Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-775-73
Eberhard Schmitz (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 25 novembre, Ottawa, le 4 décem- bre 1974.
Couronne—Collision entre un véhicule de l'armée et un véhicule privé—Conducteur de l'armée responsable à 80%— N'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions—Responsa- bilité de la Couronne à titre de propriétaire—Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 102—Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3, 4—Loi de la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10—Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 283, 295—Code de la route, S.R.Q. 1964, c. 231, art. 46—Loi d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile, S.R.Q. 1964, c. 232, art. 3b)—Code civil de la province de Québec, art. 1054.
Suite à une collision survenue entre la fourgonnette du demandeur et une voiture d'état-major appartenant au minis- tère de la Défense nationale et à l'usage de la base militaire de Longue Pointe, (P.Q.), le demandeur poursuivit la Cou- ronne pour négligence et les dommages qu'il subit furent évalués, sur consentement des parties, à $1,000. La Cou- ronne repoussa l'accusation de négligence et nia en outre sa responsabilité à titre de propriétaire, aux motifs que le conducteur avait obtenu possession du véhicule par vol ou qu'il n'avait pas agi dans l'exécution de ses fonctions. A l'audience, la preuve de la condamnation du conducteur sous le régime de l'article 102 de la Loi sur la défense nationale pour conduite d'un véhicule sans autorisation jugée irrecevable, fut rejetée. Il fut par ailleurs démontré que le conducteur (qui n'assistait pas au procès) avait utilisé la voiture à des fins personnelles, ce qui ne pouvait avoir été autorisé. Ou bien il avait en sa possession des documents qui lui permettaient d'utiliser le véhicule hors de la base à une fin autorisée qu'il n'a pas respectée; ou bien la négli- gence des responsables de la base lui permit de sortir le véhicule sans les documents faisant foi d'une utilisation autorisée.
Arrêt: l'action est accueillie en partie; la collision est imputable au fait que les conducteurs en question se sont engagés dans l'intersection sans se conformer à l'article 46 du Code de la route du Québec. La part de responsabilité du conducteur à la Couronne est fixée à 80% et celle du demandeur à 20%. Il est permis d'intenter un recours contre le conducteur de la Couronne en vertu de l'article 4(3) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, et la Couronne est responsable en vertu de l'article 3(2) de la Loi, au même titre qu'«un particulier majeur et capable». En vertu de l'article 3 b) de la Loi de l'indemnisation des victimes d'acci- dents d'automobile du Québec, le propriétaire est responsa- ble, à moins qu'il ne prouve qu'au moment de l'accident, le conducteur du véhicule en avait obtenu possession par vol. La Couronne n'a pas réussi à prouver de «vol» suivant la règle énoncée par la Cour d'appel du Québec qui assimilait
le «vol» à l'infraction définie à l'article 283 du Code crimi- nel. Même si l'action avait été intentée en vertu des lois d'une province autorisant le défendeur propriétaire à invo- quer une prise de possession sans consentement, comme le prévoit l'article 295 du Code criminel, il est douteux que la défenderesse en l'espèce ait satisfait l'obligation de prouver l'absence de négligence, eu égard à la prise de possession du véhicule par le conducteur. Le demandeur a droit de recou- vrer 80% de ses dommages, soit $800.
Arrêt suivi: Martel c. LaForest, ès-qualité et Le fonds d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobiles (Décision de la Cour d'appel du Québec, nr 13,569, rendue le 13 décembre 1973).
