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Olaf Angell & Erling Johansen (Demandeurs) c.
Le navire Oceanic Peace, Associated Bulk Car riers Inc. (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver (C.-B.), le 19 juin; Ottawa, le 6 juillet 1972.
Droit maritime—Pratique et procédure—Un vaisseau a sectionné le câble d'un navire de pêche en passant—Il n'y a pas eu «collision entre navires»—Actes préliminaires non requis—Règle 1013 de la Cour fédérale.
Le Oceanic Peace, un cargo de haute mer, a croisé le navire de pêche Baron à une courte distance à l'arrière, sectionnant le câble reliant ledit navire à son chalut. Les propriétaires du navire Baron ont intenté une action en dommages-intérêts et déposé un acte préliminaire, confor- mément à la Règle 1013.
Arrêt: Il est fait droit à la requête des défendeurs aux fins d'être dispensés de déposer des actes préliminaires, la Règle 1013 ne s'appliquant pas. Il n'y a eu aucune «collision entre navires» ainsi que l'exige ladite règle.
Arrêt appliqué: Bennett Steamship Co. c. Hull Mutual Steamship Protecting Society Ltd. [1913] 3 K.B. 372.
REQUÊTE des défendeurs-propriétaires.
James T. Rust pour les demandeurs.
V. Hill, c.r. pour les défendeurs.
LE JUGE COLLIER—Les défendeurs, proprié- taires du navire Oceanic Peace, ont présenté une requête aux fins d'obtenir une ordonnance les dispensant d'avoir à déposer des actes préli- minaires, au motif que ceux-ci «n'aideraient en rien à la solution du litige», et les exemptant aussi d'avoir à fournir des précisions relative- ment à la négligence que le paragraphe 6 de la déclaration impute aux défendeurs. Il est néces- saire de faire le récit des faits pour comprendre la question soulevée.
Les demandeurs sont propriétaires du navire de pêche Baron. L' Oceanic Peace est un cargo de haute mer. Le 29 juillet 1970, le Baron pêchait au large du cap Flattery, situé dans l'État de Washington. Son chalut était à l'eau et, selon la déclaration, le Baron avait hissé les signaux de pêche appropriés. Le navire Oceanic Peace, qui faisait apparemment route vers Van- couver, aurait selon les demandeurs heurté le câble reliant le chalut au Baron et l'aurait sec- tionné. De plus, les demandeurs allèguent que
ledit chalut a été perdu. Je souligne qu'il n'y a eu aucune collision ni aucun choc entre l'Ocea- nic Peace et le Baron, si ce n'est dans la mesure je viens de le dire.
Les propriétaires du Baron ont intenté une action dans laquelle ils réclament des domma- ges-intérêts, sans doute pour la perte du chalut et, je suppose, pour d'autres dommages qui en ont résulté. Le paragraphe 5 de la déclaration est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 5. Aux environs de 9h00, le 29 juillet 1970 ou vers cette date, le navire de pêche «BARON» pêchait à peu près à 55 milles au large du cap Flattery. Le «BARON» traînait un chalut long de 300 brasses et avait hissé les signaux de pêche appropriés. L'«OCEANIC PEACE» a été vu pour la première fois à environ 8h45; il se dirigeait vers l'ouest et s'est approché du «BARON» sans changer de route. Le «BARON» a donné un coup de sifflet et, peu après, l'«OCEANIC PEACE» a changé de route, obliquant vers bâbord, et a passé à une courte distance de l'arrière du «BARON», sectionnant le câble reliant le «BARON» à son chalut. Ce dernier a été perdu et le «BARON» a été incapa ble de continuer à pêcher.
Les demandeurs ont déposé un acte prélimi- naire comme, prétendent-ils, les y oblige la Règle 1013 des Règles de cette Cour.
La partie de la Règle 1013 qui nous intéresse est libellée de la façon suivante: «Dans une action en dommages résultant d'une collision entre navires. ..». La Règle, un peu plus loin, exige (de façon générale) le dépôt d'un «Acte préliminaire». L'avocat des défendeurs sou- tient, à l'appui de la présente requête, qu'il n'y a pas eu collision entre navires; tout au plus y a-t-il eu collision entre un navire, l'Oceanic Peace, et un autre objet, en l'occurrence un câble d'acier relié à un chalut. Il ne s'agit donc pas, selon lui, d'un cas il faille déposer des actes préliminaires. Selon l'avocat des deman- deurs, le câble et le chalut constituaient au contraire une partie essentielle du Baron, du fait que ce dernier était un navire de pêche. Il en conclut qu'en fait il y a donc eu collision entre navires.
A l'appui de son argumentation, l'avocat des demandeurs a cité l'affaire Re Margetts [1901] 2 K.B. 792, il y avait eu collision avec l'ancre au moyen de laquelle un navire était amarré. On a décidé qu'il s'agissait d'une collision avec un navire.
L'avocat des demandeurs s'est aussi appuyé sur l'affaire The Niobe [1891] A.C. 401, dans laquelle on a décidé qu'il y avait eu collision entre navires. Cette décision était fondée sur la théorie selon laquelle un remorqueur et le navire remorqué constituent un seul navire.
