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A-144-74
Susan Kline Dintenfass Schiffer (Appelante) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Urie et le juge suppléant Sheppard —Vancouver, les 20 et 22 novembre 1974.
Immigration—Expulsion—Immigrante distribuant des stu- péfiants—Confirmation de ce motif de l'ordonnance—Effet de l'annulation par la Commission—Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, art. 2 à 4—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. Sd), k), 22, 23 et 35—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 15—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
L'expulsion de l'appelante, citoyenne américaine, fut ordonnée en vertu des articles 22 et 23(1) de la Loi sur l'immigration au motif qu'elle faisait partie d'une catégorie interdite définie à l'article 5d) et k) de la Loi sur l'immigra- tion, pour avoir admis la perpétration d'un crime impliquant turpitude morale, savoir, la possession illégale de marijuana, un stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, articles 2 et 3, et pour s'être occupée à donner illégalement de la marijuana au sens des articles 2 et 4. La Commission d'appel de l'immigration rejeta son appel de l'ordonnance. Elle interjeta appel de cette décision et cher- cha à en obtenir l'examen judiciaire. L'appelante prétendit que la possession de marijuana ne constituait pas un crime impliquant turpitude morale. L'intimé ne fonda pas sa défense sur ce point.
Arrêt: l'appel et la demande sont rejetés; pour conclure qu'une personne s'est occupée à donner illégalement un stupéfiant, au sens de l'article 5k) de la Loi sur l'immigra- tion, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il s'agissait de l'une des activités principales de cette personne pendant une période donnée. Compte tenu du témoignage de l'appelante selon lequel elle avait donné à des amis de petites quantités de marijuana, l'enquêteur spécial était justifié de conclure que l'appelante «s'était occupée à donner illégalement un stupéfiant». L'appelante n'a pas réussi à contester l'exacti- tude de cette conclusion. Il n'était pas nécessaire de se prononcer sur les prétentions de l'intimé selon lesquelles, d'une part, l'appel soulevait une question purement théori- que puisque la Commission avait annulé l'ordonnance d'ex- pulsion en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration et, d'autre part, l'interdiction d'ad- mettre une personne au Canada sans le consentement du Ministre, interdiction prévue à l'article 35 de la Loi sur l'immigration, ne s'applique pas à quiconque a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion, une fois cette ordonnance annulée en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
APPEL et examen judiciaire.
AVOCATS:
Peter Fraser pour l'appelante.
N. D. Mullins, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Lew, Fraser & Harcourt, Vancouver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion, joint à une demande faite en vertu de l'article 28; cette décision avait rejeté l'appel interjeté par l'appelante d'une ordonnance d'expulsion.
Citoyenne américaine, l'appelante chercha, le 3 août 1973, à venir des États-Unis au Canada pour y faire une brève visite. Elle fut examinée à la frontière par un fonctionnaire à l'immigra- tion qui, estimant qu'on ne pouvait lui accorder l'admission au Canada, la signala à un enquêteur spécial, comme l'exigeait l'article 22 de la Loi sur l'immigration.
Le même jour, à la suite d'une enquête com- plémentaire faite sur l'appelante, l'enquêteur spécial qui reçut le rapport prévu à l'article 22 rendit contre elle une ordonnance d'expulsion. L'enquêteur spécial agissait alors en conformité de l'article 23(1) de la Loi sur l'immigration dont voici le contenu:
23. (1) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu à l'article 22 sur une personne qui cherche à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, il doit, après l'enquête complémentaire qu'il juge nécessaire et sous réserve de tous règlements établis à cet égard, admettre cette personne ou lui permettre d'entrer au Canada, ou rendre contre elle une ordonnance d'expulsion et, dans ce dernier cas, ladite personne doit, le plus tôt possible, être renvoyée au lieu d'où elle est venue au Canada.
Voici les deux motifs de l'ordonnance d'ex- pulsion qui se trouvent énoncés aux paragra- phes (iii) et (iv) de ladite ordonnance:
[TRAnucrroN]
(iii) Vous faites partie de la catégorie interdite définie à
l'article 5d) de la Loi sur l'immigration pour avoir admis la perpétration d'un crime impliquant turpitude morale, savoir, la possession illégale de marijuana, une substance qui est un stupéfiant au sens de la «Loi sur les stupé- fiants» et votre admission au Canada n'a pas été autorisée par le gouverneur en conseil;
(iv) Vous faites partie de la catégorie interdite définie à l'article 5k) de la Loi sur l'immigration . pour vous être occupée à donner illégalement une substance qui est un stupéfiant au sens de la «Loi sur les stupéfiants», savoir, la marijuana, et cinq ans n'ont pas passé depuis que vous vous êtes livrée à cette occupation.