ACTION. AVOCATS:
B. Kravitz pour le demandeur. Y. Brisson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Kravitz & Kravitz, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE WALSH: Le demandeur réclame de la défenderesse la somme de $1,001.05 repré- sentant les dommages causés à son véhicule et la perte d'usage du véhicule pendant qu'il subis- sait des réparations, suite à un accident survenu à Montréal le 22 septembre 1971 ou aux envi rons de cette date vers minuit vingt; le deman- deur conduisait alors sa fourgonnette Econoline qui circulait du sud vers le nord, lorsqu'à l'angle de l'avenue Du Parc et de la rue Sherbrooke, elle entra en collision avec une voiture d'état- major, appartenant au ministère de la Défense nationale et conduite par un certain Miles Kirk- wood, qui circulait de l'ouest vers l'est sur la rue Sherbrooke. Le demandeur prétend que le véhi-' cule de la défenderesse s'est engagé dans l'inter- section de façon illégale et négligente alors qu'il faisait face à un feu rouge et que lui-même bénéficiait d'un feu vert; que ce véhicule circu- lait à une vitesse illégale, dangereuse et exces sive; et que le conducteur dudit véhicule a admis sa faute et sa responsabilité après l'accident.
La défenderesse allègue que son véhicule fut heurté par le véhicule appartenant au deman- deur et conduit par ce dernier, qu'au moment de l'accident, son véhicule était conduit par Miles Kirkwood qui en avait obtenu la possession par vol, que celui-ci n'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions et qu'il a subi un procès par voie sommaire sous une accusation portée en vertu de l'article 102 de la Loi sur la défense nationale' et a été déclaré coupable, de sorte que la défenderesse n'est pas responsable des dommages subis par le demandeur.
Au début, la défenderesse avait également déposé une demande reconventionnelle récla- mant une somme de $959 pour dommages causés à son véhicule, mais elle s'est plus tard désistée de cette demande reconventionnelle avec le consentement du demandeur. Ainsi que l'a expliqué l'avocat au cours des débats, la défenderesse a, en fait, intenté contre ledit Miles Kirkwood et contre le demandeur d'autres procédures devant cette cour en réclamation de ce montant et le désistement de la demande reconventionnelle avait simplement pour but d'éviter un double emploi, ce désistement ne devant pas être interprété comme une admission de la responsabilité du conducteur de son véhi- cule. Les parties ont reconnu que le montant des dommages subis par le demandeur est bien de $1001.05.
Quant aux faits, le demandeur déclare que le soir en question, après avoir franchi l'intersec- tion du boulevard de Maisonneuve et de l'ave- nue Du Parc, la première intersection au sud de la rue Sherbrooke, il constata que le feu de circulation qui lui faisait face sur la rue Sher- brooke était au rouge de sorte qu'il gravit lente- ment la côte, rétrogradant en seconde vitesse. Rendu à peu près à mi-chemin dans la côte, le feu passa au vert et il s'engagea dans l'intersec- tion. Il aperçu soudain un véhicule qui venait du côté gauche et bien qu'il appliquât les freins, il y eut collision. Son véhicule fut projeté à trois ou quatre pieds vers la droite et l'autre véhicule s'arrêta sur la rue Sherbrooke au-delà de l'inter- section. Il n'allait pas à plus de 15 milles à l'heure au moment de l'impact. Après la colli sion, il entendit le conducteur de l'autre véhi-
R.C.S. 1970, c. N-4.
cule dire à l'agent de police qui avait été appelé sur les lieux, qu'il était originaire de l'Ontario et qu'il avait franchi l'intersection sur le feu jaune, comme c'était l'usage au Québec, croyait-il. Le demandeur maintient que le feu devant lui était passé au vert trois ou quatre secondes avant la collision qui survint à huit pieds peut-être à l'intérieur de l'intersection de la rue Sherbrooke. Il se trouvait dans la voie centrale et remontait l'avenue Du Parc. Les parties ont produit de consentement des photographies des deux véhi- cules, montrant que tous les dommages causés au véhicule de la Couronne se trouvent du côté droit, partant du milieu de la voiture environ, et que, par contre, c'est la partie avant gauche du véhicule du demandeur qui est endommagée. Le demandeur maintient qu'en raison de la pente, il ne commença pas à accélérer lorsque le feu passa au vert, qu'il voulait franchir directement l'intersection et qu'il surveillait les feux à l'avant mais non le feu jaune latéral réglemen- tant la circulation est-ouest sur la rue Sherbrooke.
