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A-7-75
Canadien Pacifique Limitée (Appelante) c.
Les gouvernements de l'Alberta, de la Saskatche- wan, du Manitoba et de l'Ontario et The Atlantic Provinces Transportation Commission (Intimés)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte, Heald, Urie et Ryan—Ottawa, les 24 et 25 janvier 1975.
Chemins de fer—Publication d'un tarif augmentant les taux de fret—La Commission canadienne des transports ordonne de réduire de cinquante pour cent cette majoration—Ordonne aussi que le reste de l'augmentation soit retardée de deux mois—Ordonnance jugée invalide—Renvoi à la Commission pour nouvel examen—Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-23, art. 45, 46, 58 et 64—Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 264, 268 270, 274 278.
Le tarif 1005 de l'Association canadienne du trafic-mar- chandises, déposé et publié en conformité des règlements de la Commission canadienne des transports, le 22 novembre 1974, augmentait les taux applicables et devait entrer en vigueur le 1" janvier 1975. Le 24 décembre 1974, les provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba demandèrent à la Commis sion une ordonnance qui suspendrait ou retarderait l'entrée en vigueur du tarif et interdirait aux transporteurs d'exiger les taux ainsi fixés. Le Comité des transports par chemins de fer de la Commission décida, qu'à concurrence de cinquante pour cent de chaque majoration des taux, le tarif entrerait en vigueur et que les autres cinquante pour cent seraient remis au 1" mars 1975. Les compagnies de chemins de fer ont obtenu l'autorisa- tion d'interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale sur la question de savoir si «la Commission canadienne des transports avait effectivement le pouvoir de rendre une telle ordonnance». L'appel interjeté par la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada fut entendu en même temps que celui de la présente compagnie appelante.
Arrêt: à l'unanimité, l'ordonnance est invalide et doit être annulée, et, à la majorité, la Commission, en annulant l'ordon- nance, devrait examiner si elle doit rendre une ordonnance exigeant une période minimale plus longue entre le dépôt et la publication du tarif et son entrée en vigueur.
Le juge Thurlow (avec l'appui des juges Heald et Urie): aux termes de l'article 64 de la Loi nationale sur les transports, la Cour a seulement compétence pour déterminer si l'ordonnance en cause est valide. Le Comité des transports par chemins de fer s'était appuyé sur l'article 275(2) de la Loi sur les chemins de fer et l'article 58 de la Loi nationale sur les transports. Aucun de ces articles, ni d'ailleurs aucun autre article des lois examinées, ne peut être interprété comme conférant à la Com mission le pouvoir de rendre une ordonnance retardant la date d'entrée en vigueur de l'ensemble ou d'une partie d'un tarif dûment déposé et publié ou de fixer une autre date d'entrée en vigueur de l'ensemble ou d'une partie de ce tarif. Mais la Commission avait cependant le pouvoir d'accueillir la demande du procureur général du Canada en rendant une ordonnance en vertu de l'article 275(2) de la Loi sur les chemins de fer, augmentant la période minimale après publication du tarif,
même si cela pouvait imposer la délivrance et le dépôt d'un avis modifié. Après l'annulation de l'ordonnance en cause, la Com mission ne sera pas pour autant dépouillée de sa compétence, mais pourra et devra même décider si une ordonnance de la catégorie prévue à l'article 275(2) doit être rendue.
Les juges Pratte et Ryan, en partie dissidents: l'ordonnance en appel doit être annulée mais aux termes de l'article 275(2) de la Loi sur les chemins de fer, la Commission n'a pas le pouvoir de rendre une ordonnance sur un tarif déjà dûment déposé et publié.
APPEL. AVOCATS:
H. J. G. Pye, c.r., et J. M. Duncan pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
C. R. O. Munro, c.r., et G. P. Miller, c.r., pour le Canadien Pacifique Limitée.
A. Garneau et G. W. Ainslie, c.r., pour le sous-procureur général du Canada.
H. Kay pour le gouvernement de l'Alberta. Gordon Blair, c.r., et Jean Lemieux pour les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba.
D. W. Burtnick pour le gouvernement de l'Ontario.
J. Davison et L. J. Hayes pour The Atlantic Provinces Transportation Commission. W. G. Burke-Robertson, c.r., pour le gouver- nement de la Colombie-Britannique.
