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T-2437-74
British Columbia Packers Limited, Nelson Bros. Fisheries Ltd., The Canadian Fishing Company Limited, Queen Charlotte Fisheries Limited, Tofino Fisheries Ltd., Seafood Products Limited, J.S. McMillan Fisheries Ltd., Norpac Fisheries Ltd., The Cassiar Packing Co. Ltd., Babcock Fisheries Ltd., Francis Millerd & Co. Ltd., Ocean Fisheries Ltd. (Requérantes)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail et le Conseil provincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés (Intimés)
et
Native Brotherhood of British Columbia, Fishing Vessel Owners Association of British Columbia, Pacific Trollers Association, le procureur général de la Colombie-Britannique, le procureur général de Terre-Neuve et le procureur général de la Nouvelle-Écosse (Intervenants)
Division de première instance, le juge Addy — Vancouver, le 15 octobre; Ottawa, le 8 novem- bre 1974.
Compétence—Demande de bref de prohibition—Syndicat demandant son accréditation comme agent négociateur de pêcheur—Le Conseil canadien des relations du travail n'a pas le pouvoir d'accorder l'accréditation—Bref de prohibi tion accordé contre le Conseil—Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2 et articles 107, 108, 122, abrogés et remplacés par S.C. 1972, c. 18, art. 1—Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, S.R.C. 1952, c. 152, art. 53—A.A.N.B. art. 91(2), (10), (12) et (24), art. 92(13)—Proclamation royale de 1763, S.R.C. 1970, App. II, p. 123—Loi sur la Cour fédérale, art. 18 et 28.
Les requérantes exploitent des entreprises de transforma tion de poisson dont les produits sont commercialisés à l'intérieur et à l'extérieur de la province de la Colombie-Bri- tannique. Elles se procurent du poisson grâce à des contrats conclus dans la province avec les capitaines, les équipages et les propriétaires des navires de pêche. La pêche se fait à l'intérieur et à l'extérieur des eaux territoriales provinciales. Le syndicat intimé a demandé au Conseil canadien des relations du travail son accréditation comme agent négocia- teur des équipages des navires dont les capitaines, les équi- pages ou les propriétaires avaient conclu des ententes spé- ciales avec les fabricants concernant la prise au retour du navire de pêche. Les intervenants, Fishing Vessel Owners Association of British Columbia et Pacific Trollers Associa tion, représentent des propriétaires de navires indépendants ou des membres d'équipages vendant du poisson à différents
fabricants sans aucune entente spéciale. La demande d'ac- créditation ne les concerne pas directement, mais ces asso ciations appuient la thèse des requérantes. Lors d'une demande présentée en vertu de l'article 28 visant l'examen de la compétence du Conseil à statuer sur sa propre compé- tence, la Cour d'appel décida ([1973] C.F. 1194) que celle-ci n'était pas une décision susceptible d'un examen en vertu de l'article 122(1) du Code canadien du travail, du moins jusqu'à ce que le Conseil ait rendu une décision sur la question de l'accréditation, ce qui relève précisément de ses pouvoirs. Le Conseil n'a pas estimé nécessaire de soulever la question devant la Cour en vertu des dispositions de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, comme celle-ci l'avait suggéré. Les fabricants ont alors présenté cette demande de bref de prohibition à l'encontre du Conseil par voie d'avis introductif de requête.
Arrêt: un bref de prohibition sera délivré; la Cour est compétente pour examiner la demande, en vertu de l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale. Le conseil intimé est un «office, une commission ou autre tribunal fédéral» contre lequel on peut demander un redressement en vertu de l'arti- cle 18 b) de la Loi. La clause restrictive de l'article 122(2) du Code canadien du travail ne fait pas obstacle à la demande de redressement lorsque cette demande est fondée sur l'ab- sence totale de compétence du tribunal d'instance inférieure. Ledit tribunal n'était pas compétent en l'espèce parce que le contrat de travail conclu par les pêcheurs était au fond un moyen de protéger leurs droits à l'intérieur de la province. Il relève des pouvoirs de la province en vertu du paragraphe (13), «propriété et droits civils dans la province», de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et non des divers pouvoirs conférés aux autorités fédérales par l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ni du pouvoir de conclure des traités. Il n'y avait pas lieu d'exer- cer les pouvoirs conférés au Parlement à l'égard des Indiens par l'article 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, comme le demandait l'un des intervenants, Native Brotherhood of British Columbia; le fait que les équipages des navires de pêche comprennent des Indiens ne donne pas au Parlement un pouvoir de contrôle sur les relations de travail en cause. Même si le Code canadien du travail, Partie V, relève des pouvoirs du Parlement, cette loi, selon ses propres termes, ne s'applique pas en l'espèce. Aux termes de l'article 2 du Code canadien du travail, l'expression «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» signifie «tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant du pouvoir législatif du Parlement du Canada». Les pêcheurs en cause ne peuvent pas être considérés comme employés «dans le cadre d'une entreprise fédérale» au sens de l'article 108 du Code canadien du travail.
Arrêt suivis: Le procureur général du Canada c. Cylien [1973] C.F. 1166; MacDonald c. Vapor Canada Ltd. [1972] C.F. 1156; La Commission des accidents du travail c. Le Canadien Pacifique [1920] A.C. 184; La Reine c. Robertson (1882) 6 R.C.S. 52; In re ►a compé- tence sur ►es pêcheries provinciales (1896-97) 26 R.C.S. 444; P. G. du Canada c. P. G. de l'Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse [1898] A.C. 700; P. G. du Canada c. P. G. de la Colombie-Britannique [1930] A.C. 111 et P. G. du Canada c. P. G. de l'Ontario [1937] A.C. 326. Arrêts appliqués: Citizens Insurance Com-
pany of Canada c. William Parsons (1881-82) 7 App. Cas. 96; In re la Loi sur l'organisation du marché des produits naturels, 1934, et ►a Loi modificatrice de 1935 [1936] R.C.S. 398; P. G. du Canada c. P. G. de l'Alberta et P. G. de la Colombie-Britannique [1916] 1 A.C. 588; Le Roi c. Eastern Terminal Elevator Company [1925] R.C.S. 434; Toronto Electric Commissioners c. Snider [1925] A.C. 396; Renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant ►es diffé- rends du travail [1955] R.C.S. 529; Paquet c. La Corpo ration des pilotes pour le havre de Québec [1920] A.C. 1029; La Cité de Montréal c. Le commissaire du port de Montréal [1926] A.C. 299 et Underwater Gas Develop ers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673. Arrêts approuvés: Mark Fishing Co. Ltd. c. Le syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés [1972] 3 W.W.R. 641 et Calder c. P. G. de la Colombie- Britannique [1973] R.C.S. 313.
DEMANDE. AVOCATS:
W. G. Burke-Robertson, c.r., et G. S. Levey pour les requérantes.
Paul D. K. Fraser pour Pacific Trollers Association.
William K. Hanlin pour Fishing Vessel Owners of B.C.
S. R. Chamberlain pour le syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés.
Norman Mullins, c.r., pour le Conseil cana- dien des relations du travail et le procureur général du Canada.
Donald R. Munroe pour Native Brother hood of B.C.
Norman Prelypchan pour le procureur général de la Colombie-Britannique, le pro- cureur général de Terre-Neuve et le procu- reur général de la Nouvelle-Écosse.
PROCUREURS:
Levey, Samuels et Glasner, Vancouver, pour les requérantes.
Fraser, Hyndman, Vancouver, pour Pacific Trollers Association.
Owen, Bird, Vancouver, pour Fishing Vessel Owners Association of B.C.
Rankin, Robertson, Giusti, Chamberlain et Donald, Vancouver, pour le Conseil provin cial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés.
Le sous-procureur général du Canada pour le Conseil canadien des relations du travail et le procureur général du Canada.
Munroe, Fraser & Co., Vancouver, pour Native Brotherhood of B.C.
Services du contentieux, Procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria, pour le procureur général de la Colombie-Britan- nique, le procureur général de Terre-Neuve et le procureur général de la Nouvelle- Écosse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE ADDY: On demande par les présen- tes un bref de prohibition mettant fin aux procé- dures introduites devant le conseil intimé pour faire accréditer le syndicat intimé comme agent négociateur officiel des équipages des navires de pêche vendant du poisson à chacune des requérantes.
Les requérantes (ci-après appelées les «fabri- cants») sont toutes des compagnies dont l'entre- prise consiste à acheter différents types de pois- sons ou à s'en procurer grâce à des ententes spéciales avec les capitaines, les équipages et les propriétaires des navires de pêche. Les fabricants transforment et emballent le poisson, puis le vendent à l'intérieur ou à l'extérieur de la province de la Colombie-Britannique.