Le constable Jacques Dubé, qui fut appelé sur les lieux, a fourni des précisions sur l'accident, identifiant le conducteur du véhicule de la défenderesse comme étant Miles Kirkwood de la base militaire de Longue Pointe située à l'ex- trémité est de Montréal. A la lumière du rap port, il déclare qu'à son avis, l'accident fut causé par Kirkwood qui s'était engagé sur le feu jaune et, croit-il, c'est ce que Kirkwood lui affirma, bien qu'il ne puisse en être sûr mainte- nant. Le véhicule du demandeur était enregistré au nom de la S. & W. Die Company. Cité à nouveau, le demandeur a déclaré qu'il s'agissait d'une entreprise unipersonnelle qu'il avait enre- gistrée en 1971.
L'un des témoins, Nicholas Skafidas, déclare qu'il a vu l'accident. Il sortait tout juste d'un restaurant situé du côté ouest de l'avenue Du Parc qu'il situa, sur un croquis, au nord de la rue Sherbrooke bien qu'il eût déclaré qu'il se trou- vait au sud. Il entendit la collision et vit les deux voitures déraper et porta immédiatement son regard sur le feu de circulation de la rue Sher- brooke; il constata qu'il était au rouge pour immobiliser la circulation sur la rue Sherbrooke. Il remit sa carte au demandeur. Il avait, à l'occa-
sion, traité avec lui. Il s'apprêtait à traverser l'avenue Du Parc au moment de l'accident de sorte qu'il n'eut qu'à regarder à sa droite lors- qu'il entendit la collision.
L'avocat de la défenderesse a déclaré qu'il avait été incapable de retracer Miles Kirkwood, le conducteur du véhicule de l'armée. Il a cité comme témoin Donald Gozzola, un cuisinier de l'armée. Il a déclaré qu'au moment de l'accident il se trouvait dans la voiture avec Miles Kirk- wood et Jack Fudge. Il était assis du côté droit de la banquette avant, Fudge étant au centre et Kirkwood au volant. Il vit le feu devant eux sur la rue Sherbrooke passer du vert au jaune et il ne se souvint ensuite que de la collision qui l'assomma temporairement. Il ne connaissait pas Kirkwood personnellement mais, le soir précé- dent, vers 20h ou 21h, Fudge et lui avaient pris place dans la cantine des casernes de Longue Pointe lorsqu'il mentionna qu'il n'avait jamais assisté à une partie de baseball professionnel. Kirkwood offrit de les conduire à un match des Expos. Il ne se rappelle pas très bien ce qui survint par la suite. Ils firent, semble-t-il, la tournée de plusieurs bars de Montréal; il déclare toutefois qu'ils consommèrent peu de boisson. Il ne connaît pas très bien Montréal et ne sait pas exactement ils sont allés, mais ils circulaient sans arrêt depuis une demi-heure lorsque sur- vint l'accident; ils revenaient aux casernes à ce moment-là, car ils devaient partir à 5h le lende- main matin pour retourner à Petawawa. Il ignore s'il pleuvait ou non, ou s'ils avaient réduit leur vitesse avant de s'engager dans l'intersection. Ce n'est qu'après l'accident, dit-il, qu'il réalisa que c'était une voiture d'état-major.
Joseph Rousseau, répartiteur aux casernes de Longue Pointe, a comparu et expliqué le con- trôle des véhicules. Si un membre des forces armées désire utiliser un véhicule, il doit s'adresser au répartiteur; celui-ci laisse sortir le véhicule qui doit être utilisé pour une fin donnée. Il doit toutefois s'agir d'une utilisation autorisée. Le conducteur doit remplir des for- mules et apporter sa feuille de route avec lui. On n'a retracé aucun ordre de travail daté du 21 septembre 1971 qui soit destiné à Miles Kirk- wood. Les clés sont toujours laissées dans le
contact des voitures mais il y a un contrôle aux entrées de la base l'on est censé vérifier les documents du conducteur. De plus, les portes de garage sont toujours fermées à clé et ne sont censées être ouvertes que si le conducteur a en sa possession les documents voulus. La voiture en question avait été affectée au service du H.M.C.S. Fraser qui se trouvait au port, mais il ignore si Kirkwood en était le conducteur auto- risé ou non.
