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A. G. Kelloway, J. J. Wakeham, K. R. Janes, P. W. Flynn, J. Hynes, J. Follett, B. Fushell, C. Dominaux, père, P. J. Flynn, R. P. Coady, E. R. Parsons, I. Ward, H. Russell, I. Matthews, M. Evans, T. G. Carroll, T. Mulrooney, E. Scott, C. T. Bruce, M. Hillard, A. Clarke, W. G. Loder, F. O. Mills et L. Banfield (Demandeurs)
c.
Engineering Consultants Limited, Kent Lines Limited, J. D. Irving Limited et Universal Sales Limited (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh— St-Jean, Terre-Neuve, le 21 juin; Ottawa, le 6 juillet 1972.
Droit maritime—Action en indemnité de sauvetage— Action intentée après l'expiration du délai de prescription de deux ans—Prorogation de délai accordée—Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 536(1).
En raison du fait qu'il était accaparé par d'autres tâches, l'avocat des demandeurs a omis d'intenter l'action en indemnité de sauvetage pour des services rendus par les demandeurs dans le délai de deux ans prévu par l'article 536(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada.
Arrêt: il est fait droit à la requête des demandeurs, présentée aux termes de l'article 536(2), demandant une prorogation du délai dans lequel l'action peut être intentée. Les demandeurs semblent, prima facie, avoir une réclama- tion valide à faire valoir; de leur côté, les défenderesses ne semblent pas avoir été lésées par ce retard et elles ne se sont pas opposées à la requête.
Arrêt cité: Chemainus Towing Co. c. The Capetan Yiannis [1966] R.C.E. 717.
REQUÊTE.
R. Wells pour les demandeurs.
LE JUGE WALSH—Les demandeurs ont pré- senté à la Cour siégeant à St-Jean (Terre- Neuve) une requête visant à se faire autoriser, conformément à l'article 536(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada, à introduire une action en indemnité de sauvetage, pour services rendus par les demandeurs aux défenderesses, le 12 février 1970. L'affidavit produit par l'avo- cat des demandeurs à l'appui de la requête déclare que Joseph Hynes, de Placentia (Terre- Neuve), représentant du commandant et de l'é- quipage du navire à moteur Petite Forte, des Chemins de fer nationaux du Canada, l'a con sulté au cours du mois de janvier 1971, au sujet d'une éventuelle réclamation en indemnité de sauvetage contre les propriétaires du navire à
moteur Aimé Gaudreau; ce dernier ayant pris feu, les demandeurs l'avaient remorqué en haute mer, depuis 11h20 jusqu'à 17h30 le 12 février 1970, le conduisant ainsi à un endroit sûr situé à environ deux milles du port d'Argen- tia (Terre-Neuve). Les propriétaires de la Petite Forte n'avaient pas l'intention de réclamer une indemnité de sauvetage. D'après l'article 531 de la Loi sur la marine marchande du Canada, lorsqu'un navire appartenant à Sa Majesté, ou le commandant ou l'équipage de ce navire, ren- dent des services de sauvetage, une réclamation en indemnité de leur part n'est admissible, et ne peut faire l'objet d'une décision définitive que s'ils prouvent avoir obtenu le consentement du gouverneur en conseil à la poursuite de cette réclamation; en conséquence, l'avocat a demandé cette autorisation le 11 janvier 1971 au greffier du Conseil privé, de la part du com mandant et de l'équipage; mais ce n'est que le 15 juillet 1971 qu'il a reçu du ministère des Transports à Ottawa le texte d'un décret du ler juin 1971, accordant l'autorisation nécessaire. La session judiciaire étant alors terminée, il a mis le dossier de côté en se proposant d'assi- gner les défenderesses au cours de la session d'automne de la Cour et de poursuivre l'affaire; mais au cours de l'automne 1971 et de l'hiver 1972, il s'est occupé d'affaires publiques; et comme il n'avait pas reçu de lettre de ses clients au sujet de cette réclamation durant cette période, il a oublié d'entamer les procédures jusqu'en avril 1972; il s'est alors préparé à lancer un bref d'assignation, mais s'est aperçu que l'action était prescrite, la limite de deux ans prévue par l'article 536(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada étant dépassée. Voici la teneur de cet article:
536. (1) Aucune action n'est soutenable à l'égard de ser vices de sauvetage à moins que les procédures ne soient entamées dans les deux ans de la date les services ont été rendus.
