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Marc André Duquette (Demandeur)
c.
George Joseph Bélanger et la Reine (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier— Ottawa, les 26, 27 et 30 avril 1973.
Fonction publique—Comité d'appel—Propos diffamatoires tenus par un témoin à l'audience—Y a-t-il immunité absolue?
Un candidat ayant échoué à un concours de la Fonction publique a institué une action en dommages-intérêts, en alléguant qu'un témoin avait prononcé des paroles diffama- toires à l'audience de son appel devant le comité d'appel, interjeté conformément à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32.
Arrêt: l'action est rejetée. Même si le comité d'appel n'est pas un tribunal auquel l'immunité absolue s'applique, les propos diffamatoires ont été prononcés dans un cas relevant de l'immunité relative et on n'a pas démontré d'intention délictueuse réelle.
ACTION en dommages-intérêts. AVOCATS:
K. C. Binks, c.r., et J. McCulloch pour le demandeur.
P. T. Mclnenley pour les défendeurs. PROCUREURS:
Binks, Chilcott, Lynch et Simpson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
LE JUGE COLLIER (oralement)—Le deman- deur en l'espèce réclame des dommages pour diffamation verbale et écrite. Il fait valoir que le défendeur Bélanger, administrateur du person nel au ministère du Revenu national (Impôt), a prononcé les paroles diffamantes en cause au cours de l'audition d'un appel menée conformé- ment aux dispositions de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32. Il fait valoir en outre que la décision écrite du comité d'appel contient des termes diffamatoires.
Après examen de l'ensemble de la preuve et des plaidoiries des avocats des deux parties, je conclus qu'il y a lieu de rejeter l'action.
C'est l'article 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale qui donne à cette Cour compétence pour entendre la réclamation instituée contre le défendeur Bélanger.
Le demandeur est entré au service du minis- tère du Revenu national en 1967 comme employé à temps partiel, pour ensuite devenir employé à temps plein. Au cours de l'automne 1971, il était opérateur d'ordinateur. Son poste portait la classification DA-2. En octobre 1971, lui et d'autres se sont portés candidats à deux concours d'avancement à des postes dont la désignation abrégée est DA-3 et DA-4. Le demandeur n'a pas été reçu. Le jury d'examen ne lui a accordé que 10 points sur 20 au titre des «possibilités de rendement». Au nombre . des exigences formulées sous cet intitulé des avis de concours se trouvaient les suivantes: qualités personnelles appropriées, fiabilité et maturité. Le demandeur a alors institué les appels susmentionnés.
Un comité d'appel constitué d'un seul membre, R. A. Green, a entendu ces appels le 18 janvier 1972 et l'avant-midi du jour suivant. Le demandeur n'était pas présent à l'audience, car il était en voyage de noces. Mile E. Henry, de l'Alliance de la Fonction publique, le représen- tait. Le défendeur Bélanger représentait le ministère ou la direction du ministère.
Le défendeur Bélanger s'était documenté en consultant le dossier personnel du demandeur, ses rapports de présences ou d'absences, un journal portant sur l'équipe dont faisait partie le demandeur et figuraient certaines mentions à son sujet, ainsi que les dossiers relatifs aux concours. Il a rencontré le président du jury d'examen pour s'assurer que la procédure appropriée avait été suivie en ce qui concerne la tenue des concours. Le président du jury d'exa- men, un monsieur Gratton, avait déjà été super- viseur de l'équipe dont faisait partie le deman- deur. En examinant les documents susdits, Bélanger avait constaté que le demandeur avait été très souvent absent du travail. Du 1 e1 avril 1971 jusqu'à la date de l'audience, il s'était absenté 662 jours, soit 15 jours de congé
annuel, 324 jours de congé de maladie, 2 jours de congé spécial et 17 jours de congé sans solde. Bélanger a discuté du rendement du demandeur avec Gratton, qui lui a dit que le demandeur s'était présenté au travail un certain nombre de fois sentant l'alcool et que, d'autres fois, il ne s'était pas présenté au travail du tout, sans prendre la peine de téléphoner pour dire qu'il était malade et incapable de travailler. Bélanger a consulté un autre superviseur d'équipe, qui lui a dit à peu près la même chose. Une inscription audit journal porte la mention suivante: [TRADUCTION] «sous l'effet de l'al- cool». Un certain nombre d'autres inscriptions mentionnent le défaut par le demandeur de télé- phoner pour dire qu'il ne viendrait pas travailler.