Le capitaine Gordon Duncan, officier des forces armées à Ottawa, déclare qu'il a accès aux dossiers de la Défense nationale et qu'il a étudié le dossier de Miles Kirkwood; il précise que, le 23 septembre 1971, Kirkwood fut inculpé en vertu de l'article 102 de la Loi sur la défense nationale et plaida coupable; il fut con- damné à une amende de $150 et à 30 jours de suppression de permission. Il a obtenu son congé des forces armées en novembre 1971 et depuis lors, elles ont tenté, par l'intermédiaire de la G.R.C., de le retracer en vue du procès mais sans succès. Il n'a jamais déposé de demande de redressement. Ledit article 102 se lit comme suit:
102. Quiconque,
a) se sert d'un véhicule des Forces canadiennes à des fins non autorisées;
b) se sert, sans autorisation, d'un véhicule des Forces canadiennes à une fin quelconque; ou
c) se sert d'un véhicule des Forces canadiennes d'une façon contraire aux règlements, ordres ou instructions;
est coupable d'une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité, un emprisonnement de moins de deux ans ou une moindre peine.
L'avocat du demandeur s'est objecté à cette preuve au motif que le dossier n'est pas une pièce d'archives judiciaires et que le renvoi aux renseignements qu'il contient constitue un ouï- dire. L'objection fut prise sous réserve. Il est bien sûr que dans des procédures criminelles, il ne serait pas permis d'établir le casier judiciaire d'un accusé par le simple témoignage d'un employé du greffe qui a vu le dossier sans qu'il n'en dépose une copie authentique et n'établisse l'identité de l'accusé comme étant la personne dont on produit le dossier. Cependant, il ne s'agit pas ici de procédures criminelles, mais d'une affaire civile et, en outre d'une procédure d'ordre militaire concernant la preuve que l'on cherche à faire accepter. Kirkwood ne fut pas
traduit en justice suivant le processus ordinaire qui comporte une accusation, une déclaration de culpabilité et une sentence dont les copies authentiques seraient déposées à titre de pièces d'archives judiciaires; il est possible qu'il ait simplement été traduit devant son commandant et, vu son plaidoyer de culpabilité, que l'affaire ne soit pas allée plus loin et ait été inscrite dans son dossier militaire. Pour essayer de démontrer que, le soir en question, Kirkwood utilisait le véhicule à des fins non autorisées, ou sans auto- risation, et en violation de tous règlements, ordres, ou directives et qu'il a plaidé coupable à cette accusation, la défenderesse fait appel au capitaine Duncan qui, ayant accès à son dossier militaire et l'ayant examiné, affirme que c'est bien ce qui s'est produit; cette preuve est irrece- vable. Pour être admissible en preuve en vertu des dispositions de la Loi de la preuve au Canada, son témoignage aurait être corro- boré par une copie authentique de la partie de son dossier afférente à cette déclaration de cul- pabilité. L'objection soulevée contre cette preuve est donc maintenue.
Cela ne signifie pas, cependant, que la Cour ne peut pas conclure, à la lumière d'autres élé- ments de preuve, qu'en fait, le soir en question, Kirkwood n'utilisait pas le véhicule à des fins autorisées ou sans une autorisation valable. Sui- vant la déposition de Gozzola, il est manifeste que le soir en question, lui et ses compagnons, y compris Kirkwood, avaient fait dans la voiture d'état-major une tournée des bars de l'endroit. Ils avaient prétendument quitté les casernes vers 20h ou 21h pour assister à une partie de baseball des Expos, mais ils n'allaient sûrement pas dans cette direction après minuit. Le témoi- gnage de Rousseau montre en outre clairement que les véhicules militaires ne peuvent être utili- sés qu'à des fins autorisées et sur présentation de documents appropriés. Il est manifeste qu'une telle utilisation de la voiture d'état-major en question n'aurait pas été autorisée et que par conséquent, Kirkwood, avait en sa possession des documents qui lui permettaient d'utiliser le véhicule hors de la base à une fin autorisée qu'il n'a pas respectée ou, ce qui est plus probable, qu'en raison de la négligence d'autres personnes censées exercer un contrôle à la base, on lui a permis de sortir le véhicule sans documents
appropriés faisant foi d'une utilisation autorisée. Je n'ai donc aucune peine à conclure, qu'au moment de l'accident, il n'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions.
