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A-20-73
Arthur Rudnikoff (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Hyde et Choquette —Montréal, le 4 décembre 1974.
Impôt sur le revenu—Bail emphytéotique de terrain au Québec—L'emphytéote, une compagnie, cède ses droits à une autre compagnie—Le contribuable et ses associés déte- nant une participation dans la seconde société—Construc- tion d'un immeuble—Cession du terrain et de la construction au contribuable et à ses associés—Contribuable revendi- quant l'allocation à l'égard du coût en capital—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 11(1)a)—Règlements de l'impôt sur le revenu, art. 1100(1)a), Ann. B, catégories 3 et 13; art. 1100(1)b), Ann. H; art. 1102(5)—art. 406 C.C.
Une compagnie, locataire d'un terrain en vertu d'un bail emphytéotique, a cédé ses droits à la compagnie T dans laquelle le contribuable et ses associés avaient une participa tion. La compagnie T, ayant édifié un immeuble sur le terrain, a cédé au contribuable et à ses associés ses droits sur le terrain et sur l'immeuble. Le contribuable réclame l'allocation de 5% à l'égard du coût en capital en vertu de l'article 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 1100(1)a) des Règlements de l'impôt sur le revenu, en qualité de propriétaire de «biens non compris dans aucune autre catégorie, constitués par un édifice ou autre structure» visés à l'Annexe B, catégorie 3a). Le Ministre a rejeté la demande, considérant que le contribuable n'avait droit qu'à une allocation pour «biens constitués par une tenure à bail» visés à l'Annexe B, catégorie 13. L'appel du contribuable a été rejeté par la Commission d'appel (actuel- lement de révision) de l'impôt et par la Division de première instance (l'affaire Feigelson c. La Reine, non publiée, n°s du greffe: T-4084-71, T-4085-71). Le contribuable a porté l'af- faire à la Cour d'appel.
Arrêt: l'appel est rejeté; il existe une distinction entre «la propriété» telle qu'elle est définie à l'article 406 du Code civil du Québec, savoir «le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue» et «la propriété» conférée à un emphytéote, tout comme il y a une différence entre les droits d'un locataire ordinaire et ceux d'un emphy- téote. Dans la dernière comparaison cependant, il y a un facteur commun: l'existence d'un bail. Ce facteur commun suffisait à faire entrer le bail emphytéotique dans l'expres- sion «tenure à bail» employée à l'article 1101(1)a) Annexe B, catégorie 13 des Règlements. Les termes du bail emphy- téotique en question ne peuvent affecter cette constatation d'ordre général.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
P. Vineberg, c.r., et A. Ross pour l'appelant.
A. Garon, c.r., et W. Lefebvre pour l'intimée.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, et Rappa- port, Whelan, Bessner, Gottlieb, Agard & Feldman, Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Je souscris à la solution proposée par mon collègue le juge Hyde.
Je n'ai aucun doute quant à la justesse des raisons fournies par mon collègue le juge Hyde et de celles du savant juge de première instance. Cependant, en tant que juriste formé principale- ment à la common law, je veux m'abstenir le plus possible de m'engager dans la qualification des particularités du bail emphytéotique. Par conséquent, j'énonce mes conclusions d'une manière légèrement différente.
Je ne doute pas qu'en vertu de l'article 1100(1)a) des Règlements de l'impôt sur le revenu, l'appelant ait droit à l'allocation à l'égard du coût en capital au taux de 5 pour cent l'an dans la mesure l'édifice en question était un bien de la catégorie 3, si l'exception implicite figurant à l'article 1100(1)b) ne lui était pas applicable, parce que la convention qui lui con- férait des droits sur l'immeuble était un «bail» ou «lease». Cependant, à mon avis, la transac tion était soumise à l'article 1100(1)b) parce que dans la Loi de l'impôt sur le revenu, les mots «bail» ou «lease» englobent non seulement les baux des provinces de common law (qui créent des droits réels) et les baux ordinaires de la province de Québec (qui créent seulement des droits personnels) mais aussi les baux emphy- téotiques du Code civil du Québec (qui créent des droits très rapprochés de ceux provenant des baux de common law, lorsqu'une transac tion réelle dans une province de common law revêt des caractères qui correspondent au bail emphytéotique de la province de Québec).
Cependant, à mon avis, quoiqu'en règle géné- rale—tant dans les provinces de common law que dans la province de Québec—un édifice soit lié au terrain et appartienne au propriétaire du terrain, on peut modifier cette situation, par contrat ou autrement, pour que la propriété de l'édifice soit distincte de la propriété du terrain et, dans ce cas, le bail ne porterait pas sur l'édifice. Un tel effet ne peut toutefois découler que d'une clause claire et, à mon avis, les termes du bail emphytéotique en l'espèce ne sont pas rédigés de manière à produire un tel effet.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: L'appelant inter- jette appel d'un jugement de la Division de première instance ayant rejeté son appel d'une décision de la Commission d'appel de l'impôt qui avait confirmé la cotisation de ses impôts pour les années 1964 et 1965.
