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T-4603-73
Norman L. Wright (Demandeur) c.
Sa Majesté la Reine, représentée par le sous- ministre des Affaires indiennes et du Nord cana- dien (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald— Vancouver, du 18 au 21 mars; Ottawa, le 4 avril 1975.
Fonction publique—La Cour d'appel déclare que le deman- deur n'a jamais été congédié—La défenderesse refuse de le réintégrer dans son poste—Le demandeur sollicite un jugement déclarant que la défenderesse n'avait pas le pouvoir de mettre fin à son emploi et qu'il conserve son statut d'employé— Demande d'indemnité pour salaires ou autres avantages—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 28(3), 31 et 39 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 23, 90 et 91— Règlement sur l'emploi d'administrateurs et de préposés au soin des enfants des foyers scolaires pour Indiens, C.P. 1969- 613, art. 3, 4 et 5—Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-118, art. 63(1), 106d)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28—Loi sur l'administration finan- cière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 27—Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 22 et 23—Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, art. 118.
Le demandeur, préposé au soin des enfants au foyer scolaire indien d'Alberni, a été employé par la Fonction publique lorsque le foyer fut intégré au ministère des Affaires indiennes. Après plus de douze mois dans la Fonction publique, il fut renvoyé pour un motif déterminé en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique; en juillet 1970, il déposa un grief qui, après examen, fut rejeté. Sur appel, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique confirma la décision de l'arbitre en chef. En 1973, la Cour d'appel fédérale annula la décision. Le demandeur, après avoir essayé de se faire rétablir dans ses fonctions, sollicite mainte- nant: (1) un jugement déclarant que son employeur n'avait pas le pouvoir de mettre fin à son emploi sous l'empire de l'article 28(3); (2) un jugement déclarant que son renvoi est nul et de nul effet et qu'il conserve son statut d'employé; et (3) une indemnité pour la période durant laquelle il a été illégalement renvoyé. La défenderesse nie avoir employé le demandeur et soutient que si elle l'avait engagé, c'était à titre amovible et qu'il pouvait être congédié pour un motif déterminé; que le demandeur a accepté son congédiement et n'est pas retourné au travail depuis le 31 juillet 1970 et que même si le demandeur est encore en fonction, il n'a droit à aucune rémunération depuis qu'il a cessé de travailler.
Arrêt: la Cour accorde au demandeur $20,000 à titre de dommages-intérêts, déclare que (1) la défenderesse n'avait pas le pouvoir de renvoyer le demandeur en invoquant l'article 28(3), (2) le renvoi est nul et de nul effet. Il n'est pas nécessaire d'examiner si le demandeur a été régulièrement renvoyé pour un motif déterminé ou s'il était employé à titre amovible et que
l'on pouvait mettre fin à son emploi sans motif ou préavis, puisqu'il n'a jamais perdu son emploi. En dehors du fait que le demandeur a atteint l'âge obligatoire de la retraite en 1973, aucun fait nouveau n'est survenu qui soit de nature à modifier la décision de la Cour d'appel qui avait déclaré que le deman- deur n'avait «jamais perdu son emploi». La thèse de la défende- resse, selon laquelle le demandeur a accepté son renvoi et ne s'est pas présenté au travail, n'est pas fondée sur les faits. En ce qui concerne le moyen soulevé par la défenderesse selon lequel, si le demandeur était en fonction, il n'a droit à aucun paiement puisqu'il a cessé de travailler, le demandeur ne réclame pas la rétribution d'un travail qu'il n'a pas effectué, mais sollicite des dommages-intérêts à titre d'indemnité en raison de la conduite illégale de la défenderesse. Cette dernière a empêché le deman- deur de reprendre son poste, lui causant ainsi un préjudice grave. Le demandeur avait le droit de rester en fonction jusqu'au 29 décembre 1973, date de sa retraite obligatoire. La perte de salaire est un élément important des dommages subis. La règle générale à suivre est de mettre le demandeur «dans l'état il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté».
Distinction établie avec les arrêts: Zamulinski c. La Reine [1956-60] R.C.E. 175 et Hopson c. La Reine [1966] R.C.E. 608. Arrêts suivis: La Reine c. Jennings [1966] R.C.S. 532, Wertheim c. Chicoutimi Pulp Co. [1911] A.C. 301, Cotter c. General Petroleums Limited [1951] R.C.S. 154, Sunshine Exploration Ltd. c. Dolly Varden Mines Ltd. [1970] R.C.S. 2.
ACTION. AVOCATS:
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour le
demandeur.