L'avocat soutient qu'aucun préjudice n'a été causé aux défenderesses, propriétaires du navire à moteur Aimé Gaudreau, par son retard à introduire l'action, et demande à la Cour d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 536(2) de la Loi sur la marine mar- chande du Canada en prorogeant le délai d'assi- gnation prévu.
L'article 536(2) se lit comme suit:
536. (2) La Cour ayant compétence pour connaître d'une action visée par le présent article peut, conformément aux règles de cour, proroger ce délai dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables, et doit, si elle est convaincue que, pendant ce délai, il ne s'est présenté aucune occasion raisonnable de saisir le bâtiment du défen- deur dans les limites de sa juridiction, ou dans les limites des eaux territoriales du pays auquel appartient le navire du demandeur ou dans lequel ce dernier réside ou a son princi pal lieu d'affaires, elle doit accorder la prorogation suffi- sante pour procurer cette occasion raisonnable.
Dans son plaidoyer, l'avocat a reconnu que la dernière partie de l'article 536(2) ne s'applique pas en l'espèce, puisque le navire des défende- resses était dans les eaux territoriales du Canada durant la période des actes de procé- dure auraient pu leur être signifiés; de toute façon, il ne s'agit pas d'une action in rem, mais strictement d'une action in personam contre les propriétaires du navire. Il a allégué, cependant, que l'article 536(2) se divise en réalité en deux parties; la dernière crée une obligation, puis- qu'elle est précédée du mot «doit», de sorte que s'il ne s'est présenté aucune occasion raisonna- ble de saisir le bâtiment de la défenderesse dans le ressort de la cour ou dans les eaux territoria- les du pays auquel appartient le navire des demandeurs, la cour serait obligée de proroger le délai d'assignation prévu; mais la première partie de l'article 536(2) accorde à la cour le plus large pouvoir d'appréciation, en lui permet- tant de proroger le délai de deux ans dans lequel, aux termes de l'article 536(1), on doit entamer les procédures, «dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables», en con- formité des règles de la cour. La jurisprudence citée semble appuyer cette interprétation.
L'arrêt Chemainus Towing Co. c. The Cape- tan Yiannis [1966] R.C.É. 717, bien qu'il n'ait porté que sur la dernière partie de l'article 536(2) (alors numéroté 655(2)) et qu'on y ait refusé d'accorder la prorogation parce que le navire s'était trouvé dans le ressort de la cour avant l'expiration du délai de prescription, quoi- qu'à l'insu des demandeurs, contient une assez longue étude de la jurisprudence britannique ayant trait à un texte à peu près identique du Maritime Conventions Act, 1911. A la page 721, le juge suppléant Sheppard renvoie aux motifs du juge Hill, qui déclarait dans l'arrêt The Espa- noleto [1920] P. 223, la page 226:
[TRADUCTION] En général, on n'accorde pas cette autorisa- tion dans les cas où, n'était la prorogation. la réclamation du demandeur serait irrecevable par l'effet d'une prescription légale. C'est-à-dire qu'on ne peut, en l'accordant, faire renaître un droit d'action déjà éteint: voir Doyle c. Kaufman ((1877) 3 Q.B.D. 7, 340); on renvoie à cet arrêt dans Smallpage c. Tonge ((1886) 17 Q.B.D. 644, 648) et notam- ment dans Hewett c. Barr ([1891] 1 Q.B. 98). En général, la Cour ne doit pas, au moyen de cette prolongation, priver la défenderesse d'un droit acquis à une prescription légale. Mais l'art. 8 du Maritime Conventions Act opère prescrip tion d'une façon tout à fait particulière, en ce sens qu'il comporte une condition qui n'apparaît dans aucune autre loi créant une prescription; dans une hypothèse précise— c'est-à-dire s'il ne s'est présenté aucune occasion raisonna- ble de saisir le bâtiment de la défenderesse dans le délai— cet article ordonne la prorogation de ce délai de deux ans, et autorise même la Cour à le proroger pour d'autres motifs jugés suffisants.