Il était arrivé à Bélanger à une ou deux occa sions peut-être d'avoir à son service un employé dont l'absentéisme était attribuable à une con- sommation immodérée d'alcool.
L'audition de l'appel (appelé enquête dans la loi) a été menée de la façon habituelle. Le représentant du ministère a expliqué la nature des concours, la procédure suivie et les résul- tats. Gratton a exposé la démarche suivie par le jury d'examen et a expliqué pourquoi, de l'avis du jury, le demandeur ne méritait pas d'avance- ment. Il a été fait mention de l'absentéisme, des inscriptions au journal et du défaut du deman- deur de téléphoner lorsqu'il s'absentait. Mlle Henry avait le droit de contre-interroger quicon- que «témoignait» pour le ministère; elle s'est prévalue de ce droit à l'égard de Gratton. J'ai mis le mot témoignait entre guillemets parce que les déclarations orales devant le comité d'appel ne sont pas faites sous serment. Mlle Henry n'a produit aucun témoin pour le compte du deman- deur, mais elle a plaidé devant le comité d'appel.
On avait mentionné le fait que le demandeur dormait souvent à son poste lorsqu'il travaillait la nuit. Dans sa plaidoirie, Mile Henry a signalé que plusieurs des membres de l'équipe de nuit dormaient au travail. En ce qui concerne le défaut du demandeur de téléphoner lorsqu'il s'absentait pour cause de maladie, Mlle Henry a prétendu que le superviseur était souvent inca pable de répondre au téléphone et que les mes sages ne lui étaient pas transmis.
Le défendeur Bélanger a répondu à toutes les prétentions de M"e Henry, y compris les préten- tions susdites. Le défendeur déclare que sa réponse était à peu près la suivante: J'ai dit à l'agent des appels que Duquette avait un problè- me, que l'alcool semblait être au moins un élé- ment de ce problème et que, si tel était le cas, on allait confier son cas au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. En réponse à la prétention de Mile Henry selon laquelle les mes sages téléphoniques du demandeur n'auraient pas été transmis au superviseur, Bélanger a déclaré avoir dit que le demandeur n'avait peut- être pas téléphoné à une occasion parce qu'il aurait été imprudent de le faire. Si j'ai bien compris le compte rendu des témoignages, il se peut que ce soit Gratton qui, à l'origine, ait fait cette observation, soit avant soit après l'audience.
Le rapport du comité d'appel, dans le résumé des prétentions du défendeur Bélanger, porte que:
[TRADUCTION] Le ministère avait raison de croire que les difficultés éprouvées par l'appelant à rester éveillé étaient attribuables à d'autres causes que la fatigue et l'on était à réunir des éléments de preuve en vue d'inciter l'appelant à s'adresser à un médecin, comme la chose est prévue dans le cas de fonctionnaires que l'on soupçonne être alcooliques.
Plus loin dans le rapport, on peut lire que:
[TRADUCTION] Il ne faisait aucun doute aux yeux du minis- tère, étant donné ce qui avait été déclaré oralement et les inscriptions dans le journal, qu'il était arrivé à de nombreu- ses reprises à l'appelant de ne pas téléphoner pour dire qu'il serait absent du travail. D'après le ministère, si l'appelant a régulièrement négligé de se conformer aux directives reçues à cet égard, c'est qu'il estimait imprudent de révéler son état.
Green n'a pas témoigné devant moi, ce que je ne lui reproche en aucune façon. Je crois raison- nable de présumer que Green ne faisait que résumer en ses propres mots ce qui s'était dit et ne cherchait pas à reproduire textuellement les affirmations qu'on avait faites devant lui.
Mlle Henry a témoigné devant moi. Selon elle, le rapport de Green est assez fidèle à ce sujet. Elle a cru comprendre que Bélanger avait dit que Duquette devait rencontrer des fonctionnai- res du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social afin de s'inscrire à un pro gramme de réhabilitation des alcooliques,
c'est-à-dire que le ministère songeait à lui impo- ser cette mesure. Elle a pris des notes à l'au- dience et, quelques jours plus tard, les a trans- crites sur une feuille de papier intitulée «réponse». On y lit que:
[TRADUCTION] Le ministère entend soumettre Duquette à une cure pour alcooliques mise au point par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social.
Ni Mlle Henry ni aucun autre témoin cité pour le compte du demandeur n'ont mentionné l'autre observation faite par le défendeur Bélanger por- tant sur le défaut du demandeur de téléphoner pour annoncer qu'il serait absent.