Pour chacun des fabricants, le syndicat intimé a demandé au conseil intimé son accréditation comme agent négociateur officiel des équipages des navires de pêche, dont les propriétaires, les capitaines et les équipages ont conclu des enten tes spéciales sur le partage du prix de vente de chaque prise avec chacun des fabricants ache- teurs, au retour du navire de pêche.
Par une ordonnance rendue le 9 septembre 1974, mon collègue le juge Walsh a autorisé les trois premiers intervenants mentionnés dans l'intitulé de la cause à prendre part aux procédu- res à ce titre. Cette ordonnance autorisait en outre les trois derniers intervenants, savoir, les procureurs généraux de la Colombie-Britanni- que, de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse, à intervenir s'ils le souhaitaient. Lors de l'au- dience que j'ai présidée, leur avocat a déclaré n'avoir pas pour le moment reçu l'instruction de prendre une part active à l'audience, mais sou- haitait cependant être présent en qualité d'ob-
servateur. Il a aussi affirmé qu'en raison de l'importance des questions constitutionnelles soulevées, ses clients lui avaient demandé de réserver leur droit d'intervenir à tout moment s'ils l'estimaient souhaitable, y compris dans tout appel ultérieur. Dans les circonstances, afin d'assurer le maintien de ce droit, j'ai ordonné qu'ils soient inclus dans l'intitulé de la cause en qualité d'intervenants. De toute façon, ils n'ont pas estimé nécessaire par la suite de prendre une part active aux présentes procédures et s'en sont simplement tenus à leur rôle d'observa- teurs.
L'un des intervenants, Native Brotherhood of British Columbia (ci-après appelé «l'association d'autochtones») représente environ un millier d'Indiens autochtones qui forment une large proportion des équipages des navires de pêche visés par la demande d'accréditation du syndicat intimé. Cette association comprend des Indiens vivant dans des réserves, d'autres vivant hors des réserves et enfin des Indiens émancipés. Rien dans la preuve ne permet de déterminer les proportions relatives de chacun de ces trois groupes dans l'association, ni le nombre de membres réellement engagés dans l'industrie de la pêche. Il semble que ces Indiens fassent tantôt partie de l'équipage d'un navire de pêche exploité par une entreprise familiale ou tantôt d'équipages mixtes d'autres navires de pêche. A l'audience, l'association s'opposa à la demande, adopta les arguments avancés au nom des inti ; més et fit aussi valoir d'autres arguments fondés sur le statut et les droits spéciaux de ses mem- bres en tant qu'Indiens autochtones.
Les deux autres intervenants, savoir Fishing Vessel Owners Association of British Columbia et Pacific Trollers Association, représentent des propriétaires de navires indépendants ou des membres d'équipage ayant un droit de propriété sur ces navires de pêche, qui, en règle générale, vendent chaque prise à différents fabricants de produits à base de poisson, sans aucune entente spéciale avec ces derniers quant au décompte ou au partage des profits et pertes de chaque prise. Ces deux associations ne sont pas directe- ment concernées par les demandes d'accrédita-
tion présentées par le syndicat intimé devant le conseil intimé, mais l'issue des procédures pour- rait les toucher, vu la probabilité d'une action future ou d'une nouvelle législation dans ce domaine. Elles soutiennent la demande de bref de prohibition et ont entièrement adopté la théo- rie et les arguments avancés par les fabricants.
Les faits sont relativement simples et incon- testés. La plupart sont exposés dans l'affidavit d'un certain K. M. Campbell, versé au dossier de la présente requête au nom des fabricants. En règle générale, ces derniers achètent du pois- son aux pêcheurs selon des ententes écrites ou orales qui prévoient le paiement aux pêcheurs d'un pourcentage sur le produit de la vente de chaque prise, livrée aux employés ou préposés des fabricants, et éventuellement achetée par l'un d'eux. Chaque fabricant s'occupe de la comptabilité des paiements, établissant aussi les montants dus pour chaque prise au propriétaire et équipage du navire de pêche.
Certains coûts d'exploitation, arrêtés par les parties, sont d'abord déduits du produit brut de la vente de la prise, appelé aussi «valeur brute». Un certain pourcentage du solde, connu sous le nom de «part du bateau» est porté au crédit du propriétaire du bateau. Ce bateau peut apparte- nir au capitaine ou à la fois au capitaine et aux membres de son équipage ou encore à d'autres personnes ne faisant pas partie de l'équipage, y compris, dans certains cas, les fabricants eux- mêmes. Bien qu'il n'en soit fait aucunement mention dans l'affidavit déposé à l'appui de cette requête, ce fait fut pleinement admis par toutes les parties et ressort des procédures engagées devant le conseil. De toutes façons, la «part du bateau» revient aux propriétaires, quels qu'ils soient.
Du reste du produit de la prise, connu dans le métier sous le nom de «crédit net», on déduit encore un certain nombre d'autres frais, dont le coût de la nourriture de l'équipage et d'autres dépenses engagées lors du voyage pour le per sonnel. Le solde est divisé entre les membres de l'équipage, y compris le capitaine, selon des proportions convenues à l'avance. Lorsque le propriétaire ou co-propriétaire fait partie de
l'équipage, en qualité de capitaine ou autre, il reçoit aussi sa part à titre de membre de l'équi- page, en sus de «la part du bateau».
Lorsque la prise est faible et que le voyage se solde par une perte (on parle alors d'un «voyage à vide»), la perte est portée au compte du pro- priétaire et de l'équipage selon les proportions qu'on aurait utilisées pour calculer le «crédit net». Le fabricant, à titre d'acheteur, s'occupe de la comptabilité de chaque prise et pour chaque membre de l'équipage.
Les contrats, oraux ou écrits, couvrant l'achat du poisson aux pêcheurs par les fabricants, déterminent les prix minimaux du poisson ainsi que la procédure et les modalités du partage de la «valeur brute». Les fabricants effectuent tous leurs achats en Colombie-Britannique.
Par rapport à la volumineuse transcription des procédures tenues devant le conseil intimé, qui l'a transmise, cela va de soi, à cette cour en raison de la présente demande, seulement deux faits nouveaux semblent avoir une influence sur la question soulevée par cette requête. Ils ont été invoqués par les avocats lors des débats et, pour plus de commodité, nous ne les mentionne- rons qu'au moment nous traiterons des ques tions particulières qu'ils touchent.
Les requérantes fondent leur demande de bref de prohibition sur deux motifs: elles sou- tiennent que certaines dispositions du Code canadien du travail' (Partie V), citées ci-après, sont ultra vires du Parlement du Canada et subsidiairement, si elles ne sont pas ultra vires qu'aux termes mêmes du Code canadien du travail, elles ne s'appliquent pas aux fabricants dans les circonstances de l'espèce.
La compétence de la Cour pour entendre la présente demande de bref de prohibition, prend sa source à l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale et le conseil intimé est bien évidemment inclus dans l'expression «un office, commission ou autre tribunal fédéral» contre lequel on peut demander un redressement en vertu de l'article 18b) de ladite loi.
' S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. C-18, s.l.
Bien que tout spécialement invités à le faire, ni les avocats des intimés et ni celui des interve- nants n'étaient disposés à soutenir que l'article 122(2) du Code canadien du travail constituait de quelque manière une exception au pouvoir général de la présente cour d'accorder le redres- sement demandé par les requérantes. Ils sem- blent tous convenir, du moins tacitement, que cette cour est compétente. Cependant, le con- sentement des parties ne peut pas conférer la compétence; en outre, puisqu'au cours d'une demande d'annulation, présentée en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale dans cette même affaire ([1973] C.F. 1194), la Cour d'appel a spécifiquement déclaré qu'elle réservait son opinion sur la question de savoir si l'article 122(2) pouvait constituer une telle exception, j'estime qu'en l'espèce il m'incombe non seulement de soulever la question, mais aussi de me prononcer à son sujet; ce que je ferai brièvement.
Monsieur le juge Thurlow en prononçant, le 7 décembre 1973, la décision de la Cour sur la demande d'annulation susmentionnée, présentée en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, déclara la page 11981:
Nous ne nous prononçons pas sur la question de savoir si l'article 122(2) peut permettre d'empêcher des procédures au cas le Conseil prétend exercer une compétence qui ne lui a pas été conférée.
La Cour d'appel, en s'appuyant sur sa déci- sion antérieure dans l'arrêt Le procureur général du Canada c. Cylien 2 , décida que le Conseil, en concluant ou décidant qu'il avait compétence pour entendre la demande d'accréditation, n'avait pas rendu le genre de décision ou con clusion pouvant faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 122(1), du moins jusqu'à ce qu'il ait rendu une décision sur la question de l'accréditation du syndicat, ce qui relève préci- sément de ses pouvoirs. La Cour d'appel sug- géra alors que le moyen le plus expéditif de lui soumettre la question serait que le conseil lui- même la lui renvoie directement, en conformité de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Le conseil, pour des raisons que j'ignore, n'es- tima pas nécessaire de, renvoyer cette question
z [1973] C.F. 1166.
et les fabricants m'ont soumis la présente demande par voie d'avis introductif de requête.