A mon avis, on ne peut, dans une instance visée par l'art. 8, statuer sur une demande de prorogation du délai de péremption en disant simplement que les deux ans se sont écoulés, que l'action est légalement prescrite, et qu'il est impossible d'accorder une prolongation. Cette demande de prorogation doit être examinée au fond, et la Cour doit se demander si, n'était l'expiration du délai, elle ne serait pas justifiée, compte tenu des circonstances de l'affaire, d'auto- riser la délivrance d'un bref.
Bien que dans la présente affaire le bref n'ait jamais été délivré, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une demande de prorogation du délai de signi fication, mais bien d'une demande de délivrance d'un bref, les mêmes principes sembleraient devoir s'appliquer.
La décision du juge suppléant Sheppard fait également mention de l'affaire The Arraiz (1924) 132 L.T. 715, dans laquelle le maître des rôles Pollock observait, à la page 716:
[TRADUCTION] Tout cela est fort juste: mais l'article com- porte une condition. Celle-ci se divise en deux parties; et la première autorise la cour à proroger le délai dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables. Il me semble que ces mots donnent à la cour la plus grande liberté d'appréciation.
La deuxième partie de la clause conditionnelle stipule que si la cour estime que certaines' conditions ont été remplies, elle doit accorder une prorogation de délai suffisant à four- nir une occasion raisonnable de saisir le bâtiment.
Le juge suppléant Sheppard cite également deux décisions ayant trait aux conditions qui pourraient justifier la Cour d'accorder la proro- gation de délai, lorsqu'il dit à la page 722:
[TRADUCTION] Il est donc clair que l'art. 655(2) se divise en deux parties. La première commence par les mots «dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables»; l'on entend par qu'il faut s'assurer de l'existence de circons-
tances particulières décrites par le juge Hill dans l'arrêt The Kashmir ([ 1923] P. 85), à la p. 90:
Le seul motif allégué en l'espèce pour justifier l'inter- vention de la Cour est que le demandeur bien qu'il ait appris la disparition de son fils, ne savait pas que cette disparition lui conférait un droit d'action. Cela me paraît tout à fait insuffisant pour priver les défenderesses d'un droit qui leur est par ailleurs acquis, surtout après un aussi long intervalle.
et par Lord Parker of Waddington, dans l'arrêt The James Westoll ([1923] P. 94), à la p. 95:
La tâche de la Cour me paraît être d'examiner les circons- tances particulières de l'espèce, et de juger s'il y a un motif suffisant de suspendre l'effet de la prescription légale. J'ai lu attentivement l'affidavit versé au dossier, et en subs tance, on y affirme simplement que le montant de la récla- mation n'a pu être déterminé qu'à une date relativement récente, c'est-à-dire en avril 1913. Je ne crois pas qu'il y ait un motif suffisant.
Ces considérations ne s'appliquent pas en l'espèce.
Je signalerais également la décision du prési- dent Jackett, maintenant juge en chef, dans l'affaire Sumitomo Shoji Kaisha Ltd. c. First Steamship Co. [1970] R.C.É. 755, il s'agis- sait non pas d'une disposition d'exception telle que l'article 536(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui permet l'institution de l'action en dépit du fait que les défenderes- ses ont déjà acquis le bénéfice de la prescrip tion créée par l'article 536(1), mais d'une simple demande de prorogation du délai de significa tion d'un bref ex juris, alors que l'année qui constituait le délai normal de signification allait prendre fin. Dans cette affaire, les avocats des demandeurs avaient traité avec ceux d'un assu- reur qui ne protégeait que les parties au nom desquelles il avait comparu; le président Jackett a déclaré aux pages 761-763:
Les demanderesses n'ont fait aucune démarche pour faire savoir aux défenderesses étrangères qu'elles étaient tenues responsables des dommages. Rien ne prouve qu'il y avait une raison, encore moins une raison suffisante, de ne pas assigner les défenderesses dès la délivrance du bref d'assi- gnation. ... Les règles du tribunal prévoient et la justice demande que lorsqu'une action est entamée, les défendeurs reçoivent tous les documents relatifs à la question. Les règles ont pour but de limiter les délais avant d'intenter un procès à quelqu'un.