Il faudrait citer certains articles de la Loi sur la responsabilité de la. Couronnez. L'article 3(1)a) se lit comme suit:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la Couronne,... .
L'article 3(2) décrète:
3. (2) La Couronne est responsable des dommages que cause un véhicule automobile qui lui appartient, sur un chemin public, et dont elle serait responsable si elle était un particulier majeur et capable.
L'article 4(2) et (3) se lit comme suit:
4. (2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendam- ment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.
(3) On ne peut exercer de recours contre la Couronne en vertu du paragraphe 3(2), à l'égard de dommages causés par un véhicule automobile sur un chemin public, sauf si le conducteur de ce véhicule ou sa succession est responsable de ces dommages.
Il faut donc en premier lieu déterminer si, compte tenu des faits en l'espèce, on peut exer- cer un recours contre le conducteur Miles Kirkwood.
Il est manifeste que le véhicule de la défende- resse traversait l'intersection sur un feu jaune, sinon sur un feu rouge. L'article 46b) du Code de la route du Québec' se lit comme suit:
46. Aux lieux des signaux lumineux sont installés les conducteurs de véhicules doivent
b) en face du feu jaune, arrêter avant la croisée à moins qu'ils n'y soient engagés ou en soient si près qu'il leur serait impossible de le faire sans danger;
Rien dans la preuve n'indique que le véhicule de la défenderesse était si près de l'intersection, lorsque le feu passa au jaune, qu'il lui était impossible de s'arrêter sans danger avant de s'y
2 S.R.C. 1970, c. C-38.
3 S.R.Q. 1964, c. 231.
engager. Tout en étant, semble-t-il, un témoin très sincère et très honnête, le témoin Gozzola a tout au plus un vague souvenir des événements du soir de l'accident et il déclare simplement avoir vu que le feu devant eux était au vert, puis au jaune, et c'est alors que la collision survint. Il n'a pas dit, et je suis convaincu qu'il était inca pable de le faire de façon précise, si le feu était encore au vert lorsqu'ils se sont engagés dans l'intersection ou s'il est passé au jaune alors qu'ils en étaient trop près pour pouvoir s'arrêter sans danger. Il n'y a également aucune preuve satisfaisante de la vitesse du véhicule.
Le témoin Skafidas, également honnête mais quelque peu embrouillé, peut-être en raison de difficultés de langue, vit, mais seulement après la collision, que le feu réglementant la circula tion de la rue Sherbrooke était au rouge. Il entendit tout d'abord la collision et, instinctive- ment il tourna la tête dans cette direction et remarqua la couleur du feu de circulation; je suis convaincu que son attention se serait d'abord dirigée vers les voitures qui dérapaient avant que son regard ne se porte sur les feux, de sorte qu'il y aurait un bref intervalle entre le moment de l'impact et le moment il vit que le feu était au rouge. Ce témoignage n'établit donc pas de façon très concluante si effectivement le feu était déjà passé au rouge avant l'impact.
Il y a enfin le témoignage du demandeur qui déclare d'une façon très catégorique que, le feu étant au rouge lorsqu'il gravit la côte, il s'appro- cha de l'intersection lentement, en seconde vitesse, et ne s'y engagea que lorsque le feu passa au vert; il ajoute que le feu était au vert depuis trois ou quatre secondes avant que ne survienne la collision. Si le feu devant lui était au vert, le véhicule de la défenderesse aurait alors, bien sûr, fait face à un feu rouge.