L'article 122(2) du Code canadien du travail se lit comme suit:
(2) Sous réserve du paragraphe (1), aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente Partie par le conseil.
A mon avis, il n'y a rien d'extraordinaire dans cette clause restrictive du Code canadien du travail.
Les plus hautes instances de common law ont rendu par le passé nombre de décisions portant que les tribunaux d'instance supérieure qui ont le pouvoir d'émettre des brefs de prohibition et qui doivent exercer une surveillance sur les tribunaux d'instance inférieure, ont non seule- ment la compétence, mais le devoir d'exercer ces pouvoirs nonobstant les clauses restrictives de cette nature si la demande est fondée sur l'absence complète de compétence du tribunal d'instance inférieure pour examiner l'affaire qui lui a été soumise. Ces décisions se fondent très logiquement sur le raisonnement suivant: lors- que le Parlement a établi un tribunal ayant com- pétence sur certaines questions, il est tout à fait illogique de penser que, par la simple insertion d'une clause restrictive dans la loi constitutive délimitant sa compétence, le législateur se pro- posait aussi d'autoriser le tribunal à traiter cer- taines questions qu'il n'avait pas jugé approprié de lui confier, ou à exercer sa compétence sur des personnes qui ne sont pas visées par ladite loi du Parlement ou à tenir une audience illégale et illicite.
A fortiori, le principe s'appliquerait aux cas le tribunal prétendrait traiter de questions que le Parlement lui-même n'avait pas le pou- voir de lui confier. C'est précisément la situa tion en l'espèce si nous en croyons les requéran- tes (les fabricants), qui prétendent que le pouvoir de légiférer en la matière, dans les circonstances de l'affaire présente, ressortit exclusivement aux provinces en vertu de l'arti- cle 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Le motif subsidiaire de la requête, savoir, le fait que la loi elle-même n'est pas
censée donner au conseil intimé de compétence sur les requérantes, dans les circonstances de l'espèce, conduirait nécessairement, s'il était accueilli, à la conclusion que le Conseil a tenté d'exercer sa compétence dans des circonstances non prévues par le législateur dans le Code canadien du travail, ce qui conférerait aussi à la Cour la compétence pour intervenir.
Enfin, je tiens à rappeler qu'il importe peu que le pouvoir ou le devoir de surveillance soit un pouvoir général (comme c'est le cas pour les cours supérieures des provinces) découlant de la coutume et de la common law anglaise, en vertu desquelles les tribunaux d'instance supérieure l'ont traditionnellement exercé, ou que ce pou- voir soit entièrement fondé sur une disposition expresse de la loi telle que l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, comme c'est le cas pour cette cour.
Je conclus donc à ma compétence pour exa miner les deux motifs soulevés dans la présente demande.
A l'ouverture des débats, l'avocat des requé- rantes et les avocats des deux intimés m'ont assuré qu'au cas ma décision puis à son tour, celle de la Cour d'appel fédérale, seraient con- traires à leur théorie dans cette affaire, ils avaient reçu de leurs clients respectifs l'instruc- tion catégorique de poursuivre cette affaire devant la Cour suprême du Canada. La révéla- tion de ces intentions futures des parties n'est pas pour mettre à l'aise un juge de première instance; celui-ci est alors enclin à penser que, quelles que soient les recherches et les réflexions ou quels que soient les trésors de sagesse juridique qu'il pourrait, par accident ou par dessein, offrir sur la question en litige, il n'est pas appelé à trancher vraiment le litige et ne sera que le premier maillon de la chaîne procédurale qui amènera finalement la question devant le tribunal de dernière instance de ce pays, pour y être tranchée définitivement. Son rôle est encore plus limité et plus banal lors- qu'aucun fait n'est contesté et que toute la preuve est soumise sous forme d'affidavit (comme c'est le cas en l'espèce) et que le juge ne peut même pas remplir son rôle normal en concluant sur les faits ou en déterminant la question de la crédibilité. Vu l'importance du
litige, je résisterai cependant à la tentation de rendre une décision à pile ou face comme j'ai menacé de le faire lorsque les avocats m'ont solennellement déclaré leur intention de pour- suivre l'affaire devant les instances supérieures, quelle que soit l'issue du procès.
L'article 107(1), article d'interprétation de la Partie V du Code canadien du travail, définit «entrepreneur dépendant» en partie comme suit:
107. (1) Dans la présente Partie, «entrepreneur dépendant» désigne
b) un pêcheur qui n'est pas employé par un employeur mais qui est partie à un contrat verbal ou écrit aux termes duquel il a droit à un pourcentage ou à une fraction du revenu d'une entreprise commune de pêche à laquelle il participe;
Le mot «employé» est défini comme compre- nant un entrepreneur dépendant. En d'autres termes, les pêcheurs sont, aux fins de cette loi, les employés des fabricants.
On ne peut logiquement traiter du premier motif avancé par les requérantes (les fabricants) selon lequel les dispositions du Code canadien du travail sont ultra vires sans présumer d'abord, aux fins de la question soulevée, que la Loi est effectivement applicable à la situation en cause.
En d'autres termes, il faut supposer que l'énoncé de l'article 108 de la Loi couvre le cas présent. L'article 108, le seul conférant au con- seil intimé des pouvoirs assez étendus pour englober les requérantes, se lit comme suit:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndi- cats groupant ces employés.
En se fondant sur l'hypothèse préliminaire que cet article rend la Loi applicable en l'es- pèce, il est évident que le conseil n'a pu obtenir sa compétence du Parlement en vertu des pou- voirs généraux résiduels prévus à l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique puis- qu'en règle générale, la question des relations de
travail est considérée ressortir au domaine de la propriété et des droits civils, relevant de la compétence exclusive des législatures provin- ciales, en vertu du paragraphe 13 de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, savoir: «La propriété et les droits civils dans la province», dont les mots clés sont bien sûr «dans la province».
Il n'est pas douteux, vu la preuve, que tous les contrats ont été conclus dans la province de la Colombie-Britannique, que tous les fabricants y sont installés et que tous les achats de poisson ainsi que d'ailleurs la comptabilité s'y rappor- tant sont effectués à l'intérieur de la province. Bien qu'il semble n'y avoir aucune preuve directe à cet égard, il serait aussi raisonnable de conclure, vu l'ensemble de la preuve que, selon toute probabilité, tous les membres d'équipage des navires de pêche, dont le syndicat intimé cherche à être le représentant, sont résidents de la province de la Colombie-Britannique; de toute façon, on pourrait certainement conclure que la grande majorité de ces personnes y rési- dent. Cette conclusion est corroborée, dans une certaine mesure au moins, par le fait que le syndicat intimé porte le nom de «Conseil pro vincial de la Colombie-Britannique du syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés» (c'est moi qui souligne).
Il ne faut pas donner une interprétation étroite aux termes «propriété et droits civils» qui, dans leur sens ordinaire et courant, s'appli- quent aux contrats et aux droits en résultant, bien que ceux-ci ne soient spécifiquement inclus dans aucune des catégories de sujets énumérés à l'article 92. Voir l'arrêt The Citizens Insurance Company of Canada c. William Parsons; The Queen Insurance Company c. William Parsons'.
Compte tenu de la conclusion de l'article 91, que voici:
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par le présent acte aux législa- tures des provinces.
3 (1881-82) 7 App. Cas. 96, à la page 107.
il faut examiner si d'autres caractéristiques excluraient la matière de la compétence de la province et en feraient un sujet relevant consti- tutionnellement de la compétence du Parlement du Canada. C'est à l'article 91 que l'on doit trouver ce pouvoir, parmi les matières spécifi- quement énumérées dans cet article et non sim- plement dans les pouvoirs résiduels généraux conférés par le paragraphe d'introduction.