I. G. Whitehall pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady et Morin, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Au mois de septembre 1967, le demandeur fut engagé par l'Église Unie du Canada à titre de «préposé au soin des enfants» au foyer scolaire indien d'Alberni il était encore en fonction lorsque le l er avril 1969, ledit foyer fut intégré au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Conformément à l'article 39 de la Loi sur l'em- ploi dans la Fonction publique', le poste de
S.R.C. 1970, c. P-32.
demandeur avait été «exclu» de l'application des dispositions de ladite loi et se trouvait assujetti au Règlement 2 dont voici certains extraits:
3. Lorsque le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien requiert les services d'un administrateur de foyer scolaire ou d'un préposé au soin des enfants, le sous-chef de ce ministère
a) doit recruter et sélectionner une personne pour fournir ces services, en tenant compte des exigences linguistiques du poste précisées à l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique; et
b) peut titulariser dès sa sélection la personne qui doit fournir ces services.
4. Une personne nommée au poste d'administrateur de foyer scolaire ou de préposé au soin des enfants est assujettie aux articles 21, 26, 27, 31 et 32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et à toute disposition du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique qui s'y rapporte.
5. (1) Une personne nommée au poste d'administrateur de foyer scolaire ou de préposé au soin des enfants est en stage pendant douze mois à compter de la date de sa nomination.
(2) Le sous-chef peut, à tout moment au cours du stage, prévenir une personne qu'il se propose de la renvoyer pour un motif déterminé le jour précisé dans le préavis, c'est-à-dire au moins trente jours après la remise du préavis, et cette personne cesse d'être un employé ce jour-là.
Après plus de douze mois dans la Fonction publique, soit le 25 juin 1970, le Ministère écrivit au demandeur pour lui donner avis de son inten tion «de le renvoyer» «pour un motif déterminé» en conformité de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique 3 et l'avertir que son emploi au sein du Ministère devait se terminer le 31 juillet 1970, ladite lettre ayant été remise au demandeur en personne le 30 juin 1970.
Au mois de juillet 1970, le demandeur déposa un grief qui, en conformité des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
2 Règlement sur l'emploi d'administrateurs et de préposés au soin des enfants des foyers scolaires pour Indiens, C.P. 1969-613, le 25 mars 1969. [SOR/69-137] (Ci-après appelé Règlement sur les foyers scolaires pour Indiens).
S.R.C. 1970, c. P-32.
28. (3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévenir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis que la Com mission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. A moins que la Commission ne nomme l'employé à un autre poste dans la Fonction publique avant le terme du délai de préavis qui s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci cesse d'être un employé au terme de cette période.
publique, fut renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 91(1)b) 4 . L'«exposé du grief» du deman- deur se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 30 juin 1970, j'ai reçu une lettre datée du 25 juin 1970 m'avisant que j'étais renvoyé en vertu des disposi tions de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et qu'à dater du 31 juillet 1970, je cessais d'être employé par le Ministère.
Aux termes de l'annexe «A» du Règlement relatif à la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, ma période de stage se terminait le ler octobre 1969 et il ne peut être mis fin à mon emploi en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Tout en décidant que le prétendu «renvoi» était nul et non avenu en vertu de l'article 28(3) parce qu'il était survenu après l'expiration du stage de douze mois prévu audit article et à l'article 5 du Règlement sur les foyers scolaires pour Indiens, l'arbitre en chef déclara, après avoir analysé le bien-fondé des arguments, que le demandeur avait été «renvoyé» et que ledit «renvoi» était «justifié et nécessaire à la bonne marche de l'institution il était employé».
Voici les questions que le demandeur soumit alors à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique en vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique':
4 S.R.C. 1970, c. P-35.
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive- ment, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le concerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
5 S.R.C. 1970, c. P-35.
23. Lorsqu'une question de droit ou de compétence se pose à propos d'une affaire qui a été renvoyée au tribunal d'arbi- trage ou à un arbitre, en conformité de la présente loi, le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ou l'une des parties peut renvoyer la question à la Commission, pour audition ou décision conformément aux règlements établis par la Commission à ce sujet. Toutefois le renvoi d'une question de ce genre à la Commission n'aura pas pour effet de suspendre les procédures relatives à cette matière à moins que le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ne décide que la nature de la question justifie une suspension des procédures ou que la Commission n'en ordonne la suspension.
[TRADUCTION] a) L'arbitre en chef a-t-il commis une erreur de droit en n'acceptant pas l'allégation de M. Wright selon laquelle son congédiement était illégal en ce que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'avait pas demandé ou obtenu l'approbation du Conseil du Trésor, comme le stipule l'article 106d) du Règlement sur les condi tions d'emploi dans la Fonction publique?
b) L'arbitre en chef a-t-il outrepassé sa compétence en ordonnant au Conseil du Trésor d'approuver le congédiement de M. Wright?