Bien que la faute de Kirkwood, le conducteur du véhicule de la défenderesse, ne puisse faire de doute, les photographies montrant l'endroit et la nature des dommages causés aux deux véhicules et l'état des lieux soulèvent quelque doute quant à savoir s'il n'y a pas eu une cer- taine négligence contributive de la part du demandeur. Il gravissait en seconde vitesse une côte exceptionnellement abrupte, circulant len-
terrent parce qu'il faisait face à un feu rouge et attendant qu'il passe au vert pour s'engager dans l'intersection. Dans ces conditions, il aurait être capable, en apercevant le véhicule de la défenderesse, d'effectuer un arrêt complet pres- que instantanément sans avancer de plus de quelques pieds. Il est normal, mais peut-être répréhensible, que le conducteur d'une voiture encore en mouvement, s'approchant d'une inter section et attendant que le feu passe au vert avant de s'y engager, regarde à droite en direc tion du feu jaune qui avertit les automobilistes circulant sur la rue transversale que le feu est sur le point de passer au rouge. Dans ces circon- stances, un conducteur n'est pas immobilisé lorsqu'il démarre à l'intersection mais il est déjà en mouvement et peut s'engager dans l'intersec- tion au moment même le feu passe au vert, si en fait il ne s'y engage pas un peu avant. En outre, il se fie entièrement au feu et ne regarde pas à sa gauche pour voir si une voiture s'appro- che rapidement de l'intersection et ne fait voir aucune intention d'arrêter lorsque le feu de la rue transversale passe au jaune ou au rouge. Bien qu'il y ait un immeuble situé à l'angle sud-ouest de la rue Sherbrooke et de l'avenue Du Parc, celui-ci n'aurait pas empêché le demandeur d'apercevoir le véhicule qui appro- chait, s'il avait regardé dans cette direction. Les photographies indiquent clairement que le côté gauche avant du véhicule du demandeur heurta le centre du côté droit du véhicule de la défen- deresse. Au moment de l'impact, le véhicule de la défenderesse avait franchi plus de la moitié sinon les deux tiers de l'intersection, et au moment il heurta le véhicule de la défende- resse, le véhicule du demandeur avait franchi environ huit pieds dans ladite intersection. Même si on acceptait la version du demandeur selon laquelle il se trouvait en face d'un feu vert avant de s'engager dans l'intersection et selon laquelle au moment de la collision, par consé- quent, le feu faisant face au véhicule de la défenderesse n'était pas simplement au jaune mais était déjà passé au rouge, il est manifeste qu'une seconde ou deux plus tard, le véhicule de la défenderesse aurait franchi l'intersection sans danger si le demandeur l'avait vu venir et avait appliqué les freins. De toute évidence, il s'est fié uniquement aux feux et n'a pas regardé à sa
gauche avant de s'engager dans l'intersection car, dans les très courts instants nécessaires pour parcourir les huit pieds, le véhicule de la défenderesse n'a pu franchir une distance telle que le demandeur n'ait pu l'apercevoir lorsqu'il s'est engagé dans l'intersection. Bien qu'un con- ducteur ait droit de se fier aux feux de circula tion à une intersection et de présumer que les conducteurs circulant sur la rue transversale en feront autant, ceci ne doit pas le libérer complè- tement de toute obligation de s'assurer, avant de s'engager dans l'intersection, qu'aucune voiture ne s'approche rapidement avec l'intention évi- dente d'ignorer le feu jaune ou rouge. En d'au- tres termes, même lorsqu'il fait face à un feu vert, il devrait regarder à gauche et à droite avant de s'engager. Je crois donc que le deman- deur aurait pu, jusqu'à un certain point, éviter cet accident s'il avait été plus vigilant. Toutefois Kirkwood porte manifestement la responsabilité principale et j'évalue sa part de responsabilité à 80 pour cent et celle du demandeur à 20 pour cent; je répartis les dommages en conséquence, réduisant par le fait même de $1001.05 à $800.84 le montant convenu de l'indemnité due au demandeur.