Parmi les rubriques vraisemblablement perti- nentes et applicables de l'article 91, il faut con- sidérer le paragraphe 2, savoir, «La réglementa- tion du trafic et du commerce». Ces mots ne doivent pas être pris dans un sens trop étendu. Sir Montague E. Smith, en rendant la décision du Conseil privé dans l'affaire The Citizens In surance Company of Canada c. Parsons (préci- tée), déclarait à la page 112:
[TRADUCTION] Les termes «réglementation du trafic et du commerce,» pris dans leur sens le plus étendu, ont une ampleur suffisante en dehors du contexte et des autres parties de l'Acte pour englober chaque domaine de régle- mentation des échanges, depuis les ententes politiques sur les échanges, conclues avec les gouvernements étrangers et exigeant la sanction du Parlement, jusqu'aux règlements minutieux s'appliquant aux échanges particuliers. On cons- tate toutefois, en examinant l'Acte, que ces termes n'ont pas été employés dans le sens le plus étendu. Tout d'abord, le rapprochement du paragraphe 2 avec les catégories de sujets d'un intérêt national et général indique que le législateur, en attribuant ce pouvoir au Parlement du Dominion, visait la réglementation des échanges et du commerce en général. S'il avait voulu que ces termes eussent toute la portée dont leur signification littérale est susceptible, il n'eût pas été néces- saire de mentionner plusieurs des autres catégories de sujets énumérés dans l'article 91 comme, par exemple: 15, les banques; 17, les poids et mesures; 18, les lettres de change et les billets promissoires; 19, l'intérêt de l'argent; et même 21, la banqueroute et l'insolvabilité.
puis à la page 113:
[TRADUCTION] Par conséquent, si l'on interprète les mots «réglementation du trafic et du commerce» en s'aidant des divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu'ils devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d'intérêt interprovincial. Il se pourrait qu'ils comprennent la réglementation générale des échanges s'appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s'abstiennent dans la présente circonstance de tenter d'éta- blir les limites de l'autorité du Parlement du Dominion dans ce domaine. Pour juger la présente affaire, il suffit, d'après Elles, de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de légiférer pour réglementer les contrats d'un
échange ou d'un commerce en particulier, tel que les affaires d'assurance-incendie dans une seule province, et que, par conséquent, l'autorité législative du Parlement fédéral n'en- tre pas ici en conflit avec le pouvoir sur la propriété et les droits civils attribué par le paragraphe 13 de l'article 92 à la législature de l'Ontario. [C'est moi qui souligne.]
La Cour d'appel fédérale a récemment examiné le droit en ce domaine dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd. 4
Même si une grande partie des travaux peu- vent être effectués en dehors de la province, les droits résultant d'un contrat de travail conclu avec des pêcheurs sont exécutoires dans la pro vince, car le contrat est essentiellement un moyen de protéger ces droits à l'intérieur de la province. La situation est très similaire aux droits résultant de la législation des accidents du travail examinés dans l'affaire La Commission des accidents de travail c. Le Canadien Pacifiques.
Les principes de droit appliqués dans l'affaire Citizens c. Parsons (précitée) ont été approuvés et suivis par la Cour suprême du Canada dans une décision beaucoup plus récente à l'occasion du renvoi en 1936, sur la question de la consti- tutionnalité de la Loi sur l'organisation du marché des produits naturels, 1934 et la Loi modificatrice de 1935 6 . Le juge en chef Duff prononça le jugement de la Cour, après avoir cité des extraits de cet arrêt, y compris les passages que j'ai déjà cités, ainsi que la décision rendue dans l'affaire Le Procureur général du Dominion du Canada c. Le Procureur général de la province de l'Alberta et autres et le Procureur général de la Colombie-Britannique', et il déclara à la page 410 dudit rapport:
[TRADUCTION] Il ressort de ces décisions que la réglemen- tation du trafic et du commerce ne comprend pas, au sens de cette expression à l'article 91, la réglementation d'activités ou de métiers particuliers ou de types particuliers d'entrepri- ses, comme les assurances dans une province, ou la régle- mentation du commerce de certains produits ou de certaines catégories de produits dans la mesure il s'agit d'activités locales, c'est-à-dire provinciales; mais par contre, elle com- prend la réglementation du commerce extérieur et la régle- mentation du commerce interprovincial ainsi que toute la
4 [1972] F.C. 1156 (voir le jugement du juge en chef Jackett, aux pages 1171 et 1172 du recueil).
5 [1920] A.C. 184.
6 Ce renvoi est publié dans [1936] R.C.S. 398. [1916] 1 A.C. 588.
législation accessoire nécessaire à l'exercice d'un tel pou- voir. [C'est moi qui souligne.]
Les restrictions qu'il convient d'apporter au sens des termes «réglementation du trafic et du commerce» sont illustrées aussi dans l'affaire Le Procureur général du Dominion du Canada c. Le Procureur général de l'Alberta (précitée) il fut décidé que ces termes ne confèrent pas au Parlement du Canada le droit de réglementer, par le truchement d'un système de permis, un commerce particulier dans lequel des Canadiens seraient autrement libres de s'engager dans une province et qu'une telle restriction constitue un empiétement sur une matière réservée aux légis- latures provinciales, savoir, la propriété et les droits civils.
Dans l'affaire Le Roi c. Eastern Terminal Elevator Company 8 furent examinées par la Cour suprême les dispositions de la Loi des grains du Canada de 1912, réglementant le commerce du grain, ces dispositions furent jugées ultra vires du Parlement du Canada. Le juge Duff (tel était alors son titre) déclarait aux pages 447 et 448:
[TRADUCTION] La thèse avancée au nom de la Couronne cache deux arguments fallacieux. D'abord sous prétexte qu'une grande partie du commerce du grain est un com merce d'exportation, elle prétend pouvoir le réglementer localement pour être en mesure d'appliquer sa politique de réglementation du commerce d'exportation. Il est bien évi- dent qu'il ne s'agit pas d'un principe dont l'application est une question de pourcentage. Si ce principe est applicable lorsque le commerce d'exportation représente soixante-dix pour cent de l'ensemble, il doit également l'être lorsque ce pourcentage est de trente pour cent seulement; en outre ce principe revient en réalité à postuler que le Dominion a le pouvoir de réglementer presque tout le commerce de ce pays, pourvu qu'il le fasse en établissant un système com- prenant à la fois le commerce local, le commerce extérieur et le commerce interprovincial; la réglementation du com merce, selon la conception qui gouverne cette législation, inclut la réglementation, dans les provinces, des activités de ceux qui se sont engagés dans le commerce et des établisse- ments locaux de ces entreprises. C'est précisément ce qu'a- vait essayé d'établir, sans succès, la Loi des assurances de 1910. Le second argument fallacieux (il s'agit peut-être d'une formulation différente de la même erreur) consiste à dire que le Dominion a ce pouvoir parce qu'aucune pro vince, pas plus que toutes les provinces agissant de concert, ne pourrait établir un système aussi étendu. On prétend que cette compétence résulte de la clause résiduelle parce que les compétences des provinces sont nécessairement limitées. C'est précisément le point de vue défendu dans le renvoi
[1925] R.C.S. 434.
relatif à la Commission de commerce [1922] 1 A.C. 191 et même celui qui n'a pas été retenu dans l'arrêt La Compagnie de tramways de Montréal [1912] A.C. 333 ... .
et le juge Mignault déclarait à la page 457 du même rapport:
[TRADUCTION] Il suffit de répondre que le sujet visé par la Loi n'est pas l'agriculture, mais un produit de l'agriculture considéré comme un article de commerce. La réglementa- tion du commerce particulier, objet essentiel de cette loi, ne peut être effectuée par le Dominion au motif qu'il s'agit d'un commerce de produits naturels.
En l'espèce, la législation porte sur les rela tions de travail et le produit en cause est le poisson. Ce produit est vendu et commercialisé à l'intérieur de la province; la législation tendrait donc à contrôler les relations entre les parties concernant la vente de poisson dans la province. Le Parlement ne peut légiférer en matière de relations de travail entre les pêcheurs et les fabricants dans une province sous le seul pré- texte d'exercer les pouvoirs qu'il détient à l'égard de la réglementation du trafic et du com merce. En outre, le simple fait que la législation pourrait éventuellement être à l'avantage du Canada dans son ensemble n'a pas pour effet de retirer la compétence des législatures provincia- les dans ce domaine qui leur a été attribuée par l'article 92 savoir, la propriété et les droits civils. Il ne s'agit évidemment pas en l'espèce d'une situation de crise nationale qui permettrait au gouvernement fédéral de légiférer pour assu- rer la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Ces principes furent examinés tout particulièrement par le Conseil privé dans l'affaire Toronto Elec tric Commissioners c. Snider et autres; Snider et autres c. Le Procureur général du Canada et le Procureur général de l'Ontario 9 . La loi fédérale en cause avait pour objet de permettre le règle- ment de différends industriels entre tout employeur au Canada et un ou plusieurs de ses employés. Cette loi fut jugée ultra vires bien qu'elle ait probablement été adoptée dans l'inté- rêt de l'ensemble du Canada; il fut jugé en outre que, dans ce cas, le gouvernement fédéral ne pouvait invoquer la clause relative à la paix, l'ordre et le bon gouvernement.
9 [1925] A.C. 396.