Dans une décision rendue par écrit le 29 janvier 1973, ladite commission déclara que [TRADUC- TION] «l'arbitre en chef n'avait pas commis d'er- reur de droit en ce qui concerne les points» soule- vés dans la première question. La Commission ne se prononça pas sur la directive donnée au Conseil du Trésor par l'arbitre en chef. Le demandeur présenta alors à la Cour d'appel fédérale une demande d'examen et d'annulation de la «décision» de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Par une décision rendue le 8 juin 1973', la Cour d'appel fédérale annula ladite décision et renvoya l'affaire à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, étant entendu:
a) que ce qu'elle devait déterminer dans le renvoi en vertu de l'article 23, c'était quelle décision l'arbitre en chef aurait rendre eu égard aux faits qu'il a établis, et
b) que l'arbitre en chef n'était pas compétent pour connaître du renvoi à l'arbitrage du grief du requérant.
Au paragraphe 11 de la déclaration, le deman- deur invoque le recours prévu à l'article 28, (pré- cité), et ajoute alors:
[TRADUCTION] Dans ses motifs du jugement écrits, exposés le 8 juin 1973, ladite cour à l'unanimité décida notamment que le prétendu renvoi en période de stage était nul, que la décision de l'arbitre en chef ne reposait sur aucun fondement juridique et que le demandeur avait été illégalement renvoyé.
Le demandeur allègue en outre qu'il a demandé d'être rétabli dans ses fonctions, mais que la défen- deresse a refusé ou négligé de le faire.
6 Publiée [1973] C.F. 765, la page 780.
Dans sa demande de redressement, le deman- deur sollicite:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclarant que son employeur n'avait pas le pouvoir de mettre fin à son emploi sous l'empire de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
b) Un jugement déclarant que la prétendue cessation de son emploi ordonnée par son employeur est nulle et de nul effet et qu'il conserve toujours son statut d'employé comme si l'on n'avait pas mis fin à son emploi.
c) Un jugement en sa faveur lui accordant une somme d'argent équivalant à la rémunération ou au salaire ou à tous autres avantages ou privilèges qu'il aurait reçus si l'employeur n'avait pas illégalement mis fin à son emploi.
Dans sa défense, la défenderesse allègue notam- ment que: [TRADUCTION] «la déclaration en l'es- pèce ne révèle aucune cause d'action dont sa Majesté peut être tenue responsable». Aux para- graphes 9 à 12, la défense allègue en outre ce qui
suit:
[TRADUCTION] 9. En réponse à l'ensemble de la déclaration, la défenderesse allègue que si le demandeur était employé par sa Majesté ou par le Ministère, ce qu'elle nie, le demandeur était engagé à titre amovible et pouvait être renvoyé sans motif ou avis, puisqu'il était un préposé de sa Majesté.
10. Une lettre portant la date du 25 juin 1970, dont copie est jointe au titre d'annexe «A», mettait fin au prétendu emploi du demandeur, et ce pour un motif déterminé.
11. En réponse à l'ensemble de la déclaration, elle déclare subsidiairement que le demandeur a accepté la cessation de son prétendu emploi et n'est pas retourné au travail depuis le 31 juillet 1970.
12. En réponse à l'ensemble de la déclaration, elle déclare en outre que si le demandeur était au service de sa Majesté ou du Ministère, ce qu'elle nie, et s'il a conservé son emploi, il n'a pas droit à aucune rémunération depuis qu'il a cessé de travailler, compte tenu des dispositions de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chapitre F-10, et ses règlements d'application.
Suite à la décision déjà mentionnée de la Cour d'appel fédérale rendue le 8 juin 1973, ni la Com mission des relations de travail dans la Fonction publique ni les Ministères ou services gouverne- mentaux impliqués dans cette affaire ne prirent d'autres mesures. De fait, on ne permit pas au demandeur de reprendre son travail. A l'audience devant moi, il déclara que, tout de suite après, il avait tenté de trouver un emploi convenable, mais sans succès. le 29 décembre 1908, le deman- deur s'apprêtait donc à célébrer son 62ème anniver- saire. Il déclara qu'il avait parcouru les journaux quotidiennement, qu'il s'était inscrit aux bureaux de la Commission d'assurance-chômage à qui il
téléphona à plusieurs reprises, et qu'il avait répondu à plusieurs annonces parues dans les jour- naux. Dans son témoignage, il déclara que la Commission lui avait finalement dit de ne plus se présenter à ses bureaux en personne, qu'il y avait énormément de personnes en chômage à ce moment-là et que, vu son âge, il serait pratique- ment impossible de lui trouver un emploi. Il affirma en outre que jusqu'à maintenant, il avait toujours joui d'un bon état de santé et que, comme par le passé, il était toujours désireux de travailler.