J. Fortier, c.r., pour la Commission cana- dienne des transports.
PROCUREURS:
H. J. G. Pye, c.r., Montréal, pour la Compa- gnie des chemins de fer nationaux du Canada. C. R. O. Munro, c.r., Montréal, pour le Cana- dien Pacifique Limitée.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Jones, Black, Gain & Laycraft, Calgary, pour le gouvernement de l'Alberta.
Herridge, Tolmie, Gray, Coyne & Blair, Ottawa, pour les gouvernements de la Saskat- chewan et du Manitoba.
Le ministère des Transports et des Communi cations pour l'Ontario, Downsview (Ontario) pour le gouvernement de l'Ontario.
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour The Atlantic Provinces Transportation Commission.
Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie, Ottawa, pour le gouvernement de la Colombie-Britannique.
J. Fortier, c.r., Ottawa, pour la Commission canadienne des transports.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Appel est interjeté par les présentes, en vertu de l'article 64 de la Loi natio- nale sur les transports, de l'ordonnance R-19840, rendue par le Comité des transports par chemins de fer de la Commission canadienne des transports le 31 décembre 1974. Un appel sembla- ble interjeté de la même ordonnance par la Com- pagnie des chemins de fer nationaux du Canada fut entendu en même temps.
L'ordonnance en cause fut rendue à la suite de l'audition d'une demande présentée par les gouver- nements des provinces de l'Alberta, de la Saskat- chewan et du Manitoba en vue d'obtenir une ou plusieurs ordonnances qui suspendraient ou retar- deraient l'entrée en vigueur, fixée au 1 e7 janvier 1975, du tarif 1005 de l'Association canadienne du trafic-marchandises et de tout autre tarif perti nent, et interdiraient aux transporteurs d'exiger les taux et prix ainsi fixés. Les tarifs en cause ont été déposés et publiés le 22 novembre 1974 et, selon leurs propres termes, devaient entrer en vigueur le 1 e7 janvier 1975. Il ne fut jamais question du défaut par l'une ou l'autre des compagnies de chemins de fer de se conformer à un règlement, ordonnance ou instruction de la Commission trai- tant des tarifs en général ou de ces tarifs en particulier ou, en ce qui concerne le présent litige, du défaut de dépôt ou de publication de ces tarifs.
Le dispositif de l'ordonnance en cause se lit comme suit:
LE COMITÉ ORDONNE CE QUI SUIT:
1. Les taxes figurant au tarif CFA 1005 et autres tarifs applicables, devant entrer en vigueur le 1°' janvier 1975, seront majorées à cette date de 50 p. cent, la seconde étape de l'augmentation étant retardée jusqu'au 1" mars 1975.
2. Les intimés doivent déposer et publier immédiatement les modifications susdites qui donneront suite à la clause 1; tout délai ou autre autorisation nécessaire pour faciliter leur mise en oeuvre sont par les présentes accordés par la Décision 5301, en date du 31 décembre 1974.
3. Les requérants et intervenants doivent faire régulièrement rapport, au Directeur exécutif de la Direction de l'exploitation et des tarifs de la Commission canadienne des transports, sur le déroulement de leurs négociations et/ou discussions avec les intimés.
4. Toute rupture dans les négociations ou autre difficulté majeure doit être rapportée dans les 24 heures à la Commis sion, avec preuves à l'appui.
On peut interjeter appel d'une ordonnance de la Commission devant la présente Cour, sur son auto- risation, mais seulement s'il s'agit d'une question de droit ou de compétence. Dans l'affaire présente, les appelants ont demandé et obtenu une autorisa- tion d'interjeter un appel fondé sur la question de savoir si [TRADUCTION] «la Commission cana- dienne des transports avait effectivement le pou- voir de rendre une telle ordonnance». Dans un appel de ce genre, il n'appartient pas à la Cour de donner son opinion sur l'adéquation ou les consé- quences économiques des taux de transports de marchandises existants ou prévus, ni de décider si les augmentations proposées sont appropriées ou opportunes. La compétence de la Cour en vertu de l'article 64 se limite à décider de la légalité de l'ordonnance en appel.