Dans le cas présent, bien que près d'un an se soit effectivement écoulé entre la date du sau- vetage et la date à laquelle les demandeurs ont constitué leur avocat, que six mois se soient encore écoulés avant que cet avocat n'obtienne un décret autorisant l'action, et que cette autori-
sation soit survenue au cours des vacances d'été, il restait tout de même à l'avocat la période de juillet 1971 au 12 février 1972, pour se faire délivrer un bref et le signifier aux défenderesses à Saint-Jean (Nouveau-Bruns- wick); il admet d'ailleurs avoir commis une erreur en négligeant de le faire.
Si j'adoptais, à l'égard des exigences de la première partie de l'article 536(2), une interpré- tation aussi rigoureuse que celle qui a conduit les tribunaux britanniques à refuser la proroga- tion du délai dans les arrêts The Kashmir et The James Westoll (précités), je me verrais contraint de rejeter cette requête, car un simple oubli de la part d'un avocat pourrait difficilement consti- tuer un «motif suffisant» pour ne pas avoir entamé les procédures dans les délais prescrits; mais cette jurisprudence, encore que d'une grande valeur, n'est pas contraignante à mon égard; on observera d'ailleurs que ni l'article 8 du Maritime Conventions Act, 1911, sur lequel elle se fonde, ni l'article 536(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui est un texte identique, ne renferment les mots «motif suffi- sant»; on n'y a utilisé que les mots «et aux conditions qu'elle juge convenables», laissant ainsi à la Cour une complète liberté d'apprécia- tion de chaque affaire considérée individuelle- ment. De plus, la décision du juge en chef Jackett dans l'arrêt Sumitomo Shoji Kaisha (précité) avait trait à l'article 17(2) des Règles d'amirauté alors en vigueur, qui permettait de proroger le délai de signification d'un bref d'as- signation lorsque «pour une raison suffisante le bref n'a pas été signifié à la défenderesse dans le délai prévu pour la signification»; il était donc nécessaire de déterminer si la raison donnée était suffisante; par conséquent, il y a lieu de distinguer cet arrêt de la présente espèce.
Dans ces conditions, bien que je doive cons- tater qu'il n'y avait pas, dans cette affaire, de «raison suffisante» de ne pas entamer les procé- dures dans les deux ans à compter de la date à laquelle les services de sauvetage ont été rendus, je ne suis pas obligé d'appliquer ce critère, et je juge convenable de proroger le délai pour les motifs suivants:
1. La réclamation des demandeurs contre les défenderesses pour les services de sauvetage rendus paraît, à première vue, fondée (bien
que je n'en préjuge évidemment pas, ne dis- posant d'aucun élément de preuve à cette étape de l'instance).
2. Les défenderesses ont certainement tou- jours envisagé la possibilité d'une telle récla- mation, et ne semblent pas avoir été lésées par ce retard, tandis qu'au contraire si on les déchargeait de toute responsabilité à l'égard de cette réclamation, par suite d'un oubli de la part de l'avocat des demandeurs, l'on cau- serait un préjudice sérieux à ces derniers.
3. Les défenderesses n'ont pas contesté cette requête, bien qu'elle leur ait été dûment signi- fiée; quoiqu'on ne puisse interpréter ce défaut comme un acquiescement, on peut considérer qu'elles étaient disposées à laisser cette question à la discrétion de la Cour, et qu'elles ne tenaient pas à invoquer la pres cription prévue à l'article 536(1) de la Loi.
La requête est par conséquent accordée, mais sans dépens quelle que soit l'issue de la cause, et le délai d'institution de l'action est prorogé de trente jours à compter de la date du jugement.
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