L'un des principaux arguments que la défende- resse a soumis à mon attention, portait que la lettre du 25 juin 1970, remise au demandeur le 30 juin 1970, avait pour effet de mettre fin à l'emploi de ce dernier et ce, pour un motif déterminé. A l'appui de ce point de vue, la défenderesse cita quelque cinq témoins, qui avaient tous été employés au foyer scolaire indien d'Alberni à un moment ou à un autre pendant que le demandeur y travaillait. Parmi ces témoins, on remarque John Arthur Andrews, directeur dudit foyer et supérieur du demandeur. Tous avaient témoigné à l'audience tenu devant l'arbitre en chef. Lorsqu'ils furent contre-interrogés au procès, ils ont admis que leurs dépositions étaient identiques à celles faites devant l'arbitre en chef. (Andrews déclara que son témoi- gnage avait quelque peu varié mais je ne trouve rien dans son témoignage au procès qui pourrait servir à affermir la position de la défenderesse sur la question de la cessation d'emploi pour un motif déterminé). En plus, un certain nombre d'autres employés du foyer ont témoigné au cours de l'au- dience tenue devant l'arbitre en chef mais ne l'ont pas fait au procès.
Compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu au sujet de la lettre du 25 juin 1970, il devient inutile d'examiner la question de savoir si le demandeur, vu les faits de l'espèce, fut réguliè- rement congédié pour un motif déterminé. Toute- fois, s'il me fallait trancher cette question, je n'hé- siterais aucunement à conclure, compte tenu de la preuve déposée à l'audience, que la défenderesse n'a pas réussi à prouver un renvoi pour un motif déterminé. Je n'ai pas l'intention d'exposer en détail la preuve de la défenderesse à ce sujet. Il suffit de dire qu'à mon avis, elle ne fait qu'établir des divergences d'opinions et de philosophie entre
certains employés et Andrews d'une part et le demandeur d'autre part. La plupart des témoins cités par la défenderesse à l'audience étaient des personnes jeunes, autour de la trentaine. Le demandeur avait plus de soixante ans. A mon avis, tout ce que la preuve de la défenderesse établit réellement est l'existence d'un «conflit de généra- tion» entre le demandeur et un certain nombre d'employés plus jeunes.
La déposition du demandeur à l'audience fut détaillée et il fut longuement contre-interrogé par l'avocat de la défenderesse. Il m'a donné l'impres- sion d'être un employé très dévoué et travailleur. Je le considère un homme de principes et je con- clus qu'il est un témoin tout à fait digne de foi. Son travail était difficile, puisqu'il traitait avec des garçons et des jeunes hommes dont l'âge variait de
15 20 ans et qui, de l'avis de tous, étaient très difficiles et rétifs.
Compte tenu de la preuve qui me fut soumise, je n'aurais aucunement hésité, si j'avais eu à le faire, à déclarer tout à fait injustifié le prétendu renvoi pour un motif déterminé.
La deuxième prétention fondamentale de l'avo- cat de la défenderesse portait que le demandeur était un préposé de sa Majesté, qu'il était employé à titre amovible et que l'on pouvait mettre fin à son emploi sans motif ou avis. A l'appui de cette prétention, l'avocat s'est fondé sur les articles 22 et 23 de la Loi d'interprétation'. A cet égard, en raison des conclusions auxquelles je suis parvenu, il est également inutile d'examiner si le demandeur était employé à titre amovible et, par conséquent, si l'on pouvait mettre fin à son emploi sans motif ou avis.
Considérant la preuve qui me fut soumise, j'ai conclu que le demandeur n'a jamais perdu son emploi au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il n'est rien survenu depuis le jugement de la Cour d'appel fédérale qui modifie la situation, si ce n'est que le 29 décembre 1973, le demandeur a atteint 65 ans, âge obligatoire de la retraite. Les éléments de preuve pertinents et déci- sifs qui me sont soumis sont tout à fait identiques à ceux qui furent déposés devant la Cour d'appel
S.R.C. 1970, c. I-23.
fédérale. A la page 779 de sa décision, le savant juge en chef déclara:
Selon mon interprétation, aucun élément de preuve ressor- tant des documents soumis aux tribunaux en cause, y compris cette cour, ne permet de conclure que le requérant a perdu son emploi. Les parties ont admis que le renvoi était nul en tant que tel. Elles ne prétendent pas qu'il s'agissait d'un congédiement et encore moins d'un congédiement pour inconduite. A mon avis, ayant essayé de faire perdre son emploi à un employé en le renvoyant après l'expiration de la période du stage, l'employeur ne pouvait, dans ce cas, s'appuyer après coup sur le document de renvoi pour dire que l'employé avait perdu son emploi par suite d'un congédiement pour inconduite. Non seulement le document de renvoi ne relève pas, en sa forme, des pouvoirs de congédiement accordés par la Loi mais encore un employé ne peut, sur le fond, être renvoyé pour des raisons disciplinaires ou pour inconduite sans être informé des motifs de ce renvoi de façon à lui permettre d'y répondre, avant d'être congédié et à chaque étape de la procédure de grief. Je répète que d'après les éléments de preuve soumis, à mon avis, le requérant n'a jamais perdu son emploi. En outre, il est difficile de voir comment, étant donné les conclusions de fait de l'arbitre en chef, il pourrait être question de congédiement pour des raisons disci- plinaires. Ayant déterminé que «des exigences du poste de préposé aux enfants ne convenaient pas» au requérant, il semble que la disposition la plus appropriée est l'article 31 qui prévoit une procédure particulière et un choix de traitements applica- bles à un employé qui est «incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste».