Le Comité des transports par chemins de fer rendit cette ordonnance en se fondant sur les pou- voirs conférés par le paragraphe 275(2) de la Loi sur les chemins de fer et l'article 58 de la Loi nationale sur les transports. Le fait que le Comité se soit fondé sur ces dispositions n'est cependant pas à mon avis d'une importance décisive. Si d'au- tres dispositions législatives confèrent au Comité les pouvoirs nécessaires, on peut justifier cette ordonnance en considérant que ces pouvoirs en permettent la délivrance. Cependant, bien qu'on ait mentionné un certain nombre d'autres disposi tions, ainsi que les origines législatives des lois actuelles, aucune autre disposition ne pourrait à mon avis servir de fondement à cette ordonnance. Parmi ces dispositions, se trouvent les articles 45 et 46 de la Loi nationale sur les transports qui confèrent à la Commission canadienne des trans ports, en termes très larges, la compétence pour entendre des demandes et rendre des ordonnances portant notamment sur toute affaire, chose ou action que la Loi sur les chemins de fer défend, autorise ou prescrit. Même s'il est peut-être diffi- cile de délimiter précisément les pouvoirs ainsi conférés, je ne pense pas qu'il soit possible de considérer ces dispositions comme autorisant le
Comité à rendre des ordonnances qui - auraient pour effet de contredire ce qui est expressément prévu par la Loi sur les chemins de fer.
Avant de citer l'article 275, il est peut-être utile de rappeler diverses autres dispositions de la Loi sur les chemins de fer concernant les tarifs de transports des marchandises et formant le contexte de cet article.
Sous le titre Tarifs—dispositions générales, le paragraphe 268(1) prévoit que:
268. (1) Chaque compagnie doit déposer à la Commission la classification des marchandises à laquelle doivent être subor- donnés ses tarifs de taxes et doit maintenir les tarifs de taxes qui, conjointement avec une classification de marchandises, prévoiront les taxes publiées applicables de tout point à tout autre point de sa ligne au Canada.
269. (1) La compagnie ou ses administrateurs, par règle- ment, ou un fonctionnaire de la compagnie autorisé par règle- ment de cette dernière ou de ses administrateurs, peut, quand il y a lieu, préparer et publier des tarifs des taxes à percevoir relativement au chemin de fer que la compagnie possède ou tient en service, et peut spécifier à quelles personnes, en quel endroit et de quelle manière ces taxes doivent se payer.
(2) Ces taxes peuvent s'appliquer à tout le parcours ou à une partie du chemin de fer.
(3) Un règlement mentionné au paragraphe (1) doit être déposé à la Commission.
(4) Sauf autorisation contraire découlant de la présente loi, la compagnie ne doit pas imposer de taxes à l'exception des taxes spécifiées dans un tarif qui a été déposé à la Commission et est en vigueur.
(5) La Commission peut, relativement à tout tarif de taxes ou classifications, établir des règlements fixant et déterminant à quelle époque, en quel endroit et de quelle manière le tarif doit être déposé, publié et tenu à la disposition du public, et modifié, consolidé, remplacé ou annulé.
(6) Nonobstant les dispositions de l'article 3, le pouvoir que la présente loi attribue à la compagnie de fixer, préparer et émettre des tarifs, taxes et taux, et de les changer et les modifier, n'est pas limité ni d'aucune façon atteint par une loi quelconque du Parlement du Canada, ni par un traité conclu ou passé en conformité d'une telle loi, qu'elle soit générale ou spéciale dans son applicatio1 et qu'elle ait trait à un seul ou à plusieurs chemins de fer particuliers, à l'exception de la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les Provinces maritimes, de la clause 32 des Conditions de l'Union de Terre-Neuve au Canada, et de la Partie IV de la Loi sur les transports. S.R., c. 234, art. 326; 1966-67, c. 69, art. 49.
270. Tous les règlements de tarifs et tous les tarifs de taxes doivent avoir la forme, le modèle et le format, et contenir les renseignements et détails que la Commission peut prescrire par voie de règlement ou dans un cas particulier. S.R., c. 234, art. 327.
Sous le titre Tarifs des marchandises, le paragra- phe 274(1) dispose que:
274. (1) Suivent les tarifs des taxes que la compagnie est autorisée à émettre en vertu de la présente loi pour le transport de marchandises entre des points situés sur le chemin de fer:
a) les tarifs de taux de catégorie;
b) les tarifs de taux sur un produit désigné;
c) les tarifs de taux de concurrence; et
d) les tarifs relevant d'arrangements spéciaux.
