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A-170-74
Maria de Oliveira Sousa Frias (Requérante) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup pléants Mackay et Sv'det—Toronto, les 3 et 4 octobre 1974.
Immigration—Ordonnance d'expulsion—Maintenue contre la requérante pour défaut de visa valable— Rejet des consta- tations de condamnations impliquant turpitude morale— Droit aux services d'un conseiller—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 5d) et t), 7(2), 22—Reg. 28(1)—Code criminel, S.R.C. 1970, c-34, art. 193—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Au cours de son précédent séjour au Canada, la requé- rante avait épousé, en 1972, Antonio Frias, un immigrant reçu. Revenant du Portugal au Canada le 9 avril 1973, elle a été autorisée à entrer comme visiteur, pour une période de six mois se terminant le 8 octobre 1973. A l'occasion d'une demande présentée à un fonctionnaire à l'immigration, elle fit l'objet du rapport prévu à l'article 22 qui précisait qu'elle faisait partie d'une catégorie interdite vu qu'elle n'avait pas un visa d'immigrant valable. Au cours d'une enquête spé- ciale, lecture fut faite à la requérante, assistée d'un homme d'affaires à titre de conseiller, du rapport prévu à l'article 22. L'enquête a été ajournée deux fois pour permettre à la requérante d'établir si son mari consentait à parrainer sa demande d'immigration. Rien n'avait été fait à ce sujet à la fin de cette phase de l'enquête. A la troisième audience, la requérante se présenta sans son conseiller, mais avec son mari. L'enquêteur spécial produisit des certificats se rappor- tant à deux condamnations subies par la requérante pour avoir tenu, en violation du Code criminel, une maison de prostitution à Toronto en 1973. Par la suite, le fonctionnaire ordonna l'expulsion de la requérante au motif qu'elle faisait partie d'une catégorie interdite en ce qu'elle n'avait pas, en violation de l'article 5 t) de la Loi sur l'immigration, de visa valable et qu'elle avait été, en violation de l'article 5d), condamnée pour un crime impliquant turpitude morale. Dans une demande présentée en vertu de l'article 28, la requérante a cherché à faire infirmer cette décision.
Arrêt: la demande est rejetée; la requérante avait le con- seiller de son choix quand on a établi qu'elle n'avait pu obtenir un visa valable. On n'a pas essayé de montrer que la requérante avait été parrainée par son mari. L'ordonnance doit être maintenue sur ce motif.
Le juge Thurlow (Le juge Sweet y a souscrit): la constata- tion de condamnation pour un crime impliquant turpitude morale a été faite sans que la requérante ait été avertie que ces condamnations devaient faire l'objet d'une enquête et sans qu'elle ait pu se faire assister d'un avocat ou conseiller, et devrait être supprimée comme contraire à la justice naturelle.
Le juge suppléant Mackay (dissident en partie): d'après le dossier, la requérante a nié et par la suite reconnu les deux condamnations. Elle a volontairement continué la procédure en l'absence d'un conseiller, qui ne pouvait pas l'aider après qu'elle eut reconnu l'exactitude des deux certificats de con- damnation. Ce motif d'expulsion doit être aussi maintenu.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
William L. Green pour la requérante. M me Katherine Braid pour l'intimé.
PROCUREURS:
William L. Green, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: La requérante, citoyenne portugaise, est arrivée au Canada le 9 avril 1973 et a été autorisée, en vertu du paragraphe 7(2)c) de la Loi sur l'immigration, à y rester pour une durée de six mois se terminant le 8 octobre 1973. Elle avait séjourné au Canada en 1972 et, au mois de novembre de cette année-là, avait épousé Antonio Frias, un immigrant reçu.
Le 25 octobre 1973, elle se présenta à un fonctionnaire à l'immigration et fit une demande pour recevoir le statut d'immigrant reçu. Elle fit alors l'objet du rapport, prévu par l'article 22, dans lequel on allégua qu'elle faisait partie d'une catégorie interdite vu qu'elle n'avait pas le visa d'immigrant requis par les Règlements.
Une enquête spéciale a été ouverte le 27 novembre 1974, à laquelle elle a assisté accom- pagnée de Juvnal De Freitas, un homme d'affai- res, en qualité de conseiller. A l'audience, lec ture fut faite du rapport prévu à l'article 22 et les allégations y contenues ont été prouvées par les réponses que la requérante a faites aux ques tions de l'enquêteur spécial. Cependant comme la déposition précisait que son mari devait reve- nir dans une semaine environ d'un séjour au Portugal, l'enquêteur spécial, au lieu de clôturer l'enquête, l'ajourna au 11 décembre 1973 pour donner à la requérante et à son mari la possibi- lité d'établir si ce dernier accepterait de parrai-
ner la demande de sa femme, probablement en vertu des dispositions des Règlements à cet effet.