Le litige porte sur la classification d'un cer tain édifice, sur lequel l'appelant a des droits, aux fins d'allocation à l'égard du coût en capital; suivant les décisions dont il est fait appel ces allocations devaient relever de la catégorie 13 plutôt que de la catégorie 3 des Règlements de l'impôt sur le revenu. (Articles 1100 et 1102, et annexes B et H)' .
I Voici les extraits applicables des articles 1100 et 1102, et des annexes B et H:
1100. (1) En vertu de l'alinéa a) du premier paragraphe de l'article 11 de la Loi, il est par les présentes alloué au contribuable dans le calcul de son revenu d'une entreprise ou de biens, selon le cas, des déductions pour chaque année d'imposition égales
a) au montant qu'il peut réclamer à l'égard de biens de chacune des catégories suivantes, comprises dans l'An- nexe B, sans dépasser, à l'égard des biens
(iii) de la catégorie 3,5%,
du coût en capital non déprécié, pour lui, des biens de la catégorie, à la fin de l'année d'imposition (avant d'opérer quelque déduction en vertu du présent paragraphe pour l'année d'imposition);
b) au montant qu'il peut réclamer à l'égard de ce qui lui coûtent en capital les biens de la catégorie 13 de l'Annexe B, sans dépasser le montant pour l'année calculé en conformité de l'Annexe H;
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1102. (2) Les catégories de biens décrits dans l'Annexe B sont censées ne pas comprendre le terrain sur lequel les biens qui y sont décrits ont été construits ou sont situés.
(4) Pour l'application de l'alinéa b) du premier paragraphe de l'article 1100, le coût en capital comprend le montant dépensé pour apporter une amélioration ou modification à des biens loués autre que le montant dépensé pour
a) la construction d'un édifice ou autre structure,
b) un rajout à un édifice ou autre structure, ou
c) des modifications apportées à des édifices qui changent sensiblement la nature ou le caractère des biens loués.
(5) Lorsque le contribuable est locataire à bail de biens, la mention dans l'Annexe B de biens prenant la forme d'un édifice ou autre structure est censée comprendre la mention de la partie de la tenure à bail acquise en raison du fait que le contribuable
a) a érigé un édifice ou structure sur un terrain loué,
b) a fait une modification à un édifice ou structure louée, ou
c) a fait des modifications à des biens loués qui en changent sensiblement la nature ou le caractère,
à moins que les biens ne soient compris dans la catégorie 23 de l'Annexe B.
ANNEXE B
CATÉGORIE 3
5 p. 100
Les biens non compris dans aucune autre catégorie consti-
tués par
a) un édifice ou autre structure, y compris les parties constituantes, notamment les fils électriques, la tuyaute- rie, les réseaux extincteurs, le matériel pour la climatisa- tion, les appareils de chauffage, l'agencement pour l'éclai- rage, les ascenseurs et escaliers roulants,
b) un brise-lames (autre qu'un brise-lames en bois),
c) un bassin,
d) un chevalet,
e) un moulin à vent,
f) un quai, ou
g) un rajout ou une modification faite après le 31 mars 1967 à un édifice qui serait compris dans la présente catégorie s'il n'était pas compris dans la Catégorie 20.
CATÉGORIE 13
Les biens constitués par une tenure à bail excepté
a) une participation à des minéraux, du pétrole, du gaz naturel, d'autres hydrocarbures connexes, ou du bois et les biens y afférents ou à l'égard d'un droit d'exploration, de forage, de prise ou d'enlèvement concernant des miné- raux, du pétrole, du gaz naturel, d'autres hydrocarbures connexes, ou du bois,
b) la partie d'une tenure à bail qui tombe dans une autre catégorie à cause du paragraphe (5) de l'article 1102, et
c) les biens compris dans la catégorie 23.
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Les faits, qui ne sont pas contestés, sont énumérés comme suit dans l'exposé conjoint des faits:
[TRADUCTION] 1. Par acte en date du 4 avril 1955, les Che- mins de fer nationaux du Canada ont consenti à la Century Building Limited un bail emphytéotique portant sur une partie de son terrain vague donnant sur la rue Université dans la ville de Montréal.
2. Le 2 juillet 1955, la Century Building Limited cédait à la Terminal Centre Corporation tous ses droits d'emphytéote découlant du bail emphytéotique du 4 avril 1955.
3. Moses Rosentone, Arthur Rudnikoff, Nathaniel L. Rap- paport et H. Eric Feigelson détenaient la totalité des actions émises par la Terminal Centre Corporation, la part respec tive de chacun d'eux étant: 1/3, 1/3, 1/4 et 1/12.