On peut peut-être considérer un autre para- graphe de l'article 91, le paragraphe 91(10): «La navigation et les bâtiments ou navires (ship- ping)» comme attributif de compétence au Par- lement par dérogation à l'article 92(13).
Le renvoi en 1955 à la Cour suprême du Canada de la question de la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail 10 est d'une grande utilité à cet égard. (Voir Renvoi concer- nant la validité de la Loi sur les relations indus- trielles et sur les enquêtes visant les différends du travail et son application à certains employés de Eastern Canada Stevedoring Co. Ltd.") Dans ce renvoi, il fut décidé que la législation fédérale sur les relations du travail des débardeurs était intra vires du Parlement du Canada, car leurs travaux étaient étroitement liés aux navires et à la navigation et formaient une part essentielle de cette activité. Cette affaire est en outre très intéressante en ce qu'elle approuve le principe énoncé dans les arrêts Paquet et un autre c. La Corporation des pilotes pour le havre de Québec 12 et la Cité de Montréal c. Le Commis- saire du port de Montréal; Tetreault c. Le Com- missaire du port de Montréal; Le Procureur général du Québec c. Le Procureur général du Canada; 13 selon ce principe, la catégorie de sujets relevant de la rubrique «navigation et bâtiments ou navires», doit être interprétée dans son sens large. Ce jugement apporte une préci- sion intéressante en indiquant que, même si la législation était jugée intra vires du Parlement du Canada, elle ne s'appliquerait pas nécessaire- ment à tous les débardeurs, que ceux qui travail- lent pour des services ou entreprises strictement provinciales organisées sur le plan local n'y seraient pas soumis et que la question de son application, dans chaque cas particulier, dépen- drait des circonstances de l'espèce.
Dans l'affaire Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board'^, la Cour d'appel de l'Ontario examine la question de savoir si les relations de travail dans les
S.R.C. 1952, c. 152.
11 [1955] S.C.R. 529.
12 [1920] A.C. 1029.
l' [1926] A.C. 299.
14 (1960) 24 D.L.R. (29 673.
entreprises de forage sous-marin relevaient de la compétence fédérale ou de la compétence pro- vinciale. Il fut décidé que, même si les navires relevaient de la Loi sur la marine marchande du Canada et même si les travaux eux-mêmes étaient soumis à l'approbation du gouvernement fédéral en vertu de la Loi de la protection des eaux navigables, les employés quant à eux rele- vaient de la Ontario Labour Relations Act et n'étaient pas soumis à la législation du travail fédérale, car les travaux pour lesquels la naviga tion et la marine marchande n'étaient que des aspects secondaires, étaient de nature purement locale. J'estime, comme l'affirme le jugement précité, que même si le pouvoir de contrôler la catégorie de sujets relevant de la navigation et de la marine marchande doit être interprété au sens large, décider que le Parlement aurai com- pétence sur les questions de relations de travail entre les pêcheurs et les fabricants pour la seule raison qu'il a compétence sur la navigation et la marine marchande reviendrait à déformer le sens de ce paragraphe et celui des dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique relatives à la répartition des pouvoirs entre le Canada et les provinces. Je conclus donc que ce paragraphe, au même titre que celui qui confère le pouvoir de contrôler le trafic et le commerce ne peut justifier une telle législation.
On peut encore invoquer le paragraphe 12 de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique concernant «Les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur» comme attribu- tif de compétence au gouvernement fédéral. Les restrictions applicables aux droits du Parlement en ce qui concerne les pêcheries, furent énon- cées en 1882 dans l'arrêt faisant autorité en ce qui concerne les pêcheries, La Reine c. Robertson 15 , la Cour suprême du Canada confirma unanimement une décision antérieure de l'ancienne Cour de l'échiquier. Le juge en chef Ritchie, aux pages 120 et 121 du rapport, déclarait:
[TRADUCTION] Compte tenu de la situation à l'époque de la Confédération, je suis d'avis que la législation relative aux «Pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur», prévue à l'Acte de l'Amérique du Nord bri- tannique, ne se reportait pas à «la propriété et aux droits
1S (1882) 6 R.C.S. 52.
civils»; en d'autres termes, elle ne touchait pas à la propriété du lit des rivières ou des pêcheries, ni aux droits des particuliers s'y rapportant, mais aux questions intéressant les pêcheries en général, se rapportant à leur réglementation, leur protection et leur conservation, à des questions d'intérêt général et national et importantes pour le public, comme par exemple l'interdiction de pêcher certains poissons à la mau- vaise saison, de le faire d'une manière inappropriée ou encore avec des instruments destructeurs; soit des lois se rapportant à l'amélioration et à l'expansion des pêcheries, en d'autres termes, toutes ces lois générales adoptées autant au bénéfice des propriétaires des pêcheries que du public en général, ayant un intérêt dans les pêcheries en tant que source de richesse nationale ou provinciale; en d'autres termes, les lois se rapportant aux pêcheries, comme celles que les législatures locales avaient l'habitude, avant la con- fédération ou à cette époque, d'adopter pour leur réglemen- tation, conservation et protection, mais n'ayant aucun rap port avec la propriété du poisson ou le droit de pêcher le poisson et le droit du pêcheur de se l'approprier, la propriété sur la prise ou le droit de prendre le poisson qui est la propriété de la province ainsi que celle de l'individu, comme d'ailleurs la terre sèche ou la terre recouverte par l'eau. [C'est moi qui souligne.]
Il déclarait en outre à la page 123:
[TRADUCTION] Toute personne doit respecter les lois géné- rales adoptées par le Dominion du Canada pour réglementer «Les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur», mais ces lois ne doivent pas être en conflit avec le pouvoir législatif des législatures locales sur la propriété et les droits civils, ni empiéter sur ce domaine de compétence, au-delà de ce qui peut être nécessaire pour légiférer de manière géné- rale et efficace pour la réglementation, la protection et la conservation des pêcheries, dans l'intérêt du public en général.
Cet arrêt délimite à mon avis de façon assez rigoureuse la compétence du Parlement du Canada dans ce domaine. Il la limite en effet à la réglementation, à la protection et à la conser vation des pêcheries et en exclut les droits des particuliers dans les pêcheries elles-mêmes. Il semble donc en découler, a fortiori, que, lorsque le caractère réel du sujet est le droit des indivi- dus de conclure des contrats portant sur les produits de la prise, ce sujet doit être exclu parce que n'étant pas nécessairement accessoire aux pouvoirs de police et de surveillance géné- rale sur les pêcheries, conférés au gouverne- ment fédéral par l'article 91(12). En effet, ce droit est une réalité complètement distincte. Le principe énoncé dans l'arrêt Robertson (précité) limitant le pouvoir fédéral à la surveillance et à la réglementation des pêcheries fut suivi par la suite par la Cour suprême du Canada dans un
renvoi intitulé In re la compétence sur les pêche- ries provinciales 16 . Le juge en chef, sir Henry Strong, déclara à la page 519 du rapport:
[TRADUCTION] ... et le pouvoir législatif du Parlement con- féré par l'article 91, paragraphe 12, se limite à la conserva tion des pêcheries par ce que l'on appelle commodément les règlements de police. Comme cette question a été tranchée par l'arrêt La Reine c. Robertson, 6 Can. R.C.S. 52, que je dois suivre, j'estime que ce jugement a établi le droit appli cable. [C'est moi qui souligne.]
L'arrêt Le procureur général du Dominion du Canada c. Les procureurs généraux des provin ces de l'Ontario, du Québec et de la Nouvelle- Écosse" montre très clairement que, bien que l'article 91(12) confère des pouvoirs législatifs étendus à l'égard du contrôle du poisson, cette compétence pouvant bouleverser dans une large mesure l'exercice des droits de propriété relatifs aux pêcheries ou à leurs produits, cet article ne confère aucunement un droit de propriété au gouvernement fédéral à l'égard des pêcheries. (Voir les pages 712 et 713 du rapport susmentionné.)
Les autorités fédérales n'ont aucunement le pouvoir d'exiger une licence pour l'exploitation d'une conserverie. Cette question fut aussi exa minée par le Conseil privé qui confirma la déci- sion unanime de la Cour suprême du Canada lors d'un renvoi par le gouverneur général. L'af- faire soumise au Conseil privé s'intitulait: Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britannique 18 . A la page 121, Leurs Seigneuries, dans leur rapport à Sa Majesté, déclaraient:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries sont d'avis que la préten- tion de l'appelant à cet égard est mal fondée. Le fait que dans la législation antérieure sur les pêcheries, qui ne sou- lève aucun problème de compétence législative, les ques tions ne soient pas traitées strictement selon la définition ordinaire de «pêcheries», ne justifie pas une interprétation dénaturée de l'expression «pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur». De l'avis de Leurs Seigneuries, les procédés industriels par lesquels le poisson est transformé en mar- chandise propre à la commercialisation ne peuvent, en vertu d'aucun principe d'interprétation raisonnable, être inclus dans le champ d'application du sujet décrit par l'expression «les pêcheries des côtes de la mer et de l'extérieur». [C'est moi qui souligne.]