A la reprise de l'enquête, le 11 décembre, la requérante, son mari et son conseiller se présen- tèrent; dans le cadre de l'enquête, on demanda au mari quelle attitude il adoptait à propos de la déclaration qu'il avait faite le 14 août 1973, retirant la demande de parrainage de sa femme, du fait qu'ils ne vivaient plus ensemble. Il répondit qu'il avait décidé de rester avec sa femme. L'enquête a été alors renvoyée sine die pour permettre au mari de parrainer la demande d'admission de la requérante au Canada et pour lui permettre de s'occuper des procédures nécessaires et de remplir les autres formalités d'une demande d'admission permanente. La requérante a été mise en liberté sous caution l'obligeant à se présenter à toute convocation.
Il ressort du dossier qu'elle et son mari, en l'absence du conseiller, se présentèrent devant l'enquêteur spécial le 27 juin 1974 et qu'on lui demanda si elle voulait continuer sans son con- seiller. Elle répondit par l'affirmative. Aucun autre élément ne fut apporté au sujet du parrai- nage de sa demande d'admission, ni sur le point de savoir si elle l'avait sollicitée ou obtenue. Cependant l'enquêteur spécial se mit à question- ner la requérante au sujet de deux condamna- tions qu'elle avait encourues en juillet et octo- bre 1973 pour avoir tenu une maison de prostitution à Toronto et déposa les deux certifi- cats s'y rapportant. A aucune phase de la procé- dure, l'enquêteur n'a avisé la requérante que ces condamnations devaient faire l'objet d'une enquête pouvant de ce fait conduire à son expulsion; il ne l'a pas non plus avisée qu'elle avait droit aux services d'un avocat ou conseil- ler dans une telle affaire; il ne lui a jamais accordé la possibilité d'examiner la situation et de se préparer à y faire face.
Après avoir interrogé la requérante sur les condamnations alléguées et lui avoir demandé si elle avait des témoins à citer ou d'autres preu- ves à produire et s'il existait des raisons pour qu'on lui permette, au cas son expulsion serait ordonnée, de demeurer au Canada, l'en- quêteur spécial ajourna l'enquête pour délibérer
et rendit ensuite une ordonnance d'expulsion contre elle pour les motifs suivants:
[TRnnucriox] (3) Vous faites partie de la catégorie interdite définie à l'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration pour avoir été déclarée coupable d'un crime impliq tant turpitude morale, à savoir: vous avez tenu une maison de prostitution et votre admission au Canada n'a pas été autorisée par le gouverneur en conseil.
(4) Vous faites partie de la catégorie interdite définie à l'alinéa 5t) de la Loi sur l'immigration, en ce que vous ne pouvez remplir ni observer, ou vous ne remplissez ni n'ob- servez les conditions et prescriptions de la Loi sur l'immi- gration ou des Règlements, aux motifs que:
a) Vous n'êtes pas en possession d'un visa d'immigrant valable et non périmé, à vous délivré par un préposé au visa, conformément au paragraphe 28(1) du Règlement sur l'immigration, Partie 1, modifié.
Dans la mesure l'ordonnance d'expulsion est basée sur le premier de ces motifs, elle ne peut, à mon avis, être maintenue puisque la requérante n'a jamais été avisée que les con- damnations alléguées devaient faire l'objet d'une enquête et servir de motifs possibles à son expulsion. En outre la requérante n'a pas eu la possibilité d'examiner, avec ou sans l'assistance d'un avocat ou conseiller, quels moyens de défense elle pourrait faire valoir. Ainsi, l'enquê- teur spécial a, à mon avis, négligé d'observer un principe de justice naturelle, ce pourquoi j'annu- lerais sa décision.
D'autre part, en ce qui concerne le second motif de l'ordonnance d'expulsion, il me semble que la requérante avait le conseiller de son choix quand la question a été instruite et tran- chée et qu'elle a, à la dernière audience, volon- tairement renoncé à son droit aux services d'un avocat ou conseiller. En outre on n'a jamais essayé, ni à la dernière audience, ni devant cette cour, de prouver que son mari parrainait sa demande d'admission, ou qu'elle avait, entre les deuxième et troisième audiences devant l'enquê- teur spécial, obtenu l'admission au Canada. Dans ces circonstances, il n'y a, à mon avis, aucune raison d'infirmer une ordonnance fondée sur ces motifs.