4. La Terminal Centre Corporation a commencé en 1955 et terminé en 1957 la construction d'un édifice à bureaux sur le terrain mentionné à l'alinéa 1.
5. Par acte en date du 29 décembre 1964, la Terminal Centre Corporation a vendu à Moses Rosentone, Arthur Rudnikoff, Nathaniel L. Rappaport et H. Eric Feigelson tous ses droits sur le terrain mentionné à l'alinéa 1 et sur l'édifice qui y était érigé.
6. La question à résoudre en l'espèce est la suivante: l'allo- cation à l'égard du coût en capital à laquelle le demandeur a droit au titre de l'édifice construit sur le terrain mentionné à l'alinéa 1 est-elle fondée sur la catégorie 3 ou la catégorie 13 des Règlements de l'impôt sur le revenu?
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Annexe H Tenures à bail
1. Aux fins de l'alinéa b) du paragraphe (1) de l'article 1100, le montant qui peut être déduit dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, à l'égard du coût en capital des biens de la catégorie 13 de l'Annexe B est le moindre
a) de l'ensemble de chaque montant déterminé en confor- mité de l'article 2 de la présente Annexe qui est une part proportionnelle de la partie du coût en capital, pour lui, contracté dans une année d'imposition particulière, d'une tenure à bail particulière; ou
b) du coût non déprécié en capital, pour le contribuable, à la fin de l'année d'imposition, des biens de la catégorie (avant d'opérer quelque déduction en vertu de l'article 1100).
2. Sous réserve de l'article 3 de la présente Annexe, la part proportionnelle pour l'année de la partie du coût en capital, contracté dans une année d'imposition particulière, d'une tenure à bail particulière est le moindre des montants suivants:
a) le cinquième de ladite partie du coût en capital; ou
b) le montant déterminé en divisant ladite partie du coût en capital par le nombre de périodes de 12 mois (sans dépasser 40 semblables périodes) tombant dans la période commençant avec le début de l'année d'imposition parti- culière dans laquelle le coût en capital a été contracté et se terminant avec le jour le bail doit prendre fin.
Il s'agit d'une référence aux règlements ci-dessus mentionnés; l'interprétation qu'en a donnée le jugement dont il est fait appel me semble très claire quoique je doive avouer que je suis incapable de saisir la logique de ces règlements, ce qui est certes fâcheux.
L'avocat de l'appelant a contesté avec vigueur cette interprétation, qu'il a prétendue illogique et injuste; mais il n'a pas été en mesure de me convaincre que nous pouvions écarter le texte de la loi et son application en l'espèce.
Malgré que le terrain sur lequel se dresse l'édifice ait été cédé à bail emphytéotique à un auteur de l'appelant qui ne peut avoir plus de droit que cet auteur, et que l'emphytéose pré- sente des caractères particuliers, cela ne change rien au fait que l'édifice en question est cons- truit «sur un terrain loué» au sens de l'article 1102(5). Cependant l'appelant soutient que ce fait entre en ligne de compte seulement «quand le contribuable est locataire à bail de biens» et que ses droits découlant du bail emphytéotique ne sont pas ceux d'un «locataire à bail» mais ceux d'un propriétaire.
La doctrine ainsi que la jurisprudence ont longuement traité de la nature des droits confé- rés par un bail emphytéotique et on trouve maintes déclarations de juristes faisant autorité, qui soutiennent que les droits de l'emphytéote équivalent à ceux d'un propriétaire.
Il y a néanmoins une distinction entre la pro- priété telle qu'elle est définie à l'article 406 du Code civil du Québec, savoir: «le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ...» et «la propriété» conférée à un emphytéote, tout comme il y a une différence entre les droits d'un locataire ordinaire et ceux d'un emphytéote. Dans le second cas cependant, il y a un facteur commun: l'existence d'un bail. A mon avis, ce facteur commun suffit à faire entrer le bail emphytéotique dans l'expression «tenure à bail» telle qu'elle est utilisée dans les Règlements et je partage cette opinion du juge de première instance.
Je ne suis pas convaincu que les termes du bail emphytéotique en l'espèce peuvent affecter cette constatation d'ordre général.
En conséquence, je suis parfaitement d'ac- cord avec la Division de première instance et je rejette l'appel avec dépens.
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Voici les motifs du jugement prononcés orale- ment en français par
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE: Nonob- stant le droit de propriété temporaire du bailleur emphytéotique, je suis d'avis qu'il est sujet aux dispositions des Règlements de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les déductions prévues par les articles 1100 et 1102.
Pour ces raisons, je conclurais comme mes deux collègues et rejetterais le jugement avec dépens.
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