276. (1) Sauf dispositions différentes de la présente loi, tous les taux de transport de marchandises doivent être compensa- toires; et la Commission peut sommer la compagnie qui émet un tarif-marchandises de lui communiquer, lors du dépôt du tarif ou à toute autre époque, tous renseignements exigés par la Commission pour établir que les taux figurant dans ce tarif sont compensatoires.
277. (1) La Commission peut rejeter tout taux de transport de marchandises qu'elle estime, après enquête, n'être pas compensatoire.
Je m'arrête ici pour faire remarquer qu'en règle générale, l'économie de ces dispositions tend à laisser aux compagnies de chemins de fer la déter- mination des taxes qu'elles exigeront, bien que la procédure de dépôt et de publication des tarifs de taxes, ainsi que les renseignements à fournir dans lesdits tarifs soient régis par des dispositions parti- culières de la Loi et par des règlements éventuelle- ment établis par la Commission en vertu des pou- voirs conférés par ladite loi. Ces dispositions prévoient aussi que la compagnie ne peut exiger que des taxes déterminées en conformité de la procédure statutaire. La Commission ne dispose d'aucun pouvoir général pour refuser un tarif de taxes ou le rejeter et le remplacer par un autre. Le pouvoir de rejeter ces tarifs et d'exiger des substi tutions lui est conféré dans les cas particuliers prévus à l'article 264 et au paragraphe 265(8) et celui de rejeter des tarifs lui est conféré dans les cas particuliers prévus au paragraphe 277(1). L'article 278 prévoit une procédure par laquelle un expéditeur dans un cas particulier peut demander un redressement relativement aux taux de trans port dont il n'est pas satisfait et l'article 23 de la Loi nationale sur les transports autorise toute personne à interjeter appel de certains taux et à demander la suppression de leurs caractéristiques préjudiciables, après la tenue de l'enquête prévue à cet article. Cependant aucune de ces dispositions ne s'applique à l'espèce. En outre, il n'existe aucun pouvoir général de suspendre ou retarder l'entrée en vigueur de tarifs.
Je cite maintenant l'article 275.
275. (1) Tout tarif de marchandises et chaque modification d'un tarif de marchandises doivent être déposés et publiés, et un avis de leur émission et de l'annulation de tout semblable tarif ou partie de tarif doit être donné conformément aux règle- ments, ordres ou instructions édictés par la Commission.
(2) Sauf ordre contraire de la Commission, lorsqu'un tarif- marchandises majore une taxe dont l'imposition était antérieu- rement autorisée sous le régime de la présente loi, la compagnie doit de la même manière déposer et publier ce tarif au moins trente jours avant la date de son entrée en vigueur.
(3) Un tarif-marchandises qui réduit une taxe dont l'imposi- tion était antérieurement autorisée sous le régime de la présente loi peut devenir applicable et être appliqué dès l'émission du tarif avant même d'avoir été déposé à la Commission.
(4) Lorsqu'un tarif de marchandises est déposé et qu'un avis de son émission est donné conformément à la présente loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commission, les taxes y prévues, à moins que la Commission ne les rejette, et tant qu'elle ne l'aura pas fait, sont péremptoirement censées être les taxes licites et doivent prendre effet à la date mentionnée dans le tarif comme étant la date elles doivent prendre effet, et le tarif remplace tout tarif antérieur ou toute partie d'un tel tarif dans la mesure il réduit ou majore les taxes y prévues; et la compagnie doit par la suite imposer les taxes qui y sont spécifiées jusqu'à ce que ledit tarif expire, ou que la Commis sion le rejette ou qu'un autre tarif le remplace. S.R., c. 234, art. 333; 1966-67, c. 69, art. 52.