L'appelante interjeta appel de cette ordon- nance à la Commission d'appel de l'immigration. A l'audition de son appel, elle ne présenta aucune preuve quant à la validité de l'ordon- nance. La Commission rejeta les moyens d'ap- pel que l'appelante invoqua à l'encontre des deux motifs d'expulsion mentionnés dans l'or- donnance et, par conséquent, rejeta son appel. Considérant toutefois que l'appelante avait droit au redressement spécial prévu à l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion, la Commission annula l'ordonnance d'ex- pulsion. La présente action attaque la décision de la Commission rejetant l'appel.
L'avocat de l'appelante prétendit que la Com mission aurait accueillir l'appel puisqu'à son avis, aucun des motifs exposés dans l'ordon- nance ne justifiait l'expulsion de l'appelante. Il déclara que le premier motif d'expulsion était mal fondé puisque la possession illégale de marijuana ne constitue pas un crime impliquant turpitude morale. Quant au second motif, il pré- tendit que la preuve dont disposait l'enquêteur spécial ne permettait pas de conclure que l'ap- pelante s'était «occupée à donner illégalement» de la marijuana. A cet égard, il cita un mémoire que l'enquêteur spécial avait rédigé à propos de l'expulsion de l'appelante, quelque dix jours après la date de l'ordonnance d'expulsion. Le paragraphe (3) de ce mémoire se lit comme suit:
[TRADUCTION] 3. PREUVE A L'APPUI DE L'ORDONNANCE
M^"° Schiffer admit que, depuis cinq ans, elle employait de la marijuana de façon irrégulière. Elle déclara qu'elle avait acheté le stupéfiant en quantités d'une once, mais qu'elle n'en avait pas acheté depuis deux ans. Elle a offert et donné de petites quantités de marijuana à des amis. Mme Schiffer déclara qu'au cours des derniers mois, elle en a fumé une fois par semaine pour faciliter son sommeil et que récem- ment elle avait obtenu d'un ami «quelques» cigarettes de
marijuana; elle croyait qu'à cette fin ces cigarettes lui étaient d'un plus grand bienfait que les somnifères.
L'avocat prétendit qu'à la lumière de la déclara- tion de l'appelante selon laquelle «elle a donné de petites quantités de marijuana à des amis», l'enquêteur spécial ne pouvait à bon droit con- clure que l'appelante s'était «occupée à donner illégalement» de la marijuana. Aux dires de l'avocat, on ne peut affirmer qu'une personne «s'est occupée à donner illégalement un stupé- fiant» au sens de l'article 5k) de la Loi sur l'immigration si aucune preuve ne révèle que le trafic de stupéfiants a constitué l'une des activi- tés principales de cette personne pendant une période donnée.
L'avocat de l'intimé ne chercha pas à appuyer la décision de la Commission au sujet du pre mier motif d'expulsion. Il prétendit cependant que la Commission était justifiée de rejeter l'ap- pel puisqu'à son avis, la preuve déposée devant l'enquêteur spécial permettait de conclure que l'appelante s'était «occupée à donner» de la marijuana. Il prétendit que si une personne avait, en une occasion, donné à une autre un stupéfiant, elle s'était livrée à cette occupation au sens de l'article 5k) de la Loi sur l'immigration.
L'avocat de l'intimé prétendit en outre que l'appel soulevait une question purement théori- que puisque l'ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelante avait été annulée par la Com mission en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Il persista à dire que l'interdiction d'admission au Canada sans le consentement du Ministre, interdiction qui est prévue à l'article 35 de la Loi sur l'immi- gration, ne s'applique pas à une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été rendue, une fois cette ordonnance annulée en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
Je n'ai pas à me prononcer sur le dernier argument de l'intimé puisqu'à mon avis, la Com mission d'appel de l'immigration était tout à fait justifiée de débouter l'appelante qui avait inter- jeté appel de l'ordonnance d'expulsion.
Sans nier que, dans d'autres circonstances, l'expression «s'occuper» puisse avoir le sens
suggéré par l'appelante, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire que le fait «de donner des stupé- fiants» constitue l'une des activités principales d'une personne pendant une période donnée, pour que cette personne «s'occupe à donner .. . de quelque façon illégale» un stupéfiant, au sens de l'article 5 k). Compte tenu de la preuve dont il disposait, il s'ensuit que l'enquêteur spécial, qui, en vertu de l'article 23(1) de la Loi sur l'immi- gration, exécutait une procédure sommaire, était justifié de conclure que l'appelante «s'était occupée à donner illégalement un stupéfiant». Si l'appelante voulait contester l'exactitude de cette conclusion, il lui incombait de prouver qu'elle était mal fondée. Elle n'y a pas réussi. Dans ces circonstances, puisqu'il n'y avait aucun élément de preuve permettant à la Com mission de conclure que l'appelante ne s'était pas occupée à donner illégalement un stupé- fiant, ladite Commission n'avait d'autre choix que de rejeter l'appel.
Pour ces motifs, je rejette l'appel et la demande faite en vertu de l'article 28.
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LE JUGE URIE a souscrit à l'avis.
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LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD a souscrit à l'avis.
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