Je modifie donc l'ordonnance d'expulsion en en supprimant le paragraphe (3) cité ci-dessus et, à tous autres égards, je rejette la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET a souscrit à l'avis.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY (dissident par- tiellement): La requérante est sous le coup d'une ordonnance d'expulsion ainsi motivée:
(1) Vous n'êtes pas citoyenne canadienne;
(2) Vous n'avez pas acquis un domicile canadien;
(3) Vous faites partie de la catégorie interdite, définie à l'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration pour avoir été décla- rée coupable d'un crime impliquant turpitude morale, à savoir: vous avez tenu une maison de prostitution et votre admission au Canada n'a pas été autorisée par le gouverneur en conseil.
(4) Vous faites partie de la catégorie interdite, définie à l'alinéa 5t) de la Loi sur l'immigration, en ce que vous ne pouvez remplir ni observer ou vous ne remplissez ni n'ob- servez les conditions et prescriptions de la Loi sur l'immi- gration ou des Règlements, aux motifs que:
a) Vous n'êtes pas en possession d'un visa d'immigrant valable et non périmé, à vous délivré par un préposé au visa, conformément aux exigences du paragraphe 28(1) du Règlement sur l'immigration, Partie 1, modifié.
Je suis d'accord avec les conclusions de mon confrère Thurlow en ce qui concerne le motif 4, mais, en toute déférence, je ne souscris pas à ses conclusions relatives au motif 3, pour les raisons suivantes:
Il ressort du dossier et des déclarations de la requérante qu'elle a été reconnue coupable le 13 sept. 1973 d'avoir tenu une maison de prostitution et qu'elle l'a été à nouveau le 11
février 1974.
A la première audience du 27 novembre 1913 devant l'enquêteur spécial, on lui a demandé si elle avait déjà été reconnue coupable d'un crime ou d'une infraction, elle avait répondu par la négative; elle savait donc à ce moment qu'il s'agissait d'un sujet pertinent dans le cadre de l'enquête.
Dans une déclaration datée du 14 août 1973, déposée à l'enquête et intitulée: [TRADUC- TION] «Demande parrainée présentée en faveur de Maria De Frias», son mari exposait ce qui suit:
[TRADUCTION] «Je désire retirer ma demande de parrainage présentée en faveur de Maria De Frias, parce que nous ne coha- bitons plus et qu'elle gagne de l'argent en allant avec n'importe qui et l'envoie au Portugal.»
A la troisième audience de l'enquête, le 27 juin 1974, l'enquêteur dit à la requérante:
[TRADUCTION] «Mme Frias, je remarque que votre conseiller depuis le début de l'enquête jusqu'à sa reprise, est absent. Voulez-vous continuer sans lui: je parle de Juvnal de Frei- tas.» Elle répondit par l'affirmative.
L'enquêteur lui a aussi dit à ce moment [TRA- DUCTION] «depuis la dernière audience, d'au- tres preuves concernant vos activités au Canada ont été portées à mon attention et j'ai l'intention de vous interroger d'une manière plus détaillée à leur sujet».
Questionnée alors sur ses condamnations, elle en a reconnu la véracité.
A ce moment, elle savait, en raison des ques tions qu'on lui avait posées à la première enquête, que les condamnations constituaient un sujet pertinent dans le cadre de l'enquête.
Compte tenu des certificats de condamnations dont elle a reconnu l'exactitude, un avocat ou conseiller ne pouvait lui apporter aucune aide.
Dans ces circonstances, je rejetterais le moyen d'appel basé sur le fait que, n'ayant pas été représentée par un avocat ou conseiller à la troisième audience de l'enquête, on lui aurait refusé l'application de principe de justice naturelle.
On a critiqué le fait que l'ordonnance d'expul- sion faisait état d'un crime impliquant turpitude morale et non d'une condamnation prononcée en vertu du Code criminel. Il y a lieu de noter qu'il peut exister des crimes impliquant turpi tude morale qui ne sont pas prévus par le Code criminel. C'est le cas du traffic de stupéfiants, prévu par la Loi sur les stupéfiants. D'autres infractions, comme la tenue d'une maison de prostitution, sont à la fois des crimes impliquant turpitude morale et des crimes prévus par le Code criminel.
Pour ces raisons, j'estime que la demande doit être rejetée.
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