Le paragraphe 269(5) confère le pouvoir d'éta- blir des règlements relativement au dépôt et à la publication (etc.) de tarifs, et l'article 270, le pouvoir d'établir des règlements d'application générale, de rendre des ordonnances ou donner des directives dans un cas particulier sur leur forme, leur modèle, leur contenu, etc.... Je ne peux donc pas considérer que le paragraphe 275(1) confère à nouveau à la Commission le pouvoir d'établir des règlements, de rendre des ordonnances ou de donner des instructions. A mon avis, il prévoit simplement que les tarifs doivent être déposés et publiés et qu'il faut donner avis de leur émission et de leur annulation, en conformité des règlements, ordonnances ou instructions légalement édictées en vertu des pouvoirs conférés par d'autres disposi tions législatives. En outre, il ressort de la lecture de l'article 275, pris globalement, que rien dans son paragraphe (1) n'exige que le dépôt et la publication soient effectués ou terminés avant l'en- trée en vigueur du tarif.
Dans ce contexte, il me semble que le paragra- phe 275(2) exige de la compagnie, lorsqu'un tarif majore une taxe antérieurement autorisée, qu'elle le dépose et le publie pendant une période d'au moins trente jours avant la date de son entrée en
vigueur, à moins que la Commission n'en dispose autrement. L'objet de ce paragraphe consiste à prévoir la procédure et les délais du dépôt et de la publication obligatoires des tarifs lorsqu'ils majo- rent les taxes existantes et aux termes de ce para- graphe, le pouvoir de la Commission d'en disposer autrement se limite, à mon avis, au même sujet. Il s'ensuit donc à mon sens que l'exception dans son contexte n'accorde à la Commission un pouvoir général de rendre toute ordonnance qu'elle pour- rait considérer utile, mais lui confère simplement le pouvoir de prescrire une procédure de dépôt et de publication d'un tarif différente de la procédure prévue au paragraphe 275(1), d'éliminer la période de trente jours ou de dispenser la compagnie du dépôt et de la publication du tarif avant son entrée en vigueur. L'énoncé du paragraphe est, à mon avis, assez large pour autoriser la Commission à rendre une ordonnance augmentant la période minimale qui y est prévue, mais je ne pense pas possible de l'interpréter comme conférant à la Commission le pouvoir de rendre une ordonnance retardant la date d'entrée en vigueur d'une partie ou de l'ensemble d'un tarif dûment déposé et publié ou de fixer une nouvelle date pour l'entrée en vigueur de l'ensemble ou d'une partie de ce tarif.
C'est cependant le résultat du paragraphe 1 de l'ordonnance en appel, en ce qui concerne 50 pour cent de l'augmentation projetée. Les autres para- graphes de l'ordonnance ne sont à mon avis que des dispositions incidentes: le paragraphe 2 vise la régularisation des conséquences du paragraphe 1 et les paragraphes 3 et 4 ont pour but d'exercer une certaine pression sur les compagnies de che- mins de fer pour qu'elles négocient avec les provin ces intimées selon les souhaits de la Commission. Le fond même de cette ordonnance, prise dans son ensemble, ne porte pas sur la procédure à suivre pour le dépôt et la publication d'un tarif, ni sur la période minimale prévue; à mon avis elle n'appar- tient pas à la catégorie d'ordonnances que la Com mission est autorisée à rendre en vertu de ce paragraphe. A ce sujet, je souscris à la prétention de l'avocat de l'appelante selon laquelle une telle ordonnance serait de celles qui s'appliquent au dépôt et à la publication de l'ensemble d'un tarif déjà déposé et non à un ou plusieurs tarifs nou- veaux, non encore en vigueur, concernant 50 pour cent des augmentations de taxes; la détermination
de la date d'entrée en vigueur de ces nouveaux tarifs aurait été laissée aux compagnies de chemins de fer. Je suis aussi d'avis que les paragraphes (3) et (4) soulèvent une autre objection, savoir que la Commission n'a pas la compétence pour ordonner à qui que ce soit de lui rendre compte du déroule- ment des négociations dans une telle situation. Rien non plus dans les articles 58 ou 48 de la Loi nationale sur les transports, dont il était fait men tion dans les motifs de la Commission, ne peut servir de fondement à une telle ordonnance. Je conclus donc que l'ordonnance doit être annulée.