Il faut maintenant examiner la défense au fond selon laquelle la défenderesse n'est pas responsable des dommages puisque Kirkwood n'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions au moment de l'accident et qu'il utilisait le véhi- cule à des fins non autorisées ou sans autorisa- tion. Voici un extrait de l'article 1054 du Code civil de la province de Québec:
Les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés.
mais pour trancher la présente affaire, il n'est pas nécessaire de déterminer si l'application de cet article peut libérer la Couronne de la respon- sabilité visée aux articles 3(1)a) et 4(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne (précités) puisque cette loi contient des dispositions spé- ciales, énoncées aux articles 3(2) et 4(3) (préci- tés), concernant les réclamations qui découlent de la propriété d'un véhicule automobile. Il n'y a donc qu'à déterminer si, étant la propriétaire du véhicule automobile, la Couronne serait respon-
sable «si elle était un particulier majeur et capable».
Pour trancher la question de responsabilité découlant de la propriété d'un véhicule, il fau- drait citer la Loi de l'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile' du Québec puisque l'accident est survenu dans cette province. L'ar- ticle 3 b) de cette loi se lit comme suit:
3. Le propriétaire d'une automobile est responsable de tout dommage causé par cette automobile ou par son usage, à moins qu'il ne prouve
b) que lors de l'accident l'automobile était conduite par un tiers en ayant obtenu la possession par vol, ou
Il faut donc établir le sens du mot «vol» contenu dans cette loi et déterminer s'il est suffisamment étendu pour englober l'usage non autorisé ou sans l'autorisation du propriétaire comme le pré- tend la défenderesse. On ne définit le «vol» ni dans ce texte de loi ni dans la Loi d'interpréta- tion du Québec. En examinant le Code criminels nous retrouvons une définition du «vol» à l'ex- trait suivant de l'article 283:
283. (1) Commet un vol, quiconque prend frauduleuse- ment et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l'usage d'une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée, avec l'intention
a) de priver, temporairement ou absolument, son proprié- taire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose,
En soi, cette définition serait suffisamment large pour couvrir l'usage non autorisé car il prive temporairement le défendeur du véhicule. Pour atténuer la rigueur de cette disposition, un autre article du Code criminel traite spécifique- ment de l'infraction consistant à prendre un véhicule sans le consentement du propriétaire avec l'intention de le conduire. Cet article se lit comme suit:
295. Est coupable d'une infraction punissable sur déclara- tion sommaire de culpabilité, quiconque, sans le consente- ment du propriétaire, prend un véhicule à moteur avec l'intention de le conduire ou de l'employer ou de le faire conduire ou employer.
9S.R.Q. 1964, c. 232.
S.R.C. 1970, c. C-34, et ses modifications.
Cet article a pour effet de soustraire à la défini- tion générale du vol l'infraction consistant à prendre un véhicule à moteur sans le consente- ment du propriétaire, lorsqu'il est manifeste qu'il n'y a aucune intention de le voler ou de priver le propriétaire de son usage si ce n'est que temporairement, comme c'est le cas en l'es- pèce, de sorte que s'il s'agissait ici de procédu- res criminelles, l'infraction de vol ne serait pas applicable. La défenderesse prétend toutefois que les distinctions faites au Code criminel aux fins de déterminer quelle accusation criminelle peut être portée, ne s'appliquent pas aux procé- dures civiles et qu'en interprétant la significa tion du mot «vol» utilisé dans la Loi d'indemni- sation des victimes d'accidents d'automobile, il faut lui accorder une portée étendue de façon à englober, aux fins de la présente action, l'usage non autorisé, ce qui libérerait la défenderesse de sa responsabilité pendant que le véhicule était ainsi utilisé.
Dans un jugement unanime portant le 13,569 en date du 3 décembre 1973 rendu dans l'affaire Martel c. LaForest, ès-qualité et Le fonds d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile, la Cour d'appel du Québec semble avoir tranché cette question de façon définitive, tout au moins quant aux principes du droit qué- bécois; après avoir établi qu'il y avait deux écoles de jurisprudence qui ont interprété le sens du mot «vol» contenu dans cette loi, et après avoir cité les arrêts à l'appui des deux écoles, le juge Turgeon poursuit ainsi à la page 5 de son jugement:
Le but de la Loi de l'indemnisation n'est pas de protéger les automobilistes mais bien les victimes d'accidents d'auto- mobile. La loi impose à cette fin une lourde responsabilité au propriétaire et au conducteur. La défense de vol prévue à l'article 3 ci-dessus est une exception à la règle générale de la responsabilité du propriétaire. Elle doit donc être interpré- tée d'une façon restrictive pour assurer l'accomplissement de l'objet de la loi et du but du législateur.