16 (1896-97) 26 R.C.S. 444.
17 [1898] A.C. 700.
18 [1930] A.C. 111.
Il semble ressortir de cette analyse de la juris prudence, que le poisson est en fait un des biens qui relèvent de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils et que tout contrat ou entente conclu entre particuliers relativement à la répartition des produits de la vente de ce bien n'est en aucune manière un élément essen- tiel aux pouvoirs de police ou de contrôle des pêcheries; il ne leur est pas non plus fondamen- talement lié ou encore nécessairement acces- soire. Le poisson, comme le grain dans l'affaire Le Roi c. Eastern Terminal Elevator Company (précitée), sont des produits du sol ils sont récoltés et le fait que les autorités fédérales puissent contrôler les lieux de pêche ne leur donne pas nécessairement un pouvoir de con- trôle, après la récolte, sur le produit lui-même, devenu alors un article de commerce, ou sur la commercialisation du produit à l'intérieur d'une province.
Le fait que certaines opérations et même, dans certains cas, la plus grande partie des activités de pêche se produisent en dehors des eaux territoriales provinciales ne change rien à la situation. Cette question fut spécifiquement traitée par la Cour d'appel de la Colombie-Bri- tannique dans l'affaire Mark Fishing Co. Ltd. c. Le syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés 19 . Dans cette affaire, le juge en chef Davey, à propos de la question du pouvoir légis- latif dans ce domaine, déclarait à la page 647:
[TRADUCTION] Je ne vois aucune différence entre les droits de propriété sur les pêcheries et la réglementation des relations de travail dans l'industrie, puisque le pouvoir légis- latif sur ces questions appartient aux provinces, en vertu de l'article 92(13), à moins que le droit de réglementer les relations de travail dans l'industrie ne soit un élément essen- tiel ou vital de la protection et de la conservation des pêcheries, point que je discuterai plus tard.
Il déclarait ensuite la page 649):
[TRADUCTION] Puisque je suis convaincu que le paragra- phe (12) ne recouvre pas expressément la question de la compétence législative en matière de relations de travail entre les propriétaires des navires de pêche et leurs équipa- ges, il devient nécessaire de déterminer si le pouvoir de réglementer et de contrôler les pêcheries afin de les protéger et de les conserver comprend nécessairement le pouvoir de réglementer les termes et les conditions d'emploi des équipa- ges des navires de pêche.
19 [1972] 3 W.W.R. 641.
Il conclut alors que la preuve n'avait pas établi que le pouvoir de réglementer et de contrôler les pêcheries devait inclure le pouvoir de réglemen- ter les termes et conditions d'emploi.
En ce qui concerne cette dernière question, la preuve en l'espèce indique qu'une interruption prolongée des travaux dans l'industrie de la pêche pourrait avoir un effet déplorable sur la reproduction du poisson en raison de la sura- bondance de poissons dans les frayères. En toute logique on en vient donc à conclure qu'une interruption des travaux dans les conser- veries elles-mêmes, ou peut-être du système du transport à partir de ces usines ou de la fourni- ture de contenants etc. à l'industrie, entraînerait l'arrêt des achats de poissons ce qui causerait certainement aussi une interruption de la pêche. Personne ne peut sérieusement soutenir qu'une telle éventualité donnerait au Parlement le pou- voir de légiférer en matière de relations de tra vail dans tous ces domaines. De toute façon, l'affaire Mark Fishing Co. Ltd. c. Le syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés (précitée), traitait spécifiquement de cette question et bien qu'elle ne me lie pas, je la considère bien fondée. On pourrait aussi dire en l'espèce que l'on ne peut présumer que les arrêts de travail seront plus probables ou plus longs parce que les relations de travail sont régies au niveau provincial et non au niveau fédéral. On ne peut donc raisonnablement conclure que le contrôle provincial des relations de travail en l'espèce serait de nature à faire obstacle aux droits du gouvernement fédéral de contrôler et surveiller les lieux de pêche. Pour tous les motifs susmen- tionnés, je ne peux accepter l'argument selon lequel le paragraphe 12 de l'article 91 fait obsta cle, dans les circonstances de l'espèce, à la compétence conférée à la province dans ce domaine par l'article 92(13).
Lors de l'audience, les avocats ont soutenu qu'en raison des pouvoirs conférés au gouverne- ment fédéral pour conclure des traités relatifs aux pêcheries et à la protection réciproque de ces dernières, accompagnés de l'obligation d'ap- pliquer ces traités, le Parlement canadien pos- sède de ce fait une compétence sur les relations de travail des pêcheurs.
La question de la répartition des pouvoirs de conclure des traités fut examinée en détail et tranchée par le Conseil privé dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Le procureur général de l'Ontario 20 . Dans cette affaire Leurs Seigneuries, après avoir éclairci certains points douteux résultant d'un énoncé assez ambigu dans l'affaire dite de l'Aéronautique [1932] A.C. 54 et certains obiter dicta utilisés dans l'affaire dite de la Radiocommunication [1932] A.C. 304, continuaient de la manière suivante (page 351):
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries sont convaincues que ni l'un ni l'autre de ces arrêts ne justifient l'opinion que la compétence législative en ce qui concerne l'exécution d'un traité canadien ressortit exclusivement au Dominion.
Aux fins des articles 91 et 92, c'est-à-dire de la répartition des pouvoirs législatifs entre le Dominion et les provinces, la législation en matière de traités n'existe pas comme telle. La répartition est fondée sur des catégories de sujets: la catégo- rie particulière de sujets faisant l'objet d'un traité détermi- nera l'autorité législative chargée de l'appliquer. Personne ne saurait douter que cette répartition soit une des conditions les plus essentielles, peut-être la plus essentielle entre toutes, du pacte interprovincial consacré par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Puis à la page 352:
[TRADUCTION] De ce qui précède, il faut conclure que son nouveau statut international, et les attributions exécutives plus étendues qui en découlent, ne confèrent pas au Domi nion une plus vaste compétence législative. Il est vrai, comme l'a noté le juge en chef dans ses motifs, que l'Exécu- tif est maintenant revêtu du pouvoir de conclure des traités; d'autre part, le Parlement du Canada, envers lequel il est responsable, le rend comptable de ces traités. Si le Parle- ment n'en veut pas, ils ne pourraient être faits ou alors les ministres subiraient le sort prévu par la Constitution. Mais cela est vrai de toutes les attributions de l'Exécutif par rapport au Parlement. Rien dans la Constitution actuelle ne permet d'étendre la compétence du Parlement du Dominion jusqu'au point elle irait de pair avec l'extension des attributions de l'Exécutif du Dominion. Si les nouvelles attributions portent sur les catégories de sujets énumérés à l'article 92, la législation les appuyant relève uniquement des législatures provinciales. Dans le cas contraire, la compé- tence de la législature du Dominion est définie à l'article 91 et elle existait au départ. En d'autres termes, le Dominion ne peut par de simples promesses à des pays étrangers se revêtir d'une autorité législative incompatible avec la Consti tution à laquelle il doit son existence. [C'est moi qui souligne.]
Compte tenu de ce qui précède, il semble qu'il soit établi en droit que même si le gouvernement fédéral a le pouvoir de conclure des traités en
20 [1937] A.C. 326.
raison de sa compétence en matière de contrôle des pêcheries des côtes de la mer et de l'inté- rieur, le Parlement canadien n'a pas de ce fait une compétence supérieure à celle que lui con- fère le paragraphe de l'article 91 qui constitue la source même de son pouvoir de conclure des traités dans ce domaine, savoir, en l'espèce, le paragraphe 12 concernant «Les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur».
L'avocat des intervenants, la Native Brother hood, a aussi présenté un exposé très complet sur le droit exclusif du gouvernement fédéral de légiférer sur les questions concernant les Indiens autochtones et leurs terres, en soutenant qu'il avait de ce fait compétence en l'espèce. La compétence du gouvernement fédéral relative- ment aux Indiens autochtones est conférée par le paragraphe 24 de l'article 91 qui se lit comme suit: «Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens».
En même temps, il a soutenu que la Procla mation royale de 1763 qui, affirme-t-on, est encore en vigueur en Colombie-Britannique, ou, subsidiairement, les droits aborigènes aux acti- vités de pêche, dont jouissent les Indiens autochtones depuis des temps immémoriaux et que les législatures provinciales ne peuvent sup- primer ou réglementer directement ou indirecte- ment, donnent aux autorités fédérales le droit exclusif de légiférer sur les questions de rela tions de travail entre les pêcheurs et les fabri- cants, puisque les relations de travail dans ce domaine particulier sont intimement liées aux droits des Indiens et que la pêche est l'une de leurs occupations principales en Colombie-Bri- tannique.