L'affaire cependant ne s'arrête pas là. Même si les requêtes présentées à la Commission deman- daient une ordonnance suspendant ou retardant l'entrée en vigueur des tarifs, redressement que la Commission n'était pas autorisée à accorder, l'arti- cle 58 de la Loi nationale sur les transports autori- sait cependant la Commission à accorder, dans la limite de ses pouvoirs, tout redressement qu'elle considérait approprié, qu'il lui ait été demandé ou non; l'avocat du procureur général du Canada a demandé le renvoi de l'affaire à la Commission afin qu'elle décide si elle doit rendre une ordon- nance en vertu du paragraphe 275(2) exigeant l'extension de la période minimale de dépôt et de publication du tarif avant son entrée en vigueur. L'avocat de l'appelante répondit à cela qu'une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 275(2), après le dépôt et la signification du tarif en confor- mité des règlements alors en vigueur, porterait rétroactivement atteinte au droit acquis de l'appe- lante d'exiger les taxes majorées à partir de la date d'entrée en vigueur fixée dans le tarif et que le paragraphe 275(2) ne devrait pas être interprété comme autorisant la Commission à rendre une ordonnance ayant un effet rétroactif. Il prétendit aussi que l'énoncé du paragraphe 275(4)
... lorsqu'un tarif de marchandises est déposé et qu'un avis de son émission est donné conformément à la présente loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commission ....
couvre les règlements, ordres et instructions en vigueur à cette époque et non les ordonnances pouvant être rendues ultérieurement.
A mon avis cela revient à tenir pour vrai, sans preuve, qu'une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 275(2) aurait un effect rétroactif, par dérogation aux droits acquis, si elle était rendue après le dépôt du tarif et la signification d'un avis de son émission en conformité de la Loi et des
règlements, etc., de la Commission, alors qu'il faut déterminer si l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe 275(2) après le dépôt et la significa tion était une ordonnance au sens du paragraphe 275(4) en conformité duquel devraient être effec- tués le dépôt et la signification. Si tel était le cas, la dévolution de ces droits dépendrait de l'applica- tion de l'article ou, en d'autres termes, elle ne deviendrait jamais absolue, mais serait à tout moment susceptible de rejet par ordonnance rendue en vertu du paragraphe 275(2). Il faut donc décider si cette ordonnance relève du para- graphe 275(4).
A cet égard, l'énoncé du paragraphe 275(4) semble à première vue appuyer la prétention de l'appelante. Si sa prétention est fondée, seule la compagnie de chemins de fer, à toutes fins prati- ques, peut demander une ordonnance en vertu du paragraphe 275(2) puisque seule la compagnie sait de quelle augmentation elle demandera l'applica- tion; lorsque les tarifs ont été déposés et lorsqu'un avis de leur émission a été donné, il est trop tard pour demander une ordonnance exigeant un plus grand délai. Il me semble qu'il s'agisse d'une conclusion à éviter en soi si possible, en s'appuyant sur une interprétation raisonnable de la Loi, d'au- tant plus qu'elle contredit à mon avis l'économie même des articles 45 et 46 de la Loi nationale sur les transports. Ces articles autorisent la Commis sion à instruire, entendre et juger toute requête présentée par les intéressés ou en leur nom, ou, en vertu de l'article 48, de son propre chef, et, à l'occasion de ces requêtes, à rendre toute ordon- nance qu'elle est autorisée à rendre, ce qui, à mon avis, inclut une ordonnance en vertu du paragra- phe 275(2) augmentant la période minimale. Il me semble que ce n'est aucunement forcer le sens naturel de l'énoncé du paragraphe 275(4) que de considérer l'expression «lorsqu'un tarif de mar- chandises est déposé et qu'un avis de son émission est donné conformément à la présente loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commis sion» comme signifiant, déposé pendant la période de temps fixée par la Loi, les règlements, les ordonnances, etc. Je suis donc d'avis que la Corn- mission a le pouvoir de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 275(2) pour allonger la période minimale fixée audit article, après le dépôt du tarif, etc., même si, une fois déposé, ce tarif fixe une date d'entrée en vigueur que la
compagnie devra modifier de manière à pouvoir se co''nformer à ladite ordonnance. Cela peut entraî- ner la délivrance et le dépôt d'un avis modifié ce qui, à mon avis, est sans grande importance pratique.
Puisque la date d'entrée en vigueur fixée dans les tarifs, soit le l er janvier 1975, est déjà passée, la question de savoir si une ordonnance pouvait main- tenant être rendue en vertu du paragraphe 275(2) a soulevé quelques doutes dans mon esprit; mais puisque les provinces avaient déposé leurs deman- des auprès de la Commission avant cette date et puisque la Commission aurait pu accorder une ordonnance de la catégorie prévue au paragraphe 275(2), il me semble qu'après l'annulation de l'or- donnance en cause, la Commission ne sera pas pour autant dépouillée de sa compétence, mais pourra et devra même examiner si une ordonnance de la catégorie prévue au paragraphe 275(2) doit être rendue.