Je suis d'opinion que le législateur québécois en utilisant le mot «vol» à l'article 3 avait en vue l'offense de vol définie à l'article 283 du Code criminel et non la prise d'un véhicule à moteur sans le consentement du propriétaire avec l'inten- tion de le conduire ou de l'utiliser. Si son intention avait été différente, il aurait ajouté à l'exception la prise de posses sion sans la permission du propriétaire ou la dépossession du propriétaire hors sa connaissance. Il a voulu limiter l'exception au vol. Le même législateur n'a pas manqué de s'exprimer clairement lorsqu'il a voulu en matière pénale amoindrir le fardeau du propriétaire d'un véhicule automo-
bile. Le paragraphe 1 de l'article 69 du Code de la route le démontre. Il se lit comme suit:
69. 1. Le propriétaire d'un véhicule automobile est res- ponsable de toute infraction commise avec ce véhicule à l'encontre des dispositions de la présente loi ou d'un règlement édicté sous son autorité par le lieutenant-gou- verneur en conseil ou la Régie des transports ou d'un règlement visé par l'article 76 ou l'article 77 et décrété par un conseil municipal, le tout à moins qu'il ne prouve que lors de l'infraction, le véhicule était, sans son consente- ment, en la possession d'un tiers autre que son chauffeur.
D'ailleurs, il déclare à la page 8:
Il m'apparaît que le législateur québécois a délibérément exclus la prise de possession sans le consentement du pro- priétaire comme moyen d'exonération à l'article 3 de la Loi d'indemnisation, afin de mieux protéger les victimes d'acci- dents d'automobile. Il serait trop facile à un propriétaire d'automobile, pour échapper à la responsabilité, d'affirmer que son véhicule avait été pris sans sa permission et de placer ainsi la victime dans une situation illusoire, surtout lorsqu'il existe des liens de parenté entre le conducteur et le propriétaire de l'automobile. La victime se verrait souvent dans l'impossibilité de contrôler et de repousser la version du propriétaire. C'est pour ce motif que dans les provinces canadiennes le texte de la loi permet au propriétaire de s'exonérer en prouvant prise de possession sans son consen- tement, les tribunaux exigent la preuve qu'il a été dans l'impossibilité d'empêcher cette prise de possession et qu'il n'a commis aucune négligence à ce sujet.
Je souscris entièrement à cette décision et à l'interprétation donnée au mot «vol» tel qu'il apparaît dans la Loi d'indemnisation des victi- mes d'accidents d'automobile. En vertu de la loi québécoise, il n'est pas nécessaire de décider si la défenderesse a effectivement prouvé qu'il lui était impossible d'empêcher Kirkwood de pren- dre possession du véhicule et qu'elle n'a commis aucune négligence à cet égard. Je ferais remar- quer toutefois que les mesures destinées à con- trôler l'utilisation des véhicules à la base de Longue Pointe semblent avoir été très peu sévè- res à ce moment-là, car il aurait été impossible à Kirkwood de sortir la voiture du garage dont les portes sont censées être toujours fermées à clé et de quitter la base sans les documents néces- saires. Même s'il avait eu ces documents en sa possession, il aurait être manifeste qu'il n'al- lait pas utiliser la voiture à une fin autorisée, compte tenu du fait qu'il était accompagné de deux autres personnes qui, ni l'une ni l'autre, n'étaient officiers d'état-major. Je doute par conséquent que la défenderesse ait de quelque façon établi absence de négligence quant à la prise de possession du véhicule en question par
Kirkwood. La défense au fond est donc égale- ment rejetée.
Le demandeur obtient jugement au montant de $800.84 avec intérêts et dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.