage» ou à des activités du même genre,
d) toute personne . . . «qui est déclarée coupable» de certaines infractions à la Loi sur les stupéfiants,
e) toute personne . . . qui
(i) «pratique . . . la prostitution», etc.,
(ii) «a été déclarée coupable d'une infrac tion prévue par le Code criminel,»
(iii) est devenue un détenu, notamment dans une «geôle»,
(iv) était un membre d'une catégorie inter- dite lors de son admission,
(v) est, depuis son admission . . . deve- nue une personne qui, si elle demandait son admission . . . se la verrait refuser.
L'article 19(2) porte qu'une personne qui «est déclarée» sur enquête «être» une personne décrite à l'article 19(1) est sujette à expulsion.
L'appelant soutient que l'article 19(1)e)(iii) ne s'applique qu'à une personne «détenue» dans l'une des institutions mentionnées dans cet arti- cle�au moment l'on établit le rapport prévu à l'article 19(1). La thèse de l'intimé consiste à dire que l'article 19(1)e)(iii) s'applique «à toute personne détenue dans une geôle, même si elle a cessé d'être un détenu avant que ne soit établi le rapport prévu à l'article 19 de la Loi sur l'immigration».
J'estime, non sans quelque hésitation, que c'est l'argument de l'appelant qu'il faut retenir. D'après ma conception d'un usage précis de la langue, les mots «est devenue un détenu» sup- posent que la personne visée est encore un détenu.
Il est certain que, si l'on avait eu l'intention de viser par l'article 19(1)e)(iii) quiconque a été antérieurement détenu dans une prison ou un asile depuis son admission au Canada, il aurait été fort simple d'indiquer clairement cette inten tion. Par exemple, la disposition aurait pu être rédigée ainsi:
(iii) a été, depuis son admission au Canada, détenue dans un pénitencier, une geôle, une maison de correc tion ou une prison, ou internée dans un asile ou hôpital d'aliénés.
Le Parlement n'a cependant pas rédigé ce texte ainsi; on pourrait d'ailleurs fort bien estimer, après réflexion, que la portée en serait alors beaucoup trop large. Dans cette hypothèse, il me paraîtrait s'appliquer à une personne empri- sonnée à la suite d'une accusation mal fondée ou d'une erreur quant aux faits et plus tard acquittée ou encore libérée sans avoir été mise en accusation; en pratique, la victime infortunée d'une telle erreur pourrait donner prise à cer- taine forme de chantage qui se pratique parfois en matière d'immigration.
J'estime aussi que mon interprétation de l'arti- cle 19(1)e)(iii) est justifiée par le contexte de cet article. Les alinéas b), d) et e)(ii) du même paragraphe énoncent les catégories d'infractions qui peuvent entraîner l'expulsion d'une per- sonne qui en est déclarée coupable. Lorsqu'une personne a été trouvée coupable de l'une de ces infractions, il n'est pas nécessaire de recourir à l'article 19(1)e)(iii). De même, si l'on rapproche l'article 19(1)e)(v) et l'article 5s), il devient évi- dent que, si certaines déficiences mentales peu- vent empêcher une personne d'être admise au Canada, la découverte de ces déficiences après l'admission ne suffit pas, à elle seule, à rendre la personne sujette à expulsion. L'article 19(1)e)(iii) vise donc la catégorie des personnes qui, pour quelque raison que ce soit, sont déte- nues dans des prisons et des asiles. Si j'ai bien compris la politique qui ressort de cette loi, il faut entendre que si l'on est détenu dans un tel
établissement, même pour un motif qui ne serait pas susceptible d'entraîner l'expulsion si l'on n'était pas détenu, l'on est tout de même sujet à expulsion.
J'en conclus que l'appel doit être accueilli, le jugement de la Commission d'appel de l'immi- gration infirmé et l'ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant le 26 mai 1971 annulée.
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LES JUGES SUPPLÉANTS CAMERON et MACKAY ont souscrit à l'avis.
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