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La succession Grauer (Demandeurs)
c.
La Reine et Isidor Wolfe (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver (C.-B.), le 21 février 1973.
Examen judiciaire—Prohibition—Expropriation—Opposi- tions à l'expropriation—Audition publique tenue par un enquêteur—Refus d'accorder un ajournement pour examiner les données techniques—Le bref de prohibition est-il un recours approprié—Les fonctions de l'enquêteur sont admi- nistratives—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1e• Supp.), c. 16, art. 8.
La Couronne a signifié un avis de projet d'expropriation de certains terrains sur l'île Sea en vue de la construction d'une piste supplémentaire pour l'aéroport international de Vancouver. Les propriétaires de locaux commerciaux situés à l'extrémité de la piste envisagée ont signifié leur opposi tion et un enquêteur a tenu une audition publique conformé- ment à l'article 8 de la Loi sur l'expropriation. La Couronne a présenté à titre de preuve des données de nature très technique relatives à la pollution par le bruit et les deman- deurs ont sollicité un ajournement pour les examiner. L'en- quêteur le leur a refusé. Les demandeurs sollicitent un bref de prohibition.
Arrêt: la demande est rejetée.
1. Aux termes de l'article 8 de la Loi sur l'expropriation, les fonctions d'un enquêteur sont purement administratives et ne sont ni judiciaires ni quasi judiciaires. En consé- quence, le bref de prohibition n'est pas un recours approprié.
Arrêts mentionnés: F. F. Ayriss & Co. c. Board of Industrial Relations of Alberta (1'96'0) 23 D.L.R. (2e) 584; Guay c. Lafleur [1964] C.T.C. 350; La Reine c. Ontario Labour Relations Board (1966) 57 D.L.R. (2e) 521.
2. Si les fonctions de l'enquêteur sont judiciaires ou quasi judiciaires, comme il a refusé l'ajournement au cours des procédures devant lui, c'est la Division d'appel qui aurait compétence pour annuler son ordonnance.
Arrêts mentionnés: M.R.N. c. Creative Shoes [1972] C.F. 993; Re Wisconsin et Armstrong (1'972) 8 C.C.C. (2e) 452.
REQUÊTE visant l'obtention d'un bref de pro hibition et d'une injonction.
AVOCATS:
A. D. McEachern pour les demandeurs. N. D. Mullins, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Russell et DuMoulin, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
LE JUGE COLLIER—Vu l'urgence de cette affaire, je suis disposé à rendre jugement immé- diatement, bien que j'eusse préféré disposer de plus de temps pour examiner plus en détail les arguments avancés. Il ne faudrait cependant pas en conclure que je conserve quelques doutes sur la substance de ma décision.
Les demandeurs ont institué une action devant la Division de première instance de la Cour; ils sollicitent la délivrance d'un bref de prohibition adressé au défendeur Wolfe et lui interdisant la poursuite de l'audition publique qu'il tient actuellement en qualité d'enquêteur conformément à l'article 8 de la Loi sur l'expro- priation, S.R.C. 1970, c. 16 (l er Supp.).
L'audition porte sur le projet d'expropriation de certains terrains sur l'île Sea, en vue de la construction d'une piste supplémentaire pour l'aéroport international de Vancouver. Les demandeurs ont signifié, comme l'exige la loi, leur opposition au projet d'expropriation. Leur principal grief est que certains locaux commer- ciaux qu'ils exploitent ne sont pas visés par le projet d'expropriation et que leur valeur, ainsi que les affaires qui s'y font, subiront une forte diminution en raison de la présence de cette piste supplémentaire, ces immeubles étant situés à l'extrémité de cette piste.
Le défendeur Wolfe a été nommé le 22 jan- vier 1973. La Loi sur l'expropriation porte en substance que l'enquêteur doit, au cours de l'au- dition, donner l'occasion de se faire entendre à quiconque a signifié une opposition, de manière à faire rapport au Ministre sur la nature et les motifs des oppositions. La loi énonce ensuite qu'il doit dans les 30 jours de sa nomination soumettre au Ministre un rapport écrit sur la nature et les motifs des oppositions présentées. Le procureur général du Canada peut prolonger de 30 jours ce premier délai. Après réception du rapport, le Ministre peut soit confirmer son intention d'exproprier, soit renoncer au projet; mais il doit donner confirmation de l'avis d'in- tention initial dans les 120 jours, faute de quoi il est censé avoir renoncé au projet. En l'espèce,
l'avis d'intention initial est daté du 4 novembre 1972.