L'avocat des défendeurs m'a référé à l'affaire Bennett Steamship Co. c. Hull Mutual Steam ship Protecting Society Ltd. [1913] 3 K.B. 372. Dans cette affaire, un navire à vapeur s'était empêtré dans les filets d'un navire de pêche. Les filets se trouvaient à environ un mille ou plus du navire lui-même. La coque du navire à vapeur n'avait pas heurté la coque du navire de pêche. Les faits sont de toute évidence très semblables à ceux de la présente affaire. La question que devait trancher le juge Pickford était celle de savoir s'il y avait eu collision au sens dans lequel ce mot était employé dans une clause d'une police de la Lloyd's. Le texte de cette clause était le suivant:
[TRADUCTION] Et il est de plus convenu que si le navire assuré aux présentes entre en collision avec un autre navire ou bateau et que si l'assuré est en conséquence obligé de verser et verse à toute autre personne, à titre de dommages, une somme ou des sommes quelconques ne dépassant pas, relativement à une collision quelconque de cette nature, la valeur du navire assuré aux présentes, la présente compa- gnie remboursera à l'assuré la proportion des trois quarts de cette somme ou de ces sommes ainsi versées que sa sous- cription aux présentes représente par rapport à la valeur du navire assuré par le présent contrat.
Le juge Pickford a déclaré à la page 376:
[TRADUCTION] La question est de savoir si, dans les cir- constances de cette affaire, il y a eu «collision avec un autre navire ou bateau» au sens que donne à ces mots la clause de collision jointe à la formule ordinaire de police d'assurance de la Lloyd's. En vertu des dispositions contenues aux règlements de la société défenderesse, les demandeurs peu- vent prétendre à un remboursement si le navire assuré entre en collision avec un autre navire ou bateau et si la clause de la police de la Lloyd's ne permet pas un remboursement des pertes, dommages ou frais qui découlent de la collision ou en sont la conséquence. Les circonstances de l'affaire y sont énoncées au paragraphe 1. (Après avoir lu ce paragra- phe, le savant juge a poursuivi en disant:) Il est bien évident qu'en langage ordinaire, personne ne peut dire que le Burma est entré en collision avec un autre navire ou bateau. Si l'on demandait à quelqu'un de dire si, d'après lui, la jurispru dence mise à part, c'est la même chose d'entrer en collision avec un navire et de s'empêtrer dans un filet situé à une distance d'un mille du navire auquel est attaché l'autre bout du filet, je suppose qu'il répondrait sans hésiter dans le même sens que l'a fait Lord Bramwell dans le jugement qu'il a prononcé dans l'affaire The Niobe ([1891] A.C. 401),
à savoir que dans le langage courant, il s'agit de deux choses différentes.
Le juge Pickford a ensuite étudié les affaires Margetts et Niobe et il a déclaré aux pages 377 et 378:
[TRADUCTION] ... Il y a aussi l'affaire In re Margetts and Ocean Accident and Guarantee Corporation ([1901] 2 K.B. 792). Dans cette affaire, il s'agissait d'une collision avec une ancre au moyen de laquelle un navire était amarré; il a été décidé que cela constituait une collision avec ce navire. Cette décision va peut-être un peu plus loin que la décision rendue dans l'affaire The Niobe ([1891] A.C. 401). On peut très bien concevoir que l'ancre dont on se sert pour amarrer un navire, qui est nécessaire à sa navigation et sans laquelle le navire ne pourrait sans risque prendre la mer, (pour reprendre les termes du juge Wills dans l'affaire In re Salmon and Woods, 2 Morr. 137), fait partie du navire; mais cette jurisprudence ne me semble établir aucun prin- cipe qui m'oblige à en étendre encore plus la portée et à décider que l'extrémité d'un filet qui n'est pas nécessaire- ment toujours attaché au navire, qui s'en détache à l'occa- sion et qui est situé à un mille du navire, fait partie de ce dernier, ni qu'une collision survenue avec l'extrémité de ce filet est une collision avec le navire. Peut-être y aurait-il lieu de décider que le principe sur lequel se fondent ces déci- sions, (quel que puisse être ce principe), a pour effet d'éten- dre la signification des termes utilisés dans les jugements aux circonstances de la présente affaire, mais je ne vois rien qui m'oblige à en décider ainsi; il appartient d'ailleurs à la Cour d'appel d'étendre la signification de ces termes, s'il y a lieu.
Le juge Pickford a décidé qu'il n'y avait pas eu collision au sens de la clause.
Je ne pense pas que les distinctions qu'a faites l'avocat des demandeurs sur les faits, à savoir que le filet, dans l'affaire Bennett, n'était pas toujours attaché au navire, qu'il mesurait un mille et que la collision s'est produite avec l'extrémité la plus éloignée du navire, soient des distinctions valables.
Je souscris respectueusement aux motifs qu'a exprimés le juge Pickford et je décide dans la présente affaire qu'il n'y a pas eu «collision entre navires» au sens de la Règle 1013.
J'ordonne donc que les dispositions exigeant le dépôt d'actes préliminaires ne s'appliquent pas à la présente action et qu'il n'y a pas lieu d'en déposer.
J'ordonne de plus que l'on fournisse aux défendeurs les détails de leur négligence, au plus tard le 20 juillet 1972, et je prolonge jus- qu'au 3 août 1972 le délai qu'ont les défendeurs pour présenter leur défense.
Si les parties éprouvent quelque difficulté à respecter ces délais, elles pourront en demander chacune la prolongation.
Les défendeurs auront droit à leurs frais affé- rents à la présente requête, quelle que soit l'is- sue de la cause.
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