M. le juge Thurlow déclarait aux pages 780 et 781:
Le prétendu renvoi de Wright était nul. Le grief de Wright ne pouvait faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage. L'arbitre n'avait pas compétence pour déclarer le renvoi nul en tant que renvoi et il n'existait aucun fondement lui permettant de déclarer qu'il s'agissait d'un congédiement. Ce n'est en aucune façon un congédiement à caractère disciplinaire. Il n'y a aucun fait permettant de le considérer comme une mesure disciplinaire quelle quelle soit. On ne peut le considérer comme un congédie- ment et, a fortiori, comme un congédiement valable.
Je me considère lié par ces décisions, mais même si je ne l'étais pas, je n'aurais aucune difficulté à parvenir à une conclusion identique à celle des trois juges de la Cour d'appel fédérale qui ont entendu la demande présentée en vertu de l'article 28.
La défenderesse allègue en outre que le deman- deur a accepté la cessation de son emploi et qu'il n'est pas rentré au travail depuis le 31 juillet 1970. Les faits ne corroborent pas cette prétention. La preuve démontre qu'il y a eu un renvoi de facto, sinon de jure. Le demandeur dut quitter les lieux, emporter tous ses effets personnels et on lui remit ses contributions au fonds de retraite. Il fut rému-
néré jusqu'au 31 juillet 1970, après quoi les fonc- tionnaires du foyer lui interdirent effectivement de reprendre son travail.
La défenderesse allègue en outre que si le demandeur a conservé son emploi, alors, en vertu des dispositions de la Loi sur l'administration financière' et ses règlements d'application, il n'a pas le droit de recevoir de rémunération depuis son arrêt de travail pour quelque période que ce soit. Plus particulièrement, la défenderesse invoque les dispositions de l'article 27 de ladite loi qui se lit comme suit:
27. Aucun paiement ne doit être effectué pour l'exécution de travaux ou la fourniture de marchandises ou de services, que ce soit en vertu d'un contrat ou non, relativement à toute partie de la fonction publique du Canada, sauf si, en plus d'une autre pièce justificative ou d'un certificat requis, le sous-ministre du ministre compétent, ou une autre personne autorisée par ce ministre, certifie
a) que les travaux ont été accomplis, les matières fournies ou les services rendus, selon le cas, et que le prix exigé est conforme au contrat ou, si le prix n'est pas spécifié par contrat, qu'il est raisonnable; ou
b) si un paiement doit être fait avant le parachèvement des travaux, la livraison des marchandises ou l'exécution des services, selon le cas, que le paiement est conforme au contrat.
et les dispositions de l'article 63(1) du règlement d'application qui se lit comme suit:
63. (1) Sous réserve du présent règlement et de tout autre édit du Conseil du Trésor, un employé a le droit de toucher pour services rendus la rémunération applicable au poste qu'il occupe.
A mon avis, ces dispositions législatives ne s'ap- pliquent pas aux circonstances de l'espèce parce que le demandeur ne réclame pas à la Cour d'or- donner qu'il soit payé pour des services qu'il n'a, en fait, pas rendus. Le demandeur réclame plutôt des dommages-intérêts à titre d'indemnité en raison de la conduite illégale de la défenderesse. Selon lui, le montant desdits dommages-intérêts doit comprendre le salaire plus les autres avanta- ges et privilèges qui lui seraient échus, n'eût été la conduite illégale de la défenderesse. Je rejette donc la prétention de la défenderesse.
J'en viens maintenant à examiner le redresse- ment que le demandeur à mon avis, réclame à bon droit. Pour les motifs énoncés en l'espèce, je suis
S.R.C. 1970, c. F-10.
d'avis que le demandeur a droit au jugement déclaratoire qu'il réclame au paragraphe 13a) de sa déclaration. A mon avis, il a également droit à un jugement déclarant que la prétendue cessation de son emploi ordonnée par son employeur était nulle et de nul effet. Toutefois, à cause des délais et parce qu'il a atteint l'âge de la retraite obliga- toire le 29 décembre 1973, le demandeur n'a pas droit au jugement déclarant qu'il conserve toujours son statut d'employé comme si l'on n'avait pas mis
fin à son emploi. .
A mon avis, le demandeur a aussi droit à des dommages-intérêts. Vu les circonstances plutôt inhabituelles de la présente affaire, leur fixation n'est pas sans poser de grandes difficultés. A cette fin, le demandeur cita un témoin, Wendell Hewitt - White, responsable de la Direction des appels et griefs de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, syndicat de fonctionnaires fédéraux et, pour toutes les époques en cause, l'agent négocia- teur du demandeur. Hewitt -White déposa une série de chiffres indiquant le montant de la rému- nération que le demandeur aurait reçue pour la période du ler août 1970 au 29 décembre 1973, date à laquelle le demandeur a atteint l'âge de la retraite. Se fondant sur les taux de rémunération apparaissant dans les conventions collectives en vigueur durant cette période, le témoin estima que le demandeur aurait gagné $23,244.96 pour ladite période. En plus, il estima que le demandeur aurait gagné $5,676.32 en heures supplémentaires et ser vice de garde. Pour les fins de ce calcul, le témoin prit pour acquis que le demandeur aurait effectué environ le même nombre d'heures supplémentaires qu'au cours de la dernière année de son emploi et s'est fondé sur les feuilles de présence du deman- deur pour ladite année (pièce 5). Le total de ces deux montants s'élève à $28,921.19, dont le témoin a soustrait la somme de $798 que le demandeur a reçu de l'assurance-chômage. Le solde s'élève donc à $28,123.19, soit le montant auquel le demandeur évalue ses dommages-intérêts.
La preuve démontre clairement que la défende- resse a effectivement interdit au demandeur de reprendre son emploi, ce qui lui a causé un grave préjudice.
L'avocat de la défenderesse prétendit que si le demandeur avait droit à des dommages-intérêts, le
critère approprié pour en fixer le quantum est énoncé par le président Thorson dans l'affaire Zamulinski c. La Reine 9 , décision suivie par le juge Thurlow dans l'affaire Hopson c. La Reine'''.
Dans l'affaire de Zamulinski (précitée), la Cour décida que le pétitionnaire avait le droit d'être
indemnisé par suite de la violation d'un droit con- féré par la loi. Dans cette affaire, le pétitionnaire ne pouvait, en vertu de l'article 118 du Règlement du service civil, être congédié sans avoir eu l'occa- sion de présenter sa cause à un fonctionnaire supé- rieur du ministère nommé par le sous-chef. Ce droit ne lui fut pas accordé. En fixant le quantum des dommages, le savant président déclara aux pages 189 et 190:
[TRADUCTION] Il est difficile dans un cas comme celui-ci de fixer le quantum des dommages, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire. Je ne pense pas que ce soit un cas il convient d'accorder des dommages symboliques. Les dommages sont réels, mais difficiles à établir. Bien qu'à mon avis, le témoignage de Duggleby montre clairement qu'il était décidé à expulser le pétitionnaire de son bureau de poste et que si la raison invoquée pour son renvoi avait été jugée déraisonnable, il en aurait trouvé une autre ou aurait congédié le pétitionnaire de toute façon, celui-ci avait le droit de se prévaloir du droit que lui accordait l'article 118 du Règlement. Ce droit aurait, selon toutes probabilités, prolongé son emploi au Bureau de postes, ce qui lui aurait permis de toucher une rémunération addition- nelle. Il est difficile d'en préciser la durée. Si le délai entre la recommandation faite par Duggleby le 7 juillet 1954 portant qu'il ne pouvait recommander de maintenir le pétitionnaire à son poste et l'instruction donnée par MacNabb le 7 septembre 1954 de congédier le pétitionnaire à deux semaines d'avis est un indice, il est probable que l'emploi du pétitionnaire se serait considérablement prolongé pendant la mise au point du méca- nisme lui permettant de se prévaloir du droit prévu à l'article 118 du Règlement. En outre, bien qu'il soit improbable, compte tenu de la ferme intention de Duggleby de congédier le pétition- naire, que, même si ce dernier avait réussi à convaincre le fonctionnaire supérieur du ministère, nommé par le sous-chef, que la raison invoquée pour son renvoi n'était pas justifiée, il n'aurait pas été congédié pour d'autres motifs, ou même sans motif, la possibilité que son renvoi éventuel ait pu être retardé est un élément à considérer.
Compte tenu de ces facteurs, tous impondérables, je pense qu'il ne serait pas injuste d'évaluer les dommages du pétition- naire à $500, montant que je lui accorde.
Utilisant un raisonnement semblable dans l'af- faire Hopson (précitée), le juge Thurlow établit les dommages dans ce cas à $400.
9 [1956-60] R.C.É. 175. io [1966] R.C.É. 608.
Selon l'avocat de la défenderesse, en l'espèce la preuve démontre clairement que le Ministère vou- lait, sans l'ombre d'un doute, congédier le deman- deur, que s'il avait adopté la procédure applicable en vertu des lois et des règlements pertinents, le résultat final aurait été le même, savoir, le deman- deur aurait été congédié, et que, par conséquent, pour calculer le montant des dommages, il faut se limiter à la période dont l'employeur aurait eu besoin pour mener à bien les procédures appro- priées. L'avocat prétend que ces procédures auraient nécessité quelques semaines ou tout au plus quelques mois et que, par conséquent, le montant des dommages réclamé par le demandeur devrait se limiter tout au plus, au montant corres- pondant à quelques mois de salaire.
Même en considérant que c'est la façon légitime d'évaluer les dommages-intérêts du demandeur, je ne puis accepter qu'à l'issue des procédures appro- priées, le demandeur aurait été légalement et vala- blement congédié dans un délai de quelques semai- nes ou de quelques mois.
Ainsi que l'a déclaré le juge en chef Jackett à la page 777 de la décision de la Cour d'appel (préci- tée), le demandeur aurait pu être renvoyé pour incompétence ou incapacité en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique qui se lit comme suit:
31. (1) Lorsque, de l'avis du sous-chef, un employé est incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, ou qu'il est incapable de remplir ces fonctions, et qu'il devrait
a) être nommé à un poste avec un traitement maximum inférieur, ou
b) être renvoyé,
le sous-chef peut recommander à la Commission que l'employé soit ainsi nommé ou renvoyé, selon le cas.
(2) Le sous-chef doit donner à un employé un avis écrit de toute recommandation visant la nomination de l'employé à un poste avec un traitement maximum inférieur ou son renvoi.
(3) Dans un tel délai subséquent à la réception de l'avis mentionné au paragraphe (2) que prescrit la Commission, l'employé peut en appeler de la recommandation du sous-chef à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'employé et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
a) avertir le sous-chef en cause qu'il ne sera pas donné suite à sa recommandation, ou
b) nommer l'employé à un poste avec un traitement maxi mum inférieur ou le renvoyer,
selon ce qu'a décidé le comité.
(4) S'il n'est pas interjeté aucun appel d'une recommanda- tion du sous-chef, la Commission peut prendre, relativement à cette recommandation, la mesure qu'elle estime opportune.
(5) La Commission peut renvoyer un employé en conformité d'une recommandation formulée aux termes du présent article; l'employé cesse dès lors d'être un employé.
Toutefois, si l'on adoptait une telle procédure, l'employé aurait le droit, en vertu de l'article 31(3) d'interjeter appel et il faudrait respecter les procé- dures d'appel qui y sont prévues. La durée de ces procédures d'appel dans un cas ordinaire est très hypothétique, mais je pense qu'il est juste d'affir- mer que le délai en question serait considérable.
La seule autre procédure qui, le cas échéant, pourrait être adoptée en l'espèce serait un congé- diement à titre de sanction pour manquement à la displine ou inconduite. L'article 7(1)f) de la Loi sur l'administration financière (précitée) se lit comme suit:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publique, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,
f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées pour manquements à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
Sous le régime de ladite loi, le Conseil du Trésor adopta le Règlement intitulé «Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique» le 13 mars 1967 1 '; son article 106 se lit comme suit:
106. Sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, un sous-chef peut,
a) fixer des normes de discipline pour les employés;
b) prescrire des pénalités financières et autres, y compris la suspension et le congédiement, pouvant être appliquées dans le cas d'infraction à la discipline ou d'inconduite;
c) imposer, modifier ou abroger en totalité ou en partie les pénalités autres que le congédiement, prescrites en vertu de l'alinéa b); et
" DORS/67-118, Gazette du Canada, Partie II, vol. 101.
d) avec l'approbation du Conseil du Trésor, congédier un employé ou annuler le congédiement d'un employé.
En vertu dudit règlement, le demandeur pouvait être congédié par le sous-chef avec l'approbation du Conseil du Trésor. Toutefois, si cette procédure devait être suivie, le demandeur aurait le droit d'invoquer la procédure des griefs prévue aux arti cles 90 et 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et qui se termine par une décision arbitrale.
Il est manifeste qu'une telle procédure prend ordinairement beaucoup de temps. Les procédures inopérantes qui aboutirent à la décision de la Cour d'appel fédérale susmentionnée constituaient des procédures de griefs intentées en vertu des articles 90 et 91. Le demandeur déposa son grief le 31 juillet 1970, l'arbitre en chef rendit sa décision le 12 janvier 1971, et la Commission des relations de travail dans la Fonction publique ne rendit la sienne que le 29 janvier 1973. Ainsi, ces procédu- res inopérantes commencèrent le 31 juillet 1970 et se poursuivirent pendant quelque 30 mois.
Ce serait pure spéculation d'affirmer qu'une décision finale aurait été rendue dans un plus court délai si la défenderesse avait suivi correctement la procédure. Puisque l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique prévoit un renvoi à la Commission de «toute ques tion de droit ou de compétence» soulevée à l'occa- sion d'un arbitrage, il est tout à fait possible qu'au cours d'un arbitrage valable, on se prévale de cette procédure; il y aurait ainsi renvoi à la Commission, prolongation considérable des délais et finalement, une décision définitive deux ans et demi plus tard.
Si l'on avait suivi les procédures appropriées et si le demandeur avait bénéficié des recours et des droits que la loi et les règlements lui accordaient, il aurait conservé son emploi pendant toute cette période.
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a, en agissant ainsi, privé le demandeur des droits que le législateur lui accordait et, à mon avis, la défenderesse ne peut maintenant prétendre que les dommages subis par le demandeur sont négligeables.
Je ne serais probablement pas parvenu à un chiffre très différent en m'inspirant de la méthode de calcul utilisée dans les affaires Zamulinski et
Hopson (précitées) pour évaluer les dommages subis par le demandeur; je suis toutefois d'avis que puisque dans le cas présent, il n'y a pas eu congé- diement du demandeur par la défenderesse, aucune de ces affaires qui portent sur des domma- ges-intérêts pour la violation d'un droit conféré par la loi, ni aucun des nombreux arrêts relatifs aux dommages-intérêts pour renvoi illégal ne peuvent s'appliquer à la situation de fait actuelle.
Dans la présente affaire, le demandeur n'a jamais été congédié. La Cour d'appel fédérale décida que son prétendu renvoi était nul. Cette décision fut rendue le 8 juin 1973. Par la suite, aucune démarche ne fut entreprise pour rengager le demandeur ou pour le congédier légalement en conformité avec les lois et règlements examinés plus haut.
Le demandeur avait le droit de rester en fonc- tion du jour du renvoi inopérant, soit le 31 juillet 1970, jusqu'au 29 décembre 1973, date de sa retraite obligatoire. La défenderesse s'y est en fait injustement et illégalement opposée. Par consé- quent, la perte de salaire du demandeur est un élément important des dommages qu'il a subis. Ainsi qu'il a été expliqué antérieurement, le demandeur tenta l'impossible pour obtenir un autre emploi, sans succès. Pendant toute cette période, il était en bonne santé et il était capable et désireux de travailler. Le demandeur a été privé de son droit à la pension de retraite puisque la défen- deresse, au moment du prétendu renvoi, lui avait remboursé ses contributions, supprimant ainsi tous ses droits éventuels à des prestations de retraite.
L'avocat de la défenderesse prétendit que tout versement d'indemnité devrait être réduit, compte tenu du fait que le salaire mensuel du demandeur aurait été imposable, alors qu'une telle indemnité ne l'est pas. Je ne souscris pas à cette prétention et, en rejetant cet argument, je m'appuie sur le rai- sonnement de M. le juge Judson dans l'affaire La Reine c. Jennings 12
D'autre part, je ne suis pas convaincu que le demandeur aurait touché le montant additionnel de $5,000 qu'il réclame au titre d'heures supplé- mentaires et de service de garde, lui eût-il été
12 [1966] R.C.S. 532, aux pages 545 et 546.
permis de conserver son emploi. La preuve a révélé qu'après 1970, les préposés au soin des enfants avaient effectué moins d'heures supplémentaires. Je pense toutefois que normalement, il en aurait effectué un certain nombre. De même, on a évalué le salaire pour la période du ler août 1970 au 29 décembre 1973 en prenant pour acquit que, pen dant ces années, le demandeur aurait autant tra- vaillé qu'au cours de sa dernière année d'emploi. Il existe donc une certaine incertitude sur le montant de la perte de salaire pour ces années.
Dans l'affaire Wertheim c. Chicoutimi Pulp Co. ([1911] A.C. 301 la page 307), lord Atkinson a énoncé le principe général à suivre pour évaluer les dommages-intérêts:
[TRADUCTION] Et la loi vise généralement, en accordant des dommages pour rupture de contrat, à mettre le demandeur, dans la mesure cela peut se faire par l'allocation d'une somme d'argent, dans l'état il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté ... C'est le principe fondamental. C'est un principe juste.
Dans les affaires Cotter c. General Petroleums Limited ([1951] R.C.S. 154) et Sunshine Exploration Ltd. c. Dolly Varden Mines Ltd. ([1970] R.C.S. 2), la Cour suprême du Canada a souscrit à ce principe de droit.
En appliquant ces principes aux faits de l'espèce, compte tenu des nombreux facteurs impondéra- bles, je conclus que le montant de $20,000 consti- tue une indemnité suffisante à compenser tous les dommages subis par le demandeur.
Le jugement sera donc libellé comme suit:
1. La défenderesse n'a pas le droit de renvoyer le demandeur en invoquant l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
2. le prétendu renvoi du demandeur par la défenderesse est de toute façon nul et de nul effet;
3. la défenderesse doit payer au demandeur la somme de $20,000, titre de dommages-inté- rêts;
4. la défenderesse est tenue de payer au deman- deur ses dépens de l'action.
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