En ce qui concerne les droits aborigènes des Indiens de la Colombie-Britannique, ou les droits existants en vertu de la Proclamation royale de 1763, il semble que, vu la décision de la Cour suprême, rendue à la majorité, dans l'affaire Calder c. Le procureur général de la Colombie-Britannique 21 , les tribunaux de la Colombie-Britannique (mais pas cette cour) sont maintenant liés par la décision unanime de la Cour d'appel de cette province dans l'affaire
21 [1973] R.C.S. 313.
Calder (1971) 13 D.L.R. (3e) 64. Cette cour confirma la décision du juge de première ins tance qui avait rejeté l'action en vue d'obtenir une déclaration portant que le titre aborigène ou indien sur les anciens territoires des tribus n'avait jamais été légalement abrogé.
Il serait utile dans les circonstances que la question soit examinée de nouveau par la Cour suprême du Canada, en particulier compte tenu du fait qu'il est à peu près certain que l'affaire présente sera finalement portée devant cette cour; pour ma part cependant, cette question est sans pertinence en l'espèce. Le simple fait que le contrôle des relations de travail entre les pêcheurs et les fabricants pourrait porter atteinte au droit de nombreux Indiens, parce qu'un grand nombre d'entre eux font partie des équipages de navires de pêche, ne peut servir de fondement à la compétence fédérale. Même si l'on décidait en fin de compte que les Indiens détiennent effectivement certains droits territo- riaux en vertu de leurs droits aborigènes ou de la Proclamation royale de 1763, je ne vois pas comment on pourrait en déduire qu'ils possè- dent un droit exclusif sur la pêche, en particulier la pêche en mer et dans les régions côtières. En dépit du fait que les Indiens autochtones pour- raient effectivement détenir des droits anciens sur la pêche et la chasse ou certains droits territoriaux, ils ne possèdent certainement pas un droit exclusif en Colombie-Britannique sur les pêcheries de l'intérieur, les pêcheries côtiè- res ou de haute-mer.
La législation en cause n'a pas pour objet de modifier les droits des Indiens autochtones en tant que tels; elle ne les vise ni expressément ni implicitement. Vu son contenu et sa forme, il s'agit d'une législation générale en vue de régle- menter et de contrôler les relations entre les fabricants et tous les pêcheurs qui relèvent de la définition d'employé donnée à l'article 107(1)b) précité. Puisqu'il s'agit réellement d'une législa- tion de droit du travail visant tous les citoyens remplissant certaines conditions, le simple fait que celle-ci touche un certain nombre d'Indiens autochtones, en tant que membres des équipa- ges de navires de pêche, ayant choisi de con- clure des contrats avec les fabricants, ne peut donner au Parlement la compétence de légiférer
dans ce domaine, pas plus que le fait qu'ils constituent la majeure partie des personnes engagées dans toute autre activité particulière, métier, état ou profession, n'investirait le Parle- ment d'une compétence sur la législation du travail dans un tel domaine. En outre, le fait que le métier ou état particulier en cause s'avère être la pêche, qui est bien évidemment un métier ou un état auquel tous les citoyens canadiens peuvent participer sans distinction de race, ne peut en aucune manière modifier cet aspect de la situation. Le fait que les Indiens autochtones jouissent d'anciens privilèges ou droits dont ne peuvent bénéficier les autres, ne peut changer ni mettre en échec le droit d'une province de légi- férer d'une manière générale sur la propriété et les droits civils dans l'intérêt des résidents de cette province. Si les Indiens autochtones pos- sédaient effectivement d'anciens droits aborigè- nes ou des droits découlant de traités et si une disposition donnée d'une telle législation y por- tait atteinte, cette disposition ne lierait pas les- dits Indiens ni ne s'appliquerait à eux, ce qui ne veut cependant pas dire que la province perdrait sa compétence initiale de légiférer ni que cette compétence dans ce domaine reviendrait au Par- lement en raison de ces droits.
Il est donc inutile de se prononcer sur la question de savoir s'il existe des droits aborigè- nes ou des droits découlant de traités pour tran- cher ce litige et, pour les motifs susmentionnés, le fait que les équipages des navires de pêche comprennent des Indiens autochtones ne peut modifier l'attribution de compétence en l'espèce.
Le second motif invoqué par les fabricants pour contester la compétence consiste dans le fait que la Loi, selon ses propres termes, ne s'applique pas à la situation présente. Comme je l'ai déjà déclaré, l'article pertinent en l'espèce est l'article 108 du Code canadien du travail (précité). L'expression - «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» est intégrale- ment définie à l'article 2 du Code canadien du travail et signifie:
... tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant du pouvoir législatif du Parlement du Canada .. .
En d'autres termes, le mot «fédéral» ne se limite pas à un ouvrage ou à une entreprise dans
lesquels le gouvernement fédéral est effective- ment engagé en tant que tel, mais comprend aussi un ouvrage, une entreprise ou une affaire relevant de la compétence législative du gouver- nement fédéral. L'article 108 prévoit que les dispositions de cette partie du Code canadien du travail s'appliquent lorsque les employés (soit les pêcheurs en l'espèce) sont «employés dans le cadre d'une entreprise fédérale». Les pêcheurs ne sont certainement pas employés «à» la réalisation d'un tel ouvrage, etc. Il s'agit donc de déterminer s'ils peuvent être considérés comme étant employés «dans le cadre de» (in connection with) une telle entreprise.
Le sens et l'application des termes «dans le cadre de» (in connection with) furent examinés par presque tous les juges de la Cour suprême du Canada dans un renvoi, en 1955, relatif à la Loi de 1952 sur les relations industrielles et les enquêtes visant les différends du travail 22 déjà mentionnée dans ces motifs. L'expression «in connection with» («relativement à») était utili sée à l'article 53 de cette loi qui était très similaire à l'article 108 du Code canadien du travail et même pratiquement identique. * La partie pertinente de l'article 53 se lit comme suit:
53. La Partie I s'applique à l'égard des travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, ou relative- ment à l'exploitation de ces choses, y compris, mais non de manière à restreindre la généralité de ce qui précède:
A propos de l'expression «relativement à» le juge Taschereau (tel était alors son titre) décla- rait à la page 542 du rapport:
[TRADUCTION] L'expression «relativement à» à l'article 53, ne doit certainement pas être interprétée dans un sens trop large. Je pense cependant qu'il est tout à fait impossible de dire, dans l'abstrait, ce qui est ou ce qui n'est pas «relatif à». Il serait présomptueux d'essayer de prévoir tous les cas possibles. Je ne peux imaginer une formule générale qui couvrirait toutes les éventualités et je n'essaierai donc pas d'en énoncer une ni de fixer des limites rigides. Chaque cas doit être traité séparément.
22 [1955] R.C.S. 529.
* N. du T.: L'expression anglaise in connection with cor respond à l'expression «relativement à» de la Loi de 1952 (S.R.C. 1952, c. 152, Partie 2, art. 53) et à l'expression «dans le cadre de» dans le Code canadien du travail, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 108.
Voici ce que le juge Kellock déclarait à ce sujet, à la page 556:
[TRADUCTION] Mis à part les employés du gouvernement, l'application de la Partie I est délimitée par l'article 53 qu'il n'est pas nécessaire de citer à nouveau. A mon avis, l'ex- pression «relativement à», à la seconde ligne de cet article, ainsi qu'à l'alinéa a), ne doit pas être interprétée dans un sens indûment large, mais comme se limitant aux personnes effectivement engagées dans l'exploitation de l'ouvrage, entreprise ou affaire en question. On doit à cet égard déter- miner cas par cas les limites du mot «employés» dans cet article. Par exemple, des personnes ne fournissant que des services temporaires à une «entreprise» du Dominion, ou relativement à cette entreprise, ne relèveraient pas nécessai- rement du champ d'application de ce mot tel qu'il est utilisé à l'article 92(10).