L'autre témoin en question, Hrehoriak, un collègue et ami du demandeur, était présent à l'audience. D'après lui, le sens de l'affirmation de Bélanger était que le ministère songeait à saisir le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du problème du demandeur, soit l'alcoolisme.
Le défendeur Bélanger a reconnu ne pas être absolument certain que le demandeur était aux prises avec un problème d'alcoolisme. Le demandeur, sa femme et son ami Hrehoriak ont tous déclaré que tel n'était pas le cas.
Il est difficile d'établir les termes précis employés par le défendeur Bélanger; en effet, même celui-ci ne se souvient pas exactement de ce qu'il a dit. Après un examen très attentif de la preuve, je suis toutefois porté à accepter sa version de ce qui s'est dit. A mon avis, ce que les deux autres témoins, Mile Henry et Hreho- riak, ont fait, c'est de résumer ce qui s'est dit ou d'en tirer une conclusion plutôt que de repren- dre les paroles mêmes. Je m'empresse d'ajouter que les deux témoins en cause m'ont semblé sincères dans leur désir d'aider la Cour sur cette question dans la mesure de leurs moyens. Selon moi, par conséquent, les paroles prononcées par le défendeur Bélanger n'étaient pas diffamatoi- res et l'action peut être rejetée pour ce seul motif. Je vais toutefois prendre pour acquis que les paroles prononcées étaient diffamatoires au motif qu'elles laissaient entendre que les diffi- cultés du demandeur étaient en partie attribua- bles à un usage immodéré de l'alcool et impu- taient donc au demandeur quelque chose de préjudiciable à son activité professionnelle.
J'estime qu'on peut dire à bon droit que toute imputation d'usage immodéré de l'alcool par le demandeur est mal fondée et que, prima facie, si l'on se fonde sur ce que nous avons pris pour acquis ci-haut et en l'absence des autres moyens de défense dont nous allons bientôt traiter, le demandeur pourrait avoir gain de cause dans son action.
Je n'ai pas l'intention de traiter de l'épineuse question de la diffamation verbale et de la preuve de dommages spéciaux.
On fait valoir pour le compte des défendeurs que ce que Bélanger a exposé oralement et que ce que Green a exposé par écrit l'a été dans des circonstances ces personnes jouissaient d'une immunité.
Il s'agit en l'espèce, soutient-on, d'un cas d'immunité absolue et, par conséquent, il ne peut être fait droit à la demande. Il est vrai que la doctrine de l'immunité absolue ne se limite pas aux procédures menées devant une cour de justice. Elle a été étendue aux tribunaux ou aux organismes ayant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires et dont la procédure est analo gue à celle d'une cour de justice.
Selon moi, la procédure du comité d'appel en l'espèce ne s'apparente pas suffisamment à celle des cours de justice pour que le comité puisse être considéré comme un tribunal auquel s'ap- pliquerait la doctrine de l'immunité absolue. Il existe un certain nombre de différences qu'il n'est pas nécessaire d'exposer en l'espèce.
Subsidiairement, les défendeurs font valoir que les mots qualifiés de diffamants ont été prononcés dans des circonstances s'applique la doctrine de l'immunité relative. Je fais droit à cette prétention. J'adopte la définition, exposée dans Halsbury's Laws of England, 3 e éd., p. 56, paragraphe 100, de ce qui constitue des circon- stances s'applique la doctrine de l'immunité relative. Les mots qualifiés de diffamants ne donneraient donc ouverture à une action que si le demandeur prouvait une intention délictueuse de la part du défendeur Bélanger. Il a été reconnu qu'il n'existait pas d'intention délic- tueuse,
dans le sens d'animosité, rancune ou quelque autre motif repréhensible.
L'avocat du demandeur a soutenu qu'il y avait intention délictueuse en ce sens que les observations de Bélanger étaient gratuites, superflues et, par conséquent, téméraires. Je ne suis pas d'accord. Il existait selon moi des faits sur lesquels Bélanger pouvait raisonnablement se fonder pour croire honnêtement que le demandeur pouvait avoir un problème d'alcoo- lisme. Il est apparu que tel n'était pas le cas. Je décide que l'intention délictueuse n'a pas été prouvée, comme l'exige notre droit, et qu'il y a donc lieu de rejeter l'action.
Les défendeurs ont droit à leurs dépens.
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