D'après les documents dont je dispose, l'audi- tion publique a débuté le 29 janvier 1973; au moins un ajournement est intervenu à la demande des demandeurs. Au cours de l'audi- tion et jusqu'au 13 février 1973, le ministre des Transports a mis à la disposition des deman- deurs certains renseignements supplémentaires concernant le projet de piste, vraisemblable- ment en conformité de l'article 4(4) de la Loi sur l'expropriation. Une bonne partie de ces renseignements, fournie le 13 février 1973, visait la pollution par le bruit; indiscutablement, il s'agit de données très techniques, que seuls des spécialistes peuvent interpréter et analyser.
Les demandeurs ont sollicité, le 15 février 1973, l'ajournement de l'audition ou de la partie de cette audition qui les concernait, vraisembla- blement pour leur permettre d'obtenir l'avis de certains experts. Les demandeurs soutiennent que cet ajournement leur était et leur est tou- jours nécessaire pour leur permettre d'obtenir l'avis de certains experts, d'examiner toutes les données et de présenter ainsi une opposition valable à l'enquêteur.
L'enquêteur a rejeté la demande d'ajourne- ment. On a alors institué la présente action, afin d'obtenir le redressement exposé plus haut; les demandeurs dans cette instance sollicitent un bref de prohibition et une injonction.
J'estime que cet attirail juridique n'est pas nécessaire (je pense ici à la Règle 603); mais, me ralliant à la position prise par le juge Walsh dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Creative Shoes Ltd. c. Le sous-min. du Revenu national pour les douanes et l'accise [1972] C.F. 115, j'examinerai les présentes procédures, y compris l'action principale, comme s'il s'agissait d'une demande de bref de prohibition.
Les demandeurs soutiennent que le défendeur Wolfe est un office, commission ou autre tribu nal fédéral, au sens que donne à ces expressions l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale; qu'en sa qualité d'enquêteur, il exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; et que, dans les circonstances de l'espèce, le refus d'un ajourne-
ment constitue une violation d'un principe de justice naturelle qui justifie l'intervention de la Cour en vertu de son pouvoir de contrôle pour empêcher la poursuite de l'audition ou la pré- sentation du rapport avant qu'un délai raisonna- ble ne leur soit accordé.
Me Mullins, avocat de l'enquêteur, soutient que l'enquêteur exerce des fonctions de nature purement administrative et que d'après une jurisprudence bien établie, un tribunal judiciaire ne peut intervenir au moyen d'un bref de prohi bition, comme on le demande ici. J'estime cet argument bien fondé; voir les arrêts F. F. Ayriss Co. c. Board of Industrial Relations of Alberta (1960) 23 D.L.R. (2 e ) 584; Guay c. Lafleur 11964] C.T.C. 350, et La Reine c. Ontario Labour Relations Board (1966) 57 D.L.R. (2 e ) 521.
Me McEachern soutient pour les demandeurs que cette jurisprudence est antérieure au texte actuel de la Loi sur l'expropriation, qu'elle se rapportait à des textes différents et ne saurait être d'une grande utilité pour examiner cette nouvelle loi. Je pense que cette affirmation manque de nuances. J'estime qu'en substance, d'après l'article 8 de la loi, l'enquêteur a pour unique tâche d'entendre les oppositions et de préparer un rapport sur leur nature et leurs motifs. Il n'a aucunement le pouvoir de prendre des décisions concernant les oppositions à un projet ou à une proposition. Je ferais remarquer que dans la Loi sur la Cour fédérale, qui est plus récente que la Loi sur l'expropriation, le Parle- ment a sanctionné la distinction entre ce que l'on appelle les fonctions administratives et les fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. (Voir l'article 28.)
Si c'est à tort que j'ai qualifié ainsi les fonc- tions de l'enquêteur, et s'il constitue vraiment le type du tribunal qui rend des décisions à la suite d'un processus judiciaire ou quasi judiciaire, j'estime que dans cette hypothèse, je n'ai pas compétence, en qualité de juge de première instance de la Cour, pour entendre cette demande.
Je renvoie à ce sujet à l'article 28(3) de la Loi sur la Cour fédérale et aux décisions de la Cour d'appel dans les arrêts M.R.N. c. Creative Shoes
[1972] C.F. 993; et Re Wisconsin et Armstrong (1972) 8 C.C.C. (2e) 452. Dans cette hypothèse, si l'enquêteur exerce des fonctions quasi judi- ciaires, j'estime que sa décision de rejeter la demande d'ajournement a été rendue à l'occa- sion de procédures devant lui et que c'est la Cour d'appel qui a compétence pour annuler ou examiner cette ordonnance.
Il est encore temps de présenter une requête à cette fin, bien qu'en pratique elle ne pourrait guère être efficace.
La requête est donc rejetée. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
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