Le juge Rand déclarait aux pages 548 et 549:
[TRADUCTION] Les critères relatifs à la portée des pou- voirs du Dominion touchant accessoirement aux droits civils sont difficiles à formuler de manière précise. Dans l'affaire Grand Trunk Railway Company c. Le procureur général du Canada [1907] A.C. 65, lord Dunedin demande si le droit civil touché dans cette affaire était «vraiment accessoire à la législation relative aux chemins de fer». Le fait que, comme le soutenait la compagnie, l'interdiction, risquait d'entraîner une augmentation de la négligence des employés, fut consi- déré s'il s'avérait exact, suffisant à démontrer que l'interdic- tion était accessoire à la législation. D'autres expressions ont été utilisées: «nécessairement accessoire» dans l'affaire des Prohibitions locales [1896] A.C. 348 à la page 360; «acces- soirement»: Ladore c. Bennett [1939] A.C. 468. Ces expres sions supposent que la législation sur un sujet principal relevant d'une compétence exclusive peut inclure accessoi- rement des sujets ou des éléments subordonnés se rappor- tant à d'autres aspects ne relevant pas de cette compétence. Les cas ce pouvoir a été confirmé semblent permettre de conclure que, si le sujet subordonné est raisonnablement nécessaire aux fins du sujet principal ou afin d'empêcher tout obstacle à la législation, son inclusion est dans cette mesure justifiée. Cela revient peut-être à dire que l'élément qui est incident peut-être rattaché d'une certaine façon au principal. Comme le montre l'affaire G.T.R. c. Le procureur général du Canada (précitée), il s'agissait d'une renoncia- tion par contrat, il n'est pas nécessaire de démontrer la nécessité réelle; il suffit de montrer, selon la prépondérance des intérêts et des besoins, son adéquation au sujet principal et à la législation. Je n'interprète pas l'expression «relative- ment à» du paragraphe introductif de l'article 53, en ce qui concerne un sujet d'intérêt local, comme dépassant le champ de la législation fédérale qui est défini par ces expressions. [C'est moi qui souligne.]
Le juge en chef Kerwin déclarait à la page 535:
[TRADUCTION] ...on ne devrait donc pas interpréter la Loi qui nous occupe comme applicable aux personnes dont les emplois n'ont que de vagues rapports avec l'ouvrage, entre- prise ou affaire, mais seulement à celles dont le travail est intimement lié à ceux-ci.
Le juge Estey déclarait à la page 566:
[TRADUCTION] M' Magone a particulièrement insisté sur les mots «à ... ou relativement à» (upon or in connection with) du paragraphe introductif de l'article 53 et les expres sions «pour ou concernant» (on for or in connection with) de son alinéa a). Il prétendit que ces mots étaient assez larges et vastes pour inclure non seulement les sujets faisant partie intégrante d'un ouvrage, entreprise ou affaire relevant de l'autorité législative du Parlement du Canada, ou sujets nécessairement accessoires à ceux-ci, mais s'étendaient aussi à toute activité, aussi faiblement ou vaguement liée soit-elle, avec un travail, entreprise ou affaire donnés. Bien sûr, on peut admettre que, si on prend ces expressions dans leur sens le plus large, une telle prétention se défend, mais on doit les lire et les interpréter en corrélation avec les autres termes employés dans l'article et compte tenu du contexte de la Loi. Vu sous cet angle, je ne pense pas qu'on puisse les interpréter comme comprenant autre chose qu'une activité formant partie intégrante de l'ouvrage, entreprise ou affaire relevant de la compétence législative du Parlement, ou nécessairement accessoire à ceux-ci.
Le juge Cartwright (tel était alors son titre) déclarait à la page 582:
[TRADUCTION] Si l'on tient compte de ce fait, les termes «relativement à» à la deuxième ligne de l'article doivent être interprétés comme signifiant «liés à la réalisation de l'ou- vrage, entreprise ou affaire en cause de sorte que la législa- tion prévue à la Partie I de la Loi, appliquée aux employés ainsi décrits, est, en substance, une législation portant sur la réalisation de cet ouvrage, entreprise ou affaire ou y est nécessairement incidente (pour reprendre l'expression de lord Watson dans l'affaire Le procureur général de l'Ontario c. Le procureur général du Canada [1896] A.C. 348 à la page 360) ou vraiment accessoire à ces activités» (pour reprendre les termes de lord Dunedin dans l'affaire Grand Trunk Railway c. Le procureur général du Canada [1907] A.C. 65 à la page 68). L'expression «relativement à» à la deuxième ligne de l'alinéa a) doit être interprétée de la même manière .. .
Le juge Fauteux (tel était alors son titre) décla- rait à la page 587:
[TRADUCTION] ... l'emploi dont on parle ici serait alors un emploi dans le contexte d'un tel travail, entreprise ou affaire relevant de la compétence législative du Parlement du Canada ou un emploi dans le cadre d'un tel travail, entreprise ou affaire ou nécessairement accessoire à sa réalisation. Les termes «relativement à» (in connection with) dans la partie essentielle de l'article ne peuvent donc être interprétés comme permettant de tourner la restriction ... .
Compte tenu de cet arrêt, il semble évident que si les mots «relativement à» ou «dans le cadre de» (in connection with) n'étaient pas pris dans leur sens restreint de «nécessairement accessoire à», la Loi, relevant de la législation du travail, serait ultra vires du Parlement du Canada conformément à la décision antérieure
du Conseil privé dans l'affaire Toronto Electric Commissioners c. Snider (précitée) en tant que législation générale portant sur la propriété et les droits civils.
En examinant les mots «relativement à» ou «dans le cadre de» (in connection with) à la lumière des circonstances particulières de la présente affaire, afin de décider si la Loi serait applicable aux fabricants et aux pêcheurs, il faut déterminer s'il s'agit d'une entreprise fédérale dans le cadre de laquelle sont employés les pêcheurs.
Selon la jurisprudence que nous avons citée, l'entreprise fédérale relevant du pouvoir législa- tif du Parlement en l'espèce consiste dans les pêcheries, au sens limité de pouvoirs de police et de contrôle sur l'exploitation de ces derniè- res. Les pêcheurs sont-ils employés dans le cadre de cette entreprise particulière?
Cette question ne serait pas difficile à tran- cher si les autorités fédérales étaient légalement engagées dans des entreprises de pêche. Indubi- tablement, les contrôles et la réglementation que le gouvernement fédéral peut à l'occasion léga- lement imposer aux pêcheries influent fonda- mentalement et directement sur le travail réel des pêcheurs, ce qui ne veut absolument pas dire qu'ils sont employés d'une manière quel- conque dans le cadre de l'entreprise consistant à imposer ou à faire appliquer effectivement les- dites réglementations. Ils sont eux-mêmes assu- jettis aux différentes activités de police et de contrôle imposées par les lois canadiennes rela- tivement aux pêcheries, mais ne sont pas eux- mêmes employés dans le cadre de ces activités, savoir, la police et le contrôle des pêcheries.
Il pourrait aussi en être autrement si le Parle- ment avait une compétence législative sur les entreprises et le commerce liés à la pêche. A mon avis, ce n'est pas le cas. Sa compétence se limite aux pouvoirs de police sur les pêcheries elles-mêmes et, comme je l'ai déjà souligné, les autorités fédérales ne détiennent même pas de droit de propriété sur ces pêcheries. Le fait qu'elles pourraient dans certains cas, en vertu de ces pouvoirs réglementaires, faire obstacle à toute activité de pêche ne lui confère pas la
compétence sur ces activités de pêche, en tant qu'entreprise. Toute immixtion dans les activi- tés de pêche n'est en fait qu'une conséquence directe, sur la propriété ou les droits civils pro- vinciaux, de l'exercice par le gouvernement fédéral de sa compétence dans un domaine qui lui est réservé et n'étend donc pas la compé- tence du Parlement au domaine des droits civils, réservé aux provinces, même si la législation fédérale peut avoir un effet sur ce domaine. Le Parlement n'aurait compétence dans ce domaine seulement si elle était essentielle ou raisonnable- ment nécessaire au plein exercice de sa compé- tence dans son domaine réservé. Je ne vois aucune exigence essentielle à cet égard, car le gouvernement fédéral peut continuer, comme il l'a fait jusqu'à présent, à contrôler effective- ment les pêcheries sans contrôler les relations de travail des pêcheurs. Il s'ensuit donc que les pêcheurs ne peuvent être considérés comme employés «dans le cadre» d'une entreprise fédérale.
Je conclus donc que les termes de l'article 108 du Code canadien du travail, dans les cir- constances de l'espèce, ne rendent pas la Loi applicable aux relations de travail entre les pêcheurs et les fabricants, mais que de toute façon, même si c'était le cas, la Loi serait inconstitutionnelle à cet égard et ultra vires du Parlement du Canada en ce qu'elle aurait alors pour but de régler un sujet spécifiquement réservé aux provinces en vertu du paragraphe 13 de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Les requérantes auront donc droit au redres- sement demandé et un bref de prohibition sera donc délivré.
Le fait que, comme je l'ai déjà signalé, les requérantes et intimés m'ont assuré que ma décision, quelle qu'elle soit, ferait l'objet d'un appel ne devrait pas m'empêcher d'appliquer le principe généralement accepté que les dépens suivent normalement l'issue de la cause. En conséquence, les intimés paieront aux requéran- tes leurs dépens.
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