J'accueillerais donc l'appel et signifierais à la Commission notre opinion selon laquelle l'ordon- nance en appel est invalide et doit être annulée et qu'à la suite de l'annulation de cette ordonnance, il incombe à la Commission d'examiner si une ordon- nance de la catégorie prévue au paragraphe 275(2) doit être rendue.
Aucuns dépens ne seront adjugés aux parties.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: J'estime, comme mon collè- gue le juge Thurlow, que cet appel doit être accueilli et que l'ordonnance de la Commission doit être annulée. Cependant, je ne partage pas son opinion lorsqu'il affirme que la Commission, au moment elle statuait sur la demande des inti- més, avait, et possède encore, le pouvoir de rendre une ordonnance en vertu de l'article 275(2) de la Loi sur les chemins de fer concernant le tarif déposé par l'appelante.
A mon avis, l'article 275(2), lu dans son con- texte et examiné à la lumière de ses origines, n'autorise pas la Commission à rendre une ordon- nance concernant un tarif déjà déposé. Si l'on devait interpréter cet article autrement, il en résul- terait que la Commission pourrait déclarer qu'un tarif, déposé et publié à la date prescrite par la
Loi, l'a été trop tard et qu'il est, pour cette raison, privé de tout effet. J'estime qu'un tel résultat est inacceptable.
Pour tous ces motifs je m'en tiendrais à accueil- lir l'appel et à signifier à la Commission l'opinion que l'ordonnance en appel ne relevait pas de sa compétence et doit être annulée.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE HEALD: J'ai lu les motifs prononcés par mon collègue le juge Thurlow, et j'y souscris ainsi qu'à la décision qu'il propose en l'espèce.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE URIE: Je souscris aux conclusions de mon collègue le juge Thurlow, aux motifs qu'il a prononcés ainsi qu'à la décision qu'il propose dans cet appel.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Je souscris à la conclusion de mon collègue le juge Thurlow selon laquelle l'or- donnance R-19840 rendue par le Comité des transports par chemins de fer de la Commission canadienne des transports le 31 décembre 1974 doit être annulée.
Je ne pense pas cependant que l'affaire devrait être renvoyée à la Commission afin qu'elle consi- dère si elle devrait rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 275(2) de la Loi sur les chemins de fer imposant une période minimale plus longue pour le dépôt et la publication du tarif avant son entrée en vigueur.
La date d'entrée en vigueur du tarif en cause est la date fixée par le tarif 1005 qui fut déposé et pour lequel un avis d'émission a été donné en conformité de la Loi sur les chemins de fer. Rien dans les plaidoiries n'indique qu'au moment du dépôt, l'on avait omis de se conformer à un règle-
ment en vigueur ou qu'une ordonnance de la Com mission avait modifié la période prévue pour le dépôt, savoir au moins trente jours avant la date d'entrée en vigueur du tarif. La question à tran- cher maintenant est de savoir si la Commission, sur la demande présentée le 24 décembre 1974 par les gouvernements des provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, aurait pu rendre une ordonnance prorogeant la période de dépôt minimale d'au moins trente jours. La date d'entrée en vigueur du tarif était fixée au l er janvier 1975, dans le tarif 1005. Je vois difficilement com ment à ce stade, la Commission aurait pu rendre une ordonnance imposant le dépôt et la publication à une époque qui s'étendrait au-delà de la date à laquelle le tarif fut effectivement déposé. La seule ordonnance à mon avis que la Commission aurait pu rendre à cette époque pour atteindre les buts recherchés par les gouvernements requérants aurait été une ordonnance similaire à celle qu'elle a rendue, soit une ordonnance retardant la date d'entrée en vigueur. Je ne trouve pas au paragra- phe 275(2) ni dans aucun autre texte législatif pertinent des dispositions autorisant une telle ordonnance.
J'accueillerais donc l'appel et signifierais à la Commission notre opinion selon laquelle elle a rendu l'ordonnance R-19840 sans en avoir léga- lement